Deux écrivains, Florian Zeller et Éric Neuhoff, ont été élus la semaine dernière à l'Académie française dans les fauteuils d'Hélène Carrère d'Encausse et de Gabriel de Broglie, a annoncé l'Académie.
00:02Il est 7h49 et Benjamin Duhamel, votre invité, vient d'être élu à l'Académie Française.
00:08Bonjour Eric Nehoff.
00:09Bonjour Benjamin Duhamel.
00:10Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter.
00:13Écrivain, critique cinéma du Figaro, voix bien connue des auditeurs qui vous écoutez dans Le Masque et la Plume.
00:18Vous savez donc depuis jeudi dernier, ce n'est pas donné à tout le monde que vous allez devenir immortel.
00:22Donc félicitations d'abord.
00:25J'aimerais mieux être increvable.
00:26Ah oui, c'est vrai que c'est pas mal, mais peut-être les deux.
00:28On peut lire dans un portrait qui vous est consacré que vouloir rentrer à l'Académie, ça ressemblerait pour vous à une black potache, à un pari de fin de soirée alcoolisée.
00:37J'en déduis que vous avez été pour le moins surpris en apprenant la nouvelle, non ?
00:41Fier et surpris, oui.
00:42Moi, la première pensée qui m'est venue à l'esprit, c'est recontez vos votes.
00:46Parce que je me suis dit, il y a un truc qui ne va pas.
00:48Comme la dernière fois, je m'étais présenté au fauteuil de Jean-Loup Dabadi, j'avais perdu à une voix.
00:52Là, j'ai gagné entre guillemets à une voix.
00:54Mais c'est vrai, c'est assez émouvant parce qu'on se dit qu'on représente un petit morceau de France là-bas.
01:01Barbé de Réville, l'écrivain, disait de l'Académie française que c'était un bocal de vieux cornichons.
01:07Autre saillie de Flaubert cette fois, qui s'interrogeait sur l'ambition des académiciens en puissance.
01:11Quand on est quelqu'un, pourquoi vouloir être quelque chose ?
01:14Moi, j'aime beaucoup les cornichons.
01:15Vous allez devenir un vieux cornichon qui veut devenir quelque chose, comme le disait Flaubert ?
01:21Oui, mais moi, je suis plutôt quelque chose que rien.
01:24Oui, c'est mieux.
01:25Et puis, c'est un club et je pense que c'est un endroit assez gai, mine de rien.
01:29J'ai surtout songé à Jean Dormesson, qui était quand même une personnalité radieuse et qui incarnait l'esprit français.
01:36C'est l'adjectif français qui va tellement bien avec esprit.
01:40Et pour moi, c'est ça, l'Académie, un club, une institution, un truc démodé, donc classique.
01:46Et il faut des institutions pour qu'elles soient contestées.
01:49Un truc démodé pour celui, vous-même, que l'on qualifie souvent d'écrivain de la nostalgie.
01:55Vous décrivez dans vos livres le Paris des années 70, les cabines téléphoniques, les vieux cafés.
02:00Vous disiez d'ailleurs dans votre dernier livre, je suis un éternel locataire de la nostalgie.
02:04C'est une bonne définition de l'académicien, ça ou pas ?
02:07Non, parce que l'académie est très dans le présent par rapport à moi.
02:11Je serais vraiment celui à l'imparfait.
02:14Et puis travailler au dictionnaire, j'ai l'impression que c'est une chose très rigolote et intéressante.
02:21Parce que la langue française, pour moi, c'est à la fois une cour de récréation, où on doit s'amuser,
02:26et un terrain de sport, parce qu'il faut qu'il y ait des règles.
02:28Sinon, un match de football, si c'est n'importe quoi, ce n'est pas passionnant à regarder.
02:34Justement sur la langue française, vous allez donc travailler au fameux dictionnaire de l'académie.
02:40Votre entrée à l'académie n'a pas plu à tout le monde.
02:43Vous avez eu le droit à une tribune d'une linguiste atterrée, je la cite dans les colonnes de Libération.
02:47Le titre est sans équivoque.
