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  • il y a 17 heures
Georges Catroux, homme de l'ombre de la France libre, incarne les paradoxes de son époque. Militaire brillant, diplomate habile et acteur clé du renseignement, il traverse les conflits majeurs du XXe siècle en laissant une empreinte souvent méconnue. Héritier de Lyautey, compagnon de la première heure de Charles de Gaulle, Catroux se distingue par son sens politique, sa maîtrise des réseaux d’influence et son rôle crucial dans les affaires du Levant et de l’Afrique du Nord. Du Proche-Orient à l’Indochine, en passant par Moscou et Alger, il s’affirme comme un médiateur et un stratège de l’Empire, tout en suscitant admiration et controverse.
Jugé « bradeur d’Empire » par certains, perçu comme un « juge de paix » par d’autres, il incarne une figure fascinante et énigmatique, oscillant entre rigueur militaire et ambitions diplomatiques.
Avec François Cochet, auteur de "Général Catroux, un militaire bien diplomate" (Perrin, 2025).
Passé/Présent dévoile un portrait nuancé et profondément humain d’un homme à la personnalité complexe, souvent décrié mais toujours déterminé à jouer un rôle central dans les grandes affaires de son temps.

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Transcription
00:00Madame, Monsieur, alors que beaucoup d'entre vous se rassemblent autour de la crèche ou au pied du sapin,
00:05prenons de notre côté un instant pour dire simplement merci.
00:09Merci aux millions de téléspectateurs qui font vivre notre chaîne.
00:13Et puisque nous sommes dans le temps de Noël, ayons une pensée toute particulière
00:16pour les plus fragiles et les plus seuls de notre communauté TVL,
00:20qui souffrent aussi, comme nous, de voir la France se déliter, s'effacer sous nos pas.
00:25Et cela nous rappelle l'absolue nécessité de soutenir TVLiberté par vos dons.
00:30Nous sommes à un point de bascule.
00:31Encore 7 jours, 7 petits jours, pour que l'avenir de notre chaîne ne soit pas compromis.
00:37Noël est là.
00:39A tous ceux qui célèbrent la naissance du Sauveur,
00:41que cette joie et cette espérance les accompagnent vers une humanité renouvelée.
00:46A tous ceux qui savent qu'après les périodes sombres, le soleil finit toujours par renaître.
00:50Nous souhaitons un Noël plein de bonheur.
00:53Joyeux, joyeux Noël.
00:55Sous-titrage Société Radio-Canada
01:25Mais souvent relégué au second plan de l'histoire française du XXe siècle,
01:29le général Georges Quattroux.
01:31Officier colonial, soldat de la Grande Guerre, haut fonctionnaire, acteur du mandat français au Levant,
01:36gouverneur général de l'Indochine, général de la France libre,
01:40diplomate après 1945 et artisan plus tard de l'ordre national du mérite,
01:44Quattroux a traversé plus de 60 ans de vie politique et militaire.
01:48Sa carrière, commencée à la fin du XIXe siècle, l'a placée au cœur de nombreux événements majeurs.
01:53La pacification du Maroc, la Première Guerre mondiale, le conflit mondial de 39-45, puis les débuts de la décolonisation.
02:00Pour évoquer ce parcours et ce que l'histoire peut en retenir, nous recevons aujourd'hui l'historien François Cochet,
02:05qui vient de publier Le Général Quattroux, un militaire bien diplomate, aux éditions Perrin-Pierre de Taillac.
02:13Avec lui, nous reviendrons sur la trajectoire de cet officier qui a servi la France sous des formes très différentes,
02:19sur ses relations avec les grands acteurs de son temps, Lyotet, De Gaulle, Giraud, ou encore les responsables britanniques,
02:25et sur la manière dont son action éclaire les enjeux de l'Empire, de la guerre et de la diplomatie au XXe siècle.
02:31François Cochet, bonjour.
02:33Bonjour Guillaume Fiquet.
02:33Merci d'être avec nous.
02:35Alors vous êtes professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université de Lorraine,
02:40et l'un des spécialistes français de l'histoire militaire, de l'expérience combattante et des mémoires de guerre.
02:45Une part importante de vos recherches porte sur la première guerre mondiale,
02:49et sur la manière dont les soldats et les sociétés ont vécu et transmis ce conflit fondateur.
02:54Et vous êtes d'ailleurs président du conseil scientifique du mémorial de Verdun.
02:58Alors votre œuvre est abondante, je vais citer quelques-uns de vos ouvrages.
03:02Le plus récent, bon, Catroux, on en parle tout à l'heure,
03:05mais sinon Dramaturgie de Verdun chez Pierre de Taillac.
03:09Histoire de l'armée française en 14-18 chez Talendier en 2022 avec l'ami Rémi Porte.
03:17Un dictionnaire, vous avez collaboré au Dictionnaire de la guerre d'Indochine en 2021 chez Perrin.
03:23Donc c'était en direction avec Yvan Cadot et Rémi Porte encore.
03:28Vous avez écrit également en 2017, toujours chez Perrin,
03:31Les Français en guerre de 1870 à nos jours.
03:36Et en 2014, 14-18, fin d'amont de début d'un siècle,
03:42il a été réédité, donc c'était chez Perrin, mais il a été réédité dans leur édition de poche,
03:46Tempus en 2018.
03:49Et donc là, comme je le disais, le général Catroux, un militaire bien diplomate,
03:54portrait d'un grand seigneur de la France libre, dit le sous-titre,
03:57édité chez Perrin et coédité, c'est une coédition Perrin-Pierre de Taillac.
04:03Alors, c'est vrai, ce que je disais, c'est pas un personnage très, très connu, Catroux.
04:08Donc pourquoi lui avoir consacré un livre et qu'est-ce qui faisait, selon vous,
04:14un personnage injustement oublié ?
04:17Alors, Georges Catroux est un de ces inconnus célèbres, comme j'aime les nommer,
04:22quelqu'un qui a un rôle considérable, considérable mais discret,
04:26et quelqu'un dont la mémoire publique est sous-estimée par rapport à d'autres personnages,
04:31je pense à la Seconde Guerre mondiale, bien évidemment, un Leclerc de Haute-Cloque,
04:36avec un Koenig et un Delattre, une aura que n'a pas Georges Catroux,
04:43et pourtant, le rôle objectif de Georges Catroux durant la Seconde Guerre
04:47est infiniment supérieur à celui de ces trois hommes,
04:51parce que c'est lui, notamment, qui solde la relation conflictuelle
04:55Giraud-De Gaulle à Alger en 1943, entre autres,
04:58et surtout, il est le général le plus haut gradé de l'armée française
05:02à rallier le plus précocement De Gaulle le 18 octobre 1940.
