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00:00Bonjour, Boilem Sansa l'avait soulevé un espoir. La France espère la libération de Christophe Gleiz,
00:13seul journaliste français officiellement détenu à l'étranger actuellement. Sa peine vient d'être confirmée en appel.
00:19Elle interroge sur l'état de la relation entre la France et l'Algérie. On avait cru un léger mieux, possible ou pas.
00:25Bonjour, Benjamin Stora. Vous êtes l'un de ceux en France qui connaissait le mieux l'Algérie pour y être né d'abord à Constantine
00:31et l'avoir étudié en tant qu'historien. C'est votre rapport remis en 2021 qui a permis d'entamer un travail de réconciliation
00:37autour de la mémoire de l'histoire commune entre la France et l'Algérie, rapport à la suite duquel fut constituée
00:43une commission mixte d'historiens algériens et français que vous coprésidez au nom de la France.
00:48Je précise que vous êtes aussi l'auteur avec Thomas Négaroff de France-Algérie, anatomie d'une déchirure séparue aux éditions Les Arènes.
00:56Cette semaine, Christophe Glez a donc vu sa peine de 7 ans de prison confirmée par la cour d'appel de Tiziouzou.
01:02Le journaliste est reconnu coupable d'apologie du terrorisme et possession de publications dans un but de propagande
01:08nuisant à l'intérêt national de l'Algérie. Retour en images.
01:13Réunis dans les locaux de Reporters sans frontières, les proches de Christophe Glez espéraient la clémence de la justice algérienne.
01:19Mais l'annonce du jugement a fait l'effet d'une douche froide, 7 ans de prison pour apologie du terrorisme
01:25et possession de publications dans un but de propagande nuisant à l'intérêt national.
01:30Très ému et surtout extrêmement sous le choc.
01:36C'est la définition un peu de l'abattement parce qu'on ne s'attendait pas du tout à ça.
01:40Passionné de football, Christophe Glez a été arrêté en Algérie il y a un an et demi
01:46alors qu'il effectuait un reportage sur le club de foot de Tiziouzou.
01:50La justice algérienne lui reproche d'avoir contacté un dirigeant du club,
01:54également responsable du mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie,
01:58classé terroriste par les autorités algériennes.
02:02Autre grief, l'absence de demande de visa de journaliste.
02:05Aux côtés de la famille, depuis l'arrestation en mai 2024,
02:10Reporters sans frontières fustige la décision judiciaire algérienne.
02:14Sur quel ton il va falloir expliquer que le journalisme n'est pas un crime ?
02:18Pourquoi la justice algérienne n'arrive pas à le comprendre ?
02:21Sa famille espérait que Christophe Glez bénéficierait du récent réchauffement
02:25des relations entre la France et l'Algérie.
02:28Ses avocats peuvent désormais se pourvoir en cassation.
02:32Motif d'espoir plus plausible pour le journaliste,
02:35une éventuelle grâce présidentielle,
02:37comme celle qui a permis la libération de l'écrivain Boilem Sansal,
02:40le 12 novembre dernier.
02:45Benjamin Stora, vous avez été surpris, choqué peut-être,
02:49de voir la condamnation de Christophe Glez
02:51à 7 ans d'emprisonnement confirmé en appel ?
02:54De toute façon, oui, choqué bien entendu,
02:56dans la mesure où la place, comme ça a été dit par le responsable de RSF,
02:59de Reporters sans frontières, la place d'un journaliste,
03:02naturellement, n'est pas la prison.
03:04D'autant, bien sûr, que Christophe Glez appartient à un magazine,
03:08à SoFoot, qui fait un travail absolument remarquable,
03:11pas simplement dans la relation des faits de football,
03:13mais aussi de l'environnement sociologique,
03:16anthropologique, politique, économique,
03:18entre le monde du football et le monde de l'argent, par exemple,
03:21le monde du football et le tiers-monde.
03:23Donc, c'est dans ce cadre-là que Christophe Glez,
03:26dans le fond, poursuivait ce qu'il avait commencé depuis de nombreuses années.
03:29J'avais d'ailleurs, moi-même, été interviewé dans SoFoot.
03:32Il poursuivait depuis de nombreuses années ses enquêtes,
03:35ses explorations sur le rapport entre le football, les clubs, un pays, une histoire.
03:41On a eu tort de parler d'otages, voire pour certains d'otages d'État,
03:45à propos de Christophe Glez.
03:46Son avocat, un maître Emmanuel Daoud, a rejeté cette notion,
03:49comme celle d'ailleurs de prisonnier politique.
