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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
00:08Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:12L'assassin, il est grand, brun, il est jeune.
00:16Il ne parlait pas beaucoup mais il avait un accent.
00:19Oh, quel accent ça je ne sais pas moi, américain ou allemand.
00:23Ah, peut-être mais allemand, au moins que ce soit américain.
00:27Vous savez moi les étrangers.
00:30Oui, les étrangers, ils ne les distinguent pas les uns des autres.
00:34Cet homme qui répond aux policiers.
00:36Il en sert quelquefois dans ce petit restaurant d'Olivet près d'Orléans.
00:40Il les sert mais il ne leur demande pas d'où vient leur accent.
00:45Et pour l'instant, c'est la seule piste des enquêteurs.
00:49Le corps a été découvert sur la National 20 à 163 km de Paris.
00:54La victime, un certain Koufi, a été abattue en plein jour d'une balle dans la nuque.
00:58Il était chauffeur de grande remise et sa voiture, une Vivastella noire, est introuvable.
01:05Mais on sait déjà avec certitude que seul son prétendu client a pu le tuer.
01:11Ils ont déjeuné ensemble dans ce restaurant d'Olivet.
01:13On sait donc par le serveur à peu près, je dis bien à peu près, à quoi il ressemble.
01:18Et puis, et puis plus rien.
01:20Et cela émeut le public et affole les policiers.
01:24Nous sommes en 1937.
01:271937, l'année de l'exposition.
01:291937, le Front populaire est presque mort.
01:32La gauche se désorganise.
01:341937, les fascistes se font efficaces et menaçants.
01:38L'Espagne est en plein drame.
01:39En Allemagne, le nazisme triomphe.
01:421937, c'est peut-être parce que nous sommes en 1937 que l'affaire en question, qui serait certainement restée la proie des journaux à fait divers en d'autres temps, c'est peut-être parce que nous sommes en 1937 que cette affaire va prendre tant d'ampleur.
01:55Car le moindre fait, en 1937, se colore de politique, à tel point qu'il est difficile de trouver un titre un peu neutre à l'histoire que voici.
02:05Pour ceux d'entre vous qui en ont vécu les péripéties au jour le jour, il suffira que je dise qu'elle s'est terminée à Versailles par la dernière exécution publique.
02:15Et aussitôt, un nom vous surgira à la mémoire, Weyman.
02:20Et c'est donc sous ce nom que nous retrouverons l'affaire dans les dossiers.
02:25Extraordinaire.
02:44Le nom de Weyman, il a fallu quelque temps aux policiers pour l'entendre.
02:49La série de crimes impunis de cette année 1937 était considérable.
02:53Mais la machine de la police semblait bloquée par un invisible grain de sable.
02:58Quai des enfèvres ? Pas le moindre écho.
03:01Les indicateurs habituels n'avaient rien à dire.
03:03Tout se passait comme si les criminels étaient soudain devenus des hommes parfaits.
03:07Pas de maîtresse, pas de bon copain avec qui l'on bavarde, pas de partie de carte où l'on laisse échapper un mot, pas de recéleur ou d'intermédiaire.
03:14Rien.
03:15Le silence absolu.
03:16Angoissant, vraiment.
03:19Tant pour les familles des victimes que pour les enquêteurs et aussi pour le public, qui ne se sent pas protégés.
03:24Tenez, voulez-vous un exemple ?
03:27Laetitia Toureau.
03:28A 18h27, à la station Porte de Charenton, une femme, Laetitia Toureau, monte dans un wagon de première classe vide.
03:36A la station suivante, on la retrouve avec un poignard dans le dos.
03:40Un fou ? Un rôdeur ? Une exécution ?
03:43Voilà ce qui faisait peur en 1937.
03:45Tenez, autre exemple.
03:46Le 29 novembre, à Saint-Cloud, un agent immobilier est assassiné dans une villa par le client qui l'emmenait visiter les lieux.
03:54Une balle dans la nuque.
03:56Une balle dans la nuque.
03:58Et le client avait, paraît-il, un fort accent étranger.
04:02Américain ou bien allemand ?
