- 30/05/2024
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00:00 avec notre invitée du jour, c'est vous Azadeh Kian. Bonjour. - Bonjour.
00:02 - Merci d'être à nos côtés aujourd'hui. Je le disais en introduction,
00:06 franco-iranienne, professeure de sociologie à l'université Paris Cité,
00:08 directrice aussi du Centre d'enseignement et de recherche en études féministes
00:12 et de sa revue, les cahiers du CEDREF, dans cette même université.
00:16 On vient de le voir, la situation fait que ces élections sont convoquées en urgence.
00:23 Il y a un calendrier assez réduit, il va falloir aller voter dans moins d'un mois.
00:27 Dans cinq jours, on ne pourra plus déposer des candidatures et la campagne démarra donc le 12.
00:31 Du 12 au 28, ça va faire un très court laps de temps pour se décider et aussi pour se mettre dans l'ambiance.
00:38 Parce qu'il nous le disait à l'instant, Siavosh, les Iraniens pour le moment n'y sont absolument pas.
00:44 - Absolument pas. Mais je pense que le régime a sa tête.
00:51 Le Gitra Menei n'a pas d'espoir non plus à pouvoir mobiliser les électeurs.
00:58 C'est évident. Eux-mêmes, ils sont en train de dire que lors des législatives précédentes,
01:04 entre 8 et 10 % des électeurs seulement ont participé aux urnes.
01:09 Et cette fois-ci, dans ces conditions, on peut s'attendre à un taux de participation très, très bas.
01:15 Et je pense que l'élection présidentielle va jouer entre effectivement des gens qui sont déjà plus ou moins connus du public
01:25 et donc des électeurs parmi les personnes susceptibles d'être candidats.
01:31 Il y a plusieurs, bien sûr, orientations ou factions.
01:34 Mais je pense que monsieur Mohamed Morber, qui est à l'heure actuelle le président par intérim
01:42 et qui, pendant plusieurs années, donc 3 ans, a été le premier vice-président de M. Raisi,
01:48 a beaucoup plus de chances que les autres d'être élu,
01:53 puisqu'il a l'accord du guide, il est très proche du guide également.
01:58 - Et pourtant, il n'est pas vraiment connu du grand public.
02:00 Il a âgé de 68 ans. Il est dans la lumière depuis la mort de Brian Raisi, depuis qu'on lui a confié le poste.
02:05 Les Iraniens ne connaissent pas vraiment.
02:07 - Maintenant, il est connu, puisque, encore une fois, on le voit en train de discuter, par exemple, avec les chefs des forces militaires.
02:19 On sait que, aussi, le guide voudrait visiblement avoir un prochain président plutôt technocrate,
02:27 plutôt quelqu'un qui ne va pas s'immiscer dans l'élection prochaine du guide, si jamais Ayatollah Khomeini venait à disparaître.
02:38 Et c'est le cas de monsieur Morber, qui va se contenter, donc, de gérer les affaires,
02:43 en même temps que monsieur Raisi avait placé un certain nombre de personnes totalement incompétentes
02:50 dans différents ministères, lui-même est un président incompétent.
02:54 Et donc, là, il faut que ça change. Et je pense que, là, si vous voulez, ce que le guide demandera à monsieur Morber,
03:03 si jamais il est élu, c'est, effectivement, de placer des technocrates dans différents ministères,
03:09 afin de pouvoir répondre à la crise économique profonde du pays, d'une part.
03:15 D'autre part, il y a aussi, vous n'êtes pas sans savoir, beaucoup de crises politiques, à la fois internationales et régionales,
03:22 qui convient, quand même, de résoudre, si ce régime veut se maintenir.
03:26 — On va y revenir dans un instant. J'aimerais qu'on se concentre d'abord sur, peut-être, ces candidatures.
03:31 À vous entendre, le choix est déjà fait. Ce sera un conservateur, un proche parmi les proches.
03:37 Il n'y a aucune place au changement. On parle des réformateurs. Là encore, à ce niveau-là, il y a peu de doute sur l'issue du scrutin ?
03:45 — Écoutez, il est possible que quelques réformistes comme M. Kavakébyan... On parle aussi beaucoup de M. Pézet-Chenia,
03:53 qui est aussi un député réformiste de Tabriz, justement, qui va être aussi candidat.
04:01 Peut-être que le Conseil de surveillance va permettre à un certain nombre de ces réformistes très modérés,
04:07 qui ne sont pas non plus dans le camp de M. Ratami, de pouvoir être habilités à concourir.
04:16 Mais ils ne parviendront pas à mobiliser les électeurs réformistes, qui sont aujourd'hui très très désillusionnés.