03:51Ça vous a, là aussi, surpris ?
03:54Vous pensez que c'est contre-productif ?
03:56Je ne sais pas.
03:57En tout cas, c'est vrai que, disons que je suis plutôt d'accord
04:01avec ce que dit l'avocat, c'est-à-dire Emmanuel Daoud.
04:04Je crois qu'effectivement, nous avons affaire à un détenu, effectivement,
04:09Christophe Glez, qu'il s'agit aujourd'hui de libérer.
04:11Je pense que c'est tout à fait important.
04:13Donc, il n'est pas nécessaire, de mon point de vue,
04:15disons, d'en rajouter dans une sorte de surenchère,
04:19disons, à caractère idéologique et politique,
04:22qui, en fait, obstrue la possibilité d'un dialogue entre les deux pays.
04:27Lorsqu'Emmanuel Macron dénonce un jugement excessif et injuste,
04:29comme il vient de le faire depuis Pékin,
04:31ça reste dans les limites de l'acceptable en termes de commentaires ?
04:36Non, je pense qu'il a raison, naturellement, bien sûr,
04:39parce que l'arrestation de Christophe Glez est ému,
04:43naturellement, en France.
04:44Et puis, pas simplement ému en France, en Algérie aussi,
04:48parce que, moi, j'ai beaucoup d'amis qui sont journalistes en Algérie
04:52et qui ont été très émus
04:53et qui considèrent que cette arrestation est contre-productive
04:56par rapport à la liberté de la presse en Algérie,
04:59c'est-à-dire le fait de pouvoir écrire, publier, produire librement.
05:04Donc, ça a choqué aussi en Algérie, pas simplement en France.
05:08Christophe Glez, rappelons-le, est entré en Algérie avec un visa de tourisme
05:11alors qu'il venait d'effectuer un reportage
05:13sur le club de foot Jeunesse Sportif de Kabylie.
05:15Il avait, lors de précédents échanges, hors d'Algérie,
05:19de 2015 à 2018, rencontré des dirigeants du club,
05:22dont certains sont ou étaient responsables
05:24du mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie,
05:26classé depuis 2021 en Algérie comme organisation terroriste.
05:30Cela en fait un détenu différent, d'après vous, de Boilem Sansal ?
05:33Je crois de toute façon que c'est un détenu différent, bien entendu,
05:37parce que ce qui lui a été reproché, effectivement,
05:39ce sont des rencontres en 2015.
05:40C'est-à-dire avant même que cette organisation soit classée
05:44comme organisation terroriste en 2021.
05:48Donc, il les avait rencontrées avant, plusieurs années auparavant.
05:51Donc, là, effectivement, ce qui fait dire à l'avocat Emmanuel Daoud
05:56que le dossier est vide, parce qu'effectivement,
05:58il s'agit presque d'une peine rétroactive par rapport à ce qu'il a fait.
06:03Donc, ce n'est pas tout à fait la même chose,
06:05ce n'est pas tout à fait la même histoire que Boilem Sansal,
06:07qui avait, lui, comme on le sait, fait des déclarations sur le fait
06:11que l'Ouest algérien appartenait au Maroc.
06:14Bon, il a d'ailleurs réitéré, disons encore, après sa libération,
06:18ces déclarations qui ne correspondent pas, bien sûr, pour moi,
06:21à la vérité historique.
06:22Boilem Sansal, lui, qui a donc été libéré le mois dernier
06:25sur intervention de l'Allemagne.
06:27Expliquez-nous, Caroline Dublé à Merlin.
06:30Deux jours avant la libération de Boilem Sansal,
06:33le président allemand, Frank-Walter Steinmeier,
06:35avait déposé une demande officielle de grâce
06:38auprès de son homologue algérien, le président Abdelmadjine Teboun.
06:42Motif invoqué des raisons humanitaires
06:44et l'état de santé préoccupant de l'auteur franco-algérien de 81 ans.
06:49Sa requête a été entendue et deux jours plus tard,
06:52Boilem Sansal s'envolait à bord d'un avion officiel pour Berlin
06:55pour recevoir ici des premiers soins de santé.
06:57Il faut dire que le président algérien lui-même était venu en 2020
07:00et en 2021 recevoir ici des soins médicaux suite à une infection de Covid sévère.
07:06Depuis, les deux chefs d'État entretiennent d'excellentes relations
07:09et discutent régulièrement au téléphone.
07:12C'est sans doute cette très bonne entente qui a facilité la médiation allemande.
