- 23/11/2023
Jeudi 23 novembre 2023, SMART BOURSE reçoit Laurent Babikian (Directeur des marchés de capitaux Europe, CDP)
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00:00 [Musique]
00:10 Le dernier quart d'heure de Smart Bourse, c'est le quart d'heure thématique.
00:12 On est à une semaine de l'ouverture de la COP 28 aux Émirats Arabes Unis.
00:16 Nous évoquons les enjeux de cette COP 28 avec Laurent Babikian à mes côtés en plateau,
00:21 le directeur des marchés de capitaux Europe du CDP. Bonjour Laurent.
00:25 Bonjour Édouard.
00:26 Ravi de vous retrouver. Je crois qu'on se voit à peu près chaque année à la même période pour les COP.
00:30 Décrypter un petit peu avec vous les enjeux, à commencer par le rapport de force politique quand même,
00:38 qui n'est plus tout à fait le même qu'il y a dix ans ou je ne sais pas quand remontent les premières COP.
00:43 Mais c'est un rapport de force politique qui a considérablement changé.
00:46 Partant alors de magnifiques infographies que vous nous apportez Laurent,
00:50 partant du constat que les régimes démocratiques dans le monde sont de moins en moins majoritaires.
00:54 Ah oui, ça c'est The Economist Democracy Index, chaque année qui publie selon dix critères un classement des pays
01:02 selon leur degré de maturité par rapport à la démocratie.
01:05 Et en fait, en 2022, il n'y a que 45% de la population mondiale qui vit en démocratie.
01:10 C'est les zones en bleu et le principal continent qui fournit des démocraties, c'est l'Europe.
01:15 Donc il faut les protéger. Ce n'est pas parce qu'on a fait la révolution en France
01:19 qu'on va garder la démocratie ad vitam aeternam.
01:22 Il y a de grosses tentatives qui sont faites tous les jours pour pouvoir diminuer
01:27 les différentes libertés relatives à la démocratie.
01:30 Donc c'est important d'avoir ce graphique en mémoire.
01:34 Quand on met des chiffres sur ce rapport de force, notamment des chiffres de PIB par exemple,
01:40 là aussi le monde a changé.
01:42 C'est vrai que le rapport traditionnel se faisait entre le G7, qui existe toujours bonhomme allant,
01:48 et ce qu'on a appelé les BRICS.
01:50 Alors c'était l'acronyme du chef économiste de Goldman Sachs, ça remonte à 15 ou 20 ans, j'en sais rien.
01:56 Les BRICS existent toujours, mais maintenant on considère qu'ils vont bien au-delà des 5 pays BRICS
02:03 et que c'est le Global South qui compte, comme on dit.
02:06 Absolument. Alors ça ce sont des graphiques montrant le PIB, un chiffre du FMI,
02:13 donc prévu pour 2023, la partie en bleu, le G7, c'est 45 trillions.
02:20 Grosso modo le PIB prévu pour 2023 c'est 105 trillions dans le monde.
02:24 Donc à peu près 46% vient du G7.
02:27 Les BRICS sont à 31 trillions, la partie en rouge, et il y a 6 nouveaux membres.
02:33 Donc les BRICS c'est Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
02:39 Et il y a 6 nouveaux membres qui vont rejoindre les BRICS au 1er janvier 2024,
02:44 l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Argentine, l'Egypte, les Emirats Arabes Unis et je crois la Tanzanie.
02:51 Et en fait les BRICS représentent à peu près 31% du PIB mondial.
02:56 En parité de pouvoir d'achat, la bascule a déjà eu lieu en 2022,
03:02 c'est à dire que les BRICS ont un PIB supérieur à celui du G7,
03:06 notamment à cause de l'Inde, qui ne vaut que 3,7 trillions,
03:10 mais en parité de pouvoir d'achat on est plutôt plus à 14-15 trillions.
03:14 Ce qui est intéressant dans ce graphique, c'est de voir qu'une fois que les nouveaux entrants vont rejoindre les BRICS,
03:22 ça va représenter 45% de la production de pétrole mondial,
03:27 et l'essentiel des métaux rares nécessaires justement à la transition.
