Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 12 novembre 2025, la comédienne, écrivaine et réalisatrice Isabelle Carré. Son premier film, "Les Rêveurs" sort aujourd'hui au cinéma.
00:00Bonjour Isabelle Carré, quand on évoque votre nom, on pense instantanément à votre rôle de claire,
00:04cette jeune femme qui souffre d'un trouble de la mémoire, un rôle remarqué et couronné du César de la meilleure actrice
00:09dans le film « Se souvenir des belles choses » de Zabou Bretman.
00:12Et on vous associe aussi d'abord au théâtre avec également dans ce domaine une reconnaissance de la part et du public et du métier.
00:18Vous avez même reçu deux mots liés de la comédienne pour Mademoiselle Els et « L'hiver sous la table ».
00:23Mais ce n'est pas tout, depuis 2018, vous êtes devenue une écrivaine.
00:26Je sais que c'est un mot qui est compliqué pour vous, qui compte avec trois romans.
00:32Le dernier « Le jeu d'ici » est sorti il y a trois ans, juste après « Du côté des Indiens » en 2020 et « Les rêveurs » en 2018.
00:39Aujourd'hui sort votre tout premier film en tant que réalisatrice, « Les rêveurs » et donc son titre est pour cause.
00:45Il est l'adaptation de cet ouvrage très autobiographique.
00:48Vous qui avez toujours eu du mal, finalement Isabelle, à vous faire confiance, vous franchissez donc le pas.
00:54Le film démarre sur une fête organisée à l'improviste.
00:57C'est festif, c'est joyeux, c'est organisé par deux êtres qui sont au cœur de cette improvisation.
01:02Sauf qu'eux, ce sont des enfants.
01:04Ils ne sont pas en âge de garder une maison parce que leurs parents sont sortis pour faire eux-mêmes la fête.
01:10Dans « Les rêveurs », vous incarnez Elisabeth, comédienne qui vient dispenser des cours à des enfants qui sont en soins psychiatriques.
01:17Elle décide de les aider à écrire une chanson.
01:19Elle avoue assez vite qu'elle a été internée quand elle avait leur âge.
01:22C'est là qu'on comprend à quel point ce film est une énorme partie de vous, tout comme le livre, car il s'agit de votre propre histoire.
01:29Vous avez effectivement été internée à l'hôpital Necker, enfant malade, après une tentative de suicide alors que vous n'aviez que 14 ans.
01:35Est-ce la dégradation justement de la santé mentale chez les jeunes qui vous a poussé à prendre la parole à travers ce film ?
01:42Oui, c'est exactement ça. Je n'avais pas du tout, du tout en tête de réaliser un film, même pas un rêve lointain.
01:50Mais quand j'ai vu en 2020, comme nous tous, les chiffres qui concernaient cette dégradation de la santé mentale qui est phénoménale,
01:58il y a un chiffre que je cite à la fin du film, 243%, c'est le pourcentage des augmentations des hospitalisations des jeunes filles de 10 à 14 ans, c'est 10 dernières années.
02:11Donc 246.
02:13246, oui. Pour tentative de suicide, c'est 10 dernières années.
02:19Et ça a encore augmenté cette année de 22% supplémentaires.
02:22Donc quand j'ai vu ces chiffres-là, et ça n'a pas décru, comme je viens de le dire depuis la fin du confinement,
02:31ça a même augmenté, je me suis dit que ça pourrait être pertinent de mettre en perspective mon expérience
02:36avec ce que vivent les jeunes aujourd'hui, avec ce que vivent trop de jeunes aujourd'hui.
02:40Et je ne savais pas à ce moment-là, mais on me l'a confirmé, le professeur Franck Bélivier, le professeur Marie-Rose Moreau,
02:48m'ont tout de suite dit que c'est un film de paire et danse.
02:50C'est-à-dire, la paire et danse, c'est exactement la scène qu'on voit pendant la bande-annonce.
02:57Je viens, et je l'ai vraiment fait, pas à Necker, mais à la Maison de Solène,
03:01donner un atelier d'écriture pour des jeunes.
