00:00BFM Stratégie avec Frédéric Simotel sur BFM Business
00:08Bienvenue dans cette nouvelle session BFM Stratégie.
00:13On va s'intéresser à un sujet, le décrochage scolaire.
00:17Alors certainement, vous avez certainement des enfants, si ce n'est chez vous, enfin autour de vous.
00:22Et vous entendez souvent ce terme de décrochage scolaire.
00:25Eh bien figurez-vous qu'il est assez important, chaque année c'est 76 000 jeunes qui quittent le système scolaire sans diplôme.
00:31C'est-à-dire qu'après la troisième, eh bien ils partent.
00:33Alors voilà, ils sont nés en apprentissage peut-être.
00:36Enfin en tout cas, ils partent sans vraiment diplôme.
00:39Donc c'est quand même un sujet important.
00:40Alors c'est un chiffre qui a légèrement baissé, mais qui reste quand même très important sur environ 600 000 jeunes qui poursuivent leur scolarité.
00:49Et figurez-vous que, pourquoi il faut s'y intéresser ?
00:51Parce que si on calcule un coût par décrocheur, ça peut atteindre 340 000 euros.
00:56Alors comment éviter ces 340 000 euros multipliés par 76 000 jeunes ?
01:01On va en parler avec nos deux invités.
01:03Benjamin Sarda, partenaire au BCG.
01:04Bonjour.
01:05Bonjour Frédéric.
01:05Benjamin, merci d'être avec nous.
01:06Et Lucie Robieux.
01:07Bonjour Lucie.
01:08Bonjour.
01:08Vous êtes directrice du plaidoyer des relations extérieures à Apprenti d'Auteuil.
01:12Alors je vais démarrer avec vous justement, Lucie.
01:14La bonne nouvelle, c'est que le nombre de décrocheurs est en baisse.
01:17Je l'ai dit très rapidement.
01:18De 11% en 2012, il est passé à 7,6%.
01:20Mais si je regarde clairement les chiffres, ça reste quand même près de 80 000 jeunes,
01:27enfants qui sont en décrochage.
01:29Tout à fait.
01:30Ce chiffre est vraiment préoccupant à l'échelle de notre société.
01:33En fait, on est dans la situation où on peut en même temps se réjouir de la décrue
01:36que vous avez soulignée.
01:37Cette décrue, on la doit vraiment à une action de long terme, amorcée à la fin des
01:42années 2000 par l'Éducation nationale.
01:45Évidemment, qui a été complétée par l'action d'autres acteurs privés, notamment associatifs.
01:50La Fondation Apprenti d'Auteuil innove tous les jours au sein de ses 60 établissements
01:54pour ses 8000 élèves décrocheurs, avec ses 800 enseignants qui, tous les jours, tentent
01:59de combattre.
02:00On est capable d'évaluer quand est-ce qu'ils décrochent un peu ? Est-ce qu'ils décrochent
02:03vraiment au collège ? Est-ce qu'ils décrochent beaucoup plus tôt ?
02:05Ils peuvent décrocher vraiment tôt.
02:07Ce qu'on observe, nous, sur le terrain, c'est qu'un élève peut déjà être en difficulté
02:11d'accrochage scolaire dès l'âge de la maternelle, voire la primaire.
02:14Donc après, on le porte tant qu'on peut.
02:17Exactement.
02:17Ce qui invite donc une action vraiment précoce à l'échelle du parcours scolaire.
02:22On observe aussi qu'en 2025, il y a de plus en plus de filles qui sont concernées par
02:26ce décrochage.
02:28Là où il y a encore 20 ou 25 ans, c'était un phénomène essentiellement masculin.
02:32Et puis, on a des adolescents qui, au lieu de décrocher vers 15-16 ans, c'est-à-dire
02:35aux portes de l'apprentissage professionnel, décrochent de plus en plus tôt.
02:40Ce qui, en fait, montre que les modalités de décrochage scolaire évoluent et qu'il
02:44faut qu'on continue de s'en préoccuper.
02:45Et puis derrière, c'est l'isolement, l'apprenti d'Auteuil, vous connaissez ça,
02:49l'isolement, précarité, la santé mentale aussi dont on parle beaucoup.
02:51Exactement, des difficultés d'insertion sociale et professionnelle.
02:55Apprenti d'Auteuil, ce qu'on voit, c'est que ce phénomène de décrochage scolaire,
02:59il est précurseur d'une très grande difficulté d'insertion économique, sociale,
03:04et que donc, on ne peut pas fermer les yeux.
