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00:00Générique
00:00Bonjour et bienvenue dans « Aux avant-postes », l'émission qui cherche un sens au chaos du monde.
00:16En 2021, les pays les plus riches s'étaient entendus pour une fiscalité plus juste.
00:22Dans le cadre de l'OCDE, un accord historique sur l'impôt des multinationales avait été obtenu.
00:29Finalement, les États-Unis ont choisi de se retirer.
00:33Aujourd'hui, les négociations reprennent à l'ONU l'occasion de faire le point avec mes deux invités.
00:39Riyad Selmani est chargé de plaidoyer justice fiscale à l'ONG CCFD Terre Solidaire
00:45et Quentin Parinello, directeur des politiques publiques EU Tax à la Paris School of Economics.
00:53Bonjour à tous les deux.
00:54Alors, Riyad Selmani, pouvez-vous nous dire aujourd'hui comment sont taxées les multinationales ?
01:00Pour commencer, l'évidence, c'est que les multinationales, en fait, elles sont sous-taxées.
01:04Multinationales, aujourd'hui, c'est la grande illusion.
01:07Elles sont considérées comme un espèce d'ensemble d'entités différentes qui peuvent se faire des transactions entre elles.
01:12Et donc, en fait, chacune de ces entités va être taxée différemment selon le pays où elles opèrent.
01:19Sauf que ces multinationales, ces entités, en fait, elles vont souvent rapatrier leurs bénéfices
01:23dans le pays où la fiscalité est la plus avantageuse, les paradis fiscaux.
01:27Ce qui fait qu'en fait, ces multinationales, elles profitent de cette faille pour déclarer leurs bénéfices
01:32là où la fiscalité est la plus avantageuse, là où les taux d'imposition sont les plus bas.
01:35Et ce qui crée, en fait, une évasion fiscale qui est extrêmement coûteuse,
01:40qui coûterait jusqu'à entre 500 milliards et 1000 milliards de dollars.
01:45Mais qu'est-ce qu'on a aujourd'hui ? On peut trouver du 0% à du 15% de taxation ou pas ?
01:49On peut trouver du 0% parce qu'aujourd'hui, quand on parle de taux de taxation, en fait, on parle de taux nominaux.
01:56Mais en fait, il y a aussi des taux effectifs et il y a plein d'exemptions qui font que facilement,
02:00une multinationale peut tomber à 3, 5 ou 0% de taxation.
02:05Quentin Parinello, on en est où sur ces fameuses négociations qui ont eu lieu à l'ECDE ?
02:11Est-ce que vous pouvez nous rappeler ce qu'on a appelé l'accord sur les deux piliers ? De quoi s'agit-il ?
02:17L'accord sur les deux piliers visait à répondre à deux problèmes qui ont été mentionnés par Riyad.
02:22Le premier problème, c'est quelque part la distribution des parts du gâteau.
02:26Comme c'est facile pour une multinationale de décider où elle enregistre ses bénéfices et donc où elle est taxée,
02:32ça veut dire qu'il y a des pays où il y a une activité économique d'une multinationale,
02:35une multinationale qui vend des chaussures, qui vend des sites internet,
02:39mais il n'y a pas de bénéfice enregistré et donc il n'y a pas d'impôt payé.
02:42Donc premier enjeu, comment on redistribue les parts du gâteau ?
02:45Ça, c'était le pilier 1.
02:47Ce pilier 1, il est morné.
02:49Il est morné tout simplement parce que pour avoir l'accord sur ce pilier 1,
02:53il fallait l'accord des États-Unis et dès le début, les États-Unis ont dit
02:56nous, on n'est pas prêts à ce que nos multinationales payent des impôts dans d'autres pays que les États-Unis.
03:01Et enfin, il y a un deuxième enjeu que devait traiter cet accord international,
03:05c'était l'imposition minimum.
03:07C'est un enjeu indirect parce qu'une fois qu'on a une multinationale qui peut décider dans quel pays
03:12elle enregistre ses bénéfices, un pays qui a une fiscalité plus haute que les autres
03:16va être tenté de baisser son impôt sur les sociétés.
03:19On a eu une tendance très très visible et très forte de baisse de l'impôt sur les sociétés
03:23dans plein de pays dans le monde, une course au moins disant fiscale.
03:25Et l'enjeu de ce pilier 2, c'était de dire redistribuer les parts du gâteau bien,
03:29mais il faut arrêter que le gâteau y rétrécisse.
03:31Donc comment on met en place un taux minimum ?