07:16Et autre point important,
07:18n'étant pas au cœur de la crise diplomatique entre Paris et Alger,
07:22Berlin a pu endosser le rôle de tiers négociateur
07:24et c'est sans doute cette position neutre qui explique le succès de la médiation allemande.
07:32Alger ayant pu céder aux pressions internationales de demande de libération
07:35sans toutefois céder face à la France.
07:38Benjamin Storal, la libération de Boilem Sansal s'est produite un mois
07:42après la sortie du gouvernement de Bruno Retailleau
07:45qui s'était fait fort d'incarner une ligne dure face à Alger.
07:49Faut-il y voir un lien d'après vous ?
07:51Je crois qu'il y a un lien effectivement, bien sûr,
07:54même si ce lien n'est pas direct, bien entendu,
07:56mais il est vrai que les déclarations successives
07:59qui ont duré plusieurs mois,
08:01et pas simplement de Bruno Retailleau,
08:03parce que Bruno Retailleau, dans le fond,
08:05le ministre de l'Intérieur était dans son rôle de ministre de l'Intérieur,
08:08mais des déclarations en France extraordinairement excessives
08:11du type « il faut brûler l'ambassade d'Algérie à Paris »,
08:14d'autres qui expliquaient que la France possédait la dissuasion nucléaire
08:17pour faire libérer Boilem Sansal, la bombe atomique.
08:20Donc on en était là quand même.
08:21Et donc dans le flot, disons, de ces déclarations incessantes,
08:26ça ne faisait effectivement que mettre de l'huile sur le feu
08:29dans les relations entre la France et l'Algérie.
08:31Bien sûr, à partir de là, les déclarations du ministre de l'Intérieur,
08:35qui en fait n'étaient que ministre de l'Intérieur
08:37et pas ministre des Affaires étrangères,
08:40ont été mal perçues à Alger, bien évidemment.
08:42Et ce regain de tension entre l'Algérie et la France,
08:45il remonte à l'été de l'année dernière,
08:47lorsqu'Emmanuel Macron a publiquement soutenu le plan d'autonomie proposé par le Maroc
08:51pour le Sahara occidental.
08:53Jules Boiteau.
08:54Tout part d'une lettre adressée par le président français au roi du Maroc,
08:57Mohamed VI, à l'occasion de l'anniversaire des 25 ans de son règne.
09:01Et quelques mois plus tard, devant le Parlement marocain,
09:03Emmanuel Macron persiste et signe.
09:06Le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent pour Paris
09:09dans le cadre de la souveraineté marocaine.
09:12Et dans la foulée, la diplomatie française change de carte,
09:17finit la ligne de démarcation, les petits pointillés
09:19qui séparaient auparavant le Maroc du Sahara occidental.
09:23Territoire unifié sous les nouvelles cartes,
09:26petit symbole, mais bombe diplomatique
09:28qui met le feu aux poudres avec Alger.
09:31Le pouvoir algérien dénonce que le gouvernement français
09:35est pris caution pour le fait colonial imposé au Sahara occidental,
09:38sans en mesurer lucidement toutes les retombées potentielles.
09:42Et les retombées, elles déferlent en cascade.
09:45Rappel de l'ambassadeur algérien en France.
09:49Enlèvement d'un influenceur opposant algérien sur le sol français.
09:53Arrestation à Paris d'un agent consulaire
09:56suivi d'expulsions réciproques de diplomates
09:58jusqu'à la suspension des accords de 2013
10:01sur l'exemption de visas pour les passeports diplomatiques.
10:05La plus grave crise entre les deux pays de ces dernières années.
10:09Benjamin Stora, ça vous a surpris, vous,
10:11que le chef de l'État avait chargé de ce travail de réconciliation
10:15avec l'Algérie autour de la mémoire,
10:17d'entendre le président rompre avec la traditionnelle position
10:21de neutralité de la France sur cette question
10:23ô combien épineuse du Sahara occidental ?
10:25Oui, vous avez raison de souligner qu'il s'agit d'une question épineuse,
10:28bien entendu.
10:29Surpris, oui et non, parce que j'avais entendu effectivement dire
10:34que le président de la République souhaitait rééquilibrer,
10:36disons, et plutôt avait ou tentait d'avoir une position d'équilibre
10:42entre ces deux grands pays que sont l'Algérie et le Maroc.
10:45Mais c'est vrai qu'on est passé de cette position d'équilibre,
10:48disons traditionnelle, à l'affirmation de la marocanité,
10:53disons, du Sahara occidental.