03:05C'est vraiment une affaire collective d'endiguer ce phénomène le plus tôt possible.
03:10Et c'est ça qui est intéressant avec ce que vous avez mis en place au sein du BCG,
03:13c'est de chiffrer ça.
03:15Et c'est vrai que quand on met un chiffre économique derrière,
03:18il y a la partie sociale qui est importante,
03:20mais là, 340 000 euros par élève décrocheur.
03:24Que recouvre exactement ce chiffre, Benjamin Sorda ?
03:28C'est un chiffre qu'il faut expliquer, effectivement.
03:30C'est 340 000 euros, c'est le coût pour la société du décrochage scolaire.
03:34Comment est-ce qu'on l'a calculé ?
03:35On a comparé d'une part les populations qu'on qualifie de décrocheurs,
03:38c'est-à-dire des gens qui vont jusqu'au brevet,
03:40mais qui n'ont pas de formation au-delà du brevet,
03:42avec ce que payent comme impôts, ce que coûtent et ce que cotisent,
03:47les gens qui ont fait des études.
03:48La différence entre les deux groupes, elle est énorme.
03:50Donc, c'est 26 milliards par an, divisé par le nombre de décrocheurs,
03:56c'est 340 000 euros par décrocheur.
03:58Et d'ailleurs, on est sur BFM Business,
04:00donc c'est pour ça qu'on parle de ces chiffres,
04:02mais ça veut dire derrière qu'on a des cotisations non perçues.
04:05Enfin, voilà tout ce qu'un salarié, un travailleur plus classique,
04:09rapporterait à la fois lui-même, mais aussi au système collectif.
04:13Exactement.
04:13En fait, ce chiffre, il se compose principalement de ce manque à gagner fiscal.
04:16C'est-à-dire que les gens qui n'ont pas de formation accèdent plus difficilement à l'emploi
04:20et donc bénéficient, par exemple, d'aide au chômage,
04:23qui sont un peu inférieures quand on a été formé,
04:26mais aussi, et vous le dites très justement, cotisent moins,
04:29soit directement, soit à travers la TVA, simplement parce qu'il y a une moins d'argent.
04:32Alors, vous aviez déjà fait ce calcul il y a une dizaine d'années,
04:37pratiquement une quinzaine d'années,
04:39c'était aux alentours de 200 000 euros.
04:41Qu'est-ce qui explique un peu cette, bon, au-delà, la vie en hausse, etc.,
04:45mais qu'est-ce qui explique cet écart de chiffre de 2012 ?
04:48C'était 230 000 euros.
04:49Et alors, vous avez raison, la première partie de l'écart, c'est de l'inflation.
04:53Et je pense que tout le monde se souvient qu'on a eu quelques années d'inflation post-Covid un peu musclée.
04:59Malheureusement, ce n'est pas que de l'inflation.
05:01Il y a à peu près un tiers de cet écart qui s'explique
05:02parce que la différence entre les deux populations,
05:05donc la population de décrocheurs et le reste de la population,
05:09cet écart s'est aggravé.
05:11Pour le dire simplement, c'est plus compliqué de ne pas avoir de diplôme
05:15et d'être un décrocheur en 2025 que ça ne l'était en 2012.
05:18On a plus de difficultés à accéder à l'emploi,
05:21on a plus de risques de précarité aigus.
05:24Et donc, tout ça, ça génère simplement plus de coûts pour la communauté
05:27en plus de la détresse sociale, évidemment, que ça génère auprès des décrocheurs.
05:30Et puis, ce serait intéressant de voir la pression du numérique aussi autour de tout ça.
05:34Je suis sûr qu'on peut regarder aussi ça de près.
05:37Lucie Robieux, justement, on a donc réussi à réduire en partir ce décrochage.
05:42Mais c'est quoi les solutions qui fonctionnent ?
05:44Comment on évite ce décrochage ?
05:46Si on le prend de plus en plus tôt, ça c'est bien, on l'a compris.
05:48Mais est-ce qu'il y a d'autres pratiques ?
05:50Absolument.
05:51En fait, c'est quand même un phénomène qu'on commence à bien cerner, à bien comprendre.
05:55À apprenti d'Audeuil, on sait que ça tient à une combinaison de différents leviers.
06:00Celui de s'intéresser au projet vraiment personnel de chaque élève, de chaque jeune.
06:04De comprendre sa situation, de comprendre ses freins.
06:07De parler d'orientation aussi avec lui.
06:10On a aussi...
