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Emission TV : L'invité sur TV5 Monde David Fritz GOEPPINGER (Survivant du Bataclan ) « Je ne pardonnerai jamais » (Fr,2 Decembre 2025)
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00:00Bonjour David Fritz Goeppinger, merci d'être avec nous. Cela fait dix ans, massacre du Bataclan,
00:12une vague d'attentats qui a frappé la France entière sidérée et vous qui étiez à l'intérieur
00:18du Bataclan qui donc est un rescapé. Vous racontez dans un livre qui s'appelle « Il
00:21fallait vivre » ce témoignage exceptionnel que vous portez et notamment le procès qui a suivi
00:26après cette vague d'attentats dix ans après. Pourquoi vous dites aujourd'hui, David,
00:30il fallait vivre ? – Parce que malgré ce que j'ai vécu au Bataclan le 13 novembre 2015,
00:36dans mon existence, après il a fallu quand même que j'existe, il a fallu quand même que je continue
00:41à vivre, que je retrouve la voie vers le travail, que je fonde un couple solide, etc. Donc il fallait
00:50vivre en fait avec le terrorisme, il fallait vivre avec le stress post-traumatique. Et donc ce titre,
00:55c'est à la fois une injonction que je me fais à moi-même et aussi un bilan que je tire au bout de dix ans.
01:00– Oui, alors dans ce livre, évidemment, vous racontez le procès, ce fameux vendredi 13,
01:04ce V13, ce procès dans lequel des accusés vont faire face et vous allez croiser leurs regards.
01:11Et vous dites à ce moment-là, au moment de témoigner, j'ai pensé à David, vous-même,
01:17c'est-à-dire le David d'avant, le David, et vous dites, je l'ai pris par la main et je lui dis,
01:21on va se venger par la justice. – En fait, pour mettre un peu le contexte,
01:26le procès des attentats du 13 novembre, il s'est tenu pendant dix mois au palais de justice.
01:30Il y a au total 1 700 parties civiles qui étaient constituées à son lancement et 2 500 à la fin.
01:35Moi, j'étais une d'entre elles. Il y a 400 parties civiles qui sont venues témoigner devant la cour.
01:41Si on regarde de manière un peu plus globale, on sait qu'il y avait 1 500 personnes qui étaient au Bataclan,
01:46il n'y en a que 400 qui sont venues à la barre. Et dans ces 400, il y en a certaines d'autres qui venaient des terrasses du Stade de France, etc.
01:52Moi, ma déposition, elle a lieu le 19 octobre 2021. Et c'est vrai que quand je m'approche à cette barre et que je regarde la cour,
02:01bien sûr que je pense à ce David Insouciant qui rentre dans la salle de spectacle le 13 novembre vers 21h,
02:07qui, lui, pensait voir un concert et qui, en fait, se retrouve avec une vie complètement transformée.
02:13Donc, l'idée de ce livre et aussi l'idée de ce que j'ai fait pendant le procès, c'était une forme de réconciliation.
02:19Parce qu'il y a eu une rupture de continuité à un moment du 13 novembre.
02:22J'ai perdu la vie que j'aurais pu avoir. Et donc, l'idée, c'était ça.
02:25C'était de réussir à réunir les deux. Et ça, je ne l'ai pas compris pendant le procès, je l'ai compris après.
02:29Et c'est ce qui m'a poussé à écrire le bouquin.
02:31Vous faites face aux accusés. Et ça, vous racontez dans ce livre, évidemment, que c'est un traumatisme.
02:37C'est très dur de faire face à Abdeslam, par exemple.
02:40Oui, Salah Abdeslam, c'est un des 14 accusés dans le boxe.
02:43Et c'est celui qui, en ce moment-là, était le plus impliqué dans le 13 novembre.
02:47Parce que c'est un des seuls terroristes, un des seuls hommes, en fait, qui faisait partie du commando, en fait, ce soir-là.
02:56Bon, il a renoncé ou pas à ses explications.
02:58Mais c'est vrai que moi, j'avais un rapport quasi personnel avec lui.
03:02Parce que, étant donné qu'il était impliqué le soir du 13 novembre,
03:05j'avais l'impression qu'il avait gardé en lui une forme de trace de ce qui m'était arrivé à moi.
03:10Et donc, forcément, quand il parle à l'audience, ce qui n'était pas du tout attendu quand il parle,
03:15moi, je réagis de la manière la plus naturelle qui soit et la plus logique depuis le 13 novembre, c'est le stress post-traumatique.
03:21Et donc, il réemploie une phrase qui est devenue un peu célèbre.
03:25En fait, le président de la cour lui demande quel est son emploi, quel travail il occupe,
03:30puisque le code de procédure pénale l'y oblige.
