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  • 06/07/2023

Catégorie

Personnes
Transcription
00:00 [Musique]
00:09 Alors que le patriarcat c'est un système patriarcal, en fait on devrait dire système patriarcal.
00:13 En fait on a créé notre propre piège en fait, qui est ne pas exprimer ses émotions,
00:18 et qui est, bah c'est cool mais en fait quand t'as pas le physique d'un grand guerrier,
00:23 ça veut dire quoi ? Ça veut dire que t'es pas un homme.
00:24 Et là où moi j'essaie quand même de dire mais en fait c'est une démarche complètement féministe que j'ai là,
00:29 dans le sens où j'essaie de réintégrer les hommes dans le combat féministe en fait,
00:33 dans ce que les femmes disent depuis des années maintenant.
00:37 Bon, comme promis, aujourd'hui on va parler de Ben Never.
00:42 Et si on va en parler c'est parce que comme on l'a vu dans ce petit extrait,
00:46 Ben Never est un homme qui veut parler de la masculinité, du patriarcat, et qui se revendique féministe.
00:53 Finalement un peu comme Bourdieu, à qui j'avais consacré une vidéo,
00:56 c'est un homme qui veut dire quelque chose sur les hommes et la domination masculine,
01:01 et ce qu'on va voir c'est qu'évidemment ça pose pas mal de problèmes.
01:05 Alors rapidement, pour ceux qui ne seraient pas trop au courant de ce qui se fait sur YouTube,
01:09 il faut peut-être le présenter un peu.
01:11 Du coup Ben Never, pour le dire vite, c'est un assez gros YouTuber
01:15 qui s'est fait connaître grâce à des vidéos où il amène les gens à parler de leur vie perso.
01:20 Les ruptures amoureuses.
01:21 Et ça dans une perspective qui se rapproche pas mal du développement personnel.
01:26 Donc je m'étais dit on va arriver par une porte d'entrée du divertissement,
01:29 et on va insérer comme ça du développement perso à l'intérieur.
01:33 Et c'est dans cette perspective qu'il a créé une émission "Entre Mecs"
01:37 dans laquelle il amenait des hommes à parler de leur masculinité.
01:41 Cette émission a eu pas mal de succès et a fait de Ben Never
01:44 une sorte de représentant d'une masculinité plus douce, moins virile.
01:49 Et ce rôle de mec déconstruit et pas viril, c'est quelque chose qu'il a complètement embrassé,
01:54 notamment en sortant un livre au titre assez clair.
01:58 Bonjour, bienvenue dans Dialogue.
02:00 Aujourd'hui je reçois Ben Never.
02:02 Vous le connaissez sans doute, c'est un des plus influents YouTubers français.
02:06 Dans son livre "Je ne suis pas viril", il expose avec beaucoup de sincérité
02:11 ce que ça veut dire qu'être hypersensible.
02:13 Alors évidemment vous vous en doutez,
02:15 parler d'un truc aussi politique que la virilité et le patriarcat
02:19 en ayant pour base sa propre expérience de mec et le développement personnel,
02:23 c'est un peu casse-gueule.
02:25 Du coup forcément, dans les milieux de gauche, Ben Never, on l'aime pas trop.
02:32 Ah, encore un mec ouin ouin qui se plaint, le blanc cisgenre hétérosexuel.
02:38 Je suis d'ailleurs pas le premier vidéaste de gauche à faire une vidéo sur lui.
02:42 Avant moi, la chaîne "Seul sur Marx" l'avait dépeint comme une sorte d'incarnation
02:46 cool de la bourgeoisie pour qui l'engagement éthique est devenu un argument marketing.
02:51 Et le vidéaste Léo avait lui critiqué très justement son appropriation très hétéro,
02:56 blanche et bourgeoise des luttes féministes et la manière dont tout ça débouche
03:01 sur un contenu certes accessible mais inoffensif et dépolitisé.
03:05 Il illustre parfaitement ce processus de moralisation, d'individualisation
03:10 et de dépolitisation des luttes féministes.
