Sophie, la mère d’Enzo, tué à l’âge de 15 ans le 22 juillet dernier à La Haye-Malherbe (Eure), a accepté de témoigner sur CNEWS.
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00:00 le 22 juillet dernier, le jeune Enzo, 15 ans,
00:03 a été poignardé par d'autres adolescents du même âge
00:06 dans la commune de Leymah-l'Herbe, dans l'Eure,
00:08 un drame qui a provoqué la tristesse et la colère
00:11 de tout un village.
00:12 Cet après-midi, la maman d'Enzo a accepté de témoigner.
00:16 Elle est avec nous en direct dans "120 minutes Info".
00:19 Bonjour, Sophie.
00:20 -Vous pouvez regarder ma collègue en parlant.
00:23 -Bonjour, Sophie. Est-ce que vous nous entendez ?
00:29 -Oui, je vous entends.
00:30 -Merci d'être avec nous en direct cet après-midi sur CNews.
00:36 Je précise que vous êtes chez vous.
00:39 Je précise aussi qu'avant de commencer,
00:42 on s'est longuement eus au téléphone, vous et moi,
00:45 avant cet entretien. Vous m'avez expliqué
00:47 pourquoi vous souhaitiez que cet entretien ait lieu.
00:50 Pas tout de suite, il vous a fallu un peu de temps.
00:53 Pouvez-vous me réexpliquer, à moi et pour les téléspectateurs
00:56 qui nous regardent votre démarche ?
00:59 -Notre démarche, aujourd'hui, en fait,
01:02 c'est de pouvoir faire en sorte
01:06 que la loi des mineurs change.
01:09 Pour le papa comme pour moi, je parle pour nous, aujourd'hui.
01:14 Après, voilà, notre souhait, c'est celui-là,
01:19 c'est que la loi des mineurs change.
01:21 Aujourd'hui, ce tueur, on peut l'appeler comme ça,
01:26 il a avoué les faits qu'il a produits à deux reprises,
01:30 il a poignardé à deux reprises.
01:32 Il est considéré comme tueur,
01:35 il doit pouvoir rester en prison
01:37 sans avoir la possibilité de ressortir
01:40 avec un bracelet électronique.
01:42 Nous, ce qu'on souhaiterait, aujourd'hui,
01:46 c'est qu'il puisse...
01:47 On attend son jugement, en fait, dans un an et demi, deux ans,
01:52 admettons, puisqu'aujourd'hui, c'est ce qu'on nous dit,
01:55 mais par contre, qu'il reste en prison en attendant
01:58 et que sa peine soit déduite à la fin, au moment du jugement.
02:02 Pour nous, aujourd'hui, c'est la chose la plus simple.
02:06 -Vous avez choisi de porter aujourd'hui.
02:08 Vous avez également demandé à témoigner à visage masqué.
02:14 Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
02:17 -Par respect pour ma fille, déjà,
02:23 qui a peur de reprendre l'école le mois de septembre,
02:26 qui a peur qu'on lui pose des questions sur son frère.
02:29 Et je pense qu'elle n'a pas besoin qu'on lui dise
02:32 "J'ai vu ta maman, elle est passée à la télé."
02:34 Notre combat, aujourd'hui, le but, c'est de nous entendre,
02:38 pas spécialement de nous voir,
02:41 puisque nous, on n'a pas de...
02:43 On n'est pas connus des services,
02:45 on n'a pas de casier, comme on l'a si bien dit
02:48 dans les commentaires
02:50 ou qu'on a pu voir sur les réseaux.
02:52 Donc, aujourd'hui, nous voir, ça ne servirait à rien.
02:55 Personne ne nous connaît.
02:56 -Sophie, racontez-nous comment et quand est-ce que vous avez appris
03:01 ce qui était arrivé à votre fils ?
03:04 -Moi, je l'ai appris une heure après être arrivée à mon travail.
03:11 Donc, mon conjoint est venu me chercher.
03:14 On m'a juste dit qu'il y avait quelque chose de grave
03:17 qui s'était passé et qu'il fallait que je rappelle de toute urgence.