03:03Et tous les visages sont fermés, tout est compliqué, je n'arrive pas vraiment à rentrer en contact avec eux.
03:10Et à partir du moment où j'ai dit, mais vous savez, moi aussi j'ai été internée ici quand j'avais votre âge,
03:14là les points sont déliés, puis on a travaillé très simplement et d'une façon fantastique pendant toutes les vacances.
03:22Les vôtres d'enfance et d'adolescence ont été marqués par la solitude, c'est ce qu'on découvre aussi dans ce film,
03:27c'est-à-dire qu'à la fois vous aviez des parents...
03:29Oui, mais là encore, j'ai envie de dire, là encore, c'est très partagé par cette jeunesse.
03:33On pensait que Tchad GPT serait le premier outil pour rédiger les devoirs.
03:37On découvre que Tchad GPT, la première utilisation, c'est des conseils de vie et des conseils de psy.
03:44Évidemment, pas de bons conseils, parce que Tchad GPT n'est pas formé pour être psy.
03:50Et puis les enfants ont besoin d'un être humain face à eux.
03:53La difficulté à s'endormir et à dormir est également très présente.
03:56Je voudrais qu'on en parle parce que c'est important, ça.
03:57C'est à ce moment-là qu'on arrive à se régénérer.
04:00Et le film s'appelle Les Rêveurs, c'est normalement à ce moment-là qu'on arrive à rêver.
04:04On est d'accord, Isabelle.
04:05Or, les rêves ne se déclenchent que pendant la nuit, quand on réussit à s'endormir.
04:12Elisabeth, elle parle de son angoisse de dormir dans la peur.
04:15C'est horrible.
04:16Vous qui avez vécu ça, comment on transforme les cauchemars en rêve, alors ?
04:20En rêvant, les yeux ouverts, justement.
04:23Ça existe, ça ? Comment on veut ?
04:25Moi, je me débrouille vachement bien avec ça.
04:29Non, je pense que les rêves peuvent faire peur parce qu'on peut se dire
04:33mais je vais me casser la gueule avec ce rêve-là.
04:35Comment se projeter ?
04:36C'est bien toute la problématique, encore une fois, je reviens à eux
04:38puisque c'est eux qui m'intéressent, de la jeunesse actuelle.
04:41Comment se projeter vers l'avenir ?
04:43Comment se trouver des rêves ?
04:44Comment se trouver un sens ?
04:49C'est parfois le vide, quoi.
04:51Et pour combler ce vide, il ne faut pas hésiter à s'engager.
04:55Il ne faut pas hésiter à rêver, il ne faut pas hésiter à y croire
04:58et à se dire que...
04:59Alors, peut-être que dans tout, le blow, ça a été mon cas,
05:02le blow, j'en faisais beaucoup, des rêves.
05:04Il y en a pas mal qui sont partis à la poubelle
05:05mais on finit quand même par en réussir quelques-uns
05:08si on est un bon rêveur.
05:10La musique est un personnage du film.
05:12On va parler de Laissez-moi danser.
05:15Elle a plusieurs variantes, plusieurs interprétations aussi.
05:20C'est la fameuse chanson incarnée par Dalida.
05:24Et reprise par Pomme.
05:25Voilà, reprise par Wax et Pomme.
05:28Cette chanson déclinée, elle montre le besoin de liberté aussi.
05:32Laissez-moi danser, ça veut tout dire.
05:34Oui.
05:35Mais en même temps, il faut quand même être accompagné à la base.
05:38C'est ça qui est compliqué quand on est parent.
05:39Moi, je suis mère de trois adolescents et c'est ça.
05:42Où mettre le curseur ?
05:43Ils veulent de la liberté mais en même temps, ils veulent qu'on soit là.
05:46En fait, l'idéal pour eux, c'est la porte entre-ouverte et la présence derrière.
05:52Mais il ne faut pas rentrer dans la chambre.
05:54Mais cette présence, elle est hyper importante.
05:58Et Laissez-moi danser, c'est aussi cette litanie des jours
06:02qui commence la chanson Monday, Tuesday et tout ça.
06:07Et j'ai retrouvé les cahiers de ce moment-là.