03:32Et Salab Abdeslam répond, non, non, mais moi, j'ai délaissé toute profession pour devenir soldat de l'État islamique.
03:39Et à ce moment-là, mon cerveau, moi, en tant que parti civil, en tant que victime, utilise le raccourci le plus rapide.
03:44Il passe par la porte la plus accessible, qui est celle de se dire, mais en fait, il est en train de répéter la même chose que j'ai entendu au Bataclan.
03:49Et donc, ça, ça a créé en moi une colère très forte, qui a été à la fois ma meilleure amie et mon pire ennemi, parce que j'y trouvais une force incroyable.
04:00Et en même temps, je savais que ça ne pouvait pas durer, cette colère. Il fallait que je l'abandonne.
04:04Oui, alors, vous racontez dans ce témoignage au tribunal, vous allez raconter, vous le dites dans ce livre, ce soir, où un ami vous dit, j'ai une place pour aller voir un concert au Bataclan.
04:14C'est une chose que vous avez l'habitude de faire, Eagles of Death Metal, c'est un groupe qui passe.
04:18Et donc, vous partez et assez rapidement, vous allez vers le balcon.
04:22Oui, en fait, on va au balcon, au premier étage du Bataclan.
04:25Le Bataclan, encore une fois, pour un peu de contexte, c'est au milieu de Paris, sur le boulevard Voltaire.
04:31C'est un beau quartier de Paris et très vivant.
04:34Et donc, la salle est pleine ce soir-là, ça a quasiment été survendu carrément.
04:38Et donc, nous, on était cinq amis au total, dont deux filles qui ont été dans la fosse.
04:43Et nous, sommes montés au balcon parce qu'on a rigolé, on a dit, on fait les papys ce soir.
04:48Et donc, on est au balcon, on boit des bières, parce que moi, j'étais barman.
04:52Aujourd'hui, je suis photographe, mais j'étais barman et donc, on picolait.
04:55Vous faites même une vidéo que vous envoyez à votre père.
04:57Oui, je fais une vidéo que j'envoie à mon père, parce que mon père est fan de rock aussi.
05:00Donc, voilà, je lui dis, regarde, c'est ça le concert et tout.
05:02Et au final, je vais aux toilettes et c'est là que l'attentat commence.
05:05Il est 21h47 au Bataclan et en fait, trois terroristes rentrent dans la salle et mitraillent la fosse et tout le Bataclan.
05:13Vous voyez tout de suite de quoi il s'agit ? Vous comprenez tout de suite ?
05:15Moi, je comprends immédiatement que c'est un attentat parce que j'ai un attrait particulier pour le jeu vidéo
05:19et j'ai très vite reconnu les coups de feu, les tirs et je suis retourné au balcon auprès de mes amis pour essayer de lever le doute.
05:28Ça se trouve, je me trompe quoi.
05:29Et en fait, en réalité, je comprends assez vite que non, c'est des coups de feu.
05:32Donc, vous dirigez vers le balcon, vous revenez au balcon et de là, vous assistez en quelque sorte à ce qui se passe.
05:36Exactement. Je ne suis pas le seul en fait. Il y a l'intégralité du balcon qui est à ce moment-là impuissant
05:41et qui assiste à la tuerie dans la fosse, dans le reste du Bataclan.
05:45Donc, il y a un mouvement de panique assez énorme à ce moment-là parce que moi, je perds la trace de mes amis
05:50et je finis dans un tout petit couloir de service qui normalement n'est pas réservé aux spectateurs,
05:54qui est plutôt réservé aux professionnels de la musique et aux gens qui travaillent dans la salle.
05:58Et de manière un peu bizarre, je décide d'essayer de grimper sur le toit du Bataclan en passant par une des deux fenêtres
06:05qui est dans ce couloir. Et c'est des images qui sont devenues très célèbres parce qu'elles ont été tournées.
06:10Cette séquence a été tournée par un journaliste du Monde qui habitait en face du Bataclan dans le passage Saint-Père Hamelot
06:16et qui nous a filmé, accroché à ses fenêtres, moi, un homme qui s'appelle Sébastien Abbézati,
06:21qui est un grand ami à moi aujourd'hui avec qui j'ai été pris en otage malheureusement après, et une femme enceinte.
06:26Donc, c'est une séquence qui a fait le tour du Monde dans la suite du 13 novembre et que je décris dans ce livre
06:33parce qu'il faut savoir que Daniel Epcéni a déposé juste avant moi. Il a déposé, donc il a témoigné devant la cour juste avant moi.
06:39Et puis, Daniel Epcéni, il a gravé à ce moment-là l'image la plus graphique de ces attentats,
06:45une des images les plus graphiques de ces attentats. Et donc, je suis accroché à cette fenêtre.
06:49Et moi, j'ai conscience qu'il y a un ou des théoristes dans la salle.