05:06Ce qui m'a donné envie de travailler sur une biographie,
05:10chose que je n'avais jamais faite, d'ailleurs,
05:12et c'est un exercice délicat de mener une biographie,
05:16c'est qu'il existe une ancienne biographie de Georges Catroux de 1990,
05:22due à la plume d'Henri Lerner.
05:25La biographie de Catroux ne m'avait pas donné satisfaction à la lecture
05:29il y a déjà quelques années, parce qu'Henri Lerner avait eu accès
05:33à des sources personnelles de Georges Catroux,
05:37mais d'une part, il ne les citait jamais,
05:39c'est-à-dire que moi, j'aime m'appuyer, appuyer mon travail scientifique
05:43sur des références, des référencements précis,
05:46or, ça n'était pas le cas dans la biographie d'Henri Lerner,
05:50et puis, il faut bien dire que j'ai tenté de dépoussiérer
05:53un petit peu cette biographie,
05:54parce qu'Henri Lerner avait beaucoup utilisé
05:58les souvenirs personnels de Georges Catroux,
06:00et les avait faits siens, en quelque sorte,
06:03c'est-à-dire que nous étions plus proches d'une géographie
06:05que d'une biographie réellement historique et historienne.
06:09Donc, je suis retourné aux archives,
06:11qui depuis, Henri Lerner ont été classés, mieux classés,
06:15il y a eu des apports considérables aussi d'archivistique depuis 1990,
06:18et ça m'a permis d'écrire une biographie que j'espère plus modérée,
06:25plus historienne, c'est-à-dire qui prenne compte vraiment
06:29des sources disponibles, qui mettent bien en œuvre
06:33les grandeurs du personnage, mais qui mettent aussi parfois
06:36en œuvre ces petitesesses, certaines de ces petitesesses.
06:40– Alors, quand on ouvre votre livre, on découvre un parcours,
06:42effectivement, comme vous dites, hors normes,
06:44qui commence dans une famille plutôt modeste, républicaine, laïque.
06:50Il a un père officier sorti du rang, une mère d'origine méditerranéenne.
06:56Donc, racontez-nous rapidement ses origines sociales.
06:58– Alors, plutôt modeste à l'origine paternelle, du côté paternel,
07:03parce qu'effectivement, le père de Georges Cattrou est un officier sorti du rang,
07:08qui commence sa carrière en s'engageant à 20 ans sous le Second Empire,
07:11qui participe à des campagnes coloniales, jusqu'en Chine notamment,
07:18qui accède à l'épaulette de sous-lieutenant,
07:21donc immédiatement avant la guerre de 1870,
07:25et qui, par sa bravoure, devient capitaine,
07:28puis chef de bataillon après le 1870.
07:34Mais cet homme d'origine, effectivement, modeste, fait un très riche mariage.
07:40Et il sort de sa catégorie sociale, si vous voulez,
07:44en épousant la fille d'un très grand colon algérien,
07:50qui va lui amener une richesse tout à fait considérable
07:54et un domaine tout à fait important.
07:56Donc, Georges Cattrou est à la fois issu d'un milieu, effectivement,
08:01modeste par son père,
08:03mais un milieu qui n'a pas de soucis d'argent
08:06à partir du moment où son père a fait ce très riche mariage,
08:10que lui-même va reproduire dans un premier mariage,
08:13en épousant aussi la fille d'un grand colon.
08:16– Un grand colon.
08:16– Alors, Saint-Cyr, la Légion Intragère, puis l'Algérie.
08:22Au début, il se distingue par un mélange, vous dites, de discipline, de finesse.
08:27Quel est le jeune officier Cattrou ?
08:29– Alors, le jeune officier Cattrou est bien placé à la sortie de l'ESM, de Saint-Cyr,
08:35et donc il a le choix de sa première affectation.
08:39Et il choisit un bataillon de chasseurs,
08:42qui ne s'appelle pas encore Alpin, mais qui s'appelle Infanterie Alpine.
08:45– Et il va y rester peu de temps.
08:48Il y reste très peu de temps, parce qu'en fait, son biographe de 1990
08:52disait qu'il avait soif d'aventure et qu'il demandait une mutation en Algérie.
08:56En fait, en retournant voir les archives, je me suis aperçu
08:59que tout simplement, il avait une aventure coupable
09:02avec l'épouse d'un de ses supérieurs, et donc il est remercié,
09:05et on lui dit qu'il serait mieux qu'il aille voir ailleurs.
09:08Et ce qu'il y a d'intéressant dans son premier post,
09:13c'est que son chef de corps signale quand même une certaine suffisance
09:19et une haute estime de soi.
09:22Et ça, c'est un trait de caractère que l'on va retrouver
09:24tout au long de la carrière de Georges Quattroux.
09:28Alors effectivement, après avoir dû quitter son bataillon de chasseurs des Alpes,
09:34il demande, comme avait fait son père d'ailleurs,
09:38il demande l'Algérie, où il va servir au sein d'une unité de tirailleurs algériens,
09:44où il va faire aussi, comme je le disais en 1901, en 1902, pardon,
09:49un très riche mariage,
09:51et où il va rapidement rencontrer les milieux
09:56aux confins du milieu politique et du milieu militaire.
10:00Et il a un frère aîné qui est très ami avec Aristide Briand.
10:06Et ça va en quelque sorte déterminer, voire même surdéterminer sa carrière,
10:11parce que très précocement, il n'est encore que lieutenant.
10:14Il est nommé dans des postes d'interface entre militaires et politiques.
10:20Et il est nommé notamment comme simple lieutenant,
10:22envoyé donc en Indochine auprès du gouverneur général Beau.
10:27Beau, le gouverneur général Beau est très typé politiquement,
10:32c'est un maçon, c'est un homme de gauche,
10:35c'est un homme qui a présidé la commission de surveillance
10:38des métiers du Quai d'Orsay.
10:42C'est donc quelqu'un qui est militant proche de Jeanne-Étienne,
10:48militant anticlérical, militant républicain, etc.
10:51Et là, très précocement dans sa carrière,
10:54Georges Catrouf fait l'expérience de l'officier politique.
10:59Et encore une fois, ça va effectivement le surdéterminer,
11:04parce que c'est cette première expérience auprès de Paul Beau
11:08qui va l'orienter vers des dimensions officier de renseignement,
11:14officier politique.
11:15– Il a une rencontre quand même très importante dans sa carrière,
11:18c'est une rencontre avec Lyoté.
11:20– Avec Lyoté, oui.
11:21– Donc, quelle influence exacte de Lyoté
11:24sur la formation intellectuelle et politique de Catrouf ?
11:28Parce que ça commence, déjà, ça frictionne au départ.