03:33C'est ce fameux taux à 15% qui a donc été endossé par plus de 140 pays en 2021.
03:41Les États-Unis compris ?
03:42Les États-Unis compris, absolument.
03:44Alors il y a plein de problèmes, mais il y a probablement...
03:46140 pays, on dit 140 pays, mais en fait c'est 140 juridictions.
03:49Et dedans il y a les Icaïmans, enfin il y a par exemple tous ces territoires
03:53qui font partie du Commonwealth ou du Royaume-Uni.
03:57Donc en fait c'est un peu moins que 140 pays, en fait c'est 119 pays.
04:02Et si vous voulez, cet accord, il y a plein de problèmes sur lesquels je pense qu'on va revenir,
04:07il avait deux mérites.
04:10Le premier c'était que pour la première fois, on se décidait collectivement
04:13d'un taux minimum d'imposition des multinationales.
04:15Avant ça, zéro c'était acceptable, à partir du moment où on se dit non, c'est plus acceptable.
04:20Et deuxièmement, et c'est très important, et notamment très important pour les discussions
04:22qu'ils vont avoir lieu à l'ONU, il y avait un mécanisme qui disait
04:25si vous, vous ne voulez pas faire partie de l'accord, vous ne voulez pas taxer vos multinationales,
04:28nous on va le faire à votre place.
04:30Et c'était un élément central, et c'est cet élément que les États-Unis ont attaqué
04:34en se retirant de l'accord.
04:35Alors on a bien compris en effet, dans les négociations et dans cet accord historique de 2021
04:40qui avait ces deux piliers, on va maintenant, si vous voulez, écouter Mathias Corman
04:44qui est secrétaire général de l'OCDE, donc le lieu où il y a eu cet accord en 2021,
04:50et il va chiffrer le fait, le nombre, enfin, ce que pouvait apporter ces deux piliers,
04:57le pilier 1 et le pilier 2, vous allez voir, c'est en centaines de milliards de dollars.
05:02On l'écoute.
05:02Il y a deux piliers.
05:06Il y aura le premier pilier qui réaffectera environ 125 milliards de dollars américains par an
05:12sous forme de taxes aux juridictions de marché, ce qui rendra le système plus équitable,
05:18en particulier pour ces juridictions qui, par le passé, ont vu des profits sortir de leurs économies
05:22vers d'autres parties du monde où ils n'étaient pas impôts.
05:25Et bien sûr, le deuxième pilier, le taux minimum d'imposition des sociétés de 15%
05:32devrait générer environ 150 milliards de dollars de recettes supplémentaires chaque année dans le monde.
05:37Ces recettes pourront être investies dans les services publics
05:40et la restauration des budgets affectés par la pandémie de Covid.
05:43Ça en fait des milliards en tout, ça fait plus de 275 milliards qui ne vont pas tomber
05:48parce que l'accord, donc même Biden était d'accord.
05:51Qu'est-ce qui s'est passé pour que tout à coup, les États-Unis se retirent ?
05:55Alors, plusieurs choses.
05:56Déjà, sur le pilier 1, c'est pas de l'argent en plus, c'est de l'argent réaffecté.
06:00Donc c'est pas comme si cet argent n'était pas taxé avant, il était juste taxé dans des pays différents.
06:06Donc bon, le pilier 1, il est mort-né dès le début, il n'y a presque pas eu de négociation dessus,
06:10c'est pas forcément la peine de s'attarder dessus.
06:13Sur le pilier 2, qu'est-ce qui s'est passé ?
06:14Simplement, l'enjeu, c'était de dire, pour que ça marche à un impôt minimum,
06:18il faut dire que si vous ne partissez pas, quelqu'un d'autre va taxer à votre place.
06:21C'est ce principe que les États-Unis de Donald Trump ont refusé.
06:24Les États-Unis de Biden étaient OK pour la discussion,
06:27mais Biden n'a jamais vraiment eu la majorité pour le faire passer à la maison.
06:30Donc de toute façon, c'était au Congrès américain.
06:32Donc de toute façon, pour l'instant, ça ne passait pas aux États-Unis.
06:36Ce qui en découle aujourd'hui, c'est pas forcément le fait que les États-Unis sortent le problème.
06:40C'est que les autres pays acceptent de dire, si les États-Unis sortent,
06:43nous, on ne va pas taxer les entreprises américaines.
06:45Et finalement, on crée une exonération, un trou béant dans un système
06:49qui a été pensé pour résister au chantage des États-Unis.
06:51On cède au chantage des États-Unis.
