00:01Bienvenue à l'heure des livres, Sylvie Lebihan, on est ravis de vous recevoir.
00:04Vous avez déjà écrit cinq romans.
00:07Votre dernier s'appelle L'Ami Louis, il a déjà un écho très favorable
00:10puisqu'il est sur les listes du Renaudot et de l'Interallié, des prix prestigieux.
00:16C'est un beau livre, très sensible, qui met en lumière un écrivain à dire vrai assez peu connu aujourd'hui,
00:25en tout cas, Louis Guillou, qui a été le grand ami d'un autre écrivain bien plus connu, Albert Camus.
00:32Alors évidemment, tout le monde le connaît, Camus, mais Louis Guillou, qui justement le prix Renaudot en 49, beaucoup moins.
00:41Comment expliquez-vous cette différence comme ça de notoriété, de traces dans le temps ?
00:47Pourquoi certains, pourquoi on se souvient de certains et pas d'autres ?
00:50Alors, je pense que d'abord, certains sont étudiés, on a un choix qui a été fait, ils sont mis en lumière.
00:58Je pense que Guillou, à l'époque, c'est un écrivain très engagé.
01:02C'est un écrivain qui aimait plutôt, il aimait être à l'ombre, je ne dis pas dans l'ombre, mais il aimait être à l'ombre.
01:09Il avait l'impression, il disait tout le temps, par exemple, il faut faire du bien à sa porte.
01:13Donc ça résume sa personnalité.
01:15C'est-à-dire que ce n'est pas la peine de faire des grands discours, il ne cherchait pas la notoriété.
01:18Ni la lumière.
01:21Camus a eu le Nobel, donc je pense que c'est aussi une des raisons pour lesquelles...
01:26Mais Guillou a eu le Grand Prix de l'Académie française, il a eu le Renaudan en 1949, il a écrit au même titre...
01:32Enfin, il était de la même classe que Céline, avec des engagements différents, mais un talent, pour moi, nettement au-dessus.
01:45Et il a failli avoir le Goncourt.
01:46Le Goncourt a une voix, oui, oui. L'année où Joseph Perret l'a eu.
01:50Alors en fait, vous avez écrit ce livre, alors parce que vous avez eu l'occasion, grâce à votre père, de le connaître.
01:57Mais est-ce que c'est aussi une manière de, finalement, de mettre cette lumière qu'il ne cherchait pas sur lui ?
02:02Parce que vous pensez qu'il est peut-être un peu injustement oublié ?
02:05Oui, alors, c'est-à-dire que moi, j'ai écrit trois romans sur trois écrivains que j'admire.
02:11Le premier était sur Malaparte, qui s'appelait Amour propre.
02:15Le deuxième, donc, c'était Les Sacrifiés, avec Federico Garcia-Lorca.
02:18Et le troisième, c'était, c'est avec Louis Guillou, mais parce que toujours, je pense que j'ai besoin de transmettre cet amour de la littérature que j'ai.
02:29Et j'ai voulu faire, dans ce livre, rendre hommage, non seulement à l'écrivain, à l'ami de mon père et à l'homme qu'il était, à ses engagements et à cette humilité qu'il avait.
02:40Parce que vous l'avez connu et élu, en fait, grâce à votre père.
02:45Oui, alors, connu, j'étais très jeune, il était très vieux, donc ça n'a pas été vraiment une rencontre.
02:50Mais je l'ai croisé, oui, en effet.
02:52Mais j'ai surtout, j'admire son œuvre.
02:54J'admire cette Coco Perdu au Quai de Jôtes.
02:57C'est formidable, son noir, évidemment.
03:00Celui que vous conseilleriez, en premier, pour quelqu'un qui ne connaît pas son œuvre ?
03:04Alors, j'aurais tendance à dire Coco Perdu au Quai de Jôtes, parce que ce sont des livres.
03:09Coco Perdu est un livre qui est d'une douceur incroyable.