11:32– La première rencontre est pour le moins rugueuse,
11:35c'est-à-dire qu'en gros, et pour dire les choses tout à fait clairement,
11:38Georges Catrouf se fait remonter les bretelles,
11:41il est capitaine, il se fait remonter les bretelles par Hubert Lyoté
11:45parce qu'il a fait, il a commis une petite erreur de commandement
11:49auprès de sa compagnie.
11:53Hubert Lyoté connaît le milieu familial de Georges Catrouf,
11:56connaît notamment le père de Catrouf,
11:59et ça c'est important également.
12:01Alors, Georges Catrouf s'est toujours revendiqué
12:04d'une filiation intellectuelle avec Hubert Lyoté.
12:09C'est vrai que les deux hommes sont assez proches l'un de l'autre,
12:14c'est vrai que Georges Catrouf, tout au long de sa carrière,
12:18notamment au Levant, va reproduire les méthodes de gouvernance d'Hubert Lyoté.
12:25En cela, il est un élève incontestable d'Hubert Lyoté,
12:30simplement, il n'est peut-être pas le meilleur élève,
12:34en tout cas aux yeux de Lyoté lui-même,
12:37qui a assez clairement une préférence pour Alphonse de Jouin,
12:41qui est cadet, si vous voulez, de Georges Catrouf, qui est plus jeune,
12:45mais qui sera aussi dans la proximité immédiate de Lyoté,
12:50et dont Lyoté tient davantage de cas, je dirais, que de Georges Catrouf.
12:57Et d'ailleurs, les deux hommes, Jouin et Catrouf,
12:59sont très très précocement, malgré la différence d'âge d'une dizaine d'années,
13:02sont très très précocement en rivalité.
13:05Et on va le retrouver, ça, à plusieurs reprises,
13:07dans la guerre du Rif, avant même la guerre du Rif,
13:11et puis, bien entendu, pendant la Deuxième Guerre mondiale,
13:14où les oppositions, et après, les oppositions de Catrouf et de Jouin
13:20vont être assez considérables.
13:22– Alors, finalement, à l'époque, c'était un des rares officiers coloniaux
13:25qui conçoient la pacification comme une construction
13:28et non pas comme une domination.
13:30– Alors, il y a, chez Georges Catrouf, il y a les deux, comme chez Lyoté.
13:36C'est-à-dire que ce sont des militaires, quand même.
13:37Alors, ce sont des militaires constructeurs, je suis d'accord,
13:40mais ce sont des militaires.
13:41C'est-à-dire qu'ils n'hésitent pas, le cas échéant, à réprimer,
13:45et à réprimer durement.
13:47Et Georges Catrouf, notamment en Levant, sous la houlette du général Henri Gouraud,
13:54n'hésitera pas à manier une poigne de fer.
13:57Mais il est vrai que le rêve catrouzien, je dirais, de gouvernance,
14:03qui est emprunté à Lyoté, qui est emprunté à Lord Cramer aussi,
14:07pour les Britanniques, c'est le rêve de l'indirect rule,
14:10c'est le rêve d'une administration indirecte par les Français,
14:14c'est-à-dire qu'on fait mine de laisser gouverner les autochtones,
14:19les élites indigènes, comme on dit à l'époque,
14:22mais, bien entendu, des élites indigènes qui sont, d'une part,
14:25généreusement stipendiées, et qui, d'autre part,
14:28sont étroitement surveillées par des conseillers militaires français
14:31proches de Catrou.
14:33Alors, il se retrouve au Levant, il est haut-commissaire en Syrie et au Liban.
14:40Non, il n'est pas haut-commissaire, il est auprès de Gouraud,
14:44Et donc là, il joue un rôle important dans la gestion du mandat français,
14:48donc expliquer, développer.
14:50Est-ce qu'il avait compris déjà, avant les débats sur la décolonisation,
14:55ce qui pouvait se passer ?
14:56Alors, si on procédait en plusieurs étapes,
14:59parce que les postures de Georges Catrou évoluent assez considérablement
15:04entre 1921 et 1939.
15:07D'accord.
15:07En 19, il est nommé au Edjaz.
15:12Et puis en 1921, il est nommé auprès du gouverneur Henri Gouraud,
15:18qui cumule, et c'est une première, les fonctions de gouverneur militaire
15:23et de gouverneur civil.
15:25Et là, Gouraud, qui est un général intelligent et qui sait reconnaître
15:30les talents de ses subordonnés, lui laisse effectivement la bride sur le cou
15:35pour mener une politique à un moment capital,
15:39parce que c'est le moment où la France a reçu mandat sur la Syrie-Liban de la SDN.
15:45Donc il s'agit d'installer ce mandat, cette politique mandataire,
15:50et de la faire vivre, de la faire vivre, alors qu'il y a des oppositions
15:54extrêmement fortes des Arabes, sur notamment,
16:01est-ce qu'il faut une Syrie indépendante du Liban
16:04ou une grande Syrie englobant le Liban ?
16:08Il y a les positions des Britanniques qui sont tous favorables aux Français,
16:14donc les difficultés s'accumulent.
16:16Et en 21, 21, 25, le positionnement, si je puis dire, de Georges Catrou
16:24est un positionnement de type lueuthésien.
16:27C'est-à-dire, on installe la politique mandataire
16:30en contrôlant quelques grandes familles
16:33et il n'est encore pas question du tout, du tout, de nationalisme arabe.
16:39En 21, Georges Catrou n'a pas encore pris en compte ce nationalisme arabe.
16:45Il prendra en compte ce nationalisme assez tardivement.
16:49En 1936, il est encore opposé à une indépendance de la Syrie et du Liban.
16:55Son basculement se fait sans doute en 1939.
16:59Et ce sera important parce qu'effectivement, dans la suite,
17:02et notamment dans les affaires libanaises de 1943,
17:06là, les postures de Catrou vont évoluer.
17:09– Donc, il va recommander, à partir de quel moment, vers 1939,
17:12il recommande l'indépendance, l'autonomie ?
17:15– Il ne recommande pas, ouvertement.
17:18Il ne va employer les termes d'indépendance
17:20que forcés par les événements et forcés par les Anglais en 1943.
17:26Il commence à en parler en 1942,
17:29après les affrontements dramatiques franco-français.
17:33– Non, mais avant-guerre…
17:34– Avant-guerre, non.
17:35– Il s'exprime…
17:36– Non, avant-guerre, il n'y a pas d'idée d'indépendance du Levant chez Catrou.
17:42Pas plus qu'il y en a chez les gouvernants français de l'époque,
17:47qu'ils soient pour le coup de droite ou de gauche.
17:49Les premières réflexions de ce type,
17:53ce ne sera même pas De Gaulle en 1931,
17:56lorsqu'il fait un bref passage au Liban,
18:01ce sera après, et ce sont les circonstances de la Deuxième Guerre mondiale
18:06et les évolutions au sein du panarisme,
18:10panarabisme, pardon,
18:11qui vont faire l'acheminement vers cette notion d'indépendance.
