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  • il y a 9 heures

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00:009h, 10h, c'est arrivé cette semaine. Frédéric Taddeï.
00:05Bonjour, bon week-end. Il y a eu beaucoup de réactions face à l'idée du président de la République de labellisation des médias,
00:12mais l'un de ceux qui a le mieux posé le problème, c'est le philosophe Pierre-Henri Tavoyot.
00:16Il est mon premier invité ce matin. Je recevrai ensuite le sociologue Julien Damont, l'auteur des batailles de la natalité,
00:23car la Cour des comptes a rendu un rapport explosif sur les conséquences économiques de la dénatalité en France.
00:29Et l'on terminera l'émission avec la politologue Virginie Martin, spécialiste des séries télé.
00:34Elle remarque que la drogue y est omniprésente, le trafic de drogue aussi,
00:38et toujours présentée sous un jour favorable, bien loin des discours de nos politiques.
00:46Pierre-Henri Tavoyot, bonjour.
00:49Bonjour.
00:49Vous êtes philosophe, vous êtes l'auteur entre autres de « Comment gouverner un peuple roi »
00:54ou de « Voulons-nous encore vivre ensemble ? » chez Odile Jacob.
00:57On a beaucoup glosé sur l'idée défendue par Emmanuel Macron à plusieurs reprises d'un label pour l'info,
01:03d'une labellisation des médias et qui serait confiée aux journalistes eux-mêmes.
01:09Vous avez été parmi les premiers à réagir, c'était dans le Figaro.
01:13Pourquoi ? Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de réagir aussi vite d'ailleurs ?
01:18En fait, c'est un sujet sur lequel j'avais pas mal travaillé, à vrai dire.
01:21J'avais fait même travailler mes étudiants en master à la Sorbonne de philosophie politique
01:25sur la Journalism Trust Initiative, qui était cette certification proposée par Reporters sans frontières
01:31sur justement la labellisation des médias.
01:34Pourquoi ? Parce que ça me paraissait effectivement une idée intéressante,
01:39en tout cas en termes de réflexion.
01:40Cette idée, dans un contexte où les fake news se démultiplient,
01:45où il y a une information dérégulée, où il y a effectivement des...
01:49On sent que notre espace public démocratique est ouvert aux quatre vents
01:53et que notre loi très belle, magnifique, de 1881 sur la liberté de la presse,
01:59qui est une loi aussi qui régule et qui donne des règles,
02:02évidemment dans un contexte de mondialisation, était un peu prise à défaut.
02:06Voilà, donc j'avais beaucoup travaillé sur cette certification
02:10et l'idée, en effet, est intéressante, mais il faut immédiatement préciser
02:14qu'il ne s'agit pas d'une certification qui porte sur les contenus,
02:18mais qui porte sur les conditions dans lesquelles l'information est produite.
02:21Donc il s'agit de... Voilà, que les médias déclarent une forme d'indépendance éditoriale,
02:27une publicité d'un modèle économique, une déontologie journalistique,
02:31enfin, qu'il y ait cette dimension-là.
02:36Et puis, cette labellisation, ou plus exactement cette certification,
02:40est assortie d'un partenariat avec... C'était ça l'idée initiale,
02:45avec des plateformes comme Google, qui s'engageaient à promouvoir,
02:50en quelque sorte, les médias qui respectaient ces règles
02:54qu'ils s'étaient données à eux-mêmes,
02:56donc en les mettant en visibilité sur les réseaux sociaux qu'ils promouvaient,
03:01et par ailleurs, en favorisant la publicité,
03:05c'est-à-dire le financement de ces médias labellisés.
03:07Voilà, donc c'était ça l'idée, et je trouvais que c'était une idée intéressante.
03:10Je dois dire que, depuis, j'ai eu quelques doutes par rapport à cette idée.
03:15Pourquoi d'ailleurs le Président de la République agite-t-il une idée pareille,
03:19qui ne peut que provoquer des réactions hostiles ?
03:23C'est d'ailleurs très étonnant, parce que ce label, il existe.
03:26C'est ça le point, il existe.
03:28Et j'allais dire, il existe bien mieux sans le Président Macron.
03:31Parce qu'effectivement, une bonne partie des médias,
03:36notamment télé, pas tellement journaux, mais télé et radio,
03:39se sont engagés dans un processus de certification de ce type.