03:32 Donc le G7 perd de la vitesse, il y a une bascule qui a lieu en ce moment,
03:38 c'est à mon avis le gros point de tout ce qui se passe en ce moment au niveau politique, géopolitique et autre, économique,
03:45 c'est cette bascule qui a lieu de l'Occident vers l'Orient.
03:48 Quand on regarde les chiffres de Goldman Sachs pour 2050,
03:50 qui ne prennent pas du tout en compte l'impact du changement climatique, la perte de biodiversité,
03:54 on prend les mêmes modèles et on fait la même chose,
03:58 on voit que la Chine passe en numéro 1 à 42 trillions, les Etats-Unis en numéro 2 et l'Inde en numéro 3,
04:04 pour un total de 217 trillions, alors qu'on est à 105 trillions là,
04:11 et le PIB continue à croître de manière à peu près entre 2 et 2,5% par an dans le monde.
04:16 Si on regarde le rapport de force à travers les marchés financiers et à travers les émissions de carbone,
04:23 est-ce que c'est quand même le sujet de la COP ? Le climat, qu'est-ce qu'on retient comme enseignement ?
04:28 Ce qui est très intéressant, c'est que les Etats-Unis, c'est 4% de la population mondiale, 26% du PIB mondial,
04:33 comme on l'a vu avant, et 42% de la capitalisation boursière mondiale.
04:37 Quel succès ?
04:38 Super efficace, pour le moment, super efficace encore.
04:42 La Chine, c'est 16% de la population mondiale, 10,6% de la capitalisation boursière mondiale et 20% du PIB mondial.
04:51 L'Inde n'est pas sur ce schéma de capitalisation boursière, c'est dit dans les autres pays overdeveloped market.
04:58 Mais l'Europe, on est aux alentours de 7 ou 8% de la population mondiale,
05:06 on est à 11% si on prend les prix européens, et le PIB européen est à peu près à 20 trillions,
05:16 donc à peu près la même chose que la Chine.
05:18 Tout ceci est en train de basculer, en toile de fond, c'est ce qui se passe.
05:23 C'est pour ça qu'on voit que des pays n'ont pas soutenu l'Ukraine quand la Russie a envahi l'Ukraine,
05:28 ou que des pays n'ont pas condamné le Hamas quand il y a eu les attaques terroristes du Hamas.
05:34 En termes d'émissions carbone, la Chine, en termes de stock, en 2021, c'était 31% des émissions, 7,3% l'Inde, 13% les Etats-Unis.
05:45 Et si je prends le cumulé par rapport à 1750, j'ai 25% qui vient des Etats-Unis,
05:49 parce que c'est important de voir qu'il y a 23% de l'Europe.
05:53 Donc 25% viennent des Etats-Unis, 23% de l'Europe.
05:56 Donc à eux deux, Europe, Etats-Unis, c'est 50% des émissions cumulées depuis l'ère pré-industrielle.
06:01 Et donc ça fait partie des sujets qui seront à nouveau sur la table de la COP28.
06:04 Déjà, l'idée de cette compensation de la legacy des pays développés, industrialisés,
06:10 vis-à-vis des pays du Sud et du Global South, c'est une question qui n'est toujours pas réglée.
06:14 C'est toujours pas réglé.
06:16 Et puis c'est le sultan al-Jabbar qui est le président de la prochaine COP,
06:20 dont je rappelle que c'est le président aussi de la boîte publique de pétrole d'Abu Dhabi, qui s'appelle Adnok.
06:28 Et donc on peut raisonnablement penser que le lobby pétrolier va prendre en otage cette COP.
06:34 En tout cas, ils seront présents.
06:36 Il faut qu'ils soient, ils font partie de la commission.
06:38 J'allais dire, ils y seraient pas, on pousserait tous des cris d'enfrée en disant
06:43 "Ah, regardez, ils s'en foutent, ils y vont pas !"
06:45 Parfois ils y vont en utilisant des casquettes d'ONG allemande.
06:49 C'était le cas de Total, l'année dernière, où il fallait quelques places supplémentaires.
06:53 Donc ils n'avaient pas le quota pour Total, il fallait trouver des moyens détournés.
06:56 À part entrer dans les arcanes du lobbyisme, etc.
06:59 Ils sont très forts là-dessus.
07:02 Et un des points que le président de la COP voudrait avoir comme résultat, c'est qu'il a trois ambitions fortes.