06:52– Et je verrais même deux autres problèmes, en fait, dans tout cet argent dont parlait
06:56Mathias Corman.
06:57Premièrement, il y a quand même un problème, enfin une injustice flagrante.
07:01C'est le fait qu'en fait, à peu près 60 à 70% de tout cet argent qui est évoqué
07:05va aller dans les pays, globalement dans les pays du G7,
07:08les pays qui ont les sièges des multinationales.
07:10Alors qu'aujourd'hui, les pays du Sud, c'est les pays qui sont les plus touchés
07:13par l'injustice fiscale internationale, qui sont les plus victimes
07:16d'évasion fiscale internationale, premièrement.
07:18Et deuxième chose, et quelque chose dont on parle peu, c'est une autre disposition
07:22qui a été intégrée dans ce cadre de l'OCDE, qui est un impôt complémentaire
07:27domestique, qui en fait donne la priorité aux paradis fiscaux qui enregistrent
07:31les bénéfices pour récupérer finalement la différence entre leur taux d'imposition
07:36sur les sociétés et ces 15%.
07:38Donc en fait, on a seulement créé un système qui va redonner la priorité
07:43aux paradis fiscaux pour récupérer des recettes fiscales tout en continuant
07:47à tirer les taux d'imposition vers le bas, tout en continuant à alimenter
07:51l'évasion fiscale internationale.
07:52Moi, je me souviens du débat.
07:53Je crois que même le président Biden, il était prêt à aller au-delà de 15%
07:58de taxation.
07:58Oui, le taux de 15%, c'est pas beaucoup.
08:01C'est vraiment pas beaucoup, 15%.
08:02De fait, c'est un taux qui est même pas...
08:05Nos PME payent plus de taux d'imposition en France que 15%.
08:09Donc c'est pas beaucoup.
08:11Il y a des paradis fiscaux comme l'Irlande qui ont des taux effectifs
08:13qui sont un petit peu plus bas.
08:14On aurait pu aller au-delà, à l'Observatoire européen de la fiscalité.
08:18On avait fait des modélisations sur les recettes attendues.
08:20Avec 21%, on était entre 12 et 16 milliards.
08:23Avec 15%, on était autour de 4 milliards.
08:26Avec 15% et certaines exonérations qui ont été rajoutées dans l'accord derrière,
08:30on est à 1,5 milliard en France.
08:32On parle de la France, on parle pas des pays internationaux
08:35où ces effets sont évidemment décuplés.
08:36Bien sûr.
08:37Et puis même, on aurait pu aussi aller à 25%
08:40parce qu'en fait, aujourd'hui, la moyenne de taux d'imposition dans le monde sur les sociétés,
08:44c'est 25%.
08:45En France, c'est environ 25%.
08:47La question, c'est pourquoi une multinationale devrait être taxée
08:50moins qu'une PME ou moins qu'une moyenne entreprise ?
08:54Alors, justement, on peut signer l'échec des accords de l'OCDE ou pas ?
09:00De fait, les États-Unis, en ce moment, ont une telle prise sur l'OCDE
09:03qu'on voit mal l'OCDE contredire les États-Unis et revenir vers un accord.
09:08Mais à la fin des fins, c'est pas forcément l'OCDE le problème, là.
09:11C'est que les autres pays ont décidé de plier au chantage des Américains.
09:16Et ce problème-là, il se pose à l'OCDE maintenant.
09:18Il va se poser également dans le cadre de l'ONU.
09:20Je serais pas totalement d'accord.
09:22Je dirais que l'OCDE en elle-même aussi était un problème
09:24parce qu'à la fin, c'est aussi une enceinte dans laquelle tous les pays ne sont pas représentés.
09:28Et finalement, cet accord s'est décidé dans une enceinte des pays les plus riches.
09:33Et aujourd'hui, à l'ONU, il y a une occasion de réécrire un système
09:36avec tous les pays autour de la table et où un pays égale une voix.
09:39Et je pense qu'en termes de démocratisation des espaces de gouvernance économique,
09:44c'est quand même intéressant.
09:45Alors, on va voir qu'au sein de l'OCDE, il y a encore des espoirs.
09:49On va écouter, si vous voulez, le ministre allemand des Finances, Lars Klingbeil.
09:54C'était en juillet 2025 qu'il recevait son homologue français, Éric Lombard, ministre de l'Économie.
10:02Et vous allez l'écouter.
10:03Il reste quand même convaincu, au moins il a la volonté toujours,
10:07de taxer les multinationales au moins à 15%.
