L'impasse française : protection généreuse, soutien des revenus et travail dégradé [Olivier Passet]

Xerfi Canal

13/04/2023

La France offre deux visages sur le plan social. Son système de protection est généreux, notamment du point de vue des transferts monétaires dont bénéficient les populations vulnérables ou dépendantes et de l'accès gratuit à un certain nombre de services de santé, d'éducation, etc. En revanche le pays présente un bilan dégradé du point de vue de la qualité des emplois et des conditions de travail, la France faisant office de mauvais élève en comparaison européenne. Et ces deux faces de son modèle social attisent les difficultés de son financement. Si notre modèle coûte cher, c'est aussi qu'il insère mal, qu'il doit corriger de gros écarts primaires de revenus et que son retour en termes de recettes publiques est faible. De ce point de vue, la question de la qualité du travail est bien un préalable à celle des retraites, problème qui va bien au-delà de l'enjeu de la pénibilité. [...]

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00:00 [Générique]

00:09 La France offre deux visages sur le plan social.

00:12 Son système de protection est généreux, notamment du point de vue des transferts monétaires,

00:16 dont bénéficient les populations vulnérables ou dépendantes,

00:20 et de l'accès gratuit à un certain nombre de services de santé, d'éducation, etc.

00:25 En revanche, le pays présente un bilan dégradé du point de vue de la qualité des emplois et des conditions de travail,

00:31 la France faisant office de mauvais élève en comparaison européenne.

00:36 Et ces deux faces de son modèle social attisent les difficultés de son financement.

00:41 Si notre modèle coûte cher, c'est aussi qu'il insère mal,

00:45 qu'il doit corriger de gros écarts primaires de revenus,

00:48 et que son retour en termes de recettes publiques est faible.

00:51 De ce point de vue, la question de la qualité du travail est bien impréalable à celle des retraites,

00:57 problème qui va bien au-delà de l'enjeu de la pénibilité.

01:01 Notons d'abord que depuis trois décennies, la structure de financement de notre modèle social a considérablement évolué,

01:09 bousculant ses principes pour faciliter l'insertion des moins qualifiés,

01:14 et tenter de contrecarrer la montée des inégalités.

01:17 Deux axes principaux ont été privilégiés.

01:19 1. L'allègement des cotisations sociales à proximité du SMIC, notamment la part patronale,

01:25 pour inciter l'embauche des populations les moins qualifiées.

01:29 2. L'extension de la prime d'activité pour soutenir le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes,

01:35 et inciter leur retour sur le marché du travail.

01:38 Autour de ces deux axes, le gouvernement a démultiplié récemment les soutiens à l'emploi et au pouvoir d'achat.

01:44 Dispositifs de chômage partiel, prime Macron défiscalisée, chèques énergie ou encore bouclier tarifaire.

01:52 Ce faisant, les gouvernements ont peu à peu désarmé le bras de fer traditionnel entre salariés et employeurs sur le partage de la valeur.

02:01 L'État se posant aujourd'hui en principal interlocuteur en matière de sauvegarde de l'emploi et du pouvoir d'achat.

02:10 Revers de la médaille aussi, en indemnisant ou en choisissant de diminuer le fardeau fiscal des plus pauvres,

02:16 plutôt que d'augmenter la pression sur les plus riches,

02:19 cette politique a pour effet collatéral d'assécher financièrement la protection sociale dans ses fonctions traditionnelles,

02:27 et surtout d'accroître le stress sur le financement de l'éducation et de la santé,

02:32 au risque de sous-dimensionner et de dégrader la protection sociale en nature.

02:39 Bilan des courses, c'est l'investissement public dans le capital humain que l'on affaiblit,

02:43 pénalisant encore plus le socle de financement de la protection sociale.

02:49 Autre contrepartie de notre politique inclusive, faisant l'impasse sur les conditions d'insertion,

02:55 de très piètre performance en matière de productivité que nous avons maintes fois évoquées,

03:00 mais aussi en matière de conditions de travail.

03:04 Les études comparatives se suivent et se ressemblent en la matière,

03:08 que ce soit la Fondation Européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, Eurofound, l'OIT ou la Dares,

03:16 ces institutions soulignent régulièrement le piètre rang européen de la France,

03:21 bien loin des standards du nord de l'Europe, de l'Allemagne ou même de certains pays d'Europe centrale,

03:27 comme la Slovénie ou la République tchèque.

03:30 Verticalité, agressivité du management, faible autonomie des subordonnés,

03:36 exposition forte des travailleurs aux risques physiques et psychosociaux, etc.

03:41 Il s'agit bien entendu de données subjectives à utiliser avec prudence, entachées de biais culturels.

03:47 Mais les quelques données objectives dont on dispose mettent aussi en alerte celles des accidents du travail notamment,

03:53 en phase avec des données d'enquête pointant la surexposition des travailleurs hexagonaux

03:59 à un environnement hostile (bruit, température, vibrations, etc.)

04:03 à des substances chimiques ou à une mauvaise ergonomie du poste de travail.

04:08 De piètres conditions qui vont de pair avec la montée des emplois de services de faible qualification.

04:14 De la manutention, de l'entretien, du transport, de la livraison, de l'aide à domicile, les aides soignants, etc.

04:21 Les fameux travailleurs invisibles érigés en héros des confinements lors de la crise sanitaire.

04:27 Emplois subventionnés, mais emplois dégradés.

04:31 La France a suivi en cela le modèle américain d'impôt négatif, qui insère massivement à faible coût les moins qualifiés,

04:39 mais avec toute une série de coûts induits.

04:41 Un impôt négatif en bas de l'échelle, des aides sociales ciblées,

04:46 l'État complétant les revenus des plus pauvres et subventionnant de fait les mauvais employeurs.

04:52 Nos finances publiques, de part et d'autre de l'Atlantique, portent profondément la marque de cet accompagnement social des ménages.

04:59 Si l'on fait la balance entre ce que reçoivent les ménages sous forme de prestations sociales monétaires ou en nature,

05:06 éducation, santé, logement notamment, et ce qu'ils versent sous forme de cotisations sociales, d'impôts directs et indirects,

05:14 TVA, droits de douane, droits d'assises, taxes sur les produits pétroliers, etc.

05:19 Le changement de régime est saisissant depuis le début des années 2000.

05:24 L'État devient un contributeur net aux revenus des ménages de plus en plus important.

05:29 En France, comme aux États-Unis.

05:32 De part et d'autre de l'Atlantique, ce cofinancement par l'État du pouvoir d'achat des moins qualifiés

05:37 est devenu la principale source d'aggravation des déficits, avec des systèmes de retraite qui n'ont pourtant rien à voir.

05:45 Ni dans leurs principes, ni dans leur durée de cotisation.

05:49 Alors oui, les syndicats ont raison.

05:51 La question de la valorisation du travail est bien impréalable à celle de la soutenabilité sociale de nos économies.

05:59 Et il n'y aura pas de rééquilibrage durable des finances publiques sans qualité de l'emploi et sans productivité.

06:06 [Musique]

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