04:05Cette balle dans la nuque, cet accent étranger, c'est la première piste sérieuse.
04:09Mais est-ce la bonne ?
04:11Un assassin signe-t-il son crime en clair ?
04:15Je veux dire, un homme qui s'apprête à en tuer un autre, dépose-t-il au bureau de ce dernier une carte de visite avec son nom et son adresse ?
04:23C'est la question que se posent les policiers en contemplant la carte de visite laissée à l'agent immobilier par son mystérieux client à l'accent étranger.
04:31Arthur Schott, 10, avenue du Parc Impérial, à Nice.
04:36Monsieur Schott est représentant de commerce.
04:38On le retrouve à Strasbourg.
04:40Aucun rapport avec l'assassin.
04:42S'il vous plaît, à qui auriez-vous pu donner votre carte récemment ?
04:45Vous savez, représentants, ça distribue beaucoup de cartes de visite.
04:49Oui, mais réfléchissez bien.
04:51Une personne inhabituelle, peut-être.
04:53Une personne rencontrée en dehors de la profession.
04:57Je ne sais pas.
04:59Je voudrais bien aider la justice, mais...
05:02Vraiment, je ne vois pas.
05:04Bon, nous vous remercions, monsieur.
05:06Au revoir.
05:07Attendez !
05:08Attendez, mon neveu, oui.
05:09J'ai donné mon adresse sur une carte à mon neveu, Fritz.
05:14Fritz ?
05:14Un allemand ?
05:16Oui.
05:17Fritz Fromer, c'est un réfugié allemand.
05:21Où demeure-t-il ?
05:22Idéal Hôtel, rue Saint-Sébastien, à Paris.
05:27Rue Saint-Sébastien, à Paris.
05:30Le propriétaire de l'hôtel.
05:32Monsieur Fromer ?
05:33On se l'a fait une semaine que je ne l'ai pas revu.
05:35Ça note ?
05:35Non, non, il ne l'a pas réglé.
05:36D'ailleurs, messieurs, vous pouvez monter dans sa chambre, il a laissé sa valise et tous ses effets.
05:42Pouvez-vous nous montrer sa fiche ?
05:43Parfaitement, messieurs.
05:45Ici, tout est en règle.
05:47L'affiche comporte le nom d'un correspondant, un autre réfugié allemand.
05:52Monsieur Weber ?
05:54Oui, c'est moi, que désirez-vous ?
05:56Police.
05:57Nous recherchons un certain Fritz Fromer, dont l'oncle nous a donné l'adresse à Paris.
06:02Fromer a disparu et vous êtes son correspondant.
06:03Je suis également son oncle, messieurs.
06:07Je vous avoue que je m'inquiète aussi de ne pas avoir de ces nouvelles.
06:10Savez-vous s'il avait des amis à Paris ?
06:13Très peu, mais il m'a dit récemment avoir rencontré ici un jeune compatriote.
06:17Ils se sont connus en prison, à Sarbrück.
06:20En prison ?
06:21Oui.
06:21Fritz Fromer a été interné politique pour ses opinions anti-hipplériennes.
06:24Et ce camarade ?
06:27Prisonnier politique également ?
06:29Non.
06:30Non, un personnage plutôt douteux.
06:32Il occupait le poste de bibliothécaire à la prison.
06:34Mais c'était un délinquant notoire.
06:37Son nom ?
06:39Sonner Breil.
06:40Mais il vit, je crois, sous le nom de Carrère, dans une villa.
06:43Une villa...
06:44Attendez.
06:45Dans les bois de Saint-Cloud.
06:47Un déclic.
06:48Un déclic dans la tête du commissaire.
06:50Le bois de Saint-Cloud.
06:51Là où a été tué l'agent immobilier.
06:53L'indication est vague.
06:55Mais dans une agence de la salle Saint-Cloud ?
06:58Carrère ?
06:59Ah oui, l'Allemand.
07:00Il a loué la Voulzy.
07:02La Voulzy ?
07:03C'est le nom d'une villa.
07:05Avenue Pigot-le-Brun.
07:07Quel genre de locataire ?
07:08Oh, à moitié sérieux ?