04:24 Alors rappelons que M. Ratami, l'ancien président, lui-même a refusé d'aller voter lors des législatives précédentes.
04:33 Et en cela, il a dit « je vais me mettre aux côtés donc de la population ». Donc c'était clair et net pour lui.
04:40 Après, il y a aussi dans le camp de ultra-ultra-conservateur M. Saïd Djalili, ancien négociateur de nucléaire...
04:48 — Qui était le premier, est-ce que c'était dans la course ? — C'était le premier dans la course. Mais M. Djalili pose beaucoup de problèmes au régime.
04:57 Pourquoi ? Parce qu'il est... Non seulement il est ultra-ultra-conservateur, mais il est vraiment soutenu par aussi des clercs ultra-conservateurs.
05:07 Et ça peut poser problème au moment de choisir donc le prochain guide. N'oublions pas qu'il y a un certain M. Mir Bareri, un ayatollah, qui soutient Djalili et qui...
05:21 — Qui est l'ancien responsable du dossier nucléaire. — M. Djalili. Mais il est soutenu par des ayatollahs ultra-conservateurs qui sont contre même l'accès des femmes à l'éducation.
05:31 Et lorsque des écolières avaient été gazées – souvenez-vous l'année dernière –, eh bien on accusait ces gens-là, ces ayatollahs ultra-conservateurs,
05:40 qui aujourd'hui soutiennent M. Djalili, d'avoir été à l'origine de ce gazage des écolières afin d'y dissuader des femmes d'aller à l'école.
05:51 Donc en fait, je pense que le régime va opter pour un conservateur comme – voilà – M. Mohamed, en qui le guide a toute confiance.
06:02 Le choix de ces candidats pourrait conduire une partie des Iraniens et des électeurs à ne pas se déplacer aux urnes.
06:09 Vous venez de le rappeler, le dernier scrutin de mars, les législatives avaient été boycottées par les formations réformatrices.
06:14 On va peut-être regarder les derniers chiffres du taux de participation. C'est un enjeu évidemment important de ce scrutin.
06:19 En tout cas, nous, on va les regarder. En 2021, la participation n'avait atteint que 49%. C'était le plus faible taux depuis la révolution islamique en 1979.
06:29 Mars dernier, avec les législatives, encore en baisse, ce chiffre. 41% de participation. Vous pensez qu'on sera encore bien en dessous le 28 janvier prochain ?
06:37 Alors les chiffres que vous citez sont bien évidemment les chiffres officiels parce que les gens du régime eux-mêmes...
06:43 Ils sont déjà bas.
06:45 Écoutez, ils sont déjà très très bas. Mais on sait que le taux réel était encore beaucoup plus bas.
06:51 Et d'ailleurs, lorsque en juin 2021, M. Raisi s'est fait élire sous l'ordre du guide, le deuxième vote le plus important, c'était le vote des votes blancs.
07:03 Enfin des électeurs qui sont allés voter pour des raisons diverses mais qui ont voté blanc.
07:08 Donc ce régime ne peut plus prétendre représenter la volonté populaire.
07:16 Et à mon avis, effectivement, ils vont organiser néanmoins des élections sans pour autant avoir une illusion de participation ou d'un taux de participation important.
07:29 Raison pour laquelle je pense que la décision est déjà prise cette fois-ci aussi.
07:34 Tout comme pour M. Raisi, n'oublions pas qu'il y a de nombreux candidats qui n'ont pas été habilités en 2021 et d'autres candidats...
07:41 Et ce sera le cas encore, vous pensez, le 11 juin prochain ?
07:44 Écoutez, moi je pense que oui. Ils vont garder 3-4 personnes, pas énormément.
07:50 Et parmi ces personnes, c'est le guide qui tranchera au final.
07:55 Alors si on vous suit bien, ce sera donc la poursuite sur la même ligne de ce régime,
08:01 avec les questions qui se posent aujourd'hui notamment pour les droits de l'homme, pour ce mouvement de contestation dont on parle beaucoup moins aujourd'hui.
08:07 Hier, il y avait un rapport qui a été rendu public, celui d'Amnesty. On va peut-être regarder ces chiffres.
08:13 Amnesty qui communiquait sur le nombre d'exécutions dans le monde.
08:17 Il a atteint son plus haut niveau depuis 2015, sous l'effet d'une forte augmentation selon l'organisation en Iran.
08:24 1153 exécutions recensées dans 16 pays en 2023.
08:29 A lui seul, l'Iran a exécuté 853 personnes.
08:33 C'est près de 50% de plus qu'en 2022. Ces chiffres, ils illustrent la réalité aujourd'hui en Iran.