18:17– Vous parliez de De Gaulle un instant.
18:19De Gaulle, que Catrou, on n'a pas parlé du tout,
18:22même que Catrou a déjà connu en captivité en Allemagne.
18:25– Alors, ils se sont connus, effectivement,
18:28à l'été 1916 dans le camp d'Ingolstadt, en Allemagne.
18:32Il faut dire que Catrou n'a pas de chance, si je puis dire,
18:35puisqu'il fait la guerre européenne
18:38et, effectivement, il a compris que,
18:43si du moins il avait la chance de survivre,
18:45la guerre pouvait être un accélérateur de carrière,
18:49sauf que, pas de chance pour lui,
18:51il est capturé dès le mois d'octobre 1914.
18:54En gros, au premier grand combat de son unité de tirailleurs,
18:58il est capturé, donc, dans les combats sauvages d'Artois,
19:02d'octobre 1914.
19:03Il est fait prisonnier près de Lens.
19:08Et donc, il va passer toute la guerre…
19:11– En captivité.
19:11– En captivité.
19:12Il fait donc connaissance avec de Gaulle,
19:15lorsque de Gaulle lui-même est capturé en mars 1916
19:18et qu'il arrive au camp d'Ingolstadt.
19:22Catrou est commandant, de Gaulle est capitaine,
19:26Catrou est le chef de chambre de De Gaulle, si vous voulez.
19:30Et donc, là, il va se nouer des liens qui sont des liens intellectuels,
19:33qu'on reverra, bien entendu, pendant la Deuxième Guerre,
19:37mais qui ne sont pas des liens d'affection ou d'amitié profonde.
19:43De toute façon, De Gaulle conserve son camp à soi,
19:47même avec ses camarades officiers prisonniers.
19:50– Et puis, ce que vous disiez, Catrou, tout à l'heure,
19:52j'imagine, deux personnalités.
19:53Enfin, on en reparlera.
19:54– Absolument.
19:54– Ceci dit, dès l'époque, Catrou est admiratif
19:58sur les conférences que donne notamment De Gaulle
20:02au camp de prisonniers et sur ses capacités intellectuelles.
20:06Il est assez fasciné, comme tous ceux qui ont entendu De Gaulle.
20:09Il tente trois fois de s'évader, il est repris trois fois, Catrou,
20:12et donc il termine la guerre dans un camp de prisonniers en Allemagne.
20:16– Je voudrais maintenant qu'on parte en Indochine,
20:19on parte du moment indochinois de Catrou,
20:21donc c'est entre 1939 et 1940.
20:24Quel poste occupe-t-il en Indochine ?
20:28– Alors, il est mis en deuxième section des officiers généraux
20:32avec le grade de général de corps d'armée, 4 étoiles.
20:35– Oui, parce que bon, il est né en 1977.
20:37– Il est né en 1977, effectivement.
20:38– Il est atteint par la limite d'âge.
20:40Et donc, il est mis en deuxième section en janvier 1939.
20:45Et dès le mois d'août 1939, il est rattrapé par la Manche
20:50par Daladier, qui le nomme effectivement gouverneur général de l'Indochine,
20:57avec une cinquième étoile de général d'armée,
21:00mais à titre provisoire pour la durée de son mandat de gouverneur général.
21:05Alors, ce n'est pas Daladier lui-même qui a fait le choix de Georges Catrou,
21:11c'est Georges Mendel, et c'est surtout le général Burer.
21:14Le général Burer a, avec Mendel, un plan de développement de l'Indochine.
21:20qui consiste en fait à revivifier le plan du général Penkin des années 1910,
21:26c'est-à-dire revivifier l'idée d'une force jaune,
21:29qui est antérieure en fait à la notion de force noire de Mangin.
21:33En gros, permettre à l'Indochine de se développer,
21:36permettre aux élites, notamment les chinoises, de se développer,
21:40pour que l'Indochine puisse participer à un effort de guerre français.
21:44C'est ça le plan Mandel-Burer.
21:46Or, il se trouve que le général Burer, très brillant, très proche de Mendel,
21:52moins à gauche que Georges Catrou,
21:55Catrou et Burer se sont connus au centre des hautes études militaires en 1931,
22:02auxquels ils ont suivi les mêmes cours tous les deux.
22:06Et c'est donc le général Burer qui fait pression sur Mendel,
22:09qui lui-même fait pression sur Daladier,
22:11pour nommer Catrou à la tête de l'Indochine.
22:15Alors, Catrou développe effectivement le plan Mandel,
22:21mais avec un succès assez moyen,
22:24parce qu'en fait, il n'est aux manettes, entre guillemets,
22:28que du mois d'août 1939 à juillet 1940.
22:35Et la grande affaire du mandat de Georges Catrou,
22:39c'est la position des Japonais.
22:42Parce qu'effectivement, à la suite de la défaite française de juin 1940 en métropole,
22:49les Japonais ont compris qu'ils avaient une carte à jouer dans la foulée de cette défaite,
22:54et exigent d'une part des aérodromes militaires sur la péninsule indochinoise,
23:01et exigent aussi des ravitaillements, en essence, etc.,
23:05dans leur lutte contre les nationalistes chinois.
23:08Il y a quand même une frontière au Tonkin commune avec la Chine et l'Indochine française.
23:14Et donc, la grande affaire du gouvernement général de Catrou,
23:20ça va être effectivement de tenter de résister aux Japonais,
23:26mais jusqu'à un certain point.
23:30C'est-à-dire que là, maintenant, on a les travaux de Michelin sur les archives japonaises,
23:36et on se rend compte qu'avec son talent de négociateur habituel,
23:42Catrou a essayé parfois d'anticiper sur les demandes japonaises,
23:49pour essayer de couper l'herbe sous le pied à ses revendications.
23:52– Ce qui est sûr, c'est que cette période est très trouble pour lui,
23:56très ambiguë pour l'histoire de France aussi,
23:58puisque le 30 juin 1940, il est démis de ses fonctions.
24:05Alors, il est démis de ses fonctions, lui dit dans ses mémoires,
24:07je suis démis par Vichy.
24:09Et officiellement, le 30 juin, c'est encore le dernier gouvernement de la Troisième République,
24:14et le décret de démission est signé du président de la République, Pierre Lebrun.
24:20– Oui, donc il est démis de ses fonctions, effectivement.
24:24– Mais est remplacé par l'amiral de Coup, qui était jusqu'à présent son subordonné,
24:29mais il va s'incruster, si je puis dire, jusqu'au mois de juillet 1940.
24:36C'est-à-dire que pendant un mois, alors qu'il n'est plus en fonction officiellement,
24:40il prétend n'avoir pas reçu les télégrammes, etc.