03:13C'est son dernier livre.
03:14Au Quai de Jôtes, il dénonçait l'armée américaine dans sa façon de traiter les G.I.s noirs.
03:20C'était au moment de la guerre du Vietnam.
03:22Ça montre son engagement et ça montre sa force de caractère.
03:26Et évidemment, Le Pain des rêves, qui est un livre qu'il a écrit pendant l'occupation et où il s'est replongé dans son enfance.
03:32Et le point commun entre Camus, entre Guillaume, Lorca, Malaparte,
03:38c'est que ce sont des écrivains qui ont été aimés, qui ont eu des enfances merveilleuses,
03:43même si Camus, comme Guillaume, ont eu des enfances pauvres, mais heureuses.
03:48Et j'aime bien chercher le petit garçon ou la petite fille qu'il y a derrière.
03:52Le premier homme.
03:52Le premier homme.
03:53On y revient.
03:53Exactement.
03:55Qu'est-ce qui les a rapprochés ?
03:58Parce qu'il y a eu, entre les deux hommes, entre Camus et Guillaume, une amitié magnifique.
04:03À un moment, dit Guillaume, vous écrivez, on s'est reconnus, il m'a sauvé,
04:08car il est arrivé dans ma vie à un moment où je croyais le bonheur impossible.
04:12C'est ce que dit Guillaume à propos de Camus.
04:14C'est rare, des belles amitiés comme ça, gravées dans le...
04:18Alors oui, c'est rare.
04:20Simplement, c'est vrai que quand on s'intéresse à la correspondance entre écrivains ou entre écrivaines,
04:25enfin, on découvre des mots qui, pour nous, sont très proches de l'amour, en fait.
04:33C'est des déclarations d'amour, ces lettres.
04:35Et il y a eu cette correspondance entre Guillaume et Camus, qui est absolument merveilleuse.
04:39Il y a aussi une correspondance entre Camus et Charles.
04:41Je crois que ce qui les a rapprochés, ça a été justement cette enfance qu'ils ont eue auprès de leur mère,
04:48et pour Guillaume de son père aussi.
04:50Et c'est aussi cet engagement qu'ils avaient tous les deux, contre l'injustice, pour les opprimer.
04:56Ils n'ont jamais oublié d'où ils venaient.
04:59Ils étaient dans ce cercle germano-pratin, avec Malraux, pour Guillaume, avec Dabi, avec Max Jacob,
05:05avec tous ces gens-là, mais c'est surtout Jean Grenier,
05:08ce qui est assez intéressant, qui était un ami de Guillaume,
05:11et Jean Grenier était le professeur de philosophie de Camus.
05:14Jean Grenier a fait lire Guillaume à Camus, et ensuite Camus à Guillaume.
05:19Et c'est lui qui les a faits se rencontrer.
05:23Alors votre livre, ce n'est pas une biographie, il y a une histoire,
05:26c'est l'histoire d'une jeune femme qui s'appelle Elisabeth,
05:29qui travaille pour l'émission de Bernard Pivot, Apostrophe, ô combien connue.
05:34Là aussi, je voulais rendre hommage à Bernard Pivot et Apostrophe.
05:37On est dans les années 70-80, et elle fait la connaissance de Guillaume
05:43en préparant une émission spéciale sur Camus, justement.
05:48Et alors cette jeune femme, elle est en colère,
05:52on sent qu'elle cherche quelque chose,
05:56quand on connaît un peu, il y a des traits communs entre vous,
05:59vous êtes un peu, pas du tout, vous êtes comme quelqu'un en colère.
06:04Non, non, oui, elle a un sacré caractère, j'aime bien, elle est trempée.
06:08Oui.
06:08Elle a un caractère trempé, elle est, oui, c'est pas une rebelle,
06:13mais disons qu'elle cherche des réponses à ces questions.