03:42Ce qui, d'ailleurs, est intéressant, parce que ça veut dire
03:44que ces journaux, ces médias, considéraient que rentrer dans ce processus de certification,
03:50c'était aussi un moyen de réfléchir sur leurs propres pratiques.
03:53Ça, ce n'est pas du tout idiot de se dire,
03:55tiens, au fond, est-ce qu'on respecte bien nos principes ?
03:58Parce que les médias sont pris dans le flux perpétuel, dans l'urgence continue.
04:03Donc, c'est vrai, d'avoir cette certification,
04:04c'est une sorte de moment d'autoréflexion.
04:06Donc, ce n'est pas du tout absurde.
04:09Simplement, effectivement, un label, une certification,
04:12ça doit être absolument impartial.
04:15C'est-à-dire, vraiment, il faut que les conditions d'impartialité soient réunies.
04:19Et là, patatras, d'une part, Reporters sans frontières,
04:23qui est à l'origine de ce label,
04:25disons, n'a pas fait totalement la preuve de son impartialité.
04:28Voilà, il y a eu des petits moments, si je puis dire, de dérive idéologique.
04:34Et puis, le président Macron, par définition,
04:36ne doit pas, effectivement, apparaître sur cette question.
04:38Parce que c'est un label des professionnels.
04:41Alors, il peut aider, insister, mais pas tout seul.
04:43Parce qu'immédiatement, le soupçon de propagande apparaît.
04:47Et c'est ce qui est arrivé, inévitablement, ministère de la vérité.
04:51Alors, tout ça, il est un peu injuste, à certains égards.
04:53Mais oui, à partir du moment où il y a une parole politique qui dit,
04:55je vais faire un label, on ne peut pas s'empêcher de penser
04:58que ça va être, effectivement, partial.
05:00Et d'ailleurs, il a ciblé, immédiatement, dans la foulée,
05:03les chaînes de Bolloré comme étant l'adversaire.
05:06Donc, voilà, le truc était vraiment totalement absurde, de ce point de vue-là.
05:10Ça pose également une question clé, c'est qu'est-ce que la vérité de l'information ?
05:15Et sur quoi pourraient s'entendre des professionnels de la presse
05:18pour dire que tel média respecte la vérité et pas l'autre ?
05:21Le problème, c'est que la vérité scientifique peut être prouvée,
05:25mais pas la vérité d'une information.
05:28Absolument, il ne faut pas voir la vérité,
05:31il faut donner les conditions de possibilité du débat.
05:34C'est ça sur quoi on peut réfléchir.
05:36C'est-à-dire, est-ce que les conditions de possibilité du débat sont présentées ?
05:39Donc, le but de la vérité ou de la neutralité,
05:43c'est une question magnifique, philosophique,
05:45et je suis bien placé pour en parler,
05:48mais c'est une question qu'on est très loin d'avoir résolue.
05:53Le vrai défi, c'est de faire en sorte qu'il y ait bien distingué,
05:57et ça fait partie de la déontologie de base du journaliste,
05:59la dimension d'information et la dimension d'opinion.
06:03Dimension d'information, ça veut dire qu'on s'assure
06:05que les faits sont présentés de la manière la plus objective possible,
06:11mais surtout en mettant en place les arguments contradictoires,
06:15les interprétations contradictoires.
06:17La vérité, ce n'est pas une interprétation,
06:18c'est essayer de voir quelles sont les manières de voir le réel,
06:22en quelque sorte, et de les confronter
06:23de la manière la plus probe et la plus honnête possible,
06:30en leur donnant à chaque fois le maximum de force de conviction.
06:33Et puis après, une fois que ça a été établi,
06:35l'opinion peut sortir, peut arriver,
06:38et les lignes éditoriales d'un journal de droite,
06:40d'un journal de gauche, peuvent s'exprimer tout à fait légitimement.
06:43Mais il faut que cette dualité de la tâche,
06:45on restitue le réel et ensuite on donne son avis,
06:48soit bien distinguée, c'est ça le grand défi,
06:50mais pour ça, aucun label ne parviendra à vérifier ce point,
06:54il faut que ce soit le lecteur, l'auditeur, le téléspectateur,
06:58qui soit, en quelque sorte, s'incorpore son propre label en la matière.
07:03– Oui, la vérité de l'information, c'est par exemple
07:05que le président de la République s'est rendu cette semaine
07:08en voyage officiel en Chine, point final.
07:09Tout ce qui peut concerner ce voyage est sujet à caution,
07:13à interprétation, et c'est à cela que doivent s'atteler les journalistes.