07:10Il a payé son terme d'octobre seulement le 29 novembre.
07:14Le 29 novembre.
07:17L'agent immobilier a été assassiné le 27.
07:20On lui a pris un peu d'argent qu'il avait sur lui.
07:23En route pour la salle Saint-Cloud.
07:26Annonce le commissaire Primborgne.
07:28Et là...
07:33Les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
07:38Un podcast européen.
07:40Donc le commissaire Primborgne arrête la voiture un peu plus loin que la villa La Voulzy,
07:44dans l'avenue Pigot-le-Brun.
07:46Le commissaire et trois inspecteurs rôdent et observent la villa.
07:51Regardez, patron.
07:53Les volets sont fermés.
07:54Il ne doit pas être chez lui.
07:56Et là, derrière l'aie, deux bagnoles.
08:02Oui, celle du fond, c'est une Celta 4.
08:04L'agent immobilier avait une Celta 4.
08:08On tient le bon bout, les gars, mais pas d'imprudence.
08:11Faites une planque en paire tranquille.
08:13Moi, je vais chercher des renforts à la mairie de Vaucresson.
08:17D'accord, patron, mais faites vite.
08:19Le commissaire Parti, les policiers font quelques pas.
08:22Lorsque débouche d'une petite rue, un homme jeune et fort bien vêtu, jouant avec un chien.
08:27Il sourit et vient droit sur Poignan, l'un des inspecteurs.
08:35Vous cherchez quelque chose, messieurs ?
08:37Oui.
08:39Connaîtriez-vous un certain monsieur Carrère ?
08:42C'est moi, que désirez-vous ?
08:45C'est pour...
08:47Voilà, nous sommes agents des contributions et nous aimerions vérifier un petit détail.
08:53Parfait, si vous voulez bien me suivre.
08:55Un peu interloqué, les inspecteurs Bourquin et Poignan se ressaisissent et pénètrent dans la ville.
09:03Voulez-vous, s'il vous plaît, me montrer vos cartes ?
09:06Demande poliment monsieur Carrère.
09:08Volontiers, si vous-même avez l'obligence de nous faire voir vos papiers.
09:13Mais parfaitement.
09:15Tout ceci entre gens de bonne compagnie, chacun fouille dans ses poches.
09:20Lorsque la main de Carrère jaillit, un coup de feu claque.
09:23Tiens, les voilà mes papiers.
09:26Poignan touché s'est écroulé sur un divan.
09:28Bourquin bondit, ceinture Carrère, qui a le temps de tirer encore deux fois à la hauteur du visage.
09:32Une balle traverse le chapeau de l'inspecteur, l'autre lui rafle le front.
09:37La lutte est dure, le client est sportif.
09:40Sur la table, traîne un minuscule marteau de tapissier.
09:43Il en faut trois coups au policier pour étourdir enfin Carrère.
09:47L'homme se réveille, la tête bandée.
09:50Il grimace de douleur.
09:52J'ai trop mal.
09:54Je veux dormir.
09:56Ton nom.
09:58Allez, dis-nous ton nom.
09:58Je m'appelle Eugène Weidmann.
10:05C'est lui.
10:05Lui, dont on verra les photos et le nom, sur cinq colonnes pendant des semaines.
10:11Mais il a sombré à nouveau dans le sommeil et ce n'est que le lendemain que commencera l'abominable confession.
10:18Il parle lentement.
10:21Moitié français, moitié allemand, il est poli à ses beaux garçons.
10:24Mais il a des mains gigantesques.
10:27Et derrière les cils noirs, les yeux sont d'une fixité qui étonnera à tous les interlocuteurs.
10:32Il va avouer ses forfaits dans le désordre, à bâton rompu, au hasard de la conversation.
10:39Le zobre, ah oui.
10:41Il s'appelait Raymond le zobre, l'agent immobilier.
10:44Je lui ai pris 5000 francs pour payer mon loyer en retard.
10:48Et la voiture aussi, la Celta 4.
10:51Et l'autre voiture.
10:52La Diva Stella ?
10:54Ah ben c'est à Koufi.
10:56J'ai tué Koufi pendant qu'il vérifiait l'huile du moteur.
