00:00Bienvenue à l'heure des livres Pauline Dreyfus, on est très content de vous recevoir.
00:04Vous avez déjà écrit plusieurs romans, notamment en 2013, un très remarqué immortel enfin sur Paul Morand,
00:12un livre qui avait reçu le prix des deux magots.
00:14Vous avez aussi écrit Ma vie avec Colette.
00:18Et là vous venez de publier Un pont sur la scène, un livre qui est paru chez Grasset,
00:22un roman qui compte le destin d'une famille viticole qui d'une certaine façon est le miroir des fractures d'une France
00:34qui change au gré des guerres, au gré de l'industrialisation, de la mondialisation, du tourisme aussi.
00:41C'est bien observé, parfois tendre, parfois cruel.
00:44Mais avant tout, on se demande comment vous avez eu l'idée de finalement faire le héros de votre livre,
00:53un pont, un pont qui relie deux villages qu'a priori tout séparait.
00:59Parce que je connais un peu ce pont et que j'ai été frappée un jour par le fait qu'il séparait deux communes extrêmement différentes,
01:08bien que le pont mesure à peine 100 mètres.
01:10Et je me suis dit, proximité ne veut pas dire similitude.
01:14Et c'est ça qu'il faut creuser.
01:16Et je me suis très vite aperçue qu'au fond, le pont avait été pendant un siècle l'arbitre muet en quelque sorte d'un match.
01:26Il y a à tour de rôle le bon côté du fleuve et le mauvais côté.
01:30Le bon côté étant évidemment celui où il y a du travail, celui où on va gagner de l'argent.
01:35Mais ce n'est pas toujours sur la même rive que ça se passe.
01:38Et donc ça permettait de dérouler le XXe siècle, qui est quand même un siècle passionnant, autour duquel je tourne dans tous mes livres,
01:47et de raconter ce siècle où on est passé d'une époque rurale, viticole en l'occurrence, à une épopée industrielle.
01:57Il y a une usine qui s'est construite sur la rive droite, qui a du coup attiré les saisonniers, privé la vigne de ses bras.
02:04Puis on est passé dans le tourisme après la première guerre mondiale.
02:07Et puis l'usine a commencé à péricliter.
02:10C'est ce qu'on appelle la désindustrialisation.
02:12Et on connaît ça encore aujourd'hui.
02:13Et c'est l'essor du patrimoine et d'une forme de muséification de la France.
02:21Voilà, ça m'intéressait de la raconter.
02:23Alors ce qui est intéressant, parce qu'effectivement on se laisse complètement emporter dans l'histoire des villageois qui passent d'une rive à l'autre,
02:29d'ailleurs au gré des emplois, au gré aussi des amours, officiels ou clandestines,
02:35c'est qu'en fait on se rend compte qu'un pont qui est censé relier,
02:40finalement, en tout cas dans ce livre, parfois c'est plutôt l'inverse.
02:45Il sépare et il oppose les uns et les autres.
02:48En tout cas il instaure une rivalité, il instaure une concurrence.
02:51Et c'est dans exactement le motif de ce roman, c'est la concurrence entre les deux rives.
02:57Parce que c'est un livre sur le sens de l'histoire.
02:59Et je dis bien l'histoire avec un grand rache.
03:02Or, le sens de l'histoire c'est une girouette.
03:04Tantôt orientée vers la rive gauche, tantôt orientée vers la rive droite.
03:08Donc ça m'intéressait de voir le vent de l'histoire souffler dans des directions différentes.
03:15Alors au cœur, il y a l'histoire d'une famille, la famille Vernet,
03:18qui est une famille viticole, pour qui, en tout cas pour le père,
03:23l'accession à la propriété d'un vignoble était une forme d'accomplissement, d'acte d'indépendance.
03:30D'indépendance, surtout, c'est ne plus avoir de patron.
03:32Voilà, ne plus avoir de patron.
03:33Bien sûr.
03:34Qui a deux fils.
03:35Alors l'un qui s'appelle Vincent.
03:39Et qui...
03:40Il y a Lucien, qui va reprendre la propriété.
03:43Et il y a Georges.
03:44Et Georges, ils sont jumeaux.
03:46Et Georges est celui qui va faire le choix de se faire embaucher à l'usine.
03:50Parce que Georges, il en a marre.
03:51Il en a marre des alléas climatiques.
03:53Il en a marre des champignons.
03:54Et il se dit que travailler à l'usine, d'accord, on est enfermé entre quatre murs, mais c'est la sécurité de l'emploi.
04:01Et puis, c'est l'époque où les entreprises sont paternalistes.
04:04On a un peu oublié ça aujourd'hui.
04:06Mais l'entreprise, qui est l'entreprise Schneider en l'occurrence, s'occupe des salariés de jour comme de nuit, si je puis dire.
04:12C'est-à-dire qu'on s'occupe de leur fournir des loisirs.
04:15On les loge.
04:16On leur fournit l'eau courante, l'électricité.
04:18Et puis, il y a un deuxième fossé qui va se creuser entre ces deux frères qui ont fait deux choix différents.
04:28C'est la guerre de 14.
04:30Parce qu'on a oublié que les hommes sont partis au front la fleur au fusil.
04:37En trois semaines, on était à Berlin et l'affaire était réglée.
04:40Et puis, ça ne s'est pas passé comme ça.
04:42Le conflit s'est enlisé et on s'est très vite aperçu que l'état-major n'avait pas prévu de munitions suffisantes.
04:49Donc, on a rapatrié du front les ouvriers dans les usines.