06:16Ses parents ne veulent pas parler de leurs origines sociales,
06:20ils sont arrivés dans une banlieue parisienne plutôt riche,
06:23et ils effacent un peu d'où ils viennent.
06:26Et donc elle, elle recherche ce lien, elle recherche ses racines,
06:30et quand elle va rencontrer Guillaume,
06:31qui est un homme qui est justement très attaché à ses racines,
06:34il va y avoir aussi ce coup de foudre entre eux.
06:37Et j'aime bien parler de ces amitiés intergénérationnelles,
06:40parce que je pense que les gens, les personnes qui ont vécu,
06:44ont beaucoup de choses à transmettre
06:45à des gens qui sont en quête d'un sens à leur vie.
06:49Et elle est en quête d'un sens à sa vie.
06:51Et Guillaume va l'apaiser.
06:52Voilà, il va calmer un peu sa colère.
06:56Vous avez eu, vous, des rencontres de ce type ?
06:59Parce que, bon, Guillaume, vous disiez, vous étiez quand même toute petite.
07:01Oui, oui, oui, j'ai eu, je ne me souviens plus, là.
07:05J'ai un blanc, mais je sais que j'ai un...
07:08Je me souviens, oui, en effet, oui, j'en ai eu.
07:11Je ne me souviens plus du tout.
07:12Alors, grâce à cette enquête, on se retrouve,
07:14ce que vous évoquiez un peu dans la France des années 50-60,
07:18entre le Paris, le Saint-Germain-des-Prés,
07:22le Paris littéraire, intellectuel,
07:24et puis la Bretagne.
07:26La Bretagne qui est...
07:27Bon, c'est d'où vient Guillaume.
07:29C'est une terre à laquelle il est très attaché.
07:31On est à des années-lumière de l'Algérie de Camus.
07:36Mais, pour l'un et pour l'autre,
07:38leurs terres d'origine sont extrêmement importantes.
07:40Très importantes.
07:41Alors, il y a quelque chose d'incroyable,
07:43c'est que, quand même, c'est grâce à Guillaume
07:46que Camus va retrouver la tombe de son père.
07:48Parce que, ce qui est fou, c'est que la tombe de Lucien Camus
07:52est dans un cimetière qui est face au bureau de Louis Guillaume.
07:57On a tendance à croire que Camus était un homme solaire
08:02et que Guillaume était un homme un peu plombé par...
08:06Mais alors que c'est l'inverse.
08:06C'est l'inverse, en fait.
08:07Les deux sont...
08:08Mais ce qui est intéressant aussi,
08:10ce que j'ai beaucoup aimé en faisant mes recherches
08:14et en écrivant ce livre,
08:15c'est de décrire une farandole joyeuse d'amis écrivains.
08:20Il y a des femmes aussi qui sont là.
08:23Alors que c'est un siècle de barbarie.
08:25Donc, Cherchez la joie.
08:26Et c'est un livre qui fait du bien, en fait.
08:28C'est un livre qui redonne foi en l'humanité,
08:33en l'amitié, en ses sentiments.
08:35Même Elisabeth va y trouver son compte.
08:38Elle va se réconcilier avec son passé.
08:40Lui aussi, elle va l'aider à se réconcilier avec son passé.
08:42Ils vont s'engueuler.
08:43On va aller en Angleterre avec les années...
08:45Dans les années 70, c'est les punks.
08:48Elle, elle travaille là-bas, en Angleterre.
08:50Elle est amoureuse.
08:51Enfin, il y a plein de choses qui se passent.
08:53Et j'avais envie de raconter tout ça.
08:56En tout cas, merci.
08:58C'est à lire.
08:58Je vous le conseille vivement.
09:00Ça s'appelle L'Ami Louis.
09:01C'est publié chez De Noël.
09:02Merci beaucoup, Sylvie Lebihan.
09:04C'est un livre qui tient ses promesses aussi beau que le précédent.
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