06:52Vous en avez vu, vous l'avez vu à l'entrée.
06:55Oui, je l'ai aperçu, oui, c'est ça.
06:57Qui était, vous l'avez dit, avec une barbe fine.
07:00Voilà, qui était en jogging, dans une tenue décontractée.
07:04Et donc, j'ai conscience de ça et je dis à Sébastien, qui vient de sauver la vie de cette femme enceinte
07:10et qui a décidé de revenir près de moi.
07:12Moi, je lui demande son prénom, etc. Il me dit qu'il s'appelle Seb.
07:15Et puis, il me dit… Enfin, moi, je lui dis pardon.
07:19Écoute, dans peu de temps, il va y avoir un mec armé qui va passer la porte.
07:22Parce que nous, de là, on était derrière cette fenêtre accrochée, le dos au vide.
07:25On voyait ce qu'il y avait dans ce couloir.
07:28Et donc, je ne me trompe pas parce que quelques secondes après,
07:31il rentre quelqu'un d'armé dans ce couloir et il nous intime de descendre de cette fenêtre.
07:36Vous lui dites avant, il faudra rien dire.
07:39Oui, c'est ça. Bien sûr, je dis à Sébastien de rester le plus calme possible.
07:42Et je ne sais pas, a priori, bon, dix ans après, je peux essayer de réfléchir,
07:45mais d'où vient ce calme, en fait.
07:47Mais voilà, je disais à Sébastien, écoute, si jamais il y a quelqu'un,
07:50tu ne fais rien, tu le suis, tu ne fais rien de plus.
07:52Mais vous étiez sûr, vous dites, quelqu'un va venir.
07:54Oui, j'étais certain. C'était le chemin logique.
07:56Ils étaient au rez-de-chaussée, ils sont montés au balcon,
07:58ils allaient le faire le reste de la salle.
08:00Et donc, je savais qu'ils arriveraient.
08:01Vous entendez, ils déchargent les chargeurs de ces fusils
08:07et ils le font avec conscience, c'est-à-dire qu'ils tuent un par un.
08:11Oui, en fait, une fois qu'on est descendu de cette fenêtre,
08:14on est obligé de retourner ordonner dans ce balcon de la salle de spectacle
08:20où il y a déjà une dizaine d'autres otages qui sont assis
08:23à la merci de deux terroristes, qui sont Ismaël Omar Mostefaï
08:27et Fouad Mamedagad, deux terroristes de l'État islamique.
08:30Et ces deux terroristes, il y en a un d'eux qui, lui, s'amuse à mitrailler
08:34dans la fosse et à battre des gens gratuitement,
08:37tandis que l'autre, lui, fait des diatribes sur l'État islamique
08:40et nous prend à partie.
08:41Oui, oui.
08:42Et il vous parle d'une lettre de François Hollande, par exemple.
08:45Oui, ça arrive après, mais c'est vrai qu'il nous raconte,
08:47il nous demande, dans les négociations qui ont lieu
08:49avec la brigade de recherche et d'intervention
08:51qui nous sauve par la suite, il est demandé une lettre de François Hollande,
08:56de Rédition des forces armées françaises présentes en Syrie, etc.
09:01Et on savait que c'était complètement impossible.
09:03L'étrangeté de cette prise d'otages, c'est qu'on n'est pas dans une banque,
09:06il n'y a rien à échanger.
09:08Et donc, les hommes de la BRI et le négociateur de la BRI
09:11savaient très bien que, malheureusement, sa marche de manœuvre
09:14pour nous sauver la vie était très mince, en fait.
09:16Oui, alors il y a un tournant, c'est lorsque l'un des terroristes
09:19est sur la scène avec un otage et qu'il y a une intervention,
09:22la première intervention extérieure.
09:24C'est une intervention providentielle, en réalité,
09:26que je décris d'ailleurs dans un chapitre de mon livre
09:28qui s'appelle « 30 cartouches chacun ».
09:30Cette intervention, elle est faite par un commissaire de la BAC Nuit,
09:33donc de la brigade anticriminalité de la police nationale française,
09:37qui travaillait à Paris, donc la nuit, quoi.
09:39Et donc, ce commissaire entre dans la salle,
09:41parce qu'il y a eu des alertes d'attentats à ce moment-là.
09:44Donc, le Stade de France a déjà eu lieu, les terrasses ont déjà été mitraillées,
09:48le Bataclan, c'est la fin.
09:49Et donc, il entend ça, il va au Bataclan et puis il rentre dans la salle.
09:53Il rentre avec son adjoint, qui est en fait son chauffeur aussi.
09:56Et il tombe sur un autre terroriste qui est lui sur scène,
09:59qui est Samy Amimour.
10:01Il avait des otages, déjà.
10:03Et il lui tire dessus.