04:53Ceux qui ont fourni la chair à canon, c'était ça le terme de l'époque.
04:57Ce sont les paysans, ce sont les viticulteurs.
05:00Et ceux qui ont eu la vie sauve, c'est ceux qui ont fabriqué des chars et des obus dans les usines, dont Georges.
05:06Donc, cette distinction atteint la famille.
05:08Il y en a un qui meurt au front et l'autre qui revient.
05:11Ça crée une rivalité, ça crée une forme de péché originel.
05:15Et toute l'histoire de la famille découle de ça.
05:18C'est-à-dire qu'on ne lui pardonnera jamais, au fond, d'être vivant.
05:22Alors, ce qui est intéressant, effectivement, c'est ce que vous disiez au début.
05:25C'est que, selon les époques, il y a la Première Guerre mondiale qui, effectivement, marque un péché originel.
05:31Mais après, plus tard, il y a le Front populaire.
05:34Et puis, les loisirs qui font que, finalement, le tourisme se développe.
05:38Puis ensuite, il y a la Seconde Guerre mondiale, évidemment, l'industrialisation, la désindustrialisation qui font que ça change d'une année à l'autre.
05:46Enfin, de quelques années à l'autre.
05:48Le succès change de rive.
05:50Oui, parce que tout ça, c'est une histoire d'instinct de survie.
05:52C'est d'aller là où on pense pouvoir gagner de l'argent.
05:58Juste après la Première Guerre mondiale, les gens ont envie de s'amuser.
06:02Ils ont vécu une boucherie pendant quatre ans.
06:04C'est ce qu'on appelle les années folles.
06:06Et donc, l'essor du tourisme, les villégiatures, comme on disait à l'époque.
06:10Les gens vont danser dans les guinguettes.
06:12Et tout d'un coup, les viticulteurs se mettent à faire ça parce qu'ils vont gagner de l'argent comme ça.
06:15Alors, dans la seconde moitié du XXe siècle, après que notre pauvre pont, parce qu'il faut quand même revenir à lui,
06:22a quand même sauté deux fois pendant la Seconde Guerre mondiale, parce que le pont est toujours une victime des guerres,
06:28et que l'usine périclite, qu'est-ce qui marche ?
06:31C'est le patrimoine, c'est les visites de ce qui devient un musée permanent.
06:36Voilà, donc tout ça, on rebondit à chaque fois.
06:38Alors, en plus de tout ça, il y a les histoires d'amour, évidemment.
06:44Entre les deux rives et la même rive, les officielles et les officieuses.
06:50On va toujours vers une femme qui n'est pas son genre.
06:52Voilà, classique.
06:55Vous écrivez le jour où une fille de Saint-Amand tombe amoureuse d'un ingénieur de champagne,
07:00l'indignation explose, écrivez-vous, parce que ça ne se fait pas.
07:03C'est inconcevable.
07:04C'est inconcevable.
07:05C'est inconcevable, c'est-à-dire qu'ils ont beau être séparés par un simple pont
07:08qui mesure, encore une fois, 92 mètres,
07:11ce sont deux mondes, et deux mondes qui ne veulent pas frayer plus que ça.
07:17Et évidemment, il y a un homme de la rive droite qui va tomber amoureux d'une fille de la rive gauche,
07:21c'est inévitable.
07:23Reste à savoir ce que deviendra le fruit de leurs amours.
07:25C'est plus compliqué.
07:25Alors bon, il y a effectivement, on ne dévoilera pas certaines intrigues qui sont à découvrir.
07:31Il y a en tout cas un personnage qui est assez savoureux,
07:34qui s'appelle Philippe Chaumeron.
07:35Ça doit se dire que cette fois, je n'écorche pas son nom.
07:37Qui se targue au nom de la valorisation du patrimoine,
07:41qui est devenue à la mode à partir des années 80, 90.
07:45Vous avez les journées du patrimoine à partir de 84.
07:49Qui se targue de mettre à l'honneur, justement, ce pont.
07:53Et c'est vrai que ce personnage est assez savoureux,
07:55parce qu'en fait, il se plante complètement.
07:56Il a cette idée totalement saugrenue et loufoque de créer un musée du pont.
08:03Ce pont qui n'a aucun intérêt architectural particulier.
08:06Ce n'est pas le viadique de Millau non plus.
08:09Mais il décide que ce pont résume un peu l'histoire de France.
08:12Et qu'il va créer un musée, d'abord, qui va apporter du tourisme sur place.
08:19Et surtout, qui va réconcilier les deux rives.
08:21Parce qu'au fond, ce Philippe Chaumeron, c'est un idéaliste.
08:24Il aurait pu être secrétaire général de l'ONU.
08:26Il a envie que les gens s'entendent bien.
08:28Et au début, ça marche.
08:30Parce qu'il faut récolter de quoi faire des collections permanentes pour le pont.
08:34Et les gens vont piocher dans les archives.
08:37Ils vont s'apercevoir qu'au fond, ça fait 100 ans qu'ils se détestent.
08:40Mais ils ont plein de points communs.
08:41Et notamment, un énorme point commun, c'est qu'ils ont eu des revers de fortune à tour de rôle.
08:46Et que donc, ils ont de quoi s'entendre.
08:48En tout cas, je vous conseille vraiment de lire votre livre.
08:53Parce que c'est passionnant.
08:54C'est effectivement, comme le pense le spécialiste du patrimoine, malgré tout.
08:58Un bout d'histoire de France, vu à travers mille petites histoires.
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