10:10On l'écoute.
10:11Concernant la taxation minimale à 15%,
10:16le chancelier fédéral et moi-même sommes d'accord
10:19pour dire que nous maintenons le taux minimal de taxation mondiale
10:21et pour tout mettre en œuvre afin que ce projet soit poursuivi.
10:29Je peux vous dire que, et je suis sûr qu'Éric Lombard complétera tout à l'heure,
10:32nous avons eu d'importantes discussions avec nos collègues américains ces dernières semaines
10:36et que nous sommes parvenus à un accord.
10:40Nous nous y tiendrons.
10:44Il parle d'un accord avec les Américains.
10:48Il y a eu un accord, de fait, mais l'accord c'est de dire
10:50on va laisser les Américains taxer les multinationales comme ils le veulent eux,
10:53peu importe que ça soit moins ambitieux que le cadre international.
10:56Donc dire l'impôt minimum fonctionne toujours parce que nous on se l'applique,
10:59mais on va laisser les Américains ne pas se l'appliquer,
11:01quelque part c'est créer une distorsion de concurrence entre nos entreprises et les Américaines.
11:05Je ne suis pas sûr que ça tienne très longtemps.
11:07Bon alors, le débat aujourd'hui l'a repris, mais à l'ONU.
11:12Tout à fait.
11:13Il faut aussi dire que ce débat il est né à l'ONU
11:16parce qu'il y a des pays, des grandes économies de pays du Sud,
11:20je pense au Nigeria, à l'Inde, au Pakistan,
11:22qui ont participé, qu'on a essayé d'inclure dans la discussion à l'OCDE,
11:25dont finalement toutes les doléances ont été balayées à l'OCDE
11:29et qui se sont dit qu'en fait aujourd'hui on a besoin d'un cadre
11:31où on a vraiment une voix.
11:33Et donc en 2022, et à partir de 2022, puis résolution après résolution,
11:39cette idée est née, a émergé.
11:43Et puis depuis fin 2024, en fait, on a un vrai processus de convention cadre
11:47sur la fiscalité internationale qui est né,
11:49qui va être négocié de 2025 à 2027.
11:52Et l'idée c'est d'aboutir en 2027 à une convention cadre
11:55et donc qui permettrait à la fois de replacer la gouvernance fiscale internationale,
11:59donc on discutera des questions de fiscalité à l'ONU
12:02et pourquoi pas avoir derrière des copes de la fiscalité
12:05et surtout réécrire enfin des règles communes et particulières.
12:08Quelle différence avec l'accord de 2021 à l'OCDE ?
12:12Déjà, les pays qui sont autour de la table,
12:15c'est-à-dire aujourd'hui on peut avoir tous les pays autour de la table.
12:17Mais par exemple, vous restez sur 15% ou pas ?
12:19Je pense qu'il y a une majorité de pays aujourd'hui autour de la table
12:23qui veulent aller beaucoup plus que 15%.
12:25Mais j'irai plus loin.
12:26C'est-à-dire qu'aujourd'hui, il y a l'occasion à l'ONU
12:29de traiter beaucoup plus que cette question du taux
12:32parce qu'en fait, on s'est concentré sur cette question du taux.
12:35Mais c'est une toute petite partie du problème.
12:36Aujourd'hui, il y a, comme je l'ai dit au début,
12:38la question des transferts de bénéfices
12:40et donc comment est-ce qu'on arrive à un système
12:42où on peut taxer les multinationales sur la base de leur activité réelle,
12:46là où elles opèrent.
12:47Mais ce processus à l'ONU, il est bien plus ambitieux que ça.
12:50On va y discuter de taxation des plus riches.
12:52On va y discuter de fiscalité pour la lutte contre le changement climatique,
12:56pour le financement du développement.
12:58Et on va y discuter aussi de transparence fiscale.
13:00Et aujourd'hui, une majorité de notre incapacité
13:04à taxer les multinationales comme les plus riches,
13:06elle vient aussi de l'opacité financière, l'opacité fiscale.
13:10Et ça, il faut le régler.
13:10Et à l'ONU, on a l'occasion de le faire.
13:12Quant à notre côté, on peut rebondir sur le pilier 1,
13:15sur le fait que les multinationales payent là où elles bossent ?
13:20Ça va être un des enjeux, c'est évident.