10:05Et ce moment dans ce livre, il est important,
10:07aussi parce que ce moment dans l'attentat est important,
10:10parce qu'en effet, ça crée un moment de bascule.
10:12Les deux terroristes qui sont avec nous, eux, se disent…
10:14Il commence à se dire bon…
10:15Vous entendez évidemment, il s'explose.
10:16Il explose, bien sûr.
10:17Les chairs qui jaillissent.
10:18Absolument.
10:19Et c'est une scène qu'on décrit tous.
10:21Même vous, alors que vous êtes loin, vous avez le souffle.
10:23Exactement.
10:24On doit être à ce moment-là à presque 15 mètres de distance
10:26et on sent la chaleur et le souffle de l'explosion.
10:29Oui.
10:30Et que la réaction des deux autres terroristes à ce moment-là est sidérante.
10:33Oui, parce que l'un est assez content du sort de l'autre,
10:37enfin de celui qui est mort, et l'autre commence à percevoir
10:40que la situation change et qu'il faut bouger, quoi.
10:43Et à ce moment-là, on retourne donc dans ce couloir
10:46qui fait 1m30 de large pour 6m de long.
10:48Et c'est là que la prise d'otages, en réalité, commence et se termine aussi.
10:53Parce que deux heures et demie après, on est libéré par la BRI.
10:56Et là, vous sentez qu'entre les deux terroristes survivants,
10:58il commence à y avoir des accrochages.
11:00Oui, il y a des accrochages.
11:01Il y a une psychologie entre eux.
11:03Ils se connaissent.
11:04Donc, moi, les potages m'ont qualifié parfois de mémoire
11:08un peu de la prise d'otages.
11:09Mais je me souviens clairement, en effet, d'une sorte de hiérarchie,
11:12de l'un qui demande des comptes à l'autre, etc.
11:14Donc, j'avais capté tout ça.
11:15Un qui dominait l'autre.
11:16Absolument, oui.
11:17Et au fond, à un moment donné, il y a un tiraillement.
11:20Et ils perdent de pied, vous dites.
11:21Oui, ils perdent de pied.
11:22Ils s'amusent de la mort de l'autre terroristique.
11:24Oui, et en fait, sur ce balcon, ils perdent de pied
11:27parce qu'il y a quelqu'un d'autre qui…
11:29On leur répond, en fait.
11:30Pour la première fois de la soirée, il y a quelqu'un qui leur répond.
11:32Et là, ils se sentent peut-être en danger.
11:33Et donc, ils créent ce huis clos dans ce couloir.
11:36Oui.
11:37Alors, ce huis clos, vous dites, c'est le début.
11:38Et là, ce sont des scènes poignantes.
11:40Un couple qui se dit, je t'aime.
11:42On sent que là, c'est la fin.
11:44Ils vous disent, vous ne devrez pas bouger.
11:46Sinon, vous êtes tous morts.
11:47Oui, c'est ça.
11:48Et souvent, on dit entre ce que nous, tous les otages de ce couloir,
11:52on est devenus amis dans l'après, on s'appelle les potages.
11:55Oui, les potes otages.
11:57Les potes otages, voilà.
11:58On se dit souvent entre nous qu'on s'est serré les coudes, en fait, dans ce couloir.
12:01Oui.
12:02Et c'est vrai.
12:03C'est la réalité.
12:04On s'est serré les coudes.
12:05Il y a eu des scènes très, très dures.
12:06Il y a eu un simulacre d'exécution d'un des otages qui a servi d'exemple, en fait.
12:10Bon, il n'est pas mort, mais ça a servi d'exemple.
12:12On se disait ensuite, voilà, on va rester le plus calme possible
12:15parce qu'on a bien compris que ce qui se passerait, si jamais on bougeait.
12:18Vous craignez à ce moment-là une intervention de la police parce qu'évidemment…
12:20Oui, c'est l'intérêt.
12:21Vous savez que s'ils interviennent, vous allez mourir.
12:23Exactement.
12:24En fait, ce qui est étrange avec l'intervention de la BRI, c'est que c'est à la fois le plus beau jour de ma vie et le pire.
12:31Parce que moi, j'ai peur que les terroristes se tournent vers nous et que nous nous abattent,
12:34et en même temps que la police, dans son intervention, nous blesse ou quoi.
12:38Et c'est là où, en fait, c'est incroyable et je trouve qu'il faut vraiment saluer le travail de ces hommes
12:44dix ans après cette intervention qui est exemplaire.
12:47Aucun des otages n'est blessé gravement.
12:49Arnaud, il a pris des éclats de l'explosion d'un des terroristes,
12:52mais cette intervention est quand même incroyable.
12:55On en est tous sortis indemnes, quoi.
12:58Oui, évidemment.
12:59Donc, il y a le moment où l'intervention a lieu, destruction de la porte.
