Lionel Duroy : L'Heure des Livres (Émission du 10/11/2025)

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Anne Fulda reçoit Lionel Duroy pour son livre «Un mal irréparable» dans #HDLivres

Transcript

00:00Bienvenue à l'heure des livres, Lionel Duroy. On est ravis de vous recevoir.

00:04On vous connaît, vous avez écrit déjà de nombreux romans,

00:06une quinzaine de romans, notamment Le Chagrin, dont on avait beaucoup parlé.

00:10Votre dernier s'appelle Un mal irréparable.

00:13C'est un roman qui est paru chez Emile Barreau.

00:15C'est un livre qui est profond, sensible, qui est très documenté,

00:18qui fait des révélations historiques, qui est assez bouleversant en fait,

00:24et qui explore un terrain que vous labourez souvent, celui des secrets familiaux.

00:32Celui aussi du carambolage entre la grande histoire et la petite histoire,

00:36et notamment des ravages qu'ont pu entraîner des régimes dictatoriaux,

00:40comme ceux de la Roumanie, et d'autres aujourd'hui, sur des destins individuels en fait.

00:48Alors là, dans ce livre, ce n'est pas votre histoire,

00:50parce que vous êtes arrivé dans certains nouveaux romans de raconter votre histoire.

00:53Personnel, là, c'est l'histoire d'un...

00:57C'est quand même un écrivain, le narrateur, qui est un écrivain français,

01:01qui a à peu près 70 ans, qui remporte du succès.

01:04C'est le romancier le plus américain des Français, des écrivains français.

01:11Et comme souvent, arrivé à cet âge-là, il se tourne vers son passé,

01:15vers celui de ses parents, parce qu'il se rend compte qu'en fait,

01:18il ne leur a pas posé de questions, comme c'est souvent le cas.

01:21Ils sont morts depuis longtemps.

01:22Donc, il entame un voyage vers le pays qui était celui de ses parents.

01:28C'est-à-dire...

01:29C'est le roman.

01:30C'est le roman.

01:30C'est ça qui m'intéressait.

01:33En fait, j'ai été bouleversé en travaillant en Roumanie

01:35par une nouvelle séquence d'inhumanité.

01:39Je travaille beaucoup sur l'inhumanité depuis l'hiver des hommes,

01:42en fait, depuis ma couverture de la guerre en Yougoslavie,

01:44où j'ai été sidéré de voir à quelle allure on peut devenir un monstre absolu,

01:49alors qu'on allait très bien la veille.

01:51Et donc, après avoir travaillé sur le pogrom de Yash pour écrire Eugénia,

01:58je me suis passionné sur la façon dont les communistes avaient pris ce pays en main.

02:03Et j'ai découvert cette horreur absolue,

02:06qui a consisté en fait à déporter en une seule nuit 44 000 personnes,

02:11dont le seul tort était d'habiter le long de la frontière avec la Yougoslavie de Tito.

02:16Le Tito, donc réputé plus libéral.

02:19Plus libéral. La Roumanie, à partir de 49, est stalinienne.

02:23Et donc, on déporte par avance des gens dont on soupçonne

02:27qu'ils pourraient prendre langue avec les communistes du maréchal Tito.

02:33Cette déportation est épouvantable et en fait met en valeur

02:36notre capacité à une inhumanité absolue.

02:39Ça, c'est une première chose déjà qui, chaque fois, me sidère

02:43et que je traite systématiquement maintenant,

02:45parce que je travaille en Ukraine, en Moldavie, en Roumanie.

02:49Et puis, l'autre chose qui m'a vraiment bouleversé,

02:52parce que j'ai travaillé avec les rescapés de cette déportation

02:55qui a lieu à la Pentecôte 51,

02:57c'est qu'à la troisième génération,

03:00on continue à pleurer des morts,

03:02qui sont morts de faim pendant cette déportation.

03:05Et comme les communistes ont eu honte que ça se sache,

03:08c'était Cheochescu venait d'arriver au pouvoir,

03:10il a fait y compris labourer les cimetières.

03:13C'est-à-dire qu'il y a des milliers de morts sur cette déportation.