10:54Mais vous savez, les déclarations, les traités, les programmes,
10:59par exemple, si on prend un exemple comme la question palestinienne
11:02où il y a des plans qui sont décidés,
11:05mais sans les Palestiniens, où il y a, par exemple,
11:08des traités de paix entre la République du Congo et le Rwanda,
11:11alors que les combats se poursuivent.
11:12Bref, vous savez, les traités de paix, les programmes, etc.,
11:15ne peuvent pas se décider sans les peuples qui vivent sur ces territoires.
11:20Donc, à un moment donné, je crois qu'il va falloir attendre un petit peu
11:22pour voir quelles vont être les réactions des Saharaouis eux-mêmes,
11:26sur le terrain.
11:27Et c'est à partir de là qu'on pourra décider, voir,
11:31quelle a été véritablement la portée de ce type de déclaration.
11:34Oui, parce qu'il faut le rappeler, on touche, avec le Sahara occidental,
11:37un point fondamental de souveraineté pour l'Algérie,
11:41qui soutient, face au Maroc, le droit à l'autodétermination
11:44de la population saharouie via le front polisario.
11:47C'est plus grave quand c'est la France qui emboîte la position du Maroc
11:51que quand c'est l'Espagne ou les États-Unis avant elle ?
11:54Forcément.
11:55Vous savez, on y reviendra peut-être si nous avons le temps,
11:57mais la France est restée 132 ans en Algérie,
12:02et c'est en grande partie la France, bien sûr,
12:03qui a dessiné et tracé les frontières il y a 200 ans,
12:07200 ans maintenant, deux siècles, 1830,
12:11bientôt en 2030, les frontières entre l'Algérie et le Maroc.
12:15Donc à partir de là, et cette proximité, j'allais presque dire, historique,
12:21où il faut aussi tenir compte de l'importance d'une immigration,
12:24disons algérienne très ancienne sur le territoire français,
12:28et donc aussi l'existence de ce qu'on appelle les Franco-Algériens,
12:31qui sont plusieurs centaines de milliers qui vivent en France,
12:33rendent, disons, la liaison, le lien, la proximité ou non des rapports entre la France et l'Algérie,
12:40beaucoup plus importantes que par rapport à l'Espagne ou l'Allemagne ou l'Italie.
12:46C'est tout simplement l'histoire, la géographie et la démographie
12:50qui décident, disons, des conditions très fortes de proximité qui existent entre la France et l'Algérie,
12:57à quoi j'ajouterais bien sûr aussi l'utilisation massive de la langue française en Algérie.
13:03Ce n'est pas le cas pour l'Espagne, pour l'italien ou l'allemand en Algérie.
13:07Des tensions en tout cas exacerbées, on l'a vu avec Bruno Retailleau,
13:11par la question migratoire, les visas accordés aux ressortissants algériens
13:15sont devenus une source de tensions entre les deux pays.
13:17Écoutez cette déclaration d'Emmanuel Macron, c'était en 2022, lors d'un déplacement en Algérie.
13:22Un an plus tôt, la France avait restreint le nombre de visas.
13:24Je crois que nous partageons la même volonté.
13:27D'abord, c'est de véritablement avoir une politique qui permet de lutter contre l'immigration clandestine.
13:34Je le dis parce que d'une rive l'autre, il faut comprendre les contraintes.
13:36C'est très compliqué d'expliquer aux Françaises et aux Français
13:39qu'on ne met plus de contraintes sur les visas,
13:41si en même temps il y a beaucoup d'immigration clandestine.
13:43Qu'était la situation qu'on avait ?
13:45Benjamin Stora, les députés ont adopté à une majorité récemment
13:48une résolution, une proposition de résolution du Rassemblement national
13:51visant à dénoncer l'accord franco-algérien de 1968,
13:55censé faciliter le séjour, l'accès au travail et à la protection sociale
14:00des Algériens vivant sur le sol français.
14:03Le premier ministre Sébastien Lecornu lui-même s'est dit prêt à renégocier l'accord.
14:07Nécessaire ou grave erreur d'après vous ?
14:08Vous savez, les accords de 1968, en fait, c'était pour réguler la libre circulation
14:13entre l'Algérie et la France suite aux accords déviants de 1962.
14:17Et donc il s'agissait, dans l'esprit du général de Gaulle,
14:20de freiner le déplacement migratoire des Algériens vers la France à l'époque.
14:25N'oublions pas que nous vivions ce qu'on appelle la période des 30 glorieuses,
14:29donc de l'expansion économique de la France,
14:31et donc il y avait un besoin de main-d'œuvre extrêmement fort.
14:33Donc il s'agissait de réguler.
