Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 10 juin 2024 : le chef cuisinier Thierry Marx, il vient de publier un livre, "Le livre rouge de Thierry Marx", aux éditions Flammarion.
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00:00Bonjour Thierry Marx.
00:01Bonjour.
00:02Vous êtes le Einstein de la cuisine, chef cuisinier, oui, attiré par les expériences.
00:06Votre cuisine est un véritable laboratoire, être innovant et créateur d'émotions reste
00:09votre unique moteur.
00:11Vous le faites avec en tête deux choses, choisir de bons produits avec vraiment un
00:14soutien de l'environnement et de nos agriculteurs et effectivement, de l'autre, quand je parle
00:20d'environnement, je parle évidemment de protéger notre planète.
00:23Ce parcours est bien loin de vos débuts, je rappelle que vous avez été parachutiste
00:27au Liban avant de tomber d'amour pour le monde de la restauration, ça a commencé
00:32par une boulangerie, on va en parler.
00:33En 88, vous obtenez votre première étoile au Guinée Michelin à Montlouis-sur-Loire
00:39avec votre restaurant Rock'n'Val.
00:40Ensuite, il y a eu celle au Cheval Blanc de Nîmes avant d'être élu cuisinier de
00:46l'année en 2006 par Gaulais-Millaud et de devenir juré dans l'émission Top Chef
00:50sur M6.
00:51Aujourd'hui, vous dirigez plusieurs écoles, il y en a 11, c'est ça ?
00:5510.
00:56Il y a 10 écoles.
00:57Vous supervisez deux restaurants, Madame Brasserie sur la tour Eiffel et Surmesure
01:02au palace de Le Mandarin Oriental.
01:04Vous possédez également des boulangeries, c'était votre rêve de gosse, je crois qu'il
01:07est réalisé.
01:08Et comme vous avez également beaucoup de temps entre 1h du matin, j'imagine, et 4h
01:12du matin avant de vous lever, vous vous êtes dit, tiens, je vais écrire et vous écrivez
01:16effectivement, vous sortez le livre rouge de Thierry Marx chez Flammarion, vous dites
01:19en intro, si par ce livre, nous parvenons à convaincre que cuisiner n'est pas difficile,
01:23alors notre ambition aura réussi.
01:25Et vous enchaînez avec Je rêve d'un monde qui se lève de son canapé et qui met Netflix
01:30en pause quelques minutes.
01:31Ce monde semble vous inquiéter, Thierry Marx.
01:33Oui, je pense que c'est un monde qui m'inquiète d'abord parce que je ne suis pas né avec
01:38tout le référentiel numérique, digital qu'on vit aujourd'hui, qui vient télescoper
01:43mon ancien monde.
01:44Et en même temps, je pense que ce nouveau monde nous fait perdre notre verticalité.
01:51Donc, on voit bien, aujourd'hui, on n'est même plus un peuple sédentaire, on est un
01:54peuple immobile et ça, c'est dangereux.
01:56Donc, reprendre conscience que se faire à manger, même si on loupe un certain nombre
02:01de choses, ce sera toujours meilleur que de commander ou d'avoir un plat ultra transformé
02:06d'une cuisine industrielle.
02:07Vous dites que cuisiner n'est donc pas un sport de riche, mais une manière d'épouser
02:11le monde, la vie et l'époque.
02:12C'est essentiel, ça ?
02:14Oui, puis c'est un combat politique.
02:15Ce n'est pas se laisser asservir ou assigner un style de cuisine qui correspondrait à
02:20votre extraction sociale.
02:21D'ailleurs, nos aînés nous montraient souvent la possibilité de faire à manger avec pas
02:25grand chose. Et surtout, qu'est ce que c'est que de manger ?
02:28Manger, c'est plaisir, bien-être, santé.
02:30Et donc, le fait de ne pas se laisser convaincre que l'hyperconsommation de produits
02:35ultra transformés était bon pour nous, eh bien, ça prouve bien que ce combat politique,
02:40au sens étymologique du terme, il est important.
02:43Et de ne pas se laisser...
02:45Ce qui m'inquiète dans notre société, c'est qu'on perd l'esprit critique.
02:49Et l'esprit critique, on l'apprend à l'école.
02:52Moi, je revendique, d'ailleurs, c'est le travail de Claude Fischler qui dit qu'il faut
02:55arrêter de faire des consommateurs, il faut refaire des mangeurs.
02:57C'est à l'école que vous allez refaire des mangeurs.