03:12 Ben Never transforme le féminisme en un espèce de développement personnel
03:16 pour aider les hommes à se sentir mieux et à être des belles personnes.
03:20 Quant à moi, vulgarisation de sciences sociales oblige, ma critique sera moins directement politique.
03:27 Car ce que je voudrais faire, c'est vous parler de deux théories qui me semblent essentielles
03:31 pour comprendre la domination masculine et vous montrer comment elles permettent
03:35 de mieux comprendre non seulement Ben Never mais aussi tout un tas de mecs
03:39 parmi lesquels on trouve aussi nous, les mecs de gauche.
03:42 Et pour parler de ces deux théories, je me suis dit que ce serait pas mal de vous faire deux vidéos.
03:47 Du coup, avant de se demander si le positionnement de Ben Never
03:50 remet vraiment en cause la domination des hommes sur les femmes,
03:53 c'est une démarche complètement féministe que j'ai là,
03:56 on va d'abord s'intéresser un peu à lui et à son style de masculinité.
04:00 Bref, aujourd'hui on va parler de Ben Never et se demander à quel genre de mec il appartient.
04:05 [Musique]
04:08 [Musique]
04:21 Du coup, pour commencer notre petite analyse, il faut commencer par se demander
04:26 pourquoi Ben Never tient autant à parler de masculinité.
04:30 Et si c'est évident qu'il y a un intérêt économique et marketing à s'emparer de ce créneau,
04:35 il ne faudrait pas pour autant faire de Ben Never un pur opportuniste.
04:38 Car ce qui est clair, quand on s'intéresse un peu à lui,
04:41 c'est que c'est aussi son expérience personnelle qui l'a amené à s'emparer de ce sujet.
04:45 Et en particulier, une expérience assez traumatisante qu'il a vécue dans son enfance.
04:50 Moi j'avais un retard hormonal, donc j'étais beaucoup plus petit que les autres.
04:55 Et moi en vrai, je n'avais pas conscience que j'étais plus petit que les autres
04:58 avant justement le CE1, tu vois.
05:00 7 ans, j'arrive dans une nouvelle école, dès que j'essayais d'être sympa ou que je souriais et tout,
05:04 ils me disaient "ouais il est content le petit nain" et tout.
05:06 Et en fait, ils me ramenaient toujours à ma taille, tu vois.
05:08 Ça a été une vague mais de harcèlement psychologique, de masculinité entre les mecs.
05:14 C'est-à-dire qu'à chaque cours de récré, je savais que ça allait être le supplice de...
05:18 Dès que je sortais, les gars allaient se mettre à 4-5, qu'ils allaient me mettre sur le côté
05:21 dans un endroit où personne ne voit, et violence physique, violence psychologique, etc.
05:26 Ce truc de montrer leur supériorité, donc par rapport à moi, moi j'étais plus faible
05:30 parce que j'étais plus petit, mais de le montrer devant les filles aussi pour plaire aux filles.
05:33 Et là c'était un truc de mal dominant, mais putain on avait 7 ans quoi.
05:35 Donc assez jeune, il a fait l'expérience de la violence masculine.
05:39 D'un côté à cause d'un déficit de taille, qu'il réglera par la suite par un traitement hormonal de longue haleine,
05:44 mais aussi du fait qu'il était un enfant assez sensible qui pleurait facilement,
05:48 chose qu'il amènera plus tard à se faire diagnostiquer comme hypersensible.
05:52 Ce combo des deux, comme il l'explique, l'amènera à se sentir en décalage vis-à-vis des autres garçons.
05:58 J'étais très vite en décalage dans ma construction de ce qu'allait être un homme, avec ce combo, cette fusion des deux.
06:04 Bref, Ben Never assez tôt a fait l'expérience douloureuse de la hiérarchie entre hommes,
06:09 parce qu'il ne collait pas à une certaine masculinité virile où il faut être fort et taire ses émotions.
06:15 Du coup, quand il pense à masculinité, il se pense avant tout comme un homme
06:19 qui ne correspond pas au rôle social du mâle, du bonhomme, et se considère du coup comme un dominé parmi les hommes.