03:21 Et j'ai appelé mon conjoint.
03:22 Quand j'ai essayé de le joindre, forcément,
03:25 il n'avait plus de batterie.
03:27 J'ai appelé sur le téléphone de mon fils,
03:29 car je me suis doutée qu'il s'était passé quelque chose.
03:32 Je suis tombée sur son copain, en pleurs, son meilleur ami,
03:36 qui est là, aujourd'hui, pour me soutenir
03:39 les trois quarts du temps.
03:40 Et lui m'a dit, en pleurs, "Je suis désolée, Sophie,
03:44 "Enzo s'est fait poignarder. Il est décédé."
03:47 -Que s'est-il passé ensuite ?
03:51 -Ensuite, mon conjoint est venu me chercher
03:53 et je suis arrivée à la caserne des pompiers, à la Hema Lerbe.
03:58 Et là, on m'a dit que je ne pouvais pas prendre mon enfant,
04:02 qu'on m'a fait barrage.
04:04 J'ai réussi à voir mon enfant au bout de quelques minutes,
04:08 mais à 3 m.
04:09 J'avais interdiction de le toucher,
04:11 puisque, comme c'est une scène de crime,
04:14 il faut que la...
04:16 Comment on dit ?
04:17 La police judiciaire, la criminelle, passe,
04:21 et les médecins légistes devaient venir
04:24 faire des prélèvements sur mon fils.
04:27 Donc, on a attendu...
04:29 J'ai dû arriver à 19h15, et à 2h du matin seulement,
04:33 mon fils partait avec les pompes funèbres.
04:36 -Deux coups de couteau, un premier à la cuisse,
04:39 un deuxième au thorax, qui lui sera fatal.
04:42 Pour vous, derrière ce deuxième coup de couteau,
04:45 c'est ce que vous m'avez dit, Sophie,
04:47 il y avait une volonté de tuer.
04:49 C'est ce que vous avez ressenti ?
04:51 -Bah oui.
04:55 Pour moi, en fait, c'est ce que j'ai expliqué tout à l'heure.
04:59 Combien de personnes
05:01 pourraient rentrer un couteau dans une chair
05:04 sans avoir le réflexe
05:08 de lever les mains et de dire "Mon Dieu, qu'est-ce que j'ai fait ?"
05:12 Et ce geste-là, lui, ne l'a même pas eu.
05:15 Pour lui, il n'y a rien de choquant.
05:17 Je pense que les trois quarts des personnes
05:19 auraient levé les mains au ciel en disant "Qu'est-ce que je viens de faire ?"
05:24 Et lui, non. Lui, il a repris le couteau.
05:26 Et quand on dit "en plein thorax",
05:28 il faut savoir que le deuxième coup qu'il a pris,
05:31 c'était pour le poignarder juste en dessous du coeur.
05:35 Donc en direction du coeur.
05:37 À 15 ans, à n'importe quel âge,
05:40 moi, ma fille, aujourd'hui, elle va prendre 10 ans,
05:43 et je le sais très bien, c'est comme dans les films.
05:46 Si tu prends une arme blanche ou quelque chose
05:49 que tu l'orientes vers le coeur,
05:52 tu peux entraîner la morge de cette personne-là.
05:54 Il se serait arrêté à son premier coup,
05:57 mais aujourd'hui, on me dit que le coup sur la cuisse
06:00 n'aurait pas tué mon fils. Il l'aurait simplement blessé.
06:03 -Après, il y a eu un succès. -Il aurait pu s'arrêter là.
06:07 -Il y a eu une succession de moments.
06:09 D'abord, la marche blanche, ensuite, les funérailles,
06:12 et puis, vous remontez avec, et vous en parlez,
06:15 notamment votre fille.
06:17 Qu'est-ce que vous garderez de ces moments ?
06:20 -Le soutien de toutes ces personnes
06:28 qui sont venues pour faire ce bel hommage pour notre fils.
06:31 Aujourd'hui, on a eu énormément, énormément de soutien.