10:59Tu lui as pris de l'argent ?
11:012500 francs.
11:03Et puis ?
11:04Eh bien, Roger Leblon, un mois plus tard.
11:08Roger Leblon avait été engagé comme secrétaire général de la gaieté Montparnasse par Georges Hus, qui dirigeait l'établissement.
11:16Il était très jeune, désireux de réussir.
11:19À peine revenu du service militaire, il avait fait passer des annonces dans la presse pour trouver des associés dans une agence théâtrale.
11:24On avait retrouvé son corps le dimanche 17 octobre, rue Victor Noir, à Neuilly, dans un somptueux cabriolet Vérolive.
11:32Il était nu, enveloppé dans un vieux rideau et une toile à matelas.
11:37Leblon, alors c'est toi aussi !
11:40Vous voulez la preuve ?
11:42Les bouteilles que je porte, ce sont les siennes.
11:45Une balle dans la nuque, pendant qu'il attendait les contrats assignés.
11:48De l'argent, cette fois encore ?
11:515 000 francs ?
11:52Oh, c'est vite parti.
11:54Alors Fromer est venu me voir.
11:57Et c'est parce que Fritz Fromer avait été en prison avec toi, parce qu'il connaissait ton passé, que...
12:03Pas du tout.
12:05Il est venu, et il m'a montré tout fier l'argent gagné dans la journée.
12:09Alors je l'ai tué.
12:11Il est enterré dans la case de la Voulzy.
12:15Pour combien l'as-tu tué ?
12:17300 francs.
12:18Le téléphone.
12:21Le qui les a refèves pour le commissaire Primborgne ?
12:23Je prends.
12:23Allô ?
12:24Primborgne ?
12:25Dis donc, je viens de ressortir un dossier, tu te souviens, de la jeune danseuse américaine qui a été kidnappée, à ce qu'on pense.
12:31Miss...
12:32De Coven, oui, Jane De Coven.
12:34Sa tante a déclaré que ce garçon qu'elle avait rencontré dans les salons de l'hôtel ambassadeur parlait avec un fort accent germano-américain.
12:42Est-ce votre gars par hasard ?
12:44Compris.
12:46Mainman.
12:46Jane De Coven.
12:48Ça te dit quelque chose ?
12:50Donnez-moi un papier et un crayon.
12:54Un papier et un crayon ?
12:55Oui.
12:56Inspecteur, faites le nécessaire.
13:00Cinq mots.
13:01Cinq mots s'alignent sur la feuille d'une écriture incertaine.
13:03J'ai tué Jane De Coven.
13:08La balle dans la nuque, elle aussi ?
13:12Non.
13:15Non, je lui avais dit que mon père possédait en Suisse un gros laboratoire de produits pharmaceutiques.
13:20Elle est venue à un rendez-vous à Saint-Cloud.
13:22Elle fumait une blonde et buvait un verre de lait.
13:25Je me suis dit que ce n'était pas la peine de sortir le revolver.
13:28Elle était assise et elle riait.
13:30Je voyais sa nuque.
13:30Je l'ai serrée d'une main.
13:33De l'autre, j'ai enfoncé un baillon dans sa bouche.
13:36Et je l'ai étranglée avec une serviette.
13:39Elle a été la première.
13:41Vous la trouverez sous le perron de la villa.
13:45On la trouve.
13:46Encore habillée, gantée.
13:48On trouve aussi, sous une commode, une mallette de métal.
13:53Il y a dedans les objets pris au mort.
13:54Tiens, voici des vêtements de femme, une blouse blanche, des papiers, au nom de Janine Keller.
14:03Janine Keller, Weyman.
14:07Oui.
14:09J'ai tué Janine aussi.
14:11Elle demandait une place de gouvernante dans une annonce.
14:14Elle habitait Strasbourg.
14:16Mais j'ai une révélation à faire.
14:19Appelez le juge.
14:20On appelle le juge.
14:22Je n'ai pas agi tout seul.
14:23Il y avait quelqu'un avec moi.
14:25Surprise.
14:26Quelqu'un ?
14:27Oui.