24:42et il prépare, en fait, son passage en Angleterre.
24:46– Et voilà, donc il est théoriquement rappelé en France.
24:50– Voilà.
24:50– Comment ça se passe ? Là, il y a une petite aventure.
24:53– Alors, comment ça se passe ?
24:55Georges Cattreau, qui est extrêmement fin dans ses analyses,
25:00à mon avis, a sous-pesé le pour et le contre.
25:04Il rallie de Gaulle, ça on va y revenir, c'est un acte extrêmement courageux,
25:08mais je pense qu'il a sous-pesé le pour et le contre, et il s'est dit,
25:11mais voilà, quel est mon avenir si je rentre en France ?
25:14Il a interrogé d'ailleurs le général Végan à cet égard,
25:18et la réponse de Végan est très claire.
25:21Vous êtes remis en deuxième section, c'est-à-dire la retraite.
25:24Donc, en gros, s'il rentre en France, il n'a plus aucun avenir.
25:28Et s'il fait le choix de de Gaulle, qu'il a encore une fois connu en Allemagne,
25:35et les deux hommes se sont suivis quand même par courrier,
25:38notamment tout au long de l'entre-deux-guerres,
25:40et bien là, Cattreau peut rebondir, si je puis dire,
25:45et avoir un rôle extrêmement important à jouer,
25:49et il fait ce choix courageux, mais encore une fois bien sous-pesé,
25:54de gagner l'Angleterre.
25:55– Donc, c'est le chemin du retour, toi, qui bifurque ?
25:57– C'est un voyage préparé par les Britanniques, financé par les Britanniques,
26:01de toute façon, à cette époque-là, il n'y a guère que les Britanniques
26:03qui peuvent financer un tel voyage,
26:05et qui peuvent réaliser matériellement un tel voyage.
26:08Et donc, il gagne Londres, dans un premier temps,
26:11où il est sollicité par Churchill…
26:13– Oui, parce que Churchill lui propose de prendre la tête de la France-Île.
26:16– Complètement, tout simplement parce que…
26:19– Et pourquoi il refuse, finalement, parce que c'est quand même une offre exceptionnelle ?
26:21– D'abord, peut-être, pourquoi Churchill lui propose ?
26:24– Oui.
26:24– Parce que, eh bien, George Catrou est infiniment mieux connu
26:29des dirigeants britanniques que Charles de Gaulle.
26:32Charles de Gaulle, général de brigade à titre temporaire,
26:36depuis trois semaines, éphémère, sous-secrétaire d'État à la guerre
26:40pendant dix jours, il n'a pas les liens au sommet de l'État britannique
26:47que peut avoir un Catrou, qui a commandé le 19ème corps d'armée en Algérie,
26:52et qui a été gouverneur général de l'Indochine.
26:55– Donc, Churchill se dit qu'il ferait bien chapeauter De Gaulle
27:00par quelqu'un de plus prestigieux.
27:03Et c'est intéressant, d'ailleurs, parce que les Français qui, aujourd'hui,
27:06ont oublié un peu George Catrou, auraient pu avoir à la tête de la France libre
27:11ce même George Catrou.
27:13Bon, ça, c'est le calcul que fait Churchill.
27:19– Alors maintenant, pourquoi Catrou décline-t-il cette invitation ?
27:25Je crois que Catrou a eu l'intelligence, quand même,
27:29de comprendre que Charles de Gaulle n'était plus seulement,
27:32dès cette époque, nous sommes à l'automne 1940,
27:35il a l'intelligence de comprendre que De Gaulle n'est plus simplement un militaire,
27:39qu'il incarne bien autre chose.
27:41– Il voit le politique derrière.
27:42– Il voit le politique derrière,
27:44il voit la légitimité du combat politique de De Gaulle,
27:48et il va accepter, et c'est effectivement très courageux
27:53et un peu surprenant de la part d'un George Catrou
27:58qui a un égo immense,
28:00mais il fait justement la démarche de se mettre aux ordres de De Gaulle.
28:07C'est un acte révolutionnaire.
28:09– Oui, vous parlez d'un geste de loyauté absolue
28:12avec le salut militaire qu'il lui…
28:13– Absolument.
28:14Le 18 octobre 1940, à Fort-Lamy, donc,
28:18l'avion de Catrou arrive, De Gaulle est déjà là depuis la veille,
28:25et lorsque George Catrou descend de l'avion,
28:29eh bien, au dit pas réglementaire,
28:33George Catrou, donc général 4 étoiles, officiellement,
28:37se met au garde-à-vous devant un général 2 étoiles à titre pente temporaire,
28:42en disant, à vos ordres, mon général.
28:43– Donc là, on est dans un acte courageux, lucide,
28:49révolutionnaire par rapport à tout ce qui est la culture militaire,
28:53la culture de hiérarchie, culture d'obéissance, etc.
28:57C'est un acte…
28:58Je reprends les paroles du grand historien Maurice Agulon
29:01qui disait que le ralliement à la France libre,
29:03surtout précocement comme ça, était un acte d'élite.
29:07En cela, effectivement, c'est un acte d'élite
29:09que commet George Catrou.
29:12– Le fait, justement, de ce fort de ces 5 étoiles,
29:17est-ce qu'il donne aussi, par ce geste, une légitimité ?
29:20– Absolument, absolument.
29:22Et c'est là toute l'importance de cette scène de Fort Lamy,
29:28parce qu'à un moment où, objectivement,
29:32George Catrou aurait pu casser, si je puis dire, De Gaulle.
29:37Imaginons, faisons de l'Uchronie.
29:40Si George Catrou accepte la proposition de Churchill
29:44de prendre la tête de la France libre,
29:47je ne sais pas quelles auraient été les réceptions en même temps,
29:49mais Charles de Gaulle se trouve renvoyé à un second rôle.
29:57Bon, et maintenant, cette scène de Fort Lamy
30:00vient effectivement, non seulement donner de la gloire
30:05à George Catrou, c'est certain,
30:07mais légitimer complètement Charles de Gaulle.
30:13Dès les lendemains, d'ailleurs,
30:14Charles de Gaulle est tout fier d'annoncer à Churchill
30:17que le général Catrou s'est rallié à lui.
30:20C'est-à-dire qu'il n'a plus de rival, en quelque sorte.
30:24Et il peut prendre son envol à la tête de la France libre
30:27et commencer, d'ailleurs, dès le surlendemain,
30:29à l'échiférer, au nom de la France libre.
30:31– Alors justement, dans cette France libre,
30:33Catrou, au départ, devient quoi ?
30:34Une sorte d'éminence grise de De Gaulle ?