13:21C'est-à-dire que c'est un des griefs, et Riyad a absolument raison,
13:24qui a été porté à l'OCDE, c'est de dire
13:26« Oui, très bien, quand bien même vous arrivez à avoir un accord,
13:29et ce n'est même pas le cas pour mettre un plancher minimum,
13:32si vous ne travaillez pas à la question de la redistribution des parts du gâteau,
13:35pour reprendre mon image de tout à l'heure,
13:37vous ne réglez pas le problème. »
13:39Et dans un monde où les BRICS vont représenter une part de plus en plus grande
13:42de la production mondiale, ça paraît quand même bizarre d'avoir des règles
13:45qui favorisent les pays de l'OCDE et pas les BRICS.
13:48Donc évidemment que cette question va être traitée.
13:51Est-ce qu'elle va être réussie ?
13:52C'est un enjeu immense.
13:54C'est hyper ambitieux d'avoir les bases en deux ans.
13:58Moi, je vois trois à quatre ingrédients pour que ça réussisse.
14:01Le premier, c'est les ressources.
14:03L'OCDE avait quand même tout un secrétariat bien doté en ressources humaines et financières.
14:08Pour les négociations, vous l'avez dit ?
14:09Ah oui, il faut des ressources.
14:10Il faut des gens qui facilitent, le secrétariat de l'ONU qui facilite les négociations,
14:14mais aussi des ressources financières.
14:15En ce moment, à l'ONU, c'est compliqué.
14:16Il faut une expertise.
14:17Alors très souvent, on dit « oui, l'expertise à l'OCDE, ça a toujours été là ».
14:20L'expertise à l'OCDE, c'est construite.
14:22Elle va se construire à l'ONU.
14:24Mais là, on nous demande de construire une expertise en deux ans.
14:27Et enfin, il faut une légitimité politique.
14:28Je pense qu'en ce moment, elle a plus tendance à être à l'ONU qu'à l'OCDE.
14:33Mais ça doit se maintenir.
14:34Et ça doit se maintenir notamment au niveau de l'ambition.
14:37Parce que si l'ambition n'est pas au rendez-vous, à la moindre turbulence,
14:40dès que les États-Unis reviennent et disent « non mais si vous mettez en place cet impôt,
14:44on fait des rétorsions commerciales »,
14:45ça va se passer la même chose.
14:46C'est-à-dire que les pays vont lâcher.
14:48Donc il faut des mesures qui soient ambitieuses, solides techniquement
14:51et appuyées par des ressources.
14:53Réa Tsemani, vous y participez ?
14:55Vous avez fait déjà une première tour de table là-dessus.
14:59Est-ce que vous répondez aux critères que pose Quentin Parinello ?
15:04Premièrement, sur l'expertise, je pense qu'il y a de l'expertise
15:07et qu'autour de la table, il y a énormément d'expertise,
15:09que ce soit du côté des pays, des délégations des pays membres qui négocient
15:13et aussi la société civile.
15:15Et je tiens à souligner aussi que l'avantage d'un processus à l'ONU,
15:18c'est que la société civile peut y participer.
15:21Il y a énormément d'expertise côté société civile.
15:24Et oui, je serai d'accord sur l'ambition politique.
15:28Effectivement, il faut une ambition politique.
15:30Mais aujourd'hui, ce qu'on a observé, moi, ce que j'ai observé,
15:33c'est qu'il y a au moins 140 pays aujourd'hui
15:34qui sont décidés à réécrire des règles
15:37parce qu'aujourd'hui, ils ne gagnent rien de ce système fiscal international.
15:40Et bien sûr, les pays qui vont faire la bascule,
15:42c'est des pays comme la France
15:43parce que la France, aujourd'hui, c'est un des pays les plus lésés
15:46aussi dans le système fiscal international
15:47qui aurait le plus intérêt finalement à soutenir ce qui se passe à l'ONU.
15:51Aujourd'hui, on n'a pas vu la France être très ambitieuse dans ce processus.
15:54À l'ONU ?
15:55À l'ONU.
15:56Mais je pense que dans un...
15:58Vous parlez de double discours, vous, de la part de la France.
16:02Bien sûr, c'est un double discours
16:03parce qu'on voit quand même que la question du manque de recettes fiscales,
16:06c'est quand même un des sujets numéro un aujourd'hui
16:08dans le débat public français.
16:10On nous parle de 44 milliards qui manquent.
16:12Or, aujourd'hui, l'évasion fiscale des multinationales,
16:14c'est presque 30 milliards en France.
16:16Je veux dire, aujourd'hui, il y a des solutions
16:18qui se discutent à l'ONU
16:19pour trouver de manière pérenne
16:21des dizaines et des dizaines de milliards
16:22non seulement pour les pays du Sud
16:24mais aussi pour la France
16:25et pour tous les pays finalement.
