00:23Depuis 2021, on est à plus environ 5 000 détenus par an.
00:26Et plus 5 000 pour nous, c'est une bombe.
00:28Documents exceptionnels, notre caméra a pu entrer dans une maison d'arrêt.
00:35Personnellement, moi je l'ai ressenti comme ça, c'est comme si on m'enlevait mon humanité.
00:38Moi, en 10 ans, j'ai vu 18 personnes se suicider.
00:44Conditions de détention inhumaines, personnel pénitentiaire à bout, taux de récidive record.
00:51Comment est-ce qu'on peut détenir des gens dans des conditions pareilles ?
00:54Qu'est-ce qu'on atteint de la peine ? Dans quel état ils vont sortir ?
00:57C'est ça qu'il faut se demander.
00:59Le système carcéral français semble au bord de la rupture.
01:12Oui, bonjour.
01:13Oui, bonjour Elisa Martin, je suis la députée de la 3e circonscription.
01:17Je viens exercer mon droit de visite.
01:21Le droit de visite, c'est la possibilité pour tout parlementaire qui le souhaite de visiter une prison à l'improviste.
01:28Ce matin-là, la députée Elisa Martin a décidé d'entrer dans la maison d'arrêt de Grenoble-Vars, prenant au dépourvu l'administration pénitentiaire.
01:40Oui, bonjour.
01:41Je me permets de vous re-solliciter pour savoir où ça en est, pour que nous puissions entrer.
01:45Oui, j'attends la balle de mes chefs, madame, pour l'instant.
01:47C'est aussi le seul moyen pour nous, journalistes, de visiter une prison sans préavis.
01:56Inaugurée il y a 53 ans, la prison de Grenoble-Vars s'est régulièrement pointée du doigt pour son insalubrité et sa surpopulation.
02:07Aujourd'hui, le taux d'occupation y est de plus de 180%.
02:12Conséquence la plus visible, des détenus s'entassent parfois à 3 dans des cellules de 9 mètres carrés.
02:20Vous voyez, il y a donc un matelas par terre.
02:24Vous voyez encore une fois dans quelles conditions circule l'électricité.
02:29C'est quand même dangereux.
02:31Et surtout, où vous êtes dans le noir, d'accord ?
02:35Où vous ouvrez mais vous n'avez pas de vitrage.
02:37Donc ça veut dire que, où vous êtes dans le noir, où vous avez froid.
02:40Voilà, cette cellule et cette surpopulation est totalement représentative de Vars.
02:48Ici, les détenus refusent d'être filmés.
02:51La députée, elle, peut échanger avec eux.
02:55Comment ça se passe pour vous, dites-moi ?
02:57Qu'est-ce que vous auriez à me dire de ce que vous voulez, sur le thème que vous voulez ?
03:11Des détenus qui se sentent déshumanisés.
03:19C'est ce qui ressort de tous les témoignages que nous avons recueillis,
03:23y compris dans une cellule rénovée que la direction de la prison nous invite à visiter.
03:28Des travaux y ont été effectués pour rendre les périodes de canicule plus vivables.
03:36Mais les conditions de détention n'en restent pas moins insupportables.
03:41Un lion, quand on l'enferme dans une cage, il tourne, il tourne, il tourne, il devient fou.
03:45Ça modifie la personnalité de n'importe qui.
03:48Personnellement, moi, je l'ai ressenti comme ça.
03:49C'est comme si on enlevait mon humanité.
03:51Parce que je suis désolé, mais avoir trois douches par semaine, c'est pas humain.
03:55Même un animal, on le douche plus souvent.
03:59Il y a trop de choses.
04:00La nourriture, le repas classique, c'est pas mangeable.
04:05Il y a des repas, vraiment, personne ne va prendre et ça va partir à la poubelle.
04:10Cela fait des années que la prison de Grenoble-Vars doit être rénovée.
04:15De gros travaux sont prévus en 2027,
04:18mais le problème de la surpopulation demeure.
04:22Impossible pour le personnel pénitentiaire de travailler dans de bonnes conditions.
04:27Les détenus, eux, attendent de plus en plus pour obtenir un parloir,
04:31rencontrer un agent de réinsertion ou voir un médecin.
