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L'Europe étouffe-t-elle son industrie ? Pour Bernard Delvaux (Etex), la situation est critique - Les Pros de l'Eco
lalibre
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il y a 15 heures
Le dossier d'Antonin Marsac, pour Les Pros de l'Eco sur LN24: L'Europe étouffe-t-elle son industrie avec le Green Deal, face aux USA et à la Chine ?
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00:00
Mais la vaste question c'est est-ce que l'Europe est-elle en train de tuer son industrie ?
00:05
En croire certains géants de la chimie en particulier, je dirais même de la chimie allemande comme BASF,
00:11
l'Europe met trop de contraintes réglementaires sur son industrie et donc n'est plus compétitive face à ses grands concurrents
00:17
que sont les Etats-Unis et la Chine. Alors est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est pas vrai ?
00:21
On va justement demander à Bernard Delvaux qui n'est pas du secteur de la chimie mais qui est ce CEO de Etex
00:27
qui est une entreprise active dans la construction mais qui connaît bien l'industrie.
00:30
Il était aussi CEO avant de Sonaka qui était active dans l'aviation.
00:34
Qu'est-ce que vous en pensez de ce cri d'alarme des géants du secteur de la chimie ?
00:37
Est-ce que l'Europe est trop contraignante sur son industrie et risque de tuer, étouffer son industrie ?
00:44
La conclusion c'est sans doute oui, c'est vrai. Mais je pense que ça mérite une réflexion un peu plus nuancée.
00:50
La non-compétitivité européenne a commencé il y a longtemps. Elle a commencé il y a 30 ou 40 ans
00:55
et ce déclin était beaucoup moins visible. Le révélateur incontestable c'est la guerre en Ukraine
01:01
avec une explosion du prix de l'énergie et avec aussi la découverte que le gaz russe à un prix extrêmement bas
01:08
n'allait pas être une aubaine qui pouvait continuer. Et ça, ça a été le révélateur dans toute une série d'industries
01:13
du fait que l'Europe était complètement hors marché. Alors c'est l'accumulation de toute une série d'éléments
01:19
et la régulation est un des éléments importants sur lesquels on peut encore jouer aujourd'hui,
01:23
on peut y revenir et il y en a beaucoup d'autres.
01:25
Et pourquoi il y a 30 ou 40 ans ? C'est-à-dire il y a 30 ou 40 ans on était déjà trop contraignants ?
01:29
Le monde a changé. D'abord le monde a changé parce qu'il y a un certain nombre de grandes puissances économiques
01:35
qui sont montées en régime non seulement en taille de leur économie mais aussi en niveau de technologie.
01:40
Si vous prenez la Chine aujourd'hui, je pense qu'elle a un niveau de technologie qui dépasse celui de l'Europe.
01:43
elle n'est plus à l'étape où elle copiait des produits européens ou américains, elle innove et elle nous dépasse à tout point de vue.
01:51
Et donc vous devez concurrencer un géant avec des armes qui étaient à l'époque où on dominait et aujourd'hui on ne domine plus.
02:01
Ce qui veut dire que vous pouviez justifier par exemple de salaires qui étaient plus élevés dans le passé,
02:04
vous pouvez difficilement justifier de salaires qui sont plus élevés en Europe qu'en Chine aujourd'hui.
02:08
On aime l'idée ou pas mais c'est la réalité économique. Et puis le monde a changé géopolitiquement dans les dernières années.
02:15
Et je crois que les règles du libre-échange et les règles économiques du libéralisme, certains diront le néolibéralisme,
02:22
ne sont plus appliquées de la même façon partout dans le monde, loin de là.
02:25
Et nous continuons à rêver d'un système comme celui-là au niveau européen alors que les grands blocs comme les USA ou la Chine
02:32
appliquent des règles, vous le savez, tout à fait différentes basées sur le rapport de force.
02:35
On parlait du rapport de force, le protectionnisme, que ce soit tarifaire mais aussi presque au niveau des normes.
02:41
Justement, est-ce que l'Europe, vous qui êtes actif dans la construction, n'est pas trop dépendante aussi de la Chine
02:46
pour toute sa colonne vertébrale de transition écologique et énergétique ?
02:51
Parce qu'on importe tout, les métaux, les terres arbres dans les produits, les panneaux photovoltaïques, les éoliennes.
02:57
Est-ce que justement ce n'est pas ça aussi le problème ?
02:58
On a voulu être la bonne élève, l'Europe veut être la bonne élève mais n'a pas les moyens de l'être en fait.
03:03
C'est un vaste débat. Nous, nous sommes dans les matériaux de construction, donc nous servons la construction.
03:09
Et nous avons l'habitude de dire que c'est une industrie qui est locale pour locale.
03:13
C'est-à-dire que quand vous fabriquez une plaque de plâtre, c'est un produit qui ne coûte pas très cher,
03:17
ça coûte 3 euros du mètre carré et c'est très encombrant à transporter.