06:11Assez tôt ?
06:12À partir de quelle heure, à quel âge un enfant peut être...
06:15Pas mature, parce qu'il faudra quelques années, mais on peut lui parler d'orientation, de métier.
06:21Début de l'adolescence.
06:22Au moment où, s'il en fait la demande, si c'est quelque chose qui l'aide à comprendre le sens des apprentissages,
06:28je dirais, il n'y a pas d'âge minimum, mais à partir de l'adolescence, chaque jeune commence à se dire
06:33« qu'est-ce que je deviendrai l'âge adulte ? »
06:35Donc, il y a quelque chose à construire aussi dans un lien de confiance entre les enseignants,
06:40entre la famille, entre le jeune, pour que se restaure la confiance en soi,
06:46la confiance dans les autres, la confiance dans l'avenir.
06:47Et enfin, je dirais qu'il y a un autre aspect très intéressant, c'est de venir en aide aussi aux enseignants,
06:53qui parfois sont désemblés, on n'a pas forcément le temps.
06:56Donc, dans une classe chargée, il y a quelques élèves qui décrochent.
07:01Là, on voit aussi qu'aider les enseignants, c'est aider à prévenir le plus tôt possible le décrochage,
07:06et donc, au service de l'ensemble des élèves.
07:08Et vous avez en exemple déjà quelques dispositifs qui donnent des résultats ?
07:12Tout à fait, qui donnent d'excellents résultats.
07:12En fait, ces leviers, quand ils sont combinés, sont extrêmement efficaces.
07:17On voit que, par exemple, à l'école Pierre-Georgio Frassati, à Saint-Syr-L'École, dans les Yvelines,
07:22c'est une école primaire qui se concentre vraiment sur les élèves les plus en difficulté.
07:26L'équipe éducative et d'enseignants, c'est vraiment structuré pour aller aider ceux qui sont les plus vulnérables.
07:33Et on insiste aussi sur la dimension de comportement.
07:36C'est-à-dire qu'un élève en difficulté va être sensible à la solidarité entre les élèves,
07:41va participer à la vie de la classe,
07:45et ça va lui remettre un pied à l'étrier pour l'apprentissage.
07:50Mais là, vous avez cité des dispositifs un peu particuliers.
07:52Comment on fait dans les...
07:53Parce que tout le monde n'est pas...
07:54On parlait de Pau, on parlait de Saint-Syr-L'École.
07:56Les enfants décrocheurs, il y en a partout.
07:58Comment on fait pour intégrer ces dispositifs dans le système scolaire ?
08:01Enfin, si on peut.
08:01En fait, il y a quand même des leviers, des approches qui sont très efficaces.
08:06Parlons du climat scolaire, qui est si décisif à l'âge de l'adolescence.
08:10Un jeune qui se sent bien dans son établissement,
08:11qui se sent bien dans son groupe de pères,
08:13avec ses autres camarades et avec les enseignants,
08:15on a fait un très très grand pas pour qu'il passe les portes du collège
08:20avec confiance, avec sérénité.
08:22Ça, ce n'est pas spécifique aux élèves décrocheurs.
08:25C'est bénéfique à l'ensemble du système scolaire, par exemple.
08:28Le travail avec les familles aussi peut être extrêmement bénéfique.
08:33Travailler avec les familles, c'est se dire,
08:35même pour des parents pour lesquels l'école a été une expérience
08:38pas satisfaisante, parfois douloureuse,
08:40on va reconstruire le dialogue, reconstruire la foi
08:42dans ce que l'école peut apporter à leurs enfants.
08:45Est-ce qu'on pourrait retravailler ?
08:46Je sais que parfois dans les pays nordiques,
08:49il y a aussi des pays anglo-saxons,
08:51où on ne regarde pas forcément les résultats en tant que tels,
08:54le 18 sur 20, 20 sur 20.
08:56Est-ce qu'il y a aussi un effort à faire ?
08:57Parce que je pense qu'on a tous eu des enfants, des petits-neveux,
09:01dès qu'ils ont des notes qui baissent,
09:05on est un peu entré dans une spirale négative.
09:07Un cercle vicieux de la déconsidération,
09:11de l'absence de confiance en soi, dans les autres.
09:14Donc oui, tout à fait.
09:14Il y a peut-être un changement à opérer,
09:17à l'échelle de notre société, sur la mission de l'école.
09:19Nous, ce qu'on pense à Apprenti d'Auteuil,
09:21c'est que l'école, elle doit se concentrer sur deux objectifs,
09:25si elle ne doit n'en retenir que deux.