04:36Comment voulez-vous qu'une peine, y compris une sanction,
04:39à l'intérieur de la prison ait du sens dans un cadre pareil ?
04:43C'est pas possible, ça peut pas marcher.
04:46Absolument pas.
04:48Absolument pas.
04:48Le manque de moyens concerne toutes les prisons,
04:53mais la surpopulation carcérale touche principalement les maisons d'arrêt comme celles de Grenoble-Vars,
04:59des prisons qui accueillent les personnes condamnées à de courtes peines
05:02ou en attente de jugement.
05:03Bakary a 22 ans.
05:12Il a passé 6 mois et demi derrière les barreaux, en détention provisoire.
05:17Aujourd'hui, il travaille pour l'association Emmaüs en tant qu'agent polyvalent.
05:21J'ai été incarcéré à l'âge de 19 ans.
05:26La première sensation, c'est qu'est-ce que je fous là ?
05:28Mes journées, c'était faire du sport, monter en cellule, regarder la télé, faire à manger, faire le ménage.
05:36Pas grand-chose.
05:37J'ai fait une demande pour les formations.
05:40Je n'ai jamais eu de retour.
05:43Je n'ai jamais eu de retour jusqu'à la fin de ma décension.
05:46Les formations et le travail en prison permettent pourtant de favoriser la réinsertion et de réduire la récidive.
05:54Mais en France, moins d'un détenu sur trois a accès à un travail.
05:58Il y a des personnes, que je peux comprendre, qui ressortent avec une haine en faire la détention.
06:06Car ils ont été traités comme des chiens.
06:09Et quand ils ressortent, ils repartent dans leur connerie et ils se retournent.
06:15Pour ces conditions indignes de détention, la France a déjà été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme.
06:23Selon une étude du Conseil de l'Europe, la France figure même parmi les plus mauvais élèves.
06:28en troisième position, derrière la Slovénie et Chypre.
06:33Comment est-ce qu'on peut détenir des gens dans des conditions pareilles ?
06:37Qu'est-ce qu'on atteint de la peine ? Dans quel état ils vont sortir ?
06:40C'est ça qu'il faut se demander.
06:41Moi, je trouve parfaitement normal que des gens aillent en prison parce qu'ils ont commis des délits.
06:45On doit répondre de ces fautes.
06:47Les actes ont des conséquences.
06:48Mais les actes ont des conséquences aussi quand c'est la République qui commet ces actes.
06:53Et là, elle abandonne totalement à leur triste sort,
06:57à la fois les détenus, mais aussi ceux qui les gardent, ceux qui les soignent.
07:01Depuis cinq ans, Dominique Simonneau est la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.
07:07À ce titre, elle est chargée du contrôle des prisons.
07:11Face à la surpopulation, elle prône la régulation carcérale.
07:15À chaque détenu qui arrive en prison, un autre doit en sortir.
07:19Ce dispositif a été défendu devant la commission des lois de l'Assemblée nationale,
07:25par des magistrats, des avocats et même des directeurs de prison.
07:29Depuis 1980, on a une augmentation de la population pénale qui à peu près continue d'environ 1 000 détenus par an.
07:37C'est-à-dire entre 1980 et 2021.
07:40Depuis 2021, on est à plus d'environ 5 000 détenus par an.
07:44Et plus 5 000 pour nous, c'est une bombe.
07:46En incarcérant toujours plus et toujours plus longtemps, parce que c'est ce mouvement qu'on observe aujourd'hui,
07:53nous nous privons, nous collectivement, et nous privons le système judiciaire de sa capacité à exercer sa mission.
08:01Aujourd'hui, la prison crée de la récidive.
08:0463% des personnes détenues retournent en prison dans les années qui suivent leur sortie.
08:09Alors que les chiffres sont bien meilleurs pour les peines alternatives.
08:11Ces conditions indignes de détention, Emmanuel Macron les dénonce lors d'une visite à la prison de Freyne,
08:19peu après son arrivée à l'Elysée.
08:22Pour vous, pour nos concitoyens qui sont incarcérés ici, ça n'est pas acceptable.