02:48Éric Neuf, un écrivain boulanger dans le pétrin de l'académie française.
02:52Si je résume le propos, vous n'êtes pas linguiste, pas assez au fait des évolutions de la langue française.
02:57Vous pouvez la rassurer, ou est-ce que vous allez être un peu réac dans les réunions pour travailler à la nouvelle version du dictionnaire de l'académie française ?
03:06Il y aura des choses contre lesquelles je serai.
03:09L'écriture inclusive, par exemple, parce que moi, ce qui m'intéresse le plus, c'est les romans.
03:13Et l'écriture inclusive dans un roman, c'est quelque chose qui est vraiment inenvisageable.
03:17Ça ficherait tout en l'heure.
03:18Parce que moi, je suis pour la beauté de la langue et l'écriture inclusive.
03:22D'abord, ça l'accomplique et ensuite, ça l'enlédit.
03:25Quant à cette dame, on m'a envoyé son article.
03:27Vous aviez débattu d'ailleurs ici.
03:28Oui, oui, oui.
03:29Elle est plutôt sympathique, mais je n'ai pas pu finir l'article parce qu'il était trop mal écrit.
03:34Pourtant, le sujet m'intéressait.
03:37En gros, si je comprends bien, c'est qu'elle aurait voulu être élue à ma place.
03:41Mais je crois qu'on n'a pas besoin de petites instits bornés à l'académie française.
03:45Au-delà du débat et de cette contestation, il y a cette idée de savoir si la langue française doit évoluer,
03:52doit se créoliser, si on reprend l'expression de Jean-Luc Mélenchon,
03:55ou si au contraire, ça doit être une sorte de forteresse.
03:59Quelle idée est-ce que vous porterez comme académicien ?
04:02Je pense que ça doit être les deux.
04:04Il doit y avoir des normes qu'on respecte et puis des accros.
04:07Mais alors, il faut bien les choisir parce qu'il y a un tas d'expressions qui auraient été à la mode à une époque.
04:13Par exemple, le verlan, c'est complètement dépassé.
04:16Parce que vous étiez un expert du verlan, vous-même, Eric Nehoff ?
04:19J'écoutais un peu Renaud et puis on entendait ça.
04:23Et je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, ce serait judicieux de mettre sa passe-crème pour revenir au sujet de tout à l'heure
04:29et qu'on le garderait dans dix ans.
04:32Donc, il faut attendre.
04:33C'est un truc qui a l'éternité devant soi.
04:34Ceux qui ont lu et aimé vos livres, Eric Nehoff, ils aiment votre style direct, votre ton caustique.
04:40Ce côté anard de droite que vous avez dans la filiation de ce qu'on appelle les Hussars, Roger Nimier, Michel Déon.
04:47Ce n'est quand même pas exactement l'image qu'on se fait de l'Académie française.
04:50Est-ce que vous n'êtes pas trop anticonformiste pour l'Académie française ?
04:54Vous allez vous ennuyer, non ?
04:56Je ne pense pas, non.
04:57L'anticonformisme, j'ai l'impression que c'est des choses comme l'Académie française, au contraire d'aujourd'hui.
05:01Oui, parce que c'est tellement décrié, ce n'est pas dans le vent.
05:05Et c'est fait pour ça.
05:07Et puis, on a une épée, donc ça, c'est pas mal non plus.
05:10Le côté panache, il ne faut pas se prendre les pieds dedans.
05:13Il va falloir que je trouve quelque chose à faire graver dessus, il paraît.
05:16Vous avez déjà votre habit et votre épée ?
05:18Non, pas encore, non.
05:20Ça se prépare, ça coûte très cher.
05:23D'ailleurs, il y a quelqu'un à qui on demandait de se présenter, qui avait répondu
05:26« J'attends qu'il en meura un à ma taille. »
05:29Bon, ça donne quelques idées, mais effectivement, on attendra un peu.
05:32Vous êtes aussi connu, Eric Nehoff, comme un critique extrêmement sévère du cinéma.
05:37Les auditeurs du Masque et la Plume s'en souviennent.
05:39Petit fleur ilège sur les frères Dardenne.