08:40 Absolument. Il s'agit de 74% de l'ensemble des exécutions en 2023.
08:46 C'est pour ça qu'on a mis ces deux chiffres côte à côte.
08:48 En 2023, et donc effectivement par rapport à 2015 où l'Iran avait eu le taux d'exécution le plus important,
08:56 en 2023, c'est encore davantage, enfin encore plus.
09:02 Bon, disons que c'est une façon d'une part d'intimider la population,
09:09 puisque s'il est vrai que la plupart des personnes exécutées sont des trafiquants de drogue,
09:15 eh bien c'est quand même la peine de mort et les exécutions sommaires sont faites aussi pour intimider l'ensemble de la population.
09:24 À cela s'ajoute le fait que depuis 2022, depuis le mouvement de Jinnah Massamini...
09:30 Femme, vie, liberté, ce mouvement de contestation qui avait fait descendre dans les rues des dizaines de milliers d'Iraniens et d'Iraniennes.
09:36 Absolument, des dizaines de milliers d'arrestations.
09:39 Et depuis cette date-là jusqu'à aujourd'hui, on est face à environ une vingtaine d'exécutions des personnes qui manifestaient, qui avaient été arrêtées.
09:50 Et ça continue, par exemple, vous savez, des personnes qui risquent aussi d'être exécutées pour avoir chanté une chanson comme "Too much to say",
09:59 par exemple, comme Rassaie, donc un autre chanteur, musicien.
10:03 Et donc effectivement, c'est vraiment la répression féroce qui frappe.
10:10 Ça, ça va continuer bien évidemment. Pourquoi ? Parce que ce régime islamique, ce c'est très impopulaire.
10:15 Et donc la répression de la population est leur seule manière de se maintenir au pouvoir.
10:21 En plus de ça, en négociant et en continuant à négocier avec les États-Unis, par exemple.
10:27 Ça aussi, c'est une autre réalité.
10:29 Dans les prisons iraniennes aujourd'hui, il y a aussi des prisonniers étrangers, des Français, des otages selon leur famille,
10:36 qui entendent peut-être se saisir de cette opportunité, de cette élection. Ils y voient peut-être une fenêtre.
10:42 On a les familles des trois otages français en Iran qui ont dénoncé leur détention arbitraire devant l'ONU il y a quelques jours à peine.
10:49 Ils ont une chance d'être entendus ?
10:51 Malheureusement, non pour l'instant, parce qu'on sait qu'il y a quatre Français qui sont pris en otage et emprisonnés en Iran.
10:59 Les Iraniens prennent en otage des Occidentaux et en contrepartie, ils demandent quelque chose.
11:06 Alors qu'est-ce qu'ils demandent à la France ?
11:08 Ça, je n'en sais rien exactement quoi, mais c'est moyennant des négociations avec les plus hautes autorités françaises.
11:15 Est-ce qu'on peut espérer un jour la libération de ces quatre otages français ?
11:20 Est-ce que le changement d'un président qui va être aussi un ultraconservateur va changer la donne ?
11:28 Je ne le pense pas, sauf si dans les négociations sur le nucléaire iranien, par exemple, il y aurait une fenêtre ouverte.
11:36 Et donc on peut espérer effectivement à ce moment-là la libération des otages.
11:42 Mais étant donné que la France, l'Allemagne et aussi la Grande-Bretagne ont déposé au sein du Conseil des gouvernants de l'AIEA,
11:49 Agence internationale de l'énergie, une motion pour sanctionner le régime islamique d'Iran pour son programme nucléaire.
11:58 On ne peut pas espérer que les otages français soient libérés de sitôt.
12:01 Voilà, vous parlez de Washington. Les Américains sont dans le doute en ce moment. Ils redoutent qu'une telle résolution provoque une escalade dans la région.
12:09 J'aimerais qu'on parle d'un des défis, vous l'évoquiez en introduction, qui attend le futur président. C'est évidemment le dossier de l'économie.
12:15 Le prochain président devra faire face à un défi considérable. Le pays se voit fragilisé par une inflation galopante, un taux de chômage élevé,
12:23 une dépréciation record de la monnaie nationale face aux dollars. À l'occasion de l'enterrement du président iranien la semaine dernière,
12:31 nos reporters se sont intéressés à la situation économique des Iraniens eux-mêmes. Après des années de sanctions américaines qui se sont encore durcies,
12:39 le pays est exsangue et les populations subissent de plein fouet les conséquences de ces décisions diplomatiques.
12:46 Vous voyez tout de suite le reportage de notre équipe Saïd Raifi, Abdallah Malkawi, Andrew Hilliard et Julien Sauvaget.