06:13Le vrai cahier de l'hôpital et juste avant.
06:16Et j'ai vraiment écrit ça lundi, mardi, mercredi.
06:20Et ça va continuer comme ça encore longtemps.
06:22Et le dimanche, il y aura le poulet du dimanche.
06:25Et puis ça sera toujours la même chose.
06:27Ce sentiment que les choses se répètent mais n'ont pas de sens.
06:31Et même...
06:32De projection.
06:33Oui.
06:34Qu'il n'y a pas de...
06:35C'est même comme si c'était un peu dématérialisé.
06:38Qu'il n'y a pas de but.
06:40Il n'y a pas d'accomplissement.
06:42Il n'y a pas de...
06:43C'est vide.
06:45Tout est vide.
06:45Comment rompre ça ?
06:48Moi, la solution, j'en suis sûre, elle est...
06:51Là, je m'adresse aux jeunes.
06:52Peu importe.
06:54Ne t'inquiète pas, ça passe.
06:55Et peu importe ce que tu trouves.
06:57La danse, la musique, le piano, le chant, l'écriture, le sport.
07:03Peu importe quelque chose.
07:05Ou mettre...
07:06Ou se purger.
07:07Pardon, le mot n'est pas très beau.
07:08Mais ou se purger.
07:09Ou se réaliser, même si on n'en fait pas un métier.
07:13C'est beaucoup plus qu'une activité le mercredi et le samedi.
07:17L'art, ça soigne, ça guérit vraiment.
07:20Vous, vous avez effectivement craqué sur ce film.
07:21Qui a été très important pour vous pendant ce séjour.
07:26Ça a été le déclic, la clé.
07:28Ça vous a montré le chemin.
07:29Justement, on part d'art.
07:30L'art n'a pas d'étiquette.
07:31C'est ça qu'on cherche ici.
07:33C'est bien de déborder.
07:35Ne pas s'excuser.
07:35Lui dit la prof incarnée par Nicole Garcia.
07:37Donc, quand vous avez quitté l'hôpital psychiatrique, vous avez effectivement poussé tout de suite la porte d'un théâtre.
07:44Elle dit, laissez apparaître la partie la plus intime de nous.
07:48Et d'ajouter, tes émotions et tes blessures ne vont jamais t'abandonner.
07:52Mais le fait de puiser en elle va faire de toi une actrice.
07:54C'est ce qui s'est passé.
07:56Complètement.
07:58Complètement.
07:58Et ce qui me touche beaucoup dans cette phrase, c'est que c'est la seule phrase qu'un comédien m'a demandé de rajouter.
08:03Nicole Garcia, quand je suis allée chez elle pour lui proposer le scénario, elle a tout de suite dit oui, mais à une condition.
08:09Je veux dire cette phrase.
08:11Elle a cherché dans ses notes et elle a trouvé cette phrase.
08:14Évidemment, moi, j'ai fondu en larmes.
08:17Et j'ai dit, mais c'est exactement ça.
08:18Et en fait, heureusement qu'elle y ait cette phrase parce qu'elle résume tout le film.
08:21Et j'ai envie de dire plus globalement, tes blessures ne vont pas t'abandonner, mais c'est ça qui va faire de toi une bonne journaliste,
08:28un bon médecin, un bon prof de théâtre, que sais-je.
08:35C'est ça qui va faire de toi un bel être humain, en fait.
08:38Parce que, oui, les blessures, les épreuves qu'on a, surtout jeunes, comme vous le dites si bien, elles sont là à vie.
08:48On ne peut pas imaginer que passer une gomme et que ça s'efface.
08:56Mais c'est ça qui va nous donner de l'empathie.
08:59C'est ça qui va faire qu'on va comprendre les autres, qu'on va pouvoir les aider.
09:03Et en les aidant, nous faire du bien à nous-mêmes, enfin, c'est un cercle vertueux, en fait.
09:07Donc, oui, aujourd'hui, je me dis que c'était absolument nécessaire de passer par là.
09:12Et ce n'était pas si grave, alors que sur le coup, je pensais que je ne me remettrais pas.
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