03:21
Donc il n'y a pas tellement de business case pour le produire en low cost et puis l'amener ici par exemple d'Asie.
03:26
Donc vous n'avez pas de concurrent chinois quoi ?
03:29
Nous commençons à en avoir.
03:31
Nous commençons à en avoir et d'ailleurs dans certains produits que nous avons qui ne sont pas nécessairement les plaques de plate,
03:35
mais dans d'autres produits parce qu'on a toute une gamme de produits au niveau des textes,
03:38
nous avons maintenant nous-mêmes la tentation de produire hors Europe et d'importer en Europe
03:43
parce que nous avons des usines dans 160 sites dans 46 pays.
03:47
Donc la question se pose de savoir est-ce qu'on continue à produire en Belgique, en France, en Allemagne
03:51
ou est-ce qu'on produit en Asie ou au USA et qu'on apporte ?
03:55
– Là, il y a un phénomène de surproduction dans ces marchés, par exemple en Chine,
04:00
et alors on exporte aussi ces produits à des prix qui sont…
04:05
– Exactement, donc vous avez toute une série d'éléments qui viennent compliquer la donne.
04:10
La crise économique en Chine qui est probablement plus importante que ce que les chiffres officiels chinois annoncent,
04:15
ils annoncent une croissance qui est de l'ordre de, je pense, 3 à 5 %,
04:19
ils viennent d'une croissance qui était plus proche de 10 % pendant de nombreuses années.
04:23
Quand vous allez en Chine, ce qu'on vous dit, les Chinois vous disent,
04:25
c'est qu'en fait la croissance elle est négative.
04:27
Donc il y a des surcapacités gigantesques qui ont été installées en Chine dans plein d'industries
04:32
et ces surcapacités sont disponibles.
04:34
– Et donc ils vont payer en Europe ?
04:36
– Ces produits vont être dumpés quelque part, hors Chine.
04:39
Ils ne vont pas être dumpés aux États-Unis
04:41
puisque les États-Unis ont mis des tarifs extrêmement rapidement et très importants en place.
04:46
ils sont un peu contournés au travers du Vietnam, de la Malaisie, etc.
04:50
Mais pour la plupart, ces produits n'arrivent plus aux États-Unis grâce aux tarifs.
04:55
Et donc ils vont aller ailleurs et ils vont venir chez nous.
04:56
– Donc c'est chez nous.
04:57
Mais justement, vous parlez de la Chine, il y a aussi les États-Unis.
05:00
On voit que même les États-Unis, alors que Donald Trump est un climato-sceptique
05:04
qui ne s'en cache pas du tout,
05:06
même les États-Unis continuent l'Inflation Reduction Act.
05:09
Donc en gros, des investissements dans le renouvelable, dans le vert.
05:12
Ça veut dire que même là, l'Europe se fait dépasser par les États-Unis,
05:15
juste pour une question de stratégie ?
05:17
Quelle est la différence entre l'Europe et les États-Unis ?
05:19
Pourquoi on ne peut pas faire pareil ?
05:21
– D'abord, je pense qu'il faut revenir sur quelque chose qui est fondamental
05:24
dans le raisonnement que j'essaye de partager et pour lequel j'essaie de convaincre.
05:30
Ce n'est pas une question de ne pas avoir d'ambition environnementale.
05:33
Moi, je suis personnellement convaincu qu'on a un problème avec le climat,
05:36
avec le réchauffement climatique,
05:38
et qu'on doit prendre un certain nombre de mesures.
05:39
Mon entreprise va bénéficier de toute cette transition environnementale
05:44
parce que nous avons des produits qui sont excellents pour la construction,
05:49
qui vont permettre d'avoir une efficacité énergétique impeccable,
05:52
avec beaucoup moins de CO2 que la construction classique,
05:55
comme le ciment, les briques, etc.
05:56
Et nous allons participer à la rénovation du bâti
05:58
au fur et à mesure que ça va avoir lieu, ou aux nouvelles constructions.
06:01
Donc pour nous, c'est formidable la transition énergétique.
06:04
Et donc je ne vais certainement jamais m'exprimer contre,
06:06
d'autant plus que j'en suis convaincu, je ne suis pas du tout climatoseceptique.
06:08
Ce que je dis, par contre, c'est que la façon dont l'Europe a abordé ce problème depuis 5 à 10 ans
06:13
est totalement contre-productive.
06:15
Pourquoi ? Parce qu'en fait, on a additionné des couches de coûts
06:19
pour rendre encore moins compétitive la production d'Europe.
06:22
Qu'est-ce que les entreprises comme la mienne sont tentées de faire ?
06:25
Moi, j'ai encore des actionnaires belges qui sont ancrés en Belgique
06:27
et qui ont envie que ça continue.