16:27Donc, la France aurait tout intérêt à soutenir ce processus.
16:30Est-ce qu'on est d'accord ?
16:31Est-ce que les acteurs de l'OCDE
16:33qui ont poussé à cet accord historique,
16:35vous les retrouvez à l'ONU ou pas ?
16:37Alors, ces acteurs-là, aujourd'hui,
16:39sont autour de la table, sauf les États-Unis.
16:41Les États-Unis sont sortis de ce processus.
16:44On pourrait nous dire, c'est un problème.
16:46Et en même temps, ça peut aussi pousser,
16:49enfin, et c'est notamment le prix Nobel d'économie
16:51Joseph Siglitz qui en parlait,
16:53de dire, il faut aujourd'hui
16:54que les autres pays du monde se rassemblent
16:56pour construire un système
16:57où on est capable de mettre la pression sur les États-Unis.
17:00Parce qu'on a vu, à l'OCDE, c'était l'inverse.
17:03On a créé un système sous la pression des États-Unis
17:05pour qu'à la fin, les États-Unis eux-mêmes le torpillent.
17:07Peut-être qu'à l'ONU, on aura l'occasion de créer un système
17:09où suffisamment de pays sont en accord
17:11pour mettre la pression sur les États-Unis
17:13pour qu'à la fin, ils puissent s'y conformer.
17:16Il y aura deux enjeux, finalement.
17:17Est-ce que dans les deux ans, on est capable, techniquement,
17:19de mettre en place des réformes
17:21qui peuvent s'appliquer sans les États-Unis ?
17:23Et la réponse, c'est oui, on a déjà été capable de le faire.
17:25Il y a l'expertise technique pour le faire.
17:27Et derrière, est-ce que politiquement,
17:28les pays vont le soutenir, le maintenir,
17:31cette envie de réforme, notamment quand...
17:33Mais c'est vraiment que les États-Unis qui bloquent ?
17:35Non, mais c'est essentiellement les États-Unis,
17:37il faut le dire, quand même.
17:38C'est-à-dire que même les pays,
17:39je veux dire, même aujourd'hui,
17:41des paradis fiscaux européens,
17:42ils ont le mérite au moins de participer à la discussion.
17:44Je ne vais pas dire que c'est les pays
17:45qui font le plus avancer la discussion,
17:46mais au moins, ils sont autour de la table.
17:48Donc, en tout cas, c'est tous les pays...
17:51Et d'ailleurs, quand les États-Unis sont sortis
17:52avec grand fracas du processus,
17:54ils avaient la conviction que plein de pays
17:56allaient les suivre, et finalement, ça ne s'est pas passé.
17:58Mais ce n'est pas un problème de mêler à la fois
18:00la taxation des multinationales
18:03et la taxation des grandes fortunes
18:05dans la même discussion ?
18:06Absolument pas.
18:07On a des règles fiscales obsolètes.
18:09La manière dont ont été pensées,
18:11les règles fiscales internationales,
18:12elles ont plus d'un siècle.
18:13L'économie, aujourd'hui, ne ressemble plus du tout
18:15à ce à quoi ressemblait l'économie il y a un siècle.
18:17Donc, il faut s'attaquer, évidemment,
18:18à la fiscalité des multinationales,
18:20à la fiscalité des plus riches.
18:21Et on y a travaillé beaucoup à l'Observatoire
18:23en accompagnant le président Lula,
18:24le président brésilien,
18:25mais aussi question de fiscalité environnementale,
18:27d'opacité financière,
18:29de lutte contre les flux financiers illicites.
18:30Finalement, c'est une occasion de se poser collectivement
18:33et de remettre à place ces règles
18:34qui ont plus d'un siècle.
18:36Bien sûr.
18:36Et en plus, je voulais rebondir sur l'expertise,
18:39sur les règles techniques.
18:41Il faut aussi rappeler que l'ambition de ce processus
18:42est de créer un organisme fiscal international
18:44et qui permettrait aussi, chaque année,
18:46d'avoir des copes de la fiscalité
18:48et justement de discuter des différentes règles techniques
18:51dans un monde où, justement,
18:52il y a tellement de choses qui évoluent
18:53qu'il faut se donner aussi la flexibilité,
18:55l'agilité pour pouvoir définir des règles.
18:58Et donc, c'est surtout aussi des grands principes
19:00dont on a besoin
19:00et récréer des principes d'un système
19:02comme Quentin l'a dit,
19:03qui est totalement obsolète.