14:34Mais depuis cette période-là, depuis 40 ans,
14:37beaucoup, beaucoup, beaucoup de traités, de décrets, de lois
14:41ont été votés pour précisément modifier tout cela.
14:45Donc il faut effectivement aujourd'hui,
14:4860 ans après l'indépendance de l'Algérie,
14:50peut-être remettre à plat toutes ces questions, les rediscuter.
14:53Mais vous savez, le vote sur les accords de 1968
14:56a plus, selon moi, une valeur, disons, d'avertissement idéologique
15:00adressée par l'extrême droite à l'Algérie
15:02qu'avoir véritablement une portée
15:05sur le plan économique, démographique ou politique.
15:09Réduire, comme on l'entend régulièrement dans le débat politique en France,
15:12réduire les visas ou menacer l'Algérie de réduire,
15:15comme cela a été fait en 2021,
15:16cela ne permet pas d'obtenir, d'avancer,
15:19y compris sur la délivrance de ces fameux
15:21laissés-passés consulaires qui, seuls, il faut le rappeler,
15:24permettent à la France d'expulser les ressortissants algériens,
15:27frappés d'une obligation de quitter le territoire français ?
15:29– La question des visas est une question très importante pour l'Algérie,
15:33mais c'est valable aussi, vous savez, pour le Maroc et la Tunisie.
15:36Il y avait aussi eu, et ça reste, des problèmes très importants
15:40entre la France et le Maroc et la Tunisie,
15:42l'Algérie aussi, bien entendu.
15:45La grande question, disons, des visas,
15:47c'est effectivement la possibilité pour ces pays
15:50de pouvoir faire en sorte que les jeunes n'émigrent pas,
15:52ne partent pas.
15:52C'est ça, le véritable débat, dans le fond,
15:55qu'on doit avoir, à mon sens, en France,
15:58doit porter sur ce type de questionnement
16:00plutôt que, sans arrêt, porter sur des questions
16:03de fermeture, de forteresse, d'interdit, etc.
16:08Donc, il faut aussi avoir toute une réflexion
16:10sur comment aider au processus de développement
16:13dans l'ensemble de cette région du monde,
16:15qui, malheureusement, par parenthèse,
16:17reste une région divisée, morcelée,
16:19et il est évident que, si cette région
16:22était davantage unifiée sur le plan économique,
16:25en faisant, par exemple, l'union du Maghreb arabe,
16:28eh bien, elle gagnerait incontestablement
16:30sur le plan économique.
16:32Il y aurait incontestablement une progression,
16:35disons, en termes de PIB,
16:37de points gagnés en PIB,
16:39et malheureusement, le morcellement,
16:41disons, entre les différents pays du Maghreb,
16:44eh bien, nuise précisément à ce développement
16:47et provoque, effectivement, des départs
16:49d'une partie de la jeunesse.
16:51D'autant que la France et l'Algérie
16:53voient ressurgir une préoccupation commune,
16:55la montée d'une menace djihadiste
16:57dans la région du Sahel,
16:58au moment où les relations se sont considérablement dégradées
17:02entre Alger et Bamako.
17:03Voyez comment, en avril dernier,
17:04l'armée algérienne a abattu un drone malien
17:06qu'elle accuse d'avoir pénétré son espace aérien.
17:08Ludovic de Foucault.
17:091er avril dernier,
17:12un drone de fabrication turc de type Akinji
17:15est abattu en territoire malien
17:17à une dizaine de kilomètres de la frontière algérienne.
17:21Alger reconnaît rapidement être à l'origine
17:22de la destruction de l'engin,
17:24qui coûte une trentaine de millions de dollars,
17:27en affirmant qu'il avait pénétré son espace aérien.
17:31Les autorités maliennes disent avoir demandé des éléments
17:33pour prouver cette affirmation, mais...
17:35Action hostile, provocation du régime algérien,
17:55les mots sont forts.
17:56Et avec le Mali, les autres pays de l'AES,
17:58l'Alliance des Etats du Sahel,
18:00c'est-à-dire le Burkina Faso et le Niger,
18:02décident de rappeler pour consultation
18:04leurs ambassadeurs d'Alger.
18:06Le Mali, dirigé par des militaires
18:08depuis un double coup d'État en 2020 et 2021,
18:10annonce en outre
18:11la convocation de l'ambassadeur algérien à Bamako,
18:14le retrait avec effet immédiat
18:16du comité d'état-major conjoint,
18:17une alliance de plusieurs forces armées du Sahel
18:19pour lutter contre le terrorisme,
18:21et le dépôt d'une plainte
18:22devant des instances internationales
18:24pour actes d'agression.