07:16Ce qu'en a dit M. Macron, ce qu'en ont dit les Chinois,
07:18ce qu'il s'est vraiment dit lors de ce voyage,
07:20ce qui a été compris de part et d'autre,
07:22les accords commerciaux qui ont été signés ou pas,
07:24ce qu'il restera de ce voyage, ce qu'il signifie
07:27et l'importance historique qu'il aura ou qu'il n'aura pas.
07:29Et vous ne trouverez pas de journalistes pour tomber d'accord.
07:32Et peut-être même que dans 50 ans,
07:34les historiens en discuteront encore,
07:36comme de Yalta ou du traité de Vienne.
07:38Exactement, c'est ce point-là.
07:42Attendez, je présenterai tout de suite Pierre-Henri Tavoyot.
07:45On fait une pause, on se retrouve tout de suite après, pardonnez-moi.
07:48Nous sommes toujours avec le philosophe Pierre-Henri Tavoyot
07:50qui a été l'un des premiers à réagir dans le Figaro en début de semaine
07:55à l'idée d'Emmanuel Macron, de labellisation des médias.
08:02Le problème, c'est que les médias, vous l'avez dit,
08:05sont déjà labellisés.
08:06Et on ne peut pas comme ça devenir un média.
08:10Et le problème, l'autre problème, c'est que l'idée du président de la République,
08:14c'est tout ce qu'elle implique.
08:15Que la vérité doit être certifiée par une autorité, quelle qu'elle soit.
08:20Que le débat est tronqué.
08:22Que la liberté de l'information est devenue un problème.
08:26Que la liberté d'expression de vos adversaires n'est plus tolérable.
08:30Et tout ça, c'est le président de la République qui le dit ou qui le sous-entend.
08:36Oui, alors il ne faut pas, sur le plan du diagnostic,
08:39je pense qu'on est quand même dans une situation aujourd'hui
08:41dont il ne faut pas négliger la gravité.
08:45Les démocraties reposent sur l'idée d'un espace public ouvert, équitable.
08:50parce qu'on a besoin de l'opinion publique
08:53pour qu'entre deux élections, cette démocratie vive.
08:58En 1850, avant que la République arrive,
09:01il y avait déjà une presse extrêmement dérégulée
09:03et qui partait dans tous les sens.
09:05Les illusions perdues de Balzac racontent ça merveilleusement bien.
09:08Et la solution a été trouvée par la loi de 1881
09:12qui, à la fois, affirme la liberté de la presse
09:14et en même temps pose des règles du jeu.
09:16Notamment la règle principale qui est de dire
09:19il y a un responsable, il y a un contenu, il y a un écrit,
09:21il y a quelqu'un qui est responsable.
09:22Il y a quelqu'un à qui on peut imputer
09:23et éventuellement condamner des fausses informations,
09:27des diffamations, etc.
09:29Dans le contexte de la numérisation
09:31et d'un espace public numérique, il n'y a plus de responsable.
09:33C'est ça la grande difficulté.
09:34Donc on peut balancer des choses sans aucune difficulté
09:36et personne ne sera jamais condamné
09:38par rapport à porter atteinte.
09:40Et on sait aujourd'hui que la diffusion des fake news
09:44est beaucoup plus rapide et beaucoup plus efficace
09:46et beaucoup plus rentable
09:47que la diffusion de cette méthode extrêmement respectueuse.
09:53On présente les argumentations concurrentes,
09:55on présente les données, les informations, le contexte
09:57et puis ensuite on donne son opinion.
09:59Donc c'est beaucoup plus efficace,
10:00beaucoup plus rapide, etc.
10:01Donc il ne faut pas négliger effectivement
10:02cette dimension des difficultés
10:04avec en plus deux points supplémentaires.
10:07C'est que, un, cet espace ouvert aux quatre vents
10:10donne la place à nos ennemis,
10:12c'est-à-dire aux armes de déstabilisation massive
10:15qui viennent de l'extérieur, et vous voyez à peu près
10:17à qui je peux penser,
10:19pour intervenir dans notre espace public démocratique.
10:21Non pas forcément en faisant faire en sorte
10:23que tel ou tel gagne des élections,
10:25mais en faisant en sorte que les électeurs eux-mêmes
10:27perdent confiance dans leur système électoral,
10:29notamment, et dans leur espace public.
10:30Ils ne savent plus où, voilà,
10:32ce qui est tangible et ce qui ne l'est pas.