06:25 Dans l'ordre du genre, Ben Never se positionne donc parmi les mecs efféminés, juste au-dessus des filles,
06:31 avec qui il aurait en commun d'être dominé par les mecs virils.
06:35 Et toute sa démarche tient dans cette volonté de remettre en question cette forme de masculinité qu'il estime toxique,
06:41 pour faire valoir une forme de masculinité plus douce, moins centrée sur la force, et qui laisse plus de place aux émotions.
06:48 Voilà en gros d'où il parle et comment il se positionne.
06:52 On peut rentrer maintenant dans le dur de la vidéo et se demander si sa vision colle avec ce que nous dit la recherche en sciences sociales.
07:00 Et pour ça, on va se servir d'une sociologue australienne qui est vraiment incontournable quand on parle de masculinité,
07:08 Raiwin Connell.
07:10 Raiwin Connell qui dans les années 90 a écrit un livre essentiel qui s'appelle "Masculinities".
07:15 Et si son livre est aussi important, c'est parce que dedans elle a formulé une idée qui est assez simple à comprendre mais qui a de sérieuses implications.
07:24 Et cette idée consiste finalement à dire que le patriarcat est un système qui repose d'abord sur une hiérarchie entre les hommes et les femmes,
07:31 mais que ce système a besoin pour se maintenir aussi de hiérarchiser les hommes.
07:36 Autrement dit, pour que les hommes puissent dominer les femmes, il faut forcément distinguer plusieurs types d'hommes qui n'auront pas la même valeur dans le système patriarcal.
07:45 Et en étant un peu charitable, on peut dire que c'est quelque chose que Ben Never a plutôt bien vu aussi.
07:50 Il a bien senti qu'il vivait dans une société où les femmes sont en bas de la hiérarchie, mais où les hommes qui les dominent sont eux aussi hiérarchisés.
07:57 Il y a quand même une espèce de pyramide, la jungle pyramide, la pyramide de l'existence où c'est vraiment la survie, c'est en haut, en bas,
08:04 les garçons, tout en bas, les filles, et au milieu, c'est ce qu'on appelle des mecs efféminés.
08:09 Mais au-delà de ce constat très général, on est quand même sur deux visions qui divergent pas mal.
08:14 Car quand Ben Never parle des hommes dominants, il voit ça de manière un peu figée et un peu binaire.
08:19 Pour lui, il y a d'un côté les mecs dominants, qui ont un caractère affirmé et viril,
08:31 et de l'autre, les mecs qui ne rentrent pas dans ces codes de virilité et qui du coup sont dominés.
08:37 Et chez Raiwyn Connell, cette hiérarchie est autrement plus complexe.
08:48 A son sommet, on y trouve quelque chose qu'elle appelle la masculinité hégémonique.
08:53 Et cette masculinité, ce n'est pas un type de personnalité.
08:57 C'est pas ce qu'on appelle la masculinité toxique, même si ça peut y ressembler.
09:01 C'est pour ça que Connell rejette cette notion en interview.
09:04 Mais je pense qu'il vaut la peine de prendre le travail pour en déduire ces conséquences plus compliquées
09:14 pour ne pas tomber dans les stéréotypes de la masculinité hégémonique
09:19 aussi mauvaise, aussi toxique, dans un genre de stéréotype.
09:28 Car la masculinité hégémonique, ce n'est pas un caractère mais une situation.
09:32 C'est une position de domination dans l'ordre social du genre.
09:36 Et si ça peut passer par une forme de virilité physique ou morale,
09:40 ça peut aussi passer par autre chose car c'est avant tout un truc relationnel.
09:45 La masculinité hégémonique, c'est une place dans une structure de pouvoir.
09:49 C'est d'ailleurs pour ça qu'elle parle d'hégémonie.
09:52 Car l'hégémonie, c'est un concept qu'elle reprend à Gramsci
09:55 qui désigne toutes les choses qui permettent de légitimer l'ordre établi.
09:59 Normalement, le système d'hégémonie, c'est assez simple.