18:26Les relations entre Alger et Bamako
18:27n'ont cessé de se dégrader ces dernières années.
18:29Le Mali reproche à l'Algérie
18:30d'entretenir une proximité
18:32avec les groupes terroristes,
18:33notamment dans la région frontalière
18:35où l'armée malienne et ses alliés russes
18:37ont subi fin juillet de lourdes pertes.
18:41Tension vient de l'entendre entre Alger et Bamako.
18:43Or, depuis l'arrivée du groupe Wagner,
18:47devenu depuis Africa Corp,
18:49son ligne directe avec le Kremlin,
18:50on assiste à une progression de ces djihadistes
18:53et une déstabilisation croissante du Mali.
18:54La Russie, alliée historique de l'Algérie,
18:57devient un problème aujourd'hui pour Alger.
18:59Benjamin Storan ?
19:01Très franchement, je ne pense pas
19:02que l'Algérie se soit détachée
19:04de ce partenariat stratégique
19:06qu'elle a noué avec la Russie
19:08depuis la guerre d'Algérie,
19:10la révolution algérienne.
19:12Non, je ne crois pas.
19:13Mais par contre, effectivement,
19:14il y a eu mésentente sur cette question-là
19:18par rapport notamment à ce qu'on a appelé
19:19les accords d'Algérie.
19:20qui permettait au Touareg notamment
19:25de bénéficier d'une forme
19:27d'autonomisation politique, culturelle surtout,
19:31et qui était importante.
19:32Donc il y a eu effectivement ce refroidissement.
19:34Mais ça ne veut pas dire
19:35que l'Algérie s'est détachée,
19:39mais au contraire a essayé
19:41de se redéployer sur le plan diplomatique.
19:44C'est-à-dire en élargissant
19:46sa ligne de front diplomatique
19:49davantage tournée vers l'Europe,
19:52c'est-à-dire, on en a parlé tout à l'heure,
19:53vers l'Allemagne et vers l'Italie,
19:56davantage, et surtout,
19:58on aura peut-être l'occasion
19:59d'en dire deux mots,
20:00vers les États-Unis,
20:01puisque c'est vers les États-Unis
20:03qu'un certain nombre de négociations
20:05sont en ce moment en cours,
20:07notamment pour l'arrivée
20:09sur le territoire algérien
20:10de grandes compagnies pétrolières américaines
20:13qui ont signé, je crois, récemment
20:15un accord avec la Sonatrac,
20:17la grande compagnie pétrolière algérienne.
20:19Et oui, les États-Unis, justement,
20:21on va y aller pour rejoindre
20:22Mathieu Mabin à Washington,
20:24car c'est vrai, l'Algérie regarde,
20:26y compris là où on ne l'imaginait pas,
20:27du côté de Washington, Mathieu.
20:30Oui, c'est incontestable.
20:32Depuis quelques semaines,
20:33Alger assume une offensive de charme,
20:35il n'y a pas d'autre mot,
20:36envers Washington.
20:37L'ambassadeur algérien ici
20:39a même déclaré qu'il n'y aurait pas
20:41de limite à cette nouvelle coopération bilatérale,
20:45signe d'un réchauffement notable,
20:46s'il en est, après des années d'alignement
20:49de l'Algérie sur Moscou.
20:50Concrètement, l'Algérie négocie
20:52des accords d'investissement
20:54avec de grands groupes pétroliers américains,
20:56notamment Chevron et ExxonMobil,
20:58pour l'exploitation de gaz,
21:00y compris de gaz de schiste.
21:02Sur le plan diplomatique,
21:03on notera qu'Alger a affiché
21:05une plus grande prudence
21:06lors du récent vote
21:07au Conseil de sécurité de l'ONU
21:09sur le Sahara occidental,
21:11s'abstenant plutôt que de s'opposer
21:13directement aux positions favorables
21:15à rabats portés, comme on le sait,
21:17par Washington et ses alliés.
21:19De leur côté, les États-Unis
21:21semblent accueillir favorablement
21:22cette inflexion pragmatique.
21:25La relation bilatérale pourrait donc
21:26bientôt gagner en dimension économique
21:29via des investissements concrets,
21:31notamment.
21:31Benjamin Stora,
21:34l'Algérie est allée jusqu'à voter
21:36au Conseil de sécurité
21:37en faveur de la résolution
21:39pour la mise en oeuvre
21:39de la seconde phase
21:40du plan de paix américain
21:41pour Gaza.
21:42Surprenant, non ?