03:17Les survivants, on est à la deuxième ou troisième génération,

03:21ont perdu les leurs et il n'y a plus de traces de ces personnes.

03:25Et je pense que c'est ce qu'il y a de plus épouvantable dans l'histoire,

03:28que les noms des gens qui sont morts ne soient même pas gravés quelque part.

03:33Voilà. Ça, pour moi, c'était vraiment l'inhumanité absolue.

03:37Le personnage principal du roman me passionne,

03:42parce qu'il recoupe une problématique que j'ai trouvée dans toutes les familles juives.

03:47C'est, est-ce que pour permettre aux petits-enfants d'aujourd'hui de vivre,

03:52on va leur cacher que leurs grands-parents et arrière-grands-parents sont morts à Auschwitz,

03:58cachent de façon à ce qu'ils se tournent vers l'ouest, vers la vie,

04:03et de façon à ce qu'ils essaient de ne pas porter le deuil toute leur vie durant.

04:09Et donc, cette thématique est présente dans ce roman-là,

04:12parce que les parents qui ont pu fuir la Roumanie après la déportation

04:17cachent à cet enfant qui n'a que six ans,

04:20d'une part que sa petite-sœur est morte de faim,

04:23d'autre part qu'ils ont failli tous mourir.

04:26Ils le cachent.

04:27Et comme vous le disiez en ouverture,

04:31ce garçon va devenir écrivain,

04:33il va écrire essentiellement des romans américains,

04:36et puis à un moment,

04:37il se dit qu'il est peut-être passé à côté de sa vie,

04:40et le roman c'est ça.

04:42C'est la question de savoir,

04:45est-ce qu'on peut vivre sans son enfance,

04:48ou est-ce qu'il vaut mieux être l'adulte de son enfance ?

04:52Oui, parce que ses parents,

04:54ont d'une certaine façon falsifié ou occulté

04:57toute une partie de son enfance,

04:58mais vous, vous pensez que s'il lui avait raconté

05:04ce qu'il a vécu,

05:05lorsqu'il était entre deux et six ans,

05:08il aurait été un autre homme,

05:10et probablement un homme,

05:13parce qu'on voit qu'il connaît le succès,

05:15mais il n'est pas pour autant bien dans sa vie,

05:18dans ses histoires amoureuses.

05:20Il aurait été peut-être plus à l'aise dans la vie,

05:24vous pensez ?

05:24Il n'aurait pas eu la même vie du tout.

05:25En tout cas, il aurait eu une autre vie.

05:27Mais totalement différente.

05:29Et moi, je suis très en colère

05:30contre ce genre de comportement.

05:33J'ai écrit Le Chagrin,

05:34donc vous connaissez un peu mon enfance.

05:37Je suis l'adulte de cette enfance.

05:40Et donc, d'une certaine façon,

05:42je suis bien sur mes deux jambes

05:44et dans mes chaussures dans la vie.

05:46Et je pense que cet homme, en fait,

05:47en lui cachant son enfance,

05:49on en a fait un autre homme,

05:51mais que sa véritable vie,

05:52il l'a complètement raté.

05:54Il est passé à côté.

05:55Je pense que sa vie,

05:57elle aurait dû se dérouler en Roumanie,

05:59vers la fin du communisme,

06:01et vers la Roumanie

06:02que les Roumains ont créée depuis 1990.

06:05Oui, parce que là,

06:07il peut y avoir une interrogation,

06:08parce qu'on peut aussi avoir conçu une...

06:11même si les dirigeants ont changé,

06:14même si ce n'est plus le régime communiste,

06:16garder une forme de haine,

06:18de ressentiment difficile à purger.

06:24Moi, je ne crois pas.

06:25Je crois que c'est ça,

06:26le noyau dur de la vie.

06:28C'est intéressant.

06:29Ce qui est intéressant dans la vie,

06:31c'est de parvenir à faire quelque chose

06:33avec ce qui nous est arrivé.

06:35Si vous n'en faites rien,

06:36ou si on vous le cache

06:37pour que vous ayez une autre vie,

06:39je pense qu'en fait,

06:40vous ratez votre vie.

06:41Mais je le pense profondément.