06:34 Ca a touché beaucoup de monde,
06:36 parce que je pense que la France en a marre.
06:39 Et à travers l'histoire de mon fils,
06:42 je pense qu'il y a des gens
06:46 qui se sont imaginés à notre place.
06:48 Et du coup, voilà.
06:52 Donc, on garde, en fait, en mémoire
06:55 tout le soutien des personnes qui ont été là,
06:58 l'hommage qu'on a pu rendre à notre fils jusqu'au bout,
07:01 qui, pour nous, était à sa hauteur.
07:04 Aujourd'hui, notre combat,
07:06 il faut qu'il reste aussi à la hauteur de Bézot.
07:09 Il faut qu'on garde ce combat, qu'on reste tous soudés.
07:12 C'est ce que je disais tout à l'heure.
07:14 Quitte à ce que toutes ces victimes oubliées de la France
07:18 veuillent se joindre à nous pour ressortir des oubliettes
07:22 et faire bouger les choses
07:24 pour que l'Etat fasse vraiment bouger
07:26 cette loi qui ne correspond pas du tout,
07:30 ben, pourquoi pas ?
07:33 -Alors, il y a le chagrin, il y a l'émotion, bien sûr,
07:36 et puis il y a aussi la colère.
07:38 La colère, d'abord, vous trouviez,
07:40 c'est ce que vous avez confié à nos confrères du Figaro,
07:44 que personne ne parlait de votre fils,
07:46 et ça, ça vous a mis en colère ?
07:48 -Ma première colère, en fait,
07:53 c'est qu'il puisse arriver quelque chose comme ça à mon enfant,
07:57 alors que c'était pas un enfant...
07:59 C'était pas un enfant qui faisait des bêtises,
08:02 qui était... Enfin, voilà, ça, c'est ma première colère,
08:06 que ça puisse m'arriver alors que notre enfant avait un...
08:09 Euh...
08:11 Pour moi, une bonne éducation et que c'était un bon gamin.
08:15 Ca, c'est ma première colère.
08:16 Après, la deuxième colère, comme je le disais,
08:20 on n'a pas besoin du soutien de Mbappé ou de Omar Sy
08:25 pour faire avancer les choses, nous, peu importe.
08:27 Toute personne qui veut nous soutenir peut nous soutenir.
08:31 Après, on a eu, quand même, je tiens à le signaler,
08:34 personne au niveau de l'Etat, pour le moment,
08:37 est rentré en contact direct avec nous.
08:39 Euh... Juste quelques...
08:41 Quelques messages qu'on a pu recevoir.
08:45 Par contre, on a quand même tout le soutien
08:48 des députés de l'heure,
08:49 des maires des communes...
08:52 proches de la Hema Lerne.
08:55 Donc, eux sont vraiment présents.
08:58 Depuis le début, voilà.
09:00 Donc, les députés. Ca s'est arrêté aux députés de l'heure.
09:03 -Ca va être ma prochaine question, Sophie.
09:06 Depuis ce papier du Figaro,
09:08 dans lequel, effectivement, vous dénoncez le fait
09:11 que personne n'ait parlé de votre fils au sommet de l'Etat,
09:15 vous vous demandez pourquoi le chef de l'Etat,
09:18 Emmanuel Macron, n'a pas rendu hommage à Enzo.
09:21 J'allais justement vous demander
09:23 si depuis, quelqu'un, un membre du gouvernement
09:26 ou peut-être le cabinet d'un ministre,
09:30 vous avez contacté.
09:32 -Hm.
09:33 Oui, on a eu un contact.
09:35 Mais comme je le disais, pour l'instant, c'est un contact.
09:38 Il n'y a pas eu de rendez-vous de...
09:42 de rendez-vous de défini.
09:45 Et donc, pour le moment, en fait,
09:47 pour moi, ça sert à rien.
09:49 Ca sert à rien d'en parler, parce que ça reste qu'un contact.
09:53 C'est facile d'avoir un contact,
09:55 mais après, si ça va pas plus loin...