07:09 La première ambition, c'est le triplement des investissements renouvelables entre aujourd'hui et 2030 dans le monde.
07:16 Ça, ça correspond au scénario de l'AIE.
07:18 Donc ça, c'est bon.
07:19 S'il arrive à avoir les pays qui signent ça dans le texte final de la COP, ce serait une victoire.
07:24 La deuxième, c'est de fixer la finance climat, donc des pays développés vers les pays en développement.
07:33 Et la troisième, c'est de construire les bases d'une Just Transition qui soit inclusive.
07:38 Or, si on prend la finance climat, il faut quand même voir ce qu'il se passe.
07:44 Je crois que c'était la COP de Copenhague en 2009 qui avait dit qu'il fallait payer 100 milliards.
07:50 C'est ça, un fonds de compensation.
07:52 C'est un fonds d'aide pour aider les pays à s'adapter, à lutter contre le changement climatique.
08:00 Les pays riches devraient donner 100 milliards par an aux pays pauvres pour s'adapter et lutter contre le changement climatique jusqu'à 2030.
08:09 Or, les derniers chiffres de 2022, c'est qu'ils donnent 83 milliards.
08:15 Et quand ils donnent de l'argent, ce n'est pas des donations, ce sont des prêts qui portent intérêt.
08:21 Ce qui est juste fou.
08:22 En termes d'éthique et de morale, c'est un problème.
08:24 Parce que ce sont ces pays-là qui ont exploité les ressources des pays du Sud pour pouvoir créer de la richesse et faire des profits.
08:32 La moindre des choses, ce serait qu'on donne cet argent en donation et sans porter intérêt.
08:37 C'est le premier point.
08:38 Il faut discuter à cette COP pour voir où on en est.
08:42 Le deuxième point, c'est le fonds des Loss and Damage Fund, qui était le principal point sorti de la précédente COP à Charlesmachère.
08:53 On n'est toujours pas capable de signer l'accord final.
08:57 Cela a été décidé de créer un fonds de Loss and Damage pour aider les pays qui en ont besoin.
09:02 Il y a eu plein de discussions.
09:04 Les discussions ont échappé.
09:06 On ne sera pas capable à cette COP de signer l'accord final.
09:09 Un des points d'échappement, c'est que les pays du Sud global ne voulaient pas que ce fonds soit géré par la Banque mondiale.
09:18 Les pays du G7 voulaient que ce fonds soit géré par la Banque mondiale.
09:21 Cela revient à l'histoire des parts.
09:23 Les pays du Sud ne veulent plus de la Banque mondiale et du FMI qui leur dit qu'ils leur donnent l'argent.
09:29 Il y a une bascule qui opère.
09:32 On va voir ce que cela va donner cette COP.
09:35 Sur le point du triplement des investissements dans les renouvelables, il y a déjà des pays qui ont dit qu'ils ne voulaient pas le faire.
09:46 C'est l'Arabie saoudite et la Russie.
09:48 C'est un problème. Il faut que ce soit un accord où tout le monde signe le document.
09:53 Quand je regarde ce qui se passe dans le pétrole, c'est juste fou.
09:58 On voit les coûts de financement du pétrole.
10:00 Au niveau global, les émissions, c'est un rapport sorti des Nations unies il y a deux jours.
10:10 C'est ce qu'on appelle l'émission gap report.
10:12 Les émissions ont augmenté sur un an en 2022 d'1,2 % par rapport à 2021.
10:17 Ce rapport prévoit que les émissions vont continuer à augmenter d'ici 2030.
10:23 Grosso modo, on devrait atteindre un niveau de +9 % alors qu'on doit faire -45 %.
10:28 Normalement, pour être en ligne avec un monde à 1,5 degré, il faudrait que l'on baisse de 4 à 6 % les émissions chaque année.
10:38 Faire ce qui a été fait pendant le Covid.
10:40 Chaque année, d'ici 2050.
10:42 On n'est pas du tout à l'opposé.
10:45 C'est ce que vous montrez avec ce graphe.
10:48 Le marché accorde des coûts de financement au plus bas que ce soit le secteur pétrole et gaz ou le reste du marché.
10:56 Absolument.