21:44Encore une fois,
21:45c'est ce qu'on disait tout à l'heure.
21:46Je crois qu'ici, là,
21:47il y a une position très,
21:48j'allais dire, pragmatique
21:50de la position algérienne,
21:52c'est-à-dire d'aboutir coûte que coûte
21:53à l'époque,
21:54au moment où ça a été voté,
21:55à un cessez-le-feu.
21:56Parce qu'il y avait véritablement
21:58massacre de la population civile de Gaza.
22:00L'urgence, à ce moment-là,
22:02c'était l'arrêt.
22:03C'était l'arrêt des combats.
22:05Mais est-ce que ça signifie pour autant
22:07un abandon des positions traditionnelles
22:09de l'Algérie de soutien,
22:11notamment aux Palestiniens,
22:14notamment pour la création
22:14de l'État palestinien ?
22:15Ça, je ne le crois pas.
22:18L'Algérie reste attachée,
22:19disons, à cette solidarité,
22:21à cette forme de soutien.
22:23Revenons à présent aux espoirs
22:24soulevés dans la relation franco-algérienne
22:26par l'élection en 2017
22:28d'Emmanuel Macron.
22:29Le président s'était illustré
22:31durant la campagne
22:32par un voyage à Alger
22:33et des déclarations
22:34contre la colonisation
22:35qu'il avait qualifiée à l'époque
22:36de crime contre l'humanité.
22:39C'est la phrase
22:41qui déclenche la polémique.
22:42Quand Emmanuel Macron,
22:44en visite à Alger,
22:45livre sa définition
22:46de la colonisation,
22:48un sujet toujours brûlant.
22:49C'est un crime.
22:52C'est un crime contre l'humanité.
22:53C'est une vraie barbarie.
22:54Et ça fait partie
22:55de ce passé
22:56que nous devons regarder en face
22:57en présentant aussi nos excuses
22:59à l'égard de celles et ceux
23:00vers lesquels nous avons commis ces gestes.
23:02Crime contre l'humanité
23:03à Marseille,
23:04chez les Pieds-Noirs,
23:05l'expression ne passe pas.
23:07Cette colère
23:08de voir que l'on
23:09nous met toujours
23:11à cette sauce
23:12de repentance
23:13et avec des termes
23:16qui sont très forts.
23:17Et ça,
23:18je ne l'accepte pas.
23:19Et même si Emmanuel Macron
23:21tempère ses propos
23:22quand il déclare par exemple
23:23« je ne veux pas
23:24qu'on tombe dans la culture
23:25de la culpabilisation »,
23:27les réactions indignées
23:28ont fusé à droite
23:29chez François Fillon notamment
23:30et au Front National.
23:32D'où sa contre-attaque aujourd'hui.
23:34Dans une vidéo
23:35sur son site internet,
23:36il accuse ses adversaires
23:38d'instrumentaliser ses propos.
23:41Emmanuel Macron affirme
23:42avoir tenu un discours
23:43de vérité.
23:44Mais pour cet historien,
23:46sa démarche est politique.
23:47Cela change tout à fait.
23:48Ce qu'il a voulu,
23:49c'est visiblement
23:50se concilier
23:51l'opinion publique algérienne
23:52et l'appui
23:53des autorités algériennes
23:55en donnant satisfaction
23:57à une revendication
23:58de repentance
23:59qui est adressée
24:00à la France
24:01depuis 1995
24:04par les gouvernements
24:05algériens successifs.
24:07Le candidat à la présidentielle
24:09cherche sans doute aussi
24:10à attirer à lui
24:11un électorat de gauche
24:12sensible,
24:13hôtels anticolonialistes.
24:17Un mot sur ce qu'on vient
24:17de voir tout de même,
24:18Benjamin Stora.
24:19Il aurait dû aller plus loin
24:20une fois élu président
24:21de la République
24:22et réitérer sa déclaration
24:23lors de sa visite
24:24en décembre 2017
24:25à Alger.
24:26C'était très attendu.
24:27Oui, bien sûr,
24:28mais contrairement
24:28à ce que vient de dire
24:29cet historien,
24:30les Algériens
24:31n'ont jamais réclamé
24:32de repentance,
24:32mais de reconnaissance.
24:34c'est-à-dire de faire en sorte
24:36que la France reconnaisse
24:37ce qui s'est passé
24:39pendant les 132 ans
24:40de colonisation.
24:41Ça, c'est fondamental.