06:29
Mais la tentation est quand même très grande, même dans notre industrie,
06:32
de produire hors Europe et d'importer les produits.
06:35
Et si vous allez au Maghreb, au Moyen-Orient, en Indonésie,
06:38
même aux Etats-Unis, avec un dollar qui est 15% plus faible,
06:42
et vous importez en Europe, vous n'avez aucune contrainte.
06:44
Et si vous ne le faites pas et que vos concurrents le font, vous êtes mort.
06:47
Donc cette dynamique-là, en fait, il y a tout un problème de compétitivité
06:51
plus globale que la régulation.
06:53
Mais au moins, sur la régulation, il faudrait arrêter de rajouter des couches de coûts,
06:57
pas seulement de complexité, mais de coûts,
06:59
qui font en sorte qu'à un moment donné, on est complètement hors marché.
07:03
Et je pense qu'il faut même à un moment donné dire, le monde a changé.
07:06
Un certain nombre de choses qu'on a décidées ne fonctionnent plus
07:08
parce que c'est le même CO2 qui est produit pour la même planète.
07:11
Mais il l'est juste produit en dehors.
07:13
Alors ça, les autorités européennes vont répondre.
07:14
Et c'est d'ailleurs beaucoup la discussion à BLM, à la COP30,
07:17
qu'il y a le mécanisme de Cébam.
07:19
Alors pour simplifier, c'est une sorte de barrière qu'on voudrait mettre
07:21
autour de l'Union européenne.
07:24
Et si on importe des produits qui n'ont pas été produits de manière décarbonée,
07:28
on va devoir payer une taxe.
07:29
Et donc ça fait une sorte de protectionnisme
07:31
pour préserver notre compétitivité d'entreprise en Europe
07:34
pour éviter d'importer tous ces produits.
07:36
Certains estiment que le Cébam ne sera pas suffisant.
07:38
J'en parlais même à François Gemmène,
07:39
le politologue qui était à la COP,
07:42
que c'était un gros sujet de discussion
07:43
parce que c'est un peu une vénagasse.
07:45
Je vais peut-être vous étonner,
07:46
mais je pense que le Cébam est un autre nom pour les tarifs.
07:53
Mais c'est un système qu'on a essayé de rendre un peu plus intelligent
07:57
et lié en fait au carbone qu'on produit.
08:01
Et pénaliser donc ceux qui produisent plus de carbone.
08:04
Mais avec une bonne intention de nouveau,
08:06
parce que c'est une bonne ambition et une bonne intention,
08:07
on arrive à quelque chose qui, à mon sens, est ingérable.
08:10
Je ne suis pas le seul à le dire.
08:11
Si vous lisez le rapport Draghi, il dit en termes très politiques et très sympathiques
08:15
que c'est impossible à gérer.
08:17
Ça va prendre des années pour être mis en place pour toutes les industries,
08:21
pour tous les pays, pour toutes les usines,
08:23
pour tous les produits semi-finis, produits finis, matières premières.
08:27
C'est ingérable.
08:28
Et je peux vous expliquer déjà à l'avance combien d'années ça va prendre,
08:32
donc bien trop tard, ça va arriver bien trop tard.
08:34
Et le jour où ça sera en place, on trouvera des moyens de le contourner.
08:36
Donc tant qu'à faire, si c'est ça la solution, il vaudrait mieux faire,
08:40
c'est triste à dire, ce que Trump est en train de faire aux Etats-Unis,
08:43
et mettre des tarifs en place très vite.
08:45
D'ailleurs, il n'est pas le seul.
08:46
Nous vendons des matériaux de construction que nous produisons en Australie.
08:49
L'Australie vient d'imposer du jour au lendemain 30% de tarifs
08:52
sur les matériaux de construction chinois.
08:54
Je crois que c'est à ça qu'il faut réfléchir.
08:55
Maintenant, si vous faites ça,
08:57
et je ne veux pas compliquer la discussion au plus que nécessaire,
08:59
mais vous vous protégez des imports chinois,
09:01
mais vous avez aussi une inflation qui est générée,
09:04
comme aux Etats-Unis, vous allez avoir une inflation qui est générée,
09:06
tout va coûter plus cher.
09:08
Et quand vous voudrez exporter, vous serez moins compétitif.
09:10
Donc vous ne résolvez pas tout avec le système.
09:12
J'ai une toute dernière question en une phrase.
09:14
Souvent, c'est le problème du manque de moyens en Europe
09:17
pour financer toute la transition.
09:18
Qu'est-ce que vous y répondez ?
09:19
Il y a moyen de trouver une autre solution que de l'argent public
09:21
pour atteindre nos objectifs ?
09:23
Non, je pense qu'il faut accepter l'idée que la transition va de pair
09:27
avec un développement économique et une croissance économique.
09:29
C'est le challenge entre la fin du monde et la fin du mois.
09:33
Et je pense que les élections partout montrent que la fin du mois compte aussi.
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