02:59Par la connaissance, je ne réclame pas de cours de cuisine, je réclame des cours de
03:03gastronomie. Dans un cours de gastronomie, vous avez de l'histoire-géographie, vous avez
03:07de l'arithmétique, vous avez de la grammaire et de l'orthographe et vous avez la
03:11connaissance du produit, ce que c'est qu'un bon produit, le définir.
03:14Et puis, une forme d'hygiène alimentaire qui va s'installer.
03:18Et dans 20 ans, vous avez une bonne chance de retrouver des mangeurs et plus des
03:21consommateurs. C'est ces combats-là qu'il faut mener.
03:24Je l'ai fait sous forme de clin d'œil avec ce petit livre rouge parce que je trouve que
03:28l'écriture était accessible et les recettes qui sont dedans sont extrêmement
03:32accessibles avec pas grand chose et avec un panier moyen à moins de 3 euros.
03:36Mais il faut défendre cette idée que cette société, finalement,
03:40elle nous, par moment, je trouve qu'elle nous fait perdre notre verticalité.
03:44Étonnamment, d'ailleurs, effectivement, ce serait simple de mettre des cours de
03:47cuisine à l'école. Ce serait le moment où on se détend, où effectivement,
03:51on se rend compte que de travailler de ses propres mains, c'est quelque chose
03:55qualitatif.
03:56Bien sûr, surtout que dans l'apprentissage de n'importe quel être humain,
04:00et je peux citer mon cas, apprendre pour faire, l'école, beaucoup de
04:04difficultés. Mais faire pour apprendre, je comprenais le mécanisme.
04:08Donc, diviser la crème pâtissière par trois, c'est ennuyeux, mais ça vous
04:12évite de louper la recette. Donc, vous dites, j'ai intérêt à apprendre la
04:15division. Se faire pour apprendre, eh bien, on le retrouve facilement dans un
04:19cours de gastronomie, on le retrouve facilement dans un cours de cuisine.
04:22C'est très important de faire du sport en même temps qu'on mange,
04:26entre guillemets, c'est-à-dire qu'il faut manger bien.
04:28Et en plus, à côté, il faut faire du sport.
04:30Vous parlez du judo, des sports de combat, vous pratiquez, d'ailleurs, de combat
04:33toujours. Ça, c'est vraiment un point d'équilibre chez vous.
04:37Et il y a effectivement cet apprentissage de la chute.
04:41Et à chaque fois, vous avez chuté dans votre vie.
04:43Finalement, vous avez su rebondir et remonter doucement, mais sûrement
04:47pour consolider quelque chose de très fort.
04:50Ça aussi, c'est important pour vous de transmettre ce que vous avez vécu en
04:53tant qu'enfant, entre Champigny, Ménilmontant, ce grand-père juif,
04:57ce père qui était dans le bâtiment, cette maman qui vous a enseigné aussi
05:01tout ce qu'elle pouvait vous donner et vous transmettre.
05:04Et puis, moi, je dois à mes parents que le moindre denier qu'ils avaient,
05:08s'il fallait qu'on fasse du sport, ils trouvaient l'argent.
05:10Moi, ça m'a permis vraiment de traverser.
05:13Et ça me permet encore de traverser tous les épisodes de la vie.
05:18Il y a un moment, tout est au firmament.
05:20Puis, d'un coup, il y a un risque de chute.
05:22Vous faites une chute. Il faut s'y préparer.
05:24Vous allez rebondir, repartir.
05:26Et ça, cette magie du sport, c'est quand même un apprentissage de vie
05:29extraordinaire.
05:30Est-ce que le petit garçon que vous étiez, qui regardait ces deux boulangeries
05:34avec beaucoup d'envie, lui aussi, d'en découdre,
05:38est fier de l'homme qu'il est devenu au fil du temps, alors ?
05:41Je ne suis pas fier longtemps.
05:43J'ai toujours l'impression qu'il manque quelque chose ou que je n'aurais pas
05:45réussi quelque chose.
05:47Donc, non, je n'ai pas d'auto-satisfaction.
05:50Je n'ai pas d'auto-flagellation non plus, mais je n'ai pas d'auto-satisfaction.
05:54J'ai toujours envie de faire un truc qui éclaire le chemin.
05:58J'essaie vraiment, à 64 ans, de me dire, de rester un homme positif,
06:03même quand je vois qu'il faut travailler sur l'essentiel.
06:06C'est cette pauvreté qui s'installe sur toute la planète.
06:11Quand je le vois, je me dis, oh là là, qu'est-ce que c'est dangereux, cette
06:15misère qui s'installe, cette misère sociale.
06:17Et ce n'est pas en disant que c'est de la faute de l'autre que ça va s'arranger.
06:21C'est, trouvons des solutions ensemble, plutôt que de chercher des coupables.