30:38– Alors, éminence grise, je ne pense pas,
30:41parce que je ne suis pas certain que De Gaulle
30:43ait supporté la moindre éminence grise.
30:45En revanche, ce qui est certain,
30:46c'est que Georges Catrou représente pour Charles de Gaulle
30:49l'expert, l'expert du Proche-Orient,
30:55l'expert de la gestion coloniale,
30:58d'une manière générale, plus générale,
31:00et aussi ses contacts,
31:03le carnet d'adresse de Georges Catrou,
31:07carnet d'adresse, y compris à Vichy,
31:09parce que les liens ne seront pas forcément rompus
31:12entre Vichy et Catrou.
31:16Et c'est de cette expertise dont a besoin Charles de Gaulle,
31:22notamment pour sa politique proche-orientale,
31:26pour la politique proche-orientale de la France libre,
31:28je dirais plus généralement.
31:29– Et puis, il voit sans doute en Catrou un homme de,
31:37comment dire, une manière de juge de paix, un petit peu,
31:41quelqu'un qui est suffisamment fin,
31:45madré aussi, on peut dire,
31:46pour réconcilier un petit peu les opposants.
31:51On va le voir, ce sera son rôle majeur en 1943,
31:55dans le différent entre Gaulle et Giraud.
31:58– Avec Giraud, mais là, vous parliez du Proche-Orient,
32:03il est renvoyé finalement de nouveau en Syrie et au Liban, en 1941.
32:09Donc là, il est nommé délégué général, je ne me trompe pas.
32:13– Oui, tout à fait, délégué général de la France libre,
32:14mais il avait fait auparavant une première mission pour les Anglais,
32:18printemps 1941.
32:21– Mais sinon, cette campagne de Syrie,
32:24ça a été un moment très douloureux pour l'armée française,
32:27et pour Catrou lui-même, comment est-ce qu'il vit ça ?
32:29– Alors, les épisodes de la guerre, la guerre franco-française,
32:34parce qu'il s'agit d'une vraie guerre franco-française,
32:36avec les Britanniques qui sont là.
32:42Vichy a promis des bases aériennes aux Allemands,
32:46enfin, officiellement à l'Irak, mais en fait aux Allemands.
32:51Et donc, c'est Catrou qui a l'idée d'une opération militaire,
32:55qui propose une opération militaire aux Britanniques.
32:59Dans un premier temps, les Britanniques n'en veulent pas,
33:01cette opération militaire.
33:03Et puis, Catrou réussit à les déterminer, si vous voulez,
33:09à les convaincre plutôt.
33:11Et donc, il y a des combats,
33:13des combats qui opposent donc les Français de Vichy,
33:17et dans un camp, bien entendu, et dans l'autre camp,
33:21les Britanniques et les forces françaises libres.
33:23Avec des cas de conscience terribles.
33:27Par exemple, la Légion française ayant toujours refusé
33:31de se combattre entre elles,
33:35Maghreb Ernerin est obligé de se mettre en retrait,
33:37général, de la France libre,
33:39parce qu'il y a un régiment de Légion, si vous voulez,
33:42chez les Vichyistes, et il y a un régiment de Légion
33:44chez les Français libres.
33:45Ces combats sont violents,
33:47enfin, une violence extrême,
33:49avec pas de cadeau de part et d'autre.
33:52Et là, on peut dire que Georges Catrou
33:53porte une certaine responsabilité de ces combats,
33:56parce que c'est lui qui les a souhaités.
33:59Et ça se termine donc au mois d'août 1941
34:02par le traité de Saint-Jean d'Acre,
34:06qui est donc négocié entre les Britanniques
34:10et les Français de Vichy.
34:14La France libre n'est même pas mentionnée
34:17dans le premier traité de Saint-Jean d'Acre,
34:19ce qui fait que de Gaulle est absolument furieux
34:22contre Catroux.
34:24Et il va falloir que de Gaulle renégocie
34:27un deuxième traité pour que la France libre
34:30soit mentionnée.
34:32Et là, on peut dire que cette affaire
34:34de printemps-été 1941,
34:36c'est la preuve que Catroux est sans doute,
34:42et certainement, un très très bon officier politique,
34:45mais que sur le plan militaire,
34:48ça n'est pas forcément un grand dirigeant militaire.
34:52– Alors justement, la politique,
34:54il proclame l'indépendance de la Syrie et du Liban.
34:57– Alors…
34:58– Donc c'est un geste audacieux.
35:01– Alors c'est un geste audacieux,
35:03mais qu'il faut relativiser parce que c'est sous la pression
35:07des Britanniques, très clairement.
35:10Et c'est un geste de 1942, mais qui stipule bien
35:13que l'indépendance sera effective après les combats,
35:18à la fin de la guerre.
35:20Donc c'est un engagement symbolique, bien évidemment,
35:25extrêmement fort, qui a été ressenti comme tel,
35:28aussi bien en Syrie qu'au Liban.
35:30Mais c'est un acte provisoire, si je puis dire,
35:34et qui se place sous le regard des Britanniques
35:37et sous la pression des Britanniques.
35:40Le rêve des Britanniques…
35:41– Il résiste un peu quand même à la pression des Britanniques ?
35:43– Ah oui, de ce point de vue-là.
35:44– C'est quoi ? C'est Spears ?
35:45– C'est Spears qui négocie du côté britannique.
35:49Et les deux hommes, Spears et Catroux…
35:51– Quelle est l'intention, le but des Britanniques ?
35:54– Ah ben c'est très clair, sortir les Français du Proche-Orient.
35:58Très clairement, par le biais de l'indépendance
36:02qu'ils obligent les Français à accorder à la Syrie et au Liban,
36:07il s'agit d'en finir avec la politique mandataire de 1921
36:11et d'exclure les Français du Proche-Orient, très clairement.
36:15Et là, de ce point de vue, Catroux résiste bien,
36:18résiste bien tant qu'il peut,
36:20mais à partir de 1943, il a d'autres affaires à régler d'une part en Algérie
36:27et puis l'évolution du conflit est telle
36:32que l'indépendance devient inéluctable.
36:35Ce qui fait d'ailleurs que Catroux va avoir, dès cette époque,
36:40auprès des tenants de l'empire colonial français,
36:44la réputation d'un bradeur d'empire.
36:47Et c'est quelque chose d'important parce qu'on va retrouver ça en 1956
36:52lorsqu'il sera éphémèrement, pour quelques jours,
36:55le gouverneur général de l'Algérie.
36:56– Alors vous disiez qu'il avait d'autres affaires à régler en Algérie
36:59parce qu'on sait effectivement que le conflit Giraud-De Gaulle
37:03a agité tout le petit monde de la France libre.
37:07Alors comment expliquer cette capacité qu'a eu Catroux
37:09à dialoguer avec Giraud et De Gaulle alors que tous les opposaient ?