19:04Merci à tous les deux.
19:05C'est l'heure de notre rubrique Dans le radar.
19:12Un ouvrage, une étude, une enquête
19:14qui nous a interpellés cette semaine.
19:16Aujourd'hui, un livre géopolitique du soja
19:19publié chez Armand Collin, son auteur Olivier Antoine,
19:23directeur général du cabinet de conseil ORAE
19:26est notre invité.
19:28Bonjour Olivier Antoine.
19:29Bonjour.
19:29Alors, rappelez-nous, c'est quoi l'intérêt du soja ?
19:33L'intérêt du soja, aujourd'hui, c'est de voir
19:36à quel point l'agriculture est devenue
19:38un enjeu géopolitique.
19:39Et le soja en est le meilleur révélateur.
19:42Les jeux de puissance,
19:43tous les enjeux géopolitiques contemporains,
19:46la déforestation, le climat,
19:48la financiarisation des matières premières,
19:50les bouleversements dans nos assiettes,
19:52tout ça, le soja, en fait, le montre,
19:54l'illustre, l'exprime.
19:55Qu'est-ce que c'est que le soja ?
19:57On le trouve où ?
19:57Dans nos assiettes ?
19:59Dans le bétail ?
20:00Alors, souvent, quand on évoque le soja
20:02à des citoyens qu'on croise,
20:04à des amis, à la famille,
20:06ils vont penser à la sauce soja,
20:07ils vont penser, pour certains, au tofu,
20:09à certains aliments végétalisés.
20:13Le soja, c'est bien plus que ça.
20:15Le soja, aujourd'hui, c'est la matière première
20:17de la sécurité alimentaire mondiale.
20:20Une sécurité alimentaire qui est basée
20:21sur la consommation, production,
20:23consommation de viande.
20:26Alors, ce qui est intéressant dans votre livre,
20:27c'est que vous montrez qu'en effet,
20:29le soja, c'est sans doute le produit agricole
20:32le plus commercialisé au monde.
20:3440 à 45 % se retrouvent sur les marchés internationaux,
20:38compte seulement 25 % pour le blé,
20:4115 % pour le maïs,
20:42et 10 % pour la production de riz.
20:45Et il est complètement invisible.
20:46Oui.
20:47Quand on parle de blé, de riz, de maïs,
20:49on sait tous de quoi on parle.
20:51On peut aller en acheter au supermarché.
20:53On n'a aucune difficulté à s'imaginer
20:55de la farine, de la polenta, du pain,
20:57bref, un bol de riz, des paysages.
21:00Tout ça, c'est assez ancré dans l'imaginaire
21:03de tous les consommateurs.
21:04Et pourtant, le soja, c'est celui qui va être
21:07au cœur de la sécurité alimentaire,
21:09le plus distribué, le plus marchandé sur la planète.
21:14Et on ne le voit jamais.
21:15Vous écrivez « pauvre en prestige,
21:18mais riche en protéines ».
21:19Et vous dites, vous écrivez aussi que,
21:21hélas, il ne fait pas civilisation,
21:23comme le blé a fait, comme le riz a fait civilisation en Asie.
21:27Alors, il a fait d'une faiblesse une force.
21:30Historiquement, on le voit, le riz, le maïs, le blé,
21:32ces trois céréales ont accompagné la construction
21:34de beaucoup de civilisations méso-américaines,
21:37asiatiques, tout le pourtour méditerranéen
21:40s'est nourri du blé.
21:41Le soja, lui, il est passé inaperçu.
21:44Il faisait partie des grains sacrés pour les Chinois
21:47il y a très longtemps.
21:48Il a vivoté dans son coin.
21:50Et puis, depuis 100 ans, il a justement profité
21:53un petit peu de son manque de notoriété
21:55pour aller s'imposer discrètement sur les marchés.
21:57Et aujourd'hui, alors qu'il n'a accompagné
22:00aucune civilisation, je dirais qu'il accompagne
22:02la nôtre, actuelle, celle de cette civilisation
22:04de la consommation de viande à outrance.
22:07En tout cas, il est objet d'une guerre commerciale
22:09entre les Etats-Unis et la Chine.
22:12Quand les Etats-Unis taxent les produits chinois,
22:14les Chinois, eux, taxent le soja américain
22:17qui était en nombre importé en Chine.
22:20Alors, ce qui est fascinant, c'est qu'on a un importateur
22:23qui importe plus de 60% de tout le soja dans le monde,
22:27c'est la Chine.