09:28La confiance en soi, qui est fondatrice,
09:31qu'on voit dans les entreprises.
09:33Un collaborateur qui a confiance en lui,
09:34c'est un collaborateur qui va savoir affronter des imprévus,
09:38s'adapter, etc.
09:39et aussi le goût d'apprendre.
09:41Donc ça, ça veut dire que s'il est acquis en âge scolaire,
09:45on va pouvoir le réexploiter, le remobiliser à l'âge adulte,
09:49quand il va falloir peut-être changer de métier
09:50ou se reformer en cas de difficulté.
09:53Benjamin Serda, quel peut être dans tout ça le rôle des entreprises ?
09:57Alors certes, il y a des enfants qui font des stages en entreprise,
10:00mais ça passe vite, c'est une semaine ou deux semaines
10:03quand on est en seconde.
10:05Qu'est-ce qui peut être fait dans ce domaine ?
10:07Déjà peut-être un mot sur la raison pour laquelle
10:09on doit faire quelque chose.
10:10En fait, ce décrochage scolaire,
10:12c'est un problème de compétitivité pour la France
10:15et c'est pour ça, en tout cas, qu'au BCG,
10:17on regarde ça de près.
10:18Maintenant, qu'est-ce qu'on peut faire ?
10:19Alors sur le décrochage en lui-même,
10:21il y a des dispositifs de prévention.
10:22Beaucoup d'entreprises font du mentorat.
10:24Il y a des dispositifs de rémédiation.
10:26Lucie a évoqué par exemple des parcours d'apprentissage
10:29un peu spécifiques.
10:31Je crois qu'au-delà du décrochage scolaire,
10:34j'aime bien les deux mots que Lucie vient d'évoquer,
10:36il y a une histoire de confiance.
10:39Et une histoire d'envie.
10:41Et donner confiance et donner envie aux jeunes
10:45de rentrer dans l'entreprise,
10:47c'est quelque chose que toutes les entreprises peuvent faire.
10:49Par exemple, au BCG,
10:51tous les ans, on organise ce qu'on appelle une summer school.
10:53On fait venir chez nous pendant,
10:55alors ce n'est pas très long, pendant une semaine,
10:56mais après on les suit dans les années qui suivent,
10:59une centaine de jeunes issus de milieux modestes.
11:01Et pendant une semaine,
11:03on va essayer de leur transmettre des compétences
11:05qui sont essentielles pour avoir confiance en l'entreprise.
11:07Comment je prends la parole ?
11:08Comment je résous des problèmes complexes ?
11:10Et on va les exposer à toutes sortes d'entreprises
11:13de façon à faire justement naître un peu d'envie.
11:15Il y a plein de métiers passionnants,
11:16simplement quand on ne les connaît pas,
11:17c'est difficile de trouver un sens aux apprentissages.
11:20C'est un dispositif sur lequel on a beaucoup de succès
11:22et beaucoup de retours positifs.
11:23Et on a pu le déployer chez des partenaires cette année,
11:26un peu partout en France.
11:27On a fait en Ile-de-France avec AXA et Allianz.
11:30On l'a fait dans l'ouest de la France avec Armour et Airbus Atlantique.
11:33Et on l'a fait dans la région de Lyon avec Seb.
11:35L'année prochaine, on a l'intention de démultiplier ce dispositif
11:38avec beaucoup plus d'entreprises partenaires
11:39parce que justement, ça permet de travailler sur la confiance
11:42et sur l'envie d'intégrer une entreprise.
11:44C'était intéressant comme session.
11:46On a fait ce lien entre la vie d'un enfant, son avenir
11:51et justement qu'il réussisse à trouver sa voie.
11:54Et puis le côté économique, parce qu'on le voit,
11:56ça compte sur l'économie.
11:57Je trouvais que ce chiffre était intéressant.
11:5976 000 jeunes sont en décrochage scolaire
12:01et ça coûte 340 000 euros par jeune.
12:03Donc au-delà de perdre des jeunes sur leur vie,
12:07la suite de leur carrière, il y a aussi ce co-économique.
12:10Donc c'est pourquoi les entreprises doivent y travailler.
12:12Merci à tous les deux d'être venu nous en parler.
12:13Benjamin Sarda, partenaire au BCG
12:15et Lucie Robieux, directrice du plaidoyer
12:17des relations extérieures, apprenti Toteuil.
12:20A très bientôt pour une nouvelle session BFM Stratégie.