24:42Justement,
24:42la reconnaissance,
24:43ce travail mémoriel,
24:45vous appelez aujourd'hui
24:46à le reprendre,
24:48mais non pas à 1962,
24:50non pas à la guerre d'Algérie
24:51auparavant,
24:51mais à 1830,
24:53c'est-à-dire au début
24:54de la colonisation française.
24:55Oui, parce qu'en fait,
24:56on a beaucoup forcé
24:58le blocus du silence
24:59et de l'amnésie
25:00sur la fin de cette période,
25:01c'est-à-dire la guerre,
25:02la guerre d'Algérie,
25:03guerre d'indépendance algérienne,
25:04mais dans le fond,
25:05on n'a pas, disons,
25:07rembobiné et comprendre
25:08le début du film
25:09parce qu'on ne comprend pas
25:10la tragédie,
25:11la cruauté,
25:12l'engrenage
25:12de la fin de cette histoire
25:14si on ne se la situe pas
25:15dans son démarrage.
25:17Or, le démarrage,
25:18c'est une guerre de conquête,
25:20une guerre de conquête
25:20qui va durer un demi-siècle.
25:22Et ce n'est pas simplement
25:24quelques années.
25:26Au contraire,
25:27l'émir Abdelkader,
25:28disons, la résistance,
25:291832, 1847, 1848,
25:32puis ensuite,
25:33les massacres de la Rouate
25:34en 1852,
25:36la Kabylie en 1870,
25:3871,
25:39avec les Mokrani, etc.
25:41Bon, je pourrais continuer
25:42comme ça
25:42l'énumération des résistances
25:45qui, d'ailleurs,
25:46par parenthèse,
25:47signifie qu'il y avait
25:48une véritable population algérienne
25:50qui n'a pas accepté
25:51la présence coloniale française.
25:54Et cette résistance
25:55a duré très longtemps.
25:57Ce n'est pas, disons,
25:58anecdotique pour les Algériens.
26:00Ça construit,
26:01ça fabrique
26:01leur identité nationale,
26:03bien entendu.
26:05C'est quelque chose,
26:06disons,
26:07dont il faut tenir compte.
26:09Il y avait la Régence d'Alger,
26:10bien sûr,
26:11en 1827,
26:13avec le fameux consul
26:14qui reçoit ce coup d'éventail.
26:16ça prouve bien
26:17qu'il y avait
26:18une structure étatique
26:19autonome algéroise-algérienne
26:22qui existait
26:23à cette époque-là.
26:25Et, bon,
26:25je ne vais pas ici
26:26refaire tout un cours d'histoire.
26:28Tout ça pour vous dire
26:29que ce qu'expliquent, pardon,
26:33certains historiens
26:34sur le fait
26:34que c'est la France
26:35qui a inventé l'Algérie,
26:36etc.
26:37Non,
26:37ce n'est pas vrai,
26:38ça ne tient pas la route.
26:39Sinon,
26:39comment est expliquée,
26:41disons,
26:41cette résistance,
26:43disons,
26:44qui a duré si longtemps ?
26:45Qui a duré si longtemps ?
26:48Si, dans le fond,
26:49tout avait été pacifique,
26:51tranquille,
26:52disons,
26:53une sorte de promenade
26:54de santé,
26:54non.
26:55La prise de Constantine,
26:56c'est 1837,
26:57ça a duré un an.
26:59C'était un siège,
27:00le siège de la ville
27:01qui a duré un an.
27:02Donc,
27:03c'est considérable.
27:04Or,
27:04toute cette histoire
27:05n'est pas enseignée en France,
27:06elle est très méconnue.
27:08Et donc,
27:08effectivement,
27:09la commission mixte
27:10qui s'était mise en place
27:11envisagée
27:13de commencer
27:14à travailler
27:15sur les origines
27:16de cette histoire
27:17en établissant
27:18des bornes chronologiques,
27:20des biographies
27:20de principaux personnages
27:22et puis surtout,
27:23bien sûr,
27:23le partage des archives.
27:25Merci beaucoup,
27:26Benjamin Stora,
27:26d'avoir été notre invité.
27:28Je précise que vous êtes également
27:30le co-auteur
27:31avec Nicolas Lescanf
27:33de cette BD,
27:34Les Algériens en France,
27:36une histoire de génération.
27:37C'est paru aux éditions
27:38La Découverte.
27:39Merci à nouveau
27:40d'avoir été avec nous,
27:41l'invité du Monde
27:42dans tous ses états.
27:43Une émission que vous pouvez retrouver
27:43sur notre site internet,
27:44france24.com.
27:45Rendez-vous la semaine prochaine.
27:46Sous-titrage Société Radio-Canada
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