14:28Roger.
14:29Roger Millon.
14:31On s'est connus en prison, à Francfort.
14:33On est allés chercher Mme Keller, à la gare de l'Est.
14:37Elle était censée aller travailler chez les riches sud-américains, dans la région de Vichy.
14:41Le lendemain, on l'a prise à son hôtel pour la conduire à Vichy, soi-disant.
14:45Millon, conduisez la vive Astella de Couffy.
14:47J'avais tué sur la National 20.
14:49On est allés visiter la forêt de Fontainebleau.
14:51Vous souvenez-vous, chers amis, qui lisiez les journaux à cette époque ?
14:55Vous souvenez-vous de la caverne aux brigands ?
14:58C'est dans cet endroit, au nom prédestiné, dans la forêt de Fontainebleau, que Weinmann et Millon exécutent la jeune femme.
15:04Au départ, je voulais seulement voler les économies de Mme Keller.
15:10Mais Millon, il voulait savoir comment j'avais tué Couffy.
15:12Alors, pour lui montrer, je l'ai envoyé chercher la lampe électrique dans la voiture.
15:17Il est revenu.
15:18Janine déchiffrait les graffitis sur les parois de la grotte.
15:22J'ai éclairé sa nuque.
15:24Et j'ai tiré.
15:25Alors, il m'a dit, j'ai compris.
15:28Le prochain, c'est pour moi.
15:32Ils ont enterré, Janine Keller, la trop confiante gouvernante, à même le sol sablonneux de la caverne.
15:38Le prochain, c'est pour moi, avait dit Millon.
15:41Le suivant, ce fut Leblon, vous savez, l'impresario.
15:45Alors, Weinmann avait donc menti dans un premier temps.
15:48Millon se défend comme un beau diable.
15:50La presse et l'opinion se posent des questions.
15:51Qui est vraiment Weinmann ?
15:53Quelle est sa part exacte dans tous les crimes qu'il a avancés ?
15:57On apprend son histoire.
15:58Un enfant kleptomane et fugueur qui inquiète ses parents.
16:01Voilà, Eugène Weinmann, adolescent.
16:04On le fait examiner par un spécialiste.
16:05Celui-ci le plonge sous hypnose pour l'interroger plus librement.
16:09Il avoue des vols qui remontent à l'âge de 4 ans.
16:12Au réveil, il se rend compte qu'il a trop parlé.
16:14Alors, dès la séance suivante, il fait semblant de s'endormir
16:17et n'avoue que ce qu'il veut bien dire.
16:20Mais me direz-vous ?
16:21On ne peut pas vérifier s'il dort vraiment, par exemple,
16:23en le piquant pour voir ses réactions ?
16:25Eh bien, si, justement.
16:27Et c'est comme cela que l'on s'apercevra
16:29d'une anomalie très exceptionnelle chez cet individu.
16:33Écoutez bien.
16:34Il est tout à fait insensible sur tout le côté droit de son corps.
16:38On peut le pincer, le piquer, le brûler même.
16:41Le côté droit tout entier est insensible à la douleur.
16:45Est-il anormal ?
16:47Est-il hystérique ?
16:48Est-il né avec dans sa tête une insensibilité morale
16:51qui correspondrait à sa particularité physique ?
16:53On se le demande.
16:55Et les experts ont toujours refusé de se prononcer là-dessus.
16:58Mais considérons par exemple cette réplique
17:01extraite des notes prises au cours d'un interrogatoire.
17:03C'est cette image monstrueuse que le public a devant les yeux.
17:21Et c'est un monstre, un vampire,
17:23que l'on s'attend à voir paraître au banc des accusés
17:25lorsqu'enfin le procès commence aux Assises
17:27en mars de l'année suivante.
17:29Mais, malgré le côté retentissant de l'affaire,
17:33Weimann va, si j'ose dire, décevoir son public.
17:38C'est le procès mondain par excellence.
17:39Co-Vedette, l'accusé, et son défenseur,
17:42maître Moro Giaferi.
17:44Sale comble.
17:45On croise Colette, l'écrivain,
17:46Maurice Chevalier, venu entre deux répétitions.