05:41Ils sont une plaie vivante.
05:42Même les gens pauvres qui ont des problèmes ne font pas la gueule tout le temps.
05:45Sur la Palme d'Or, Anatomie d'une chute, c'est l'histoire de deux écrivains
05:48et deux personnages antipathiques dont on se fiche un peu de savoir pourquoi
05:51l'un aurait tué l'autre ou pas.
05:53Est-ce que vous allez garder la même liberté ton tout en étant à l'Académie française ?
05:57Oui, peut-être pas sur mes confrères, mais sur le reste, oui.
06:01Parce qu'il y a quand même une loi de courtoisie qui règne la base.
06:06On peut être aussi sévère avec une partie du cinéma français
06:09et rentrer à l'Académie française qui est quand même une partie du patrimoine culturel ?
06:13Oui, mais moi je serais d'accord pour faire rentrer des gens comme Xavier Giannoli à l'Académie française.
06:18Enfin, je n'ai pas mon mot à dire encore, mais pourquoi pas, oui.
06:21Non, puis moi j'ai des excuses parce que je vois tous les films français,
06:24donc vous ne savez pas ce que c'est.
06:26Pourquoi c'est toujours autant un calvaire de regarder tous les films français ?
06:30Oui, mais souvent j'ai l'impression d'être Malcolm McDowell dans Orange Mécanique
06:33avec des écarteurs de paupières pour ne pas m'endormir trois fois par semaine.
06:38Vous citiez Xavier Giannoli que vous voyez comme potentiel académicien.
06:41Avec qui vous rêveriez de siéger Ket Conti ?
06:45Moi je rêvais de siéger avec Jean Dormesson, avec Michel Déon, avec Jean-Loup Dabadi,
06:49qui ne sont plus là.
06:49Et c'est par fidélité à ces gens-là que je me suis présenté.
06:54J'aimerais des gens comme Patrick Besson par exemple,
06:58mon ami Olivier Frébourg qui est écrivain et éditeur,
07:01des gens comme ça, ou la romancière Laurence Cossé.
07:05Ah, une femme quand même, parce que là c'était quand même pas mal d'hommes.
07:07Oui, mais ça ne me gêne pas, moi je n'ai pas de quota.
07:10Je pense au talent et à la méritocratie.
07:14Qu'est-ce qui reste une fois qu'on est rentré à l'Académie française,
07:17qu'on a écrit comme vous 33 livres,
07:18qu'on ait connu des Français comme un critique cinéma redoutable ?
07:21Qu'est-ce qui reste ensuite ? C'est quoi l'étape d'après ?
07:24Ah, le Nobel !
07:25Ah oui ?
07:25Ah oui !
07:26Mais je crois que vous disiez là-dessus qu'il fallait parler suédois,
07:28qu'il fallait que vous appreniez à parler suédois, c'est ça ?
07:30Non, non, j'ai appris que non, c'est eux qui doivent parler français pour lire les livres.
07:34Deux dernières questions, Eric Neuf, pour terminer cette interview,
07:37c'est quoi votre tic de langage, le tic de langage que vous supportez le moins ?
07:41C'est le mot « voilà », qu'on entend tout le temps dans les phrases
07:44et qui ne veut rien dire.
07:45J'espère que je ne l'ai pas dit.
07:47J'espère aussi que je ne l'ai pas dit non plus.
07:49Oui, ça a remplacé « en fait », qui est la vie dure.
07:53Je ne supporte pas les gens qui disent « voilà ».
07:55Bon, pas de « voilà », et votre mot préféré de la langue française ?
07:58Santé, parce que c'est le mot qu'on prononce en trinquant avec ses amis,
08:02et puis la santé, c'est quelque chose qu'il vaut mieux avoir de son côté.
08:06Et je pense que ce n'est pas le mot préféré de Nicolas Sarkozy en ce moment non plus.
08:09C'est sûr, je pense que lui espère effectivement ne pas la retrouver.
08:12Merci beaucoup Eric Neuf, immortel et donc increvable, c'est ce qu'on vous souhaite.
08:16Merci beaucoup d'être venu ce matin sur France Inter.
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