22:27Donc, ça pourrait être une grande faiblesse
22:30pour un pays qui veut devenir un hégémon
22:32et prendre la place des Etats-Unis.
22:33On a en face les Etats-Unis qui ont été
22:36pendant très longtemps premier producteur,
22:38premier exportateur.
22:38Aujourd'hui, deuxième producteur, deuxième exportateur
22:41détrôné par le Brésil.
22:43Les Etats-Unis avaient comme client la Chine.
22:46Trump 1, en 2018, taxe l'acier chinois.
22:49La Chine dit, nous, on va taxer le soja.
22:51Premier round.
22:52Les Etats-Unis perdent beaucoup
22:54puisque leurs farmers ne voient pas de débouchés.
22:57Il faut compenser.
22:5828 milliards de dollars entre 2018 et 2019.
23:02Tout à fait.
23:03Et étonnamment, Donald Trump n'a pas appris
23:06de ce premier épisode.
23:07Par contre, les Chinois ont bien appris
23:09de ce premier épisode.
23:10Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ?
23:11Donald Trump lance sa guerre tarifaire,
23:14décide à nouveau d'imposer des taxes.
23:16Et les Chinois, en réponse,
23:17ne taxent pas le soja, disent,
23:18ben non, on n'achète plus.
23:20On est capable d'acheter au Brésil,
23:22d'aller acheter en Argentine,
23:23d'aller acheter au Paraguay.
23:25Par contre, nous, on ne vous achète plus.
23:27Donc, la facture va être très lourde
23:28pour les Etats-Unis.
23:30Et on pourrait penser que la Chine
23:31se tire une balle dans le pied,
23:32en quelque sorte.
23:33Et ce n'est pas du tout le cas.
23:35Parce que sur les dix dernières années,
23:36la Chine a investi dans toute la chaîne
23:38de valeur du soja.
23:39Il y a peut-être sur l'accaparement de terre,
23:43ce n'est pas le cas ni en Argentine,
23:45ni au Brésil.
23:45Par contre, sur la logistique,
23:47les silos, les ports,
23:49les entreprises du négoce,
23:50les firmes semencières,
23:52les firmes de produits phytosanitaires,
23:53la Chine est omniprésente
23:55dans toute la chaîne de valeur du soja.
23:57Ce qui lui permet de pouvoir répondre
23:58sans aucune difficulté
24:00aux Etats-Unis à sa taxation
24:02et lui dire, finalement,
24:03nous, on va aller se fournir ailleurs.
24:04Et alors, ils vont où,
24:06les sojas américains ?
24:08Ils viennent en Europe ?
24:09Alors ça, ça va être la grande question.
24:10Je pense que là,
24:11les Européens vont pouvoir aller se fournir
24:13sur le marché américain.
24:14Mais ce que veulent les farmers
24:15et ce qu'ils ont voulu,
24:16en tout cas, dès 2018,
24:17c'est qu'on transforme ce soja,
24:20notamment en biodiesel,
24:21aux Etats-Unis,
24:22en fait qu'il n'est plus à dépendre
24:25autant du marché international,
24:26un marché qu'ils ont eux-mêmes créé.
24:29Et les Européens, alors,
24:30ils sont dépendants des Etats-Unis là-dessus ou pas ?
24:32Alors, on est dépendants du monde.
24:34On a créé notre dépendance.
24:35On est dépendants sur le soja.
24:36Au sortir de la Seconde Guerre mondiale,
24:39l'Europe se reconstruit.
24:41L'Europe a une priorité,
24:43c'est pouvoir donner à manger à sa population.
24:45Les campagnes sont dévastées,
24:47beaucoup de paysans sont morts au front.
24:49On va reconstruire,
24:51évidemment, grâce à l'argent,
24:52notamment du plan Marshall.
24:53Et un deal va être passé.
24:54On va reconstruire prioritairement
24:56nos cheptels bovins,
24:57de la viande de bœuf,
24:59du lait, du fromage,
25:01des céréales,
25:02le blé en tête.
25:03Par contre, les Etats-Unis
25:04vont être le grand pourvoyeur
25:06et fournisseur du soja
25:07pour l'industrie alimentaire.
25:09Merci beaucoup, Olivier Antoine,
25:10pour vos réponses.
25:11Merci à tous les deux.
25:12Et également,
25:13aux avant-postes,
25:14c'est terminé.
25:15Vous pouvez retrouver cette émission
25:17sur france24.com,
25:18sur nos réseaux sociaux
25:19et nos podcasts.
25:20Au revoir.
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