17:49Pour préserver la pudeur des dames de la bonne société
17:51qui siège au pourtour de la galerie,
17:54on a tendu, juste à hauteur des genoux,
17:56un guilleret rideau de satinette bleue.
17:58Tout est en place pour cet événement très parisien.
18:01On peut faire entrer l'acteur principal.
18:03C'est tout juste si on ne le siffle pas
18:05dès sa première réplique.
18:07Il s'est levé, sans avoir la parole.
18:10Il est maigre et pâle, mais très élégant.
18:12Complé bleu marine, chemise et cravate impeccable,
18:15cheveux gominés,
18:16beau regard souligné par des cils noirs.
18:18M. le Président,
18:23je déclare ceci.
18:26Je plaide coupable.
18:27Je renonce à être défendu.
18:32Tollé dans la salle.
18:33Maître Moro Giaferi sera-t-il privé de plaidoiries ?
18:36Non.
18:37La loi est formelle.
18:39On doit être défendu aux assises.
18:42Il ne me reste plus guère de temps,
18:43chers amis,
18:43pour vous raconter ce procès mémorable.
18:45Mais le plus étonnant,
18:46c'est quand même, je crois,
18:47la plaidoirie de Maître Moro Giaferi.
18:50Ce passage, surtout.
18:50Mesurant mes mots,
18:53clame-t-il,
18:54je dis que les crimes de Weimann
18:55sont des crimes allemands.
18:58Parce qu'il est allemand,
18:59parce qu'il est jugé pour l'horreur
19:01et le nombre de ses crimes,
19:02devant vous se pose cet angoissant problème.
19:05Weimann est-il normal ?
19:06Lui, dont les veines ont véhiculé le poison du mal.
19:09Avec terreur, je vous dis,
19:11voilà un être jeté sur terre
19:13autrement que les autres hommes.
19:16Il a commis le crime de naître.
19:19Oui.
19:20Voici ce que l'on entendit
19:21pour la défense de Weimann,
19:23mais nous étions en mars 1938.
19:27Jean Blanc, complice mineur dans l'affaire,
19:29bénéficiait des circonstances atténuantes.
19:31Million fut condamné à mort,
19:32mais gracié par le président de la République,
19:34Le Brun.
19:35Weimann fit encore parler de lui
19:37puisque son exécution en public
19:39devant la prison de Versailles
19:41fut la dernière du genre.
19:43En effet,
19:45on vit tant de dames très bien
19:46venir tremper leurs mouchoirs
19:49dans le sang du supplicier,
19:50on vit tant de scènes scandaleuses
19:53derrière les fenêtres alentours
19:54louées à prix d'or
19:55que désormais,
19:57les exécutions publiques
19:58furent interdites.
20:00Mais surtout, on reste confondus.
20:03Confondus par le repentir profond,
20:05religieux,
20:07le repentir indéniable
20:08qui ne peut pas être attribué
20:10à la comédie
20:10que manifeste Weimann
20:12au cours du procès
20:14et de son incarcération.
20:16Ce n'est plus le même homme
20:18que le bourreau des fourreaux
20:19et ses aides
20:20conduisirent vers les boîtes
20:22de justice à 4 heures du matin
20:23le 16 juin 1939.
20:26Et lorsque tombe
20:27le couperet,
20:29maître Moreau de Giaferi
20:29peut déclarer sans être taxé
20:31de chercher un effet,
20:34il a vécu comme un monstre,
20:37il est mort comme un saint.
20:39Mais nous étions
20:41en 1939.
21:01Vous venez d'écouter
21:03les récits extraordinaires
21:04de Pierre Belmar,
21:06un podcast
21:07issu des archives
21:08d'Europe 1.
21:09Réalisation et composition musicale
21:12Julien Tarot.
21:13Production
21:14Estelle Lafon.
21:16Patrimoine sonore
21:17Sylvaine Denis,
21:18Laetitia Casanova,
21:20Antoine Reclus.
21:21Remerciements
21:22à Roselyne Belmar.
21:24Les récits extraordinaires
21:25sont disponibles
21:26sur le site
21:27et l'appli Europe 1.
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