12:54 Machad, deuxième ville du pays, est l'une des plus visitées aussi avec la présence du tombeau de l'imam Reza, le huitième des douze imams du chiisme.
13:08 Le seul enterré dans ce pays. Le tourisme religieux est l'activité principale de la ville et depuis quelques années, les Irakiens notamment viennent en nombre,
13:19 malgré l'inflation galopante que connaît l'Iran.
13:23 La vie est plus chère qu'avant, oui, mais la différence de prix du dollar est en notre faveur. Avant, on échangeait 100 dollars pour 1,3 million de rials.
13:32 Maintenant, c'est plus de 5 millions pour ces mêmes 100 dollars.
13:36 Un contraste saisissant avec la population locale iranienne qui, elle, doit additionner les petits boulots pour espérer s'en sortir à la fin du mois.
13:44 Ici, tous ou presque, ont au moins deux, voire trois activités professionnelles pour survivre.
13:49 Ils disent qu'il n'y a pas de problème, que tout va bien, mais on le voit tous, on le sent dans nos chairs.
13:58 Notre jeune génération est une génération sacrifiée. Tous ceux qui sont instruits quittent l'Iran et nous, qui ne pouvons partir, nous devons rester ici et subir la situation.
14:09 Oui, en effet, c'est dur. L'un des problèmes, c'est la vie chère. J'espère que les choses vont s'améliorer.
14:16 Quelques jours après les funérailles en grande pompe du président Ibrahim Raisi à Mashhad, sa ville natale,
14:22 les Iraniens vont devoir se choisir un nouveau président le 28 juin prochain.
14:28 Pré-sélectionnés par le pouvoir religieux, les candidats ne devraient pas s'éloigner de la politique de l'ancien président.
14:35 Par respect pour M. Raisi, je voterai aux élections. Je voterai pour une personne qui ressemble à M. Raisi.
14:44 Après des années de sanctions américaines, l'économie iranienne est au bord du gouffre. Une situation de plus en plus difficile à supporter pour la population.
14:52 Nul doute que l'économie sera donc l'un des thèmes majeurs de cette campagne présidentielle.
14:58 Voilà, mot rapide sur ce dossier de l'économie. Ça, ça va être un enjeu. Là aussi, c'est très concret pour les Iraniens.
15:03 Tout à fait, tout à fait. Plus de la moitié de la population iranienne vit sous le seuil de pauvreté.
15:08 On ne peut pas tout mettre non plus sur les sanctions américaines. En tant que responsable, ce sont la mauvaise gestion de l'économie,
15:16 la corruption aussi de l'élite au pouvoir et l'orientation de l'économie vers, on le voit, le secteur juste de bazar, commerce, etc.,
15:27 qui sont responsables parce qu'il n'y a pas d'emplois créés ou suffisamment d'emplois créés pour les jeunes.
15:33 Alors l'Iran est un pays où 60% des gens qui sortent de l'université se trouvent au chômage.
15:39 Donc ça veut dire qu'ils ne peuvent pas se marier, etc. Donc il y a énormément aussi de crises sociales du fait de ces crises économiques.
15:48 Et donc il y a une fuite de cerveau très importante également.
15:51 Maintenant, le prochain président doit effectivement changer de position ou changer de politique économique par rapport à M. Raisi.
16:01 Et peut-être demander ou obtenir des personnes, parce qu'il y a en Iran des économistes qui sont capables quand même de trouver des solutions à cette crise économique.
16:14 Donc voilà, espérons que ce sera le cas.
16:18 Quelle place après le 28 juin prochain aussi pour cet incroyable mouvement de contestation et de résistance qui continue, certes un peu plus silencieux qu'au départ ?
16:28 La désobéissance civile continue, on le voit. Les femmes continuent à être au-devant de la scène contestataire.
16:33 Elles vont continuer à se battre de toute façon. Et donc je pense que ça va continuer.
16:40 Même dans un régime encore plus dur, comme on l'évoquait en début de cette demi-heure ?
16:43 Oui, je pense qu'elles ont l'habitude, si vous voulez, de la répression, les femmes.
16:47 Et puis les Iraniens contestataires qui ne se résument ni à Machad, ni à Teheran, mais aussi dans différentes provinces iraniennes.
16:55 Donc je pense qu'on sera face à la continuation de cette résistance très très courageuse de la population.
17:04 Merci beaucoup Azadeh Kian d'avoir été notre invité du jour.
17:07 Cinq jours donc pour se faire connaître. Validation ou non des candidatures, ce sera le 11 juin prochain.
17:13 Le 12 commencera alors officiellement la campagne présidentielle, cette présidentielle anticipée qui sera convoquée le 28 juin prochain.
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