13:04Oui.
13:05Et là, vous vous dites, effectivement, les terroristes peuvent se retourner contre vous.
13:09Oui, parce que…
13:10Vous criez, n'entrez pas, ils vont nous tuer.
13:13Voilà.
13:14Et puis, leur plan, c'était quand même de rentrer dans la salle pour mitrailler des spectateurs.
13:18Donc, après, moi, je suis devenu ami avec les hommes de la BRI,
13:21et ils m'ont dit qu'en réalité, voilà, dans les interventions,
13:24très souvent, eux, ils servent aussi presque d'apa, j'ai envie de dire,
13:29et de détournement de l'attention.
13:30Parce que quand ils rentrent dans le couloir, en effet,
13:32un des terroristes voit ce grand mur noir qui est en fait un des boucliers Ramsès de la BRI.
13:39Ils appellent le Ramsès parce que c'est un sarcophage,
13:41une espèce de grand panneau noir avec des panneaux sur le côté.
13:44Et il y a des hommes de la BRI derrière.
13:46Donc, lui, ce terroriste voit ce bouclier et il fait feu sur ce bouclier.
13:51Il tire 27 coups de feu sur ce bouclier qui prend,
13:54qui encaisse en réalité tous les coups de feu qu'on aurait dû se prendre nous, en réalité.
13:57La chose encore plus incroyable, c'est qu'il y a eu un blessé au sein de la BRI,
14:02qui a été quand même un blessé grave,
14:04mais il n'y a aucun homme de la BRI qui est resté quand même.
14:07C'est ce qu'il faut rappeler aussi.
14:08Ce qui va se passer, c'est que là, l'un des terroristes va exploser,
14:12avec sa ceinture d'explosif et tuer l'autre.
14:14Et là, c'est une déflagration.
14:17Vous êtes projeté, David, à plusieurs mètres de distance.
14:20Vous n'entendez plus rien ?
14:22Oui, même pas à plusieurs mètres.
14:23Je suis soulevé du sol, en réalité.
14:24On est tous toujours dans ce couloir.
14:26Et c'est vrai que moi, je suis très proche de ce terroriste
14:29et en réalité de tous les otages.
14:30Arnaud, Stéphane, Sébastien, on est tous très proches.
14:33Et les hommes de la BRI aussi, qui se sont soufflés par l'explosion.
14:36Et l'étrangeté, c'est que la seule victime létale de ce gilet d'explosif,
14:40c'est son comparse qui se fait tuer, qui se fait balayer par le souffle
14:45et qui est mort sur le coup.
14:46Oui.
14:47Lorsqu'au tribunal, on va vous montrer des photos,
14:50on va aussi vous faire entendre le son.
14:53Et vous allez, au fond, découvrir et entendre des choses que même vous aviez oubliées.
14:57Absolument.
14:58À la fois oubliées et parfois transformées aussi.
15:00Et ce qui est intéressant, c'est que, bon, pour rappeler,
15:03cet audio du Bataclan, il ne tombe pas du ciel.
15:06Il y a un spectateur qui était là ce soir-là,
15:09qui enregistrait le concert.
15:11À des fins pirates, en fait.
15:12C'est quelque chose qui se fait depuis les années 80-90,
15:15depuis l'existence des concerts.
15:16On a toujours essayé de les capter et parfois de manière illicite.
15:18Et le fait est que, lui, ce soir-là, il a enregistré le concert.
15:20Et au moment où l'attentat commence, il lâche son micro
15:23et il s'en va en laissant le micro tourner.
15:26Et donc, ce micro enregistre tout.
15:27C'est-à-dire, il a une partie du concert,
15:30jusqu'à le surgissement des terroristes,
15:31jusqu'à l'assaut de la BRI un peu après.
15:33Et en effet, dans cet audio qui nous avait été refusé à l'audience,
15:37en fait, une partie de la cour disait que non,
15:39que c'était peut-être pas utile et surtout que ça pourrait aggraver
15:41les symptômes de certaines victimes.
15:43Moi, je faisais partie des victimes dont Arthur Desnouveaux, pareil,
15:46qui, en fait, voulait que cet audio soit entendu à l'audience
15:52parce qu'il montrait une réalité, une brutalité de ce qu'on avait vécu au Bataclan
15:57qui était réel et qu'on voulait que la justice se saisisse.
16:00Et donc, c'est vrai que quand j'entends moi, déjà, j'entends ma voix.
16:03Et donc, je me dis, waouh, ok, ça, c'est bizarre.
16:05Parce que je ne m'étais pas du tout imaginé parler comme ça à un des terroristes.