37:13– Tous les opposent pas, loin s'en faut.
37:17Dans le CFNL, vous savez, il y a des membres nommés par De Gaulle,
37:23il y a des membres nommés par Giraud,
37:24et il y a des membres nommés par Giraud et par De Gaulle conjointement.
37:27Et Catroux fait partie des deux personnes
37:30qui sont nommées par De Gaulle et par Giraud, avec Jean Monnet.
37:33– Et Catroux connaît personnellement Giraud,
37:40ils ont combattu ensemble dans la guerre du Rif en 1925-1926,
37:45et ils ont le même grade, puisque donc Catroux a été titularisé,
37:51si je puis dire, par la France libre 5 étoiles.
37:54ils se connaissent de longue date, et comment dire,
37:59ils ont eu des responsabilités importantes tous les deux.
38:05Et bien entendu, De Gaulle, on l'a vu, connaît aussi Georges Catroux.
38:09Et donc Catroux, c'est l'homme de l'interface parfait,
38:12l'homme de l'entre-gens parfait,
38:14qui connaît aussi très très bien les milieux politiques de la Troisième République,
38:19qui les a côtoyés de près.
38:20Notamment à Paris, en 1931, lorsqu'ils suivaient les cours du Chême.
38:25Et donc, ça en fait un négociateur parfait,
38:29parce qu'il connaît les milieux gaullistes,
38:32il n'est pas en odeur de sainteté auprès des jeunes, je dirais,
38:37qui le trouvent trop, justement, Troisième République,
38:41mais il connaît les milieux gaullistes,
38:43il connaît les milieux giraudistes,
38:45notamment le principal conseiller militaire, qui est le général Georges,
38:48qui est un camarade de promotion de Catroux.
38:52Et il va être, dans les négociations très délicates entre De Gaulle et Giraud,
38:58il va être l'homme clé, incontestablement.
39:01Son plus grand succès, si je puis dire,
39:04après son ralliement d'octobre 1940,
39:09son plus grand succès, c'est d'avoir petit à petit fait peser le CFNL
39:16en faveur de De Gaulle, au détriment d'enrichir.
39:19– Alors justement, comment procède-t-il ?
39:21– Alors par touche, par touche successive, par négociation.
39:25Vous savez, les négociations d'Alger de l'été 1943,
39:30c'est un drame en circuit fermé, en vase clos.
39:36C'est quelques personnes, allez, 40, 50 personnes qui font,
39:39qui vont faire les évolutions.
39:42Il y a incontestablement des maladresses d'Henri Giraud,
39:47il y a la finasserie de De Gaulle qui est extraordinairement puissante,
39:52et il y a justement quelques personnes qui vont jouer un rôle déterminant,
40:00Jean Monnet, le général Georges et Georges Quattroux.
40:05Et donc petit à petit, sans doute parce qu'ils n'osent pas,
40:10comment dire, s'affronter à De Gaulle directement et poser son pouvoir,
40:16eh bien un moment, même les soutiens d'Henri Giraud le lâchent.
40:21Et y compris les Britanniques, qui sont pourtant, Dieu sait,
40:26opposés à De Gaulle par bien des aspects,
40:29mais qui font le choix, effectivement, de favoriser De Gaulle
40:32parce qu'ils ont compris que c'était un vrai chef.
40:34Donc là, Quattroux a vraiment un rôle clé ?
40:37Absolument, absolument un rôle déterminant durant l'été 1943, oui, bien sûr.
40:42Et vis-à-vis de De Gaulle, comment il fonctionne ?
40:44Il peut l'infléchir quand même sur certaines décisions ?
40:47Alors, Quattroux a toujours prétendu
40:50qu'il était le seul à pouvoir s'opposer à De Gaulle,
40:54ce n'est pas tout à fait vrai, il y a d'autres qui lui ont tenu tête.
40:58Ce sont des relations bizarres entre les deux hommes.
41:01Ce sont des relations un petit peu, je t'aime moi non plus, si je puis dire,
41:06puisque, effectivement, il y a la scène du ralliement extraordinaire,
41:10mais les deux hommes ne cessent de se faire des reproches réciproques.
41:22On a vu que De Gaulle fait des reproches à Serbes, à Quattroux au moment de l'été 1941,
41:28mais leur correspondance est marquée de violences verbales assez grandes.
41:34Et Quattroux ne manquera pas, à aucun moment, de rappeler qu'il a quand même des étoiles de plus
41:41que Charles De Gaulle.
41:46Des relations vraiment très conflictuelles.
41:49– Très conflictuelles.
41:50– Un petit peu comme De Gaulle pouvait avoir avec Churchill, d'ailleurs.
41:53– Alors, après-guerre, il nous reste encore un petit peu de temps,
41:58parce que je voudrais aborder aussi l'homme privé.
42:01– Après-guerre, il a deux postes importants, il est ambassadeur en URSS entre 1945 et 1948.
42:08Alors, quel a été son rôle exact à Moscou en ce début de guerre froide ?
42:14– Alors, le rôle de Quattroux à Moscou n'est pas aussi grand que Quattroux l'aurait rêvé lui-même.
42:19C'est-à-dire que d'abord, il souhaitait l'ambassade de Washington.
42:22Bon, et De Gaulle lui a dit non, ce sera Moscou.
42:25Et il est chargé de faire vivre les accords franco-soviétiques de décembre 1944.
42:32Et qui avait été signé à un moment où l'Union soviétique avait éventuellement besoin de la France
42:37pour jouer une manière de petit contrepoids aux alliés occidentaux.
42:43Sauf que lorsque Quattroux prend son poste à Moscou,
42:48bien l'Union soviétique n'en a plus que faire des attitudes françaises.
42:52Et donc, Quattroux a le plus grand mal à dialoguer avec les autorités soviétiques,
42:59avec Molotov notamment.
43:00Et son rôle, il le déplore lui-même, consiste surtout à constater
43:05que le rideau de fer s'abat sur l'Europe, sur l'Europe orientale notamment.
43:11Et il regrette beaucoup ses années d'ambassade.
43:15Il s'y ennuie.
43:16Lui qui est très mondain s'y ennuie beaucoup.
43:19Il essaie de rentrer d'ailleurs avant 1948.
43:22Dès 1946, il essaie de rentrer, mais il doit rester jusqu'à 1948.
43:26Mais il n'arrivera pas à s'imposer auprès du régime soviétique.
43:31Ceci dit, il le décrit très bien.
43:33Et il décrit très très bien dans ses mémoires,
43:35dans un de ses livres de mémoire qui s'appelle
43:38J'ai vu tomber le rideau de fer justement.
43:39Il décrit très bien le fonctionnement totalitaire du régime soviétique.
43:44Et il constate qu'on ne peut rien faire contre.