10:57 C'est très intéressant parce que ça démontre que toutes les institutions financières qui ont rejoint des alliances Net-Zéro,
11:08 qui se regroupe sous le terme barbare de GFANS,
11:15 il faut qu'ils construisent des portefeuilles alignés sur Net-Zéro avec des étapes intermédiaires à 1,5 %.
11:25 En fait, ils ne le feront pas.
11:27 Parce que s'ils le faisaient, vous devez mesurer votre scope 3, c'est-à-dire les émissions financières de vos portefeuilles,
11:35 et vous devez mettre des objectifs de réduction d'émissions.
11:37 Donc, s'ils le faisaient, vous ne pourriez plus prêter autant d'argent à l'oil et le gaz.
11:42 Ce serait plus difficile pour l'oil et le gaz de se financer.
11:45 Ce que démontre ce graphique, c'est que ce n'est pas du tout le cas.
11:47 L'oil et le gaz se financent au même niveau que tous les autres secteurs.
11:50 On ne pourra pas réussir à faire la transition si on a des graphiques de ce type-là,
11:56 puisqu'il faudrait qu'à un moment donné, l'oil et le gaz payent beaucoup plus cher son emprunt.
12:00 Ce n'est pas du tout ce qui se passe aujourd'hui.
12:02 Et bien, au contraire, la production de pétrole augmente.
12:05 On prévoit qu'il y a un excellent rapport qui a été fait par la World Benchmarking Alliance,
12:10 en collaboration avec le CDP, qui classe les 100 plus gros producteurs de pétrole dans le monde,
12:15 et qui démontre qu'à priori, le pic de production de pétrole devrait être en 2028.
12:19 Oui, avant 2030.
12:21 A priori.
12:23 Pic de consommation.
12:25 Non, pic de production de pétrole.
12:27 Il y a un grand débat entre le pic de production de pétrole et le pic de consommation.
12:30 Vous avez dit pic de consommation, certains pensent encore qu'il y aura un pic de production.
12:37 Oui.
12:38 On me l'a fait le coup il y a 20 ans, le pic de production.
12:41 C'est bien le problème.
12:42 Avant le schiste, avant l'exploration très profonde, etc.
12:45 Tout à fait.
12:46 Là, c'est prévu pour 2028, ce qui veut dire que les boîtes de pétrole continuent à augmenter leur production.
12:51 Et quand ce rapport analyse les 100 premières sociétés de production,
12:56 on a vu que, j'invite les téléspectateurs à voir ce rapport,
13:00 World Benchmarking Alliance Oil & Gas Benchmark,
13:04 plus de 50% de ces sociétés payent encore la partie variable de leur CEO liée à une augmentation de la production.
13:12 Donc, tant qu'on sera dans ce type de manifestation totalement folle,
13:16 on ne pourra pas régler les problèmes, puisque leur but c'est d'augmenter la production.
13:20 Et si je regarde les profits, ça c'est les chiffres de l'IAE en 2022,
13:24 les profits du pétrole, c'est 4 trillions.
13:27 Oui, d'accord.
13:29 Les profits du secteur bancaire, les profits du secteur tech,
13:33 je n'ai pas la comparaison, je n'ai pas les chiffres sous les yeux.
13:35 Oui, effectivement.
13:36 C'est 4 trillions pour le pétrole, c'est peut-être plus si on prend les GAFAM ou les 7 magnifiques aux Etats-Unis.
13:43 Probablement, mais c'est 4 trillions pour le pétrole, alors qu'on doit enclencher des processus de baisse.
13:49 Il n'y a pas de raison que ça change, si vous voulez.
13:51 On verra ce qu'il ressent de la COP28.
13:54 Il faudra qu'on parle de l'Europe une autre fois.
13:56 On a épuisé le quota de temps.
13:59 L'Europe pour une prochaine fois.
14:01 Merci beaucoup, Laurent, d'être venu en amont de la COP28 pour poser les enjeux
14:05 avec la perspective que vous nous avez apportée sur ce nouveau rapport de France
14:10 et ce monde qui bascule vers l'Orient et le Global South.
14:15 Laurent Babikian, directeur des marchés de capitaux Europe du CDP,
14:19 qui est avec nous l'invité de ce quart d'heure thématique de SmartBourse.
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