16:09Et en même temps, je comprends que c'est en train de ne pas changer mes souvenirs,
16:14mais en train de les réactualiser en me disant, voilà, là, tu l'écoutes,
16:17mais tu es avec la justice et tu n'es pas dans ta chambre
16:20ou tu n'es pas en train de faire autre chose et en train de repenser à ça,
16:23en train de le ressasser.
16:24Oui, vous pensiez dans votre souvenir que l'attaque la première des terroristes,
16:27quand ils font feu et qu'ils tuent tout le monde dans la fosse,
16:31que c'était un grand silence qui avait suivi.
16:33Absolument.
16:34Vous entendez, en fait, un terrible broie.
16:37Un vacarme, oui.
16:38Surtout la voix des victimes, des spectateurs qui se font tirer dessus, etc.
16:42Le son qui amplifiait des coups de feu.
16:45Et c'est étrange parce que le cerveau efface des choses.
16:47Et ça a été à la fois très nécessaire parce que je ressentais le besoin
16:53que la justice s'en saisisse et en même temps très bizarrement reconstructeur
16:56parce que j'ai pu enfin me saisir de ces souvenirs pour finalement mieux les oublier.
17:00Oui.
17:01La justice va vous montrer au tribunal des photos aussi.
17:03Oui.
17:04Alors, vous dites, ce sont des photos où évidemment on ne reconnaît pas les corps,
17:07on ne reconnaît pas les victimes, mais au fond, éloignées d'ailleurs aussi.
17:11Et vous dites, au fond, il fallait montrer la réalité.
17:15Vous aviez vu cette photo de la fosse qui a circulé sur internet.
17:18Absolument.
17:19Vous dites quoi ? Vous dites, il faut voir ça ?
17:21Je pense qu'il faut voir.
17:22Et c'est surtout qu'il faut que la justice le voit.
17:24Bon, les juges ont vu, ils ont accès au dossier d'instruction, etc.
17:29Donc, il était important pour moi, d'une part,
17:31que toutes les parties du procès voient ce qui s'est passé au Bataclan
17:34et non seulement sur le Bataclan.
17:35Il y avait aussi les terrasses.
17:36Je tiens à rappeler le Stade de France avec d'autres scènes de crimes littéralement.
17:39Mais au Bataclan, on nous a empêché ça.
17:42Et donc, l'idée de montrer ces images, c'était aussi de dire,
17:46bon, on va montrer l'horreur telle qu'elle est,
17:49parce que la justice va répondre à l'horreur telle qu'elle fut ce soir-là.
17:52Et donc, moi, par rapport à ça, je me décalais un petit peu en me disant,
17:56bon, toi, tu te rappelles de choses qui sont extrêmement violentes
18:00et qui sont intrusives dans ta vie.
18:01Peut-être que si tu vois ces images, elles vont arrêter de l'être.
18:04Et ça l'a été, en fait.
18:05Ça l'a été, c'est ça l'étrangeté.
18:07C'est que grâce à la justice et à cette occasion que les juges nous ont donnée,
18:11j'ai pu oublier, j'ai pu aussi peut-être mieux me souvenir,
18:14et moins dans la douleur aussi.
18:16Oui, évidemment.
18:17Vous dites notamment l'odeur.
18:19L'odeur, oui.
18:20L'odeur, malheureusement, c'est plus compliqué à restituer dans une audience.
18:23Mais c'est vrai que l'odeur, c'est quelque chose qui reste assez prégnante.
18:26Oui.
18:27Et l'image des corps, quand vous sortez ensuite du Bataclan,
18:30vous dites, dans ma tête, je pense qu'ils dorment.
18:32Oui.
18:33Dans mon premier livre, Un jour dans notre vie, je les vois.
18:35Et en fait, dans mon cerveau, la seule interprétation logique que j'ai de ça,
18:38c'est qu'ils sont endormis.
18:40Ils vont se réveiller à un moment donné.
18:41Et en réalité, il y a un déni derrière.
18:43Et c'est un déni que je tire dans Il fallait vivre.
18:46Parce que je me suis rendu compte, tous les années passant,
18:49qu'en réalité, ma culpabilité du survivant, elle s'est construite
18:52au moment où je sors du Bataclan.
18:53Parce que moi, je sors du couloir en me disant que tout va bien,
18:56que c'est bon, les théories sont morts, que ça va aller en fait.
18:59Mais pas du tout.
19:00Pas du tout.
19:01Il y a 90 morts au Bataclan.
19:02Et ces 90 personnes, en grande partie, reposent dans la fosse.
19:05Oui.
19:06Vous pensez à ce moment-là, vous dites, là, il y a des histoires d'amour,
19:08il y a des destins qui sont là.
19:11Oui, et c'est des images que je n'oublierai jamais,
19:14même si on a eu accès à ça à l'audience.
19:17Je me souviendrai toute ma vie des décors, des visages que j'ai vus
19:21et des vêtements que les gens portaient.