43:46Parce que c'est un système qui ne supporte pas le dialogue en fait.
43:53Donc deuxième grand poste d'après-guerre,
43:57il est haut-commissaire en Algérie en 1956.
44:01On peut dire que ça se passe très mal.
44:02Ça se passe très très mal.
44:03C'est très très éphémère puisqu'il est haut-commissaire du 1er février au 7 février 1956.
44:11Il a été proposé par Guy Mollet qui vient de gagner les élections avec son bloc de centre-gauche.
44:19Il accepte la charge en rappelant à Guy Mollet qu'il est très mal vu des colons algériens
44:26parce qu'il a été une première fois gouverneur général donc en 1943.
44:32Et il a proposé des réformes, notamment l'élargissement du corps électoral des musulmans
44:39qui a fortement déplu aux colons, aux européens d'Algérie d'une manière plus générale.
44:45Et effectivement en Algérie, il a cette image auprès des colons et des européens du bradeur d'Empire
44:53qu'il a cette image ramenée en quelque sorte du Levant.
44:57Et donc à la suite de la désignation de Georges Catrou comme haut-commissaire,
45:03il y a des grosses manifestations et Guy Mollet en fait les frais
45:08puisqu'il se rend à Alger, c'est la fameuse journée des tomates
45:10où Guy Mollet est accueilli au monument mort d'Alger par des tomates, des jets de tomates.
45:15Il doit être protégé par les CRS, etc.
45:18Et donc Mollet en fait demande à Catrou de démissionner.
45:23Et Catrou n'est donc haut-commissaire que durant six jours.
45:26– Et donc il finit sa carrière avec quelques postes honorifiques, il est grand chancelier ?
45:31– Alors c'est un haut dignitaire de la 4ème comme de la 5ème République.
45:36Il est grand chancelier de la Légion d'honneur,
45:38il est donc chancelier de l'Ordre national du mérite qu'il crée.
45:42C'est une idée qu'il avait proposée d'ailleurs à la 4ème République.
45:48À ce titre, il va siéger aussi, et c'est important, au tribunal militaire.
45:52– Oui, qui va juger les poutchistes.
45:53– Il juge les poutchistes d'avril 1961.
45:56Il fait aussi un rapport mi-chèvre mi-chou sur Dien Mien Phu,
46:00preuve qu'il est effectivement vu comme le sage, en quelque sorte,
46:05le juge de paix, un petit peu ce que je disais tout à l'heure.
46:08– Alors j'aurais terminé sur l'homme lui-même.
46:13Vous avez esquissé quelques petites touches.
46:17Donc vous le montrez comme diplomate, calculateur,
46:21mais on dit que c'était aussi un homme à femme.
46:26Mais est-ce qu'il était apprécié par ses collègues ?
46:30J'ai relevé qu'il était machiavélique, peu franc du collier,
46:34intrigant, opportuniste.
46:36Qu'en est-il réellement ?
46:38– C'est un officier ambitieux.
46:40C'est un officier ambitieux, très précocement ambitieux,
46:44qui a lié sa carrière à certains milieux politiques.
46:47Donc qui est estampillé précocement par le milieu militaire
46:52comme un militaire de gauche.
46:55Bon.
46:55Et donc, il fait une magnifique carrière.
47:00Mais il y a tout au long de sa carrière, il y a cette…
47:03Même si ça s'atténue après son ralliement à De Gaulle,
47:08parce que ça en fait quasiment une sorte de saint laïc.
47:11Mais il y a tout au long de sa carrière quand même des rapports,
47:15surtout en début de carrière,
47:16qui montrent ça à une certaine suffisance,
47:19un certain narcissisme même.
47:21– On pouvait le reprocher à De Gaulle également, d'ailleurs.
47:23– Absolument, ou à tant d'autres militaires.
47:26Jean Delattre de Tassini, dans ce registre,
47:28était pas mal non plus beau.
47:29– Et donc, les reproches que lui fait le milieu militaire,
47:34c'est pas tant d'être narcissique,
47:35parce que ça, encore une fois,
47:36c'est largement partagé dans ces milieux,
47:38mais c'est de ne pas être un vrai militaire.
47:40C'est-à-dire, il n'a pas commandé en chef,
47:42c'est un officier politique,
47:44c'est un officier de renseignement,
47:46mais qui n'a pas eu de rôle,
47:49ni tactique, ni dorsurie stratégique.
47:52Il n'a pas l'expérience du feu.
47:54Sauf dans des petites guerres coloniales,
47:56en tout début de carrière.
47:58Et d'ailleurs, lorsqu'il sort du CHEM,
47:59le général Raguenot, qui commande l'école,
48:02dit très clairement, il faut l'employer,
48:05il faut l'employer dans des postes de renseignement,
48:08et surtout pas.
48:09En gros, on dit de lui, en 1931,
48:12qu'il n'est pas fait pour commander
48:13une division sur le théâtre européen.
48:18Alors, c'est ce qui fait aussi sa puissance.
48:24Il a, comme je le disais tout à l'heure,
48:26un carnet d'adresses,
48:27mais il a des foules de renseignements
48:28sur les uns et les autres.
48:31Et c'est quelqu'un qui adore les mondanités.
48:37C'est quelqu'un qui est très lyothésien,
48:39de ce point de vue-là,
48:40parce que l'IOT avait fait de l'apparat
48:43une forme de gouvernance.
48:46Et c'est quelque chose que,
48:47lorsque Catrou sera général à Marrakech
48:51entre 1931 et 1935,
48:52c'est quelque chose qu'il va complètement
48:54calquer, copier sur l'IOT.
48:58Voilà, c'est quelqu'un...
48:59Alors, homme à femme, oui, incontestablement,
49:02mais homme à femme qui se marie deux, trois fois
49:07et qui se remarie, donc, à 83 ans,
49:13avec une jeune femme de 40 ans,
49:16qui la rassurait, sans doute,
49:21dans les dernières années de sa vie.
49:25– Eh bien, François Cochet,
49:26merci infiniment pour ces éclairages,
49:29cet éclairage sur le général Catrou,
49:32portrait d'un grand seigneur, dites-vous,
49:35de la France libre.
49:36Je rappelle ce livre qui est sorti chez Perrin,
49:38enfin, c'est une coédition Perrin-Pierre de Taillac.
49:43– Merci à vous.
49:43– Merci à une prochaine fois, j'espère,
49:45pour un nouveau projet.
49:47C'était Passé-présent,
49:48l'émission historique de TVL,
49:51réalisée en partenariat avec la Revue d'Histoire européenne.
49:54Avant de nous quitter, vous n'oubliez pas,
49:55bien sûr, de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
49:57et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
50:00Merci et à bientôt.
50:01– Sous-titrage Société Radio-Canada
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