09:57 Voilà.
10:00 -Abandonnée aujourd'hui par l'Etat ?
10:02 -Hm... Après, je...
10:09 Abandonnée. Nous, ça fait que quelques semaines
10:12 que le drame a été produit.
10:14 Alors, est-ce que l'Etat n'a pas eu le temps
10:17 de rentrer en contact avec nous ?
10:19 On peut peut-être voir les choses comme ça pour le moment,
10:22 plutôt que de dire que l'Etat nous abandonne,
10:25 puisqu'il y a quand même beaucoup de victimes
10:28 qui sont avant moi,
10:29 qui, elles, oui, je pense, ont été abandonnées.
10:32 Après, moi, j'espère ne pas en faire partie,
10:35 et je ferai tout pour.
10:37 Comment ?
10:39 -Vous disiez "n'a pas eu le temps", c'était le 22 juillet.
10:42 Le temps, ils auraient pu le prendre ?
10:45 -Ils auraient pu.
10:48 Mais entre deux, il y a d'autres événements aussi.
10:52 Comme là, par exemple,
10:56 le gîte qui a pris feu, apparemment,
10:58 avec ces 11 personnes qui sont parties.
11:00 Là, je crois que le président avait besoin
11:04 de venir vers eux pour le moment.
11:07 Je désespère pas qu'ils puissent prendre contact avec nous,
11:11 et certainement qu'il aura les mots et peut-être des excuses
11:15 pour nous dire qu'il s'est pas présenté avant.
11:17 Mais là, encore aujourd'hui,
11:19 la minute de silence au moment de l'Assemblée, tout ça,
11:23 est-ce que c'est vraiment important ?
11:26 Moi, ça fera pas revenir mon fils.
11:28 Moi, ce que je veux, juste aujourd'hui,
11:30 c'est qu'on arrive à dire que Enzo, c'est l'enfant de trop
11:35 et qu'il faut que les lois changent,
11:37 parce que là, c'est la France qu'en a marre.
11:40 Et il faut protéger tous les petits avenirs, en fait.
11:43 Il faut pas que des choses comme ça se reproduisent.
11:48 -Qu'est-ce qu'on peut espérer ?
11:50 Ce sera ma dernière question.
11:52 Sophie, vous m'avez dit au téléphone
11:54 que votre crainte était qu'on oublie Enzo.
11:57 -Moi, je pense que ça, c'est une crainte de...
12:03 Une crainte de maman.
12:05 Dans un drame comme ça, là, on parle d'un meurtre,
12:08 donc forcément, j'ai pas envie qu'on oublie mon fils.
12:11 Et le seul moyen pour moi de pas l'oublier,
12:14 je pense que c'est de pouvoir faire changer
12:18 cette loi des mineurs.
12:20 Par exemple, que nous, aujourd'hui,
12:24 on a toujours pas accès à notre dossier avec notre avocat,
12:27 on ne peut pas se constituer partie civile.
12:30 Et ça, c'est pas normal.
12:32 Moi, l'autopsie qui a été réalisée sur mon fils,
12:35 j'aimerais savoir ce qu'ils ont fait sur mon enfant.
12:38 Moi, aujourd'hui, je suis en colère
12:42 par rapport à l'autopsie qui a été faite,
12:44 parce que pour moi, on a...
12:46 Par rapport au drame, déjà,
12:49 les circonstances que Enzo ait décédé,
12:53 et comment, nous, on a retrouvé notre fils après l'autopsie,
12:58 pour moi, il y a un gros souci.
13:00 On connaissait les causes du décès.
13:03 On n'avait pas lieu de...
13:06 de, si on peut dire, mutiler notre enfant comme ça.
13:09 Donc, aujourd'hui,
13:12 je veux pas qu'on ait mutilé mon enfant pour rien.
13:15 Il faut qu'on se souvienne d'Enzo
13:18 et il faut que l'histoire d'Enzo fasse changer les choses.
13:23 -Merci beaucoup, Sophie, pour ce témoignage.
13:26 ...
13:29 [SILENCE]