10:34Et deuxièmement, ça donne aussi le pouvoir
10:36à ce qu'on peut appeler des minorités actives
10:38qui sont minoritaires dans les urnes,
10:40mais qui peuvent devenir majoritaires dans les ondes
10:42ou sur les ondes ou en ligne
10:45avec une logique de coup d'éclat permanent.
10:47Et donc ça, c'est un facteur de déstabilisation
10:49de la démocratie qu'il ne faut pas du tout négliger.
10:52Mais effectivement, la réponse autoritariste
10:54ou la réponse par le gouvernement,
10:56par le ministre de la Vérité, n'est pas la bonne.
10:58Mais ne négligeons pas cette dimension.
11:00Mais on n'arrête pas d'affirmer des choses
11:02sans donner de preuves.
11:03Le président de la République le fait,
11:06le gouvernement aussi, les journalistes aussi.
11:08Et le problème, qui va décider de ce qui est vrai ou pas ?
11:11Vous vous souvenez, en 2020, l'année du Covid,
11:13c'était le pangolin qui était tenu
11:15pour responsable de l'épidémie.
11:17Quiconque osait dire qu'il pouvait s'agir
11:19d'un accident de laboratoire
11:20était considéré comme un complotiste
11:22et se serait vu retirer son label de médias.
11:26Aujourd'hui, c'est l'inverse.
11:29La thèse du pangolin est totalement réfutée.
11:31C'est la thèse de l'accident de laboratoire
11:33qui a le vent en poupée.
11:34Et je ne sais pas ce qu'il en sera demain.
11:38C'est pour ça qu'un label sur le contenu n'a aucun sens.
11:40C'est vraiment juste.
11:41Le label concerne les conditions de l'information,
11:44c'est-à-dire, effectivement,
11:45quel est le modèle économique, etc.
11:47Et par ailleurs, la recherche de la preuve
11:49est en effet impossible.
11:51Ce n'est pas la recherche de la preuve,
11:52même d'ailleurs en science.
11:53D'ailleurs, on sait très bien
11:53que la vérité scientifique
11:55n'est pas la vérité de prouver.
11:57On ne peut jamais totalement démontrer quelque chose.
11:59La vérité scientifique, c'est le fait
12:01de s'exposer à la réfutation.
12:03La vérité scientifique, c'est le fait
12:05de pouvoir dire, voilà, je dis ça,
12:08maintenant, allez-y, critiquez-moi.
12:09C'est l'exposition à la critique
12:11qui constitue la clé du débat
12:13et du débat démocratique aussi,
12:15c'est-à-dire l'idée qu'on laisse la place
12:17à la réfutation, on laisse la place à la critique.
12:20C'est ça, vraiment, le critère, à mon avis,
12:21le plus valide, le plus robuste,
12:25comme on dit en science,
12:25de la recherche de la vérité,
12:28c'est cette ouverture
12:30à la possibilité d'être réfutée,
12:32cette acceptation de la critique, tout simplement.
12:33C'est ça, c'est d'intégrer la critique
12:35dans son raisonnement, c'est ça la clé.
12:37Et c'est vrai qu'on le voit, par exemple,
12:38le discours complotiste.
12:40Le discours complotiste est un discours
12:42qui, de ce point de vue-là,
12:42fonctionne en s'immunisant contre la critique.
12:45C'est-à-dire que le discours complotiste,
12:46quand on le définit de manière rigoureuse,
12:49c'est l'idée de dire,
12:50moins il y a de preuves,
12:51plus ça prouve que le complot est puissant.
12:54Et si vous discutez avec un complotiste,
12:56dans un premier cas,
12:57il va vous considérer comme naïf.
12:59Et puis, si vous incitez lourdement
13:00à lui objecter,
13:02vous deviendrez le complice.
13:03Donc, les critiques deviennent
13:05des confirmations de la preuve.
13:07C'est ça, c'est cette structure-là
13:08qu'il faut essayer de contourner
13:10par l'exposition et l'ouverture à la critique.
13:12Merci, Pierre-Henri Tavoyot.
13:14Je rappelle le titre de votre dernier livre.
13:18Vous étiez venu en parler dans cette émission.
13:20« Voulons-nous encore vivre ensemble ? »
13:22C'est paru chez Odile Jacob.
13:24On fait une pause
13:25et l'on retrouve Julien Damont,
13:27l'auteur des « Batailles de la natalité ».
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