08:27Depuis, les ministres de la justice se sont succédés.
08:30Tous ont appuyé la construction de nouvelles places de prison pour répondre à la surpopulation.
08:36Mais aucun n'a porté au niveau national le mécanisme de régulation carcérale.
08:41Personne, en fait, n'a le courage politique.
08:46C'est tellement plus facile de dire, oui, il faut punir sévèrement, il faut les envoyer en prison,
08:51que de dire, écoutez, il y a des alternatives, on peut aménager les peines, on peut les faire sortir plus tôt.
08:57À la ferme de Moyen-Brie, on constate depuis longtemps l'efficacité des aménagements de peine.
09:07En ce moment, une dizaine d'hommes, encore sous écrou, y purgent la fin de leur détention.
09:14Nicolas est l'un d'eux.
09:15Il a passé 10 ans de sa vie derrière les barreaux.
09:18Moi, je suis né dans le 92, j'ai grandi en foyer, j'arrive en prison, il n'y a que des gars comme moi, quelque part.
09:25Les exclus de la société ont fini en tôle.
09:27Pourquoi ? Parce qu'on ne nous laisse pas d'autres espoirs.
09:29Pour moi, c'est l'école du crime.
09:38Tu rentres pour vol de voiture, tu ressors en sachant faire des braquages.
09:43Tout le monde est mélangé.
09:44Donc comme on n'a rien à faire, on s'apprend la peu de choses qu'on sait.
09:48Voler, braquer, machin.
09:49Donc oui, la récidive, elle est sûre qu'un jeune qui rentre qui a la haine contre la société ne ressortira pas avec moins de haine.
09:59Moi, en 10 ans, j'ai vu 18 personnes se suicider.
10:06Dans cette ferme de réinsertion, les détenus en fin de peine restent 9 mois en moyenne.
10:12Maraîchage, élevage, fromagerie, ils travaillent pour la ferme et se préparent à leur sortie.
10:19Ici, pas de barreaux aux fenêtres, ni de surveillants, mais des encadrants qui les aident à réapprendre la liberté.
10:25Ce qu'on propose ici, c'est vraiment de dire qu'on est une alternative, on peut faire autrement.
10:31En fait, le tout carcéral n'est pas la solution.
10:35Et du coup, en donnant aux gens la capacité d'être maîtres de ce qui va se passer pour eux ensuite,
10:41qu'ils aient un taux au-dessus de la tête, qu'ils aient des accroches humaines,
10:45ça, ça évitera qu'il y ait de la récidive.
10:48Cela fait un an que Xavier a retrouvé la liberté.
10:53Les 7 derniers mois de sa peine, il les a passés ici.
10:57Une période indispensable pour se reconstruire après 7 années d'enfermement.
11:02C'est fait pour nous aider et franchement, moi, ça m'a bien aidé.
11:07Ça m'a fait rebondir.
11:09Avant, j'avais de l'argent facile.
11:11Maintenant, je le gagne avec ma sueur.
11:13Ça te donne envie de travailler parce que tu as une bonne ambiance.
11:17On est bien entouré, en fait.
11:20Ils sont bons, les encadrants.
11:23Je ne sais pas si j'aurais eu le courage de remonter la pente, en fait.
11:26Alors que là, je l'ai.
11:30Là, je l'ai.
11:36Réapprendre les gestes simples du quotidien et faire en sorte de ne pas replonger.
11:42Moi, je n'avais pas de papier à jour, je n'avais rien.
11:45Si je n'avais pas eu la ferme, en fait, si j'étais sorti en peine sèche, qu'est-ce que je fais ?
11:48Je ne vais pas aller dormir sous les ponts.
11:51J'ai 45 ans, je vais aller dormir sous les ponts.
11:53Ben non, ce n'est pas possible.
11:54Donc je vais aller faire de l'argent.
11:56Aller charger quelques kilos et refaire ma vie, quoi.
11:59Là, je vais faire autrement.
12:01Je vais le faire dans la légalité grâce à la ferme.
12:07Même si elles font leur preuve, les peines alternatives restent marginales.
12:13La France continue de privilégier l'enfermement,
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