19:23Oui.
19:24Et vous savez à ce moment-là que votre vie ne sera plus jamais la même.
19:27Ah oui, certain.
19:28En fait, en réalité, je comprends ça plutôt le lendemain,
19:31quand je rentre chez mes parents, je suis au pied de l'immeuble de chez mes parents
19:35et je me dis, waouh, j'ai l'impression que je vais me faire engueuler.
19:38J'ai l'impression d'avoir fait une bêtise, en fait.
19:40Et je rentre et on s'embrasse et ils sont soulagés de me voir, bien sûr.
19:44Et je me rends compte que je ne suis plus du tout pareil,
19:46que là, je suis dans ma chambre, que c'est bien mes parents et tout,
19:50que je suis là, dans cet appartement que j'ai connu toute ma vie
19:53et en même temps, je ne suis plus du tout le même.
19:55Oui, c'est un long procès.
19:56Vous le racontez dans ce livre.
19:58Chaque jour, les témoignages, les partis civils,
20:02la défense des terroristes, il faut tout supporter, il faut tout entendre.
20:07Pour moi, en tout cas, il était nécessaire d'assister à tout ce procès.
20:10Et même si, en réalité, si vous m'avez posé la question pendant le procès,
20:13j'aurais dit, je ne sais pas.
20:15Il y a Xavier Séméoni, qui est une des assesseurs au procès V13,
20:19qui m'a posé la question au moment où je vais à la barre,
20:21qu'est-ce que vous attendez de ce procès ?
20:23Et je lui ai dit, je ne sais pas, j'attends de voir.
20:25Et en réalité, ce bouquin, c'est un peu ça.
20:28C'est ce que j'ai attendu de voir et ce que j'ai appris de ce procès,
20:31ce que ça a abîmé, ce que ça a touché.
20:33Je n'en parle pas dans le livre, mais je suis sûr de tourner voir ma psy après le procès.
20:39Parce que, déjà, j'avais arrêté de la voir quelques années avant,
20:43et je me suis dit, en sortant de ça, il y a trop de choses à voir,
20:46il y a trop de choses à traiter, il y a trop de choses,
20:48notamment la culpabilité du survivant.
20:49Oui, mais en face, vous avez des accusés qui ne renie pas, au fond, ce qu'ils ont fait.
20:55Non, il y a certains des accusés qui ont bougé, même Salah d'Eslâm d'ailleurs,
20:58et je tiens à le rappeler qu'au début de l'audience, il a dit, il a eu cette phrase connue,
21:02voilà, j'ai délaissé toute profession pour devenir soldat de l'État islamique.
21:06À la fin, au moment du procès, qui sont les derniers mots des accusés,
21:11c'est leur dernière occasion de parler au procès,
21:13ils ont tous fait référence aux victimes.
21:15Parce qu'ils ont tous entendu les 400 et quelques partis civils
21:17qui sont venus parler, qui sont venus étaler leurs souffrances
21:21et raconter à la justice ce que leur attentat leur a fait.
21:25Et à un moment donné, nous, on a vu, en tant que partis civils,
21:28ces mecs-là qu'on déteste, en fait, qu'on déteste penser à nous.
21:34Je ne dis pas que moi, je leur pardonne ou que je suis dans un truc de réparation vis-à-vis d'eux.
21:40Non, pas du tout. Je pense que je leur pardonnerai jamais en réalité.
21:43Mais moi, en tant qu'individu et en tant que victime, ça m'a fait du bien de me dire que notre voix est entendue
21:49et par la cour, et par les accusés, par les partis civils, et par la défense.
21:54C'est important. Je pense que c'est comme ça qu'on rend justice.
21:57Vous sentiez aussi, notamment sur Abdeslam, qu'au début, il se présentait un peu, qu'il y avait une aura.
22:01Il y avait une aura.
22:02Il construisait un personnage.
22:03Oui.
22:04Et qu'en fait, vous, vous aviez juste un type en face de vous, quoi.
22:07Voilà.
22:08Voilà.
22:09Et en réalité, c'est ça l'étrangeté, c'est qu'on juge des hommes.
22:11Et donc moi, j'étais arrivé là, dans ce procès, en imaginant un monstre, en imaginant quelqu'un d'odieux, etc.
22:17Et non, Salab Abdeslam, il a des oreilles, un nez, des yeux, et en fait, il a aussi des pensées qui sont les siennes.
22:23Et donc, il fallait dealer avec ça, dealer avec cette humanité, en fait.
22:27C'est ça l'étrangeté.
22:28Et je pense qu'il est important de rappeler quand même que la justice juge des hommes.
22:32Si on jugeait des monstres, on ne jugerait peut-être pas comme ça, en fait.
22:36Et là, la République nous permet, en fait, la société nous permet de juger des hommes.