06:43Je suis un grand lecteur

06:44d'Imre Cartes,

06:45de Primo Levi, etc.,

06:47d'Edgar Ilselrat,

06:49de tous ces gens

06:50qui ont perdu une grande partie

06:52de leur famille.

06:53Et ils ont eu cette vie-là

06:55qui nous a donné cette littérature-là,

06:57qui est magnifique,

06:58qui est forte.

06:59Et ce garçon

07:00à qui on a caché son enfance,

07:02il est inspiré de vrais personnages

07:04que j'ai rencontrés

07:05dans le Baragane en Roumanie.

07:06Ce garçon à qui on a caché son enfance,

07:09il n'a pas eu la vie qui méritait.

07:11Il aurait une vie très riche.

07:12Peut-être qu'il aurait été

07:13Premier ministre

07:14dans la Roumanie post-communiste.

07:17Il aurait fait quelque chose.

07:18Alors, ce qui est très intéressant,

07:20c'est que c'est un roman.

07:21Il y a une trame romanesque,

07:23mais on voit que derrière,

07:25il y a une véritable enquête.

07:26Enfin, vous êtes allé sur place.

07:28Vous avez habité sur place.

07:30Parce que c'est vrai

07:32que cette déportation

07:34que vous évoquez,

07:35on n'en avait pas entendu parler.

07:37Enfin, moi,

07:37je n'en avais pas entendu parler,

07:38en tout cas.

07:39Très peu de Roumains la connaissent.

07:41Des chercheurs roumains

07:43ont fait une exposition itinérante

07:45de photos

07:46avec les petites maisons

07:47qui sont sur la couverture

07:48de mon livre

07:48pour montrer ce que c'était

07:50cette déportation.

07:51Mais ça n'a pas intéressé les gens.

07:53C'est étonnant.

07:54Vous savez, c'est un petit détail,

07:55mais je veux vous le dire quand même.

07:57Par exemple, les Roumains

07:58ne sont pas conscients

07:59que l'essentiel de l'armée roumaine

08:01est morte à Stalingrad.

08:03On parle toujours

08:03de la sixième armée

08:04du maréchal Paulus.

08:06Mais toutes les familles roumaines

08:08ont un grand-père

08:09qui est mort à Stalingrad.

08:10On oublie de le dire.

08:12Ce pays, c'est très particulier.

08:13Oui.

08:14C'est vrai que c'est un pays

08:16d'autant plus particulier

08:17qu'il a été,

08:19pendant la Seconde Guerre mondiale,

08:20proche du régime nazi

08:21et même est allé au-delà.

08:23Oui, au-delà.

08:24Oui, tout à fait.

08:25Parfois dans certains massacres

08:26et pogroms

08:27que ce que souhaitait le...

08:28les nazis

08:29et puis ensuite

08:30est devenu ardemment communiste

08:32tout en stalinien,

08:33tout en sous Ceausescu

08:35disant que c'était un régime

08:37à part du bloc communiste.

08:40C'est étonnant

08:41comment un petit pays

08:42comme ça

08:43peut rassembler

08:44autant de mouvements

08:46assez terribles en fait.

08:48Oui, c'est pour ça

08:49que je trouve

08:49toute cette zone,

08:50l'Ukraine,

08:51la Moldavie

08:52et la Roumanie,

08:53en ce moment,

08:53c'est passionnant

08:54parce qu'ils sont en train

08:56de revivre la même chose.

08:58Ils sont éclatés

08:59entre l'Union Européenne

09:00et Poutine

09:01et au fond,

09:03une fois de plus,

09:04on fait un petit cas

09:05de leur destin en fait.

09:07Je trouve ça

09:07d'une cruauté absolue.

09:10En tout cas,

09:10vraiment,

09:10je vous conseille

09:11de lire ce livre.

09:12C'est un très beau livre.

09:13En plus,

09:14on apprend des choses.

09:15C'est un beau roman.

09:15C'est bien écrit.

09:16Mais c'est vrai

09:17que ce n'est pas toujours le cas.

09:19C'est bouleversant.

09:20Ça s'appelle

09:20Un mâle irréparable.

09:21C'est publié

09:21chez Miel et Barreau.

09:22Merci beaucoup,

09:23Lionel Duroy.

09:24Merci beaucoup.

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