22:40Oui.
22:41C'est un procès dont vous dites dans le livre, à un moment, effectivement, une forme de vengeance par la justice.
22:45Absolument.
22:46Ils ont été condamnés pour la plupart à des peines de perpétuité incompressibles.
22:51C'est suffisant ?
22:53C'est vrai que dans le bouquin, peut-être que ça peut être frustrant, mais sur le verdict,
22:59je n'ai pas trop de commentaires à faire parce que j'estime que les magistrats ont fait le job,
23:04ils ont fait le travail, les peines sont équilibrées selon moi.
23:07Voilà.
23:08En revanche, ce qui est intéressant et ce qui est décrit dans ce livre, c'est que pour moi,
23:13il était presque plus important de vivre le procès et sa transformation que le verdict en lui-même.
23:18Ce n'est pas tant le verdict que l'aventure que j'ai vécu, la quête que j'ai menée dans ce procès
23:23et sa réparation, finalement.
23:25Oui. Et le David ? Le David d'avant, vous avez appris à vivre avec ?
23:30Je suis en train d'apprendre.
23:32L'idée de ces dix ans aussi, c'est d'avancer, de continuer à avancer,
23:35de fermer ce chapitre de ma vie.
23:36Voilà, j'ai écrit deux livres.
23:37Un jour dans notre vie, il fallait vivre.
23:38Il y a une série fiction qui est actuellement sur France 2,
23:41qui s'appelle « Des vivants », qui raconte cette prise d'otages dans ce couloir,
23:45l'amitié entre les ex-otages, qui raconte une partie de ma vie en réalité.
23:49Je pense qu'il y a des choses comme ça, que j'ai fait, que j'ai menées aussi,
23:54auxquelles j'ai collaboré et qui nous ont fait du bien, qui m'ont fait du bien
23:57et qui ont été constituantes ces dix années.
23:59Maintenant, l'idée, c'est quand même, comme je dis dans mon livre encore une fois,
24:02d'être une victime à la retraite.
24:04Oui.
24:05Alors, la série justement « Des vivants », aujourd'hui, qu'on en fasse une série,
24:09que des personnages soient incarnés par des grands comédiens,
24:12ça, au fond, vous dites « ouais, c'est bien ».
24:14Je pense que c'est important que la société regarde ces attentats d'une autre manière aussi.
24:19On a eu des grands documentaires, on a des livres, pas seulement les miens,
24:22plein de livres, on a des associations de victimes,
24:25« Life for Paris », « 13-11-15 », « Fraternité Vérité ».
24:28Il y a plein de choses qui sont en place, plein de ressources finalement,
24:30pour que la société puisse se saisir de ces attentats
24:33et qu'on ne soit pas seulement dans un discours victimaire,
24:35mais aussi dans un discours de compréhension de ce qui se passe dans la vie des gens
24:39et aussi ce qui s'est passé ce soir-là.
24:41La fiction va apporter une étrangeté qui est celle de la création,
24:46on va créer sur quelque chose de réel.
24:48Jean-Xavier de l'Estrade, le réalisateur, il a cœur à ça,
24:50il a cœur à montrer les choses, il a cœur à aussi qu'on puisse entendre les victimes
24:56et qu'on puisse montrer une histoire des victimes, quelle qu'elle soit.
24:59Et c'est vrai que cette série raconte, pour moi, non seulement très bien
25:02ce qui s'est passé au Bataclan en ce qui nous concerne, nous, les otages,
25:05et non seulement ça, et c'est pour moi le plus important, ce qui se passe dans la vie d'après.
25:10Et c'est pour ça que la fiction est importante.
25:12C'est que moi, je me vois mal accepter une caméra dans mon intimité pendant un an,
25:17voilà, faire presque un truc de, comment on peut dire, de télé-réalité.
25:22Voilà.
25:23La fiction, elle le permet ça, elle suit les gens dans leur intimité.
25:26Et c'est dans l'intimité que le terrorisme est destructeur.
25:28Oui, oui. Il s'appelait Cédric Gommet. Il devrait être là en régie en ce moment.
25:34Malheureusement, il n'est pas là. Il était au Bataclan. Il nous a quittés ce jour-là.
25:37Et on ne l'oublie pas sur TV5 Monde, Cédric, qui est travaillé donc en régie
25:42et qui n'est pas revenu de ce concert. Et il reste dans notre cœur.
25:45Merci beaucoup, David Fritz-Boppinger.
25:47C'était il y a dix ans.
25:48Il fallait vivre le témoignage exceptionnel d'un ex-otage du Bataclan dix ans après
25:52et publié aux éditions Le Duc. Et c'est un témoignage vraiment exceptionnel.
25:55Merci beaucoup.
25:56Merci d'avoir été avec nous.
25:58Merci à tous.
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