10:02 Dans un état, pour Gramsci, il y a une partie qui est appareil de coercition.
10:07 L'état, c'est un groupe d'hommes armés, etc.
10:09 Mais s'il n'y avait que ça, c'est dictature.
10:12 Il n'y a pas que ça.
10:13 Donc il y a normalement tout un système qui est le lieu où on amène à ce que les gens trouvent que c'est naturel ce qui se passe.
10:21 Du coup, forcément, l'hégémonie masculine, ça dépend quand même vachement de comment est structurée notre société.
10:27 Ça dépend des rapports de force entre les gens à un moment donné.
10:31 Et par exemple, ce que voit très bien Connell dans nos sociétés,
10:38 c'est que la masculinité hégémonique se définit notamment contre ce qu'elle appelle des masculinités marginalisées.
10:45 Des masculinités qui sont celles des hommes qui subissent du racisme et des hommes des classes populaires.
10:50 En gros, des hommes qui se situent en bas de la hiérarchie sociale.
10:54 Et dans leur cas, la virilité n'est pas qu'un avantage.
10:56 C'est aussi quelque chose qui les marginalise.
10:59 C'est ce qui ressort très bien par exemple dans les clichés racistes autour des hommes noirs
11:03 qui sont perçus comme particulièrement virils et qui du coup sont considérés comme particulièrement dangereux ou particulièrement attirants sexuellement.
11:11 - Au bout d'un moment, pourquoi tu ne choisis pas un mec qui te plaît alors ?
11:15 - Parce qu'il n'y avait pas de métisse.
11:17 - Tu aimes les métisses ?
11:18 - Oui, j'aime.
11:19 - Comme Laurie, tout ce qui est Booba Carice, ça te plaît ou pas ?
11:21 - Oui, plus Booba, oui.
11:23 - Mais c'est pas possible, toutes ces michetos !
11:26 Non mais qu'est-ce qui vous prend avec Booba sans arrêt ?
11:29 - Il est trop sexy. Il est musclé et tout.
11:31 - Ouh !
11:32 - Trop excitante.
11:33 - C'est sûr qu'on est loin de Julien. Julien, c'est quand même le mec un peu plus propre, de bonne famille, bien éduqué, respectueux.
11:39 C'est pas ce que tu cherches.
11:41 - Non, enfin...
11:43 Et c'est cette hyper virilité, cette dangerosité à laquelle ils sont renvoyés, qui explique que pas mal d'hommes noirs apprennent dès tout petit à faire en sorte d'apparaître comme inoffensifs dans les espaces publics.
11:54 - J'ai vraiment fini par intégrer l'idée que je suis grand, je suis noir, donc je suis effrayant.
12:02 Et ça a eu un impact, peut-être même que ça l'a encore aujourd'hui, sur ma manière de vivre l'espace public.
12:07 C'est aussi quelque chose qui explique très bien le traitement différencié du sexisme, qui semble bien plus respectable quand il vient des hommes blancs, des classes moyennes et supérieures.
12:16 - On va avoir l'impression que les hommes blancs sont dans une masculinité plus acceptable que les hommes racisés, qu'ils sont moins sexistes et moins homophobes que les autres.
12:29 - Là, si on prend des Nekfeu, des Lumpal, des Aurel-Sann, oui, ils sont plus éduqués, ils sont forcément moins homophobes, ils sont du bon côté, en fait, évidemment.
12:39 - J'ai abandonné ces chiennes sur le bord de la route, c'est moi qui devrais avoir des doutes parce que tu les baises toutes.
12:45 - Alors celui ou celle qui va devoir faire un peu de place sur sa cheminée est Aurel-Sann.
12:53 - Mettez en accueil, mettez en présence.
12:55 - Incroyable !
12:58 - Putain, mais je suis grave féministe, en fait.
13:00 Et cette hiérarchie, c'est ce que montre très bien, par exemple, un sociologue comme Florian Vaurose dans l'enquête qu'il consacre aux fantasmes sexuels masculins.
13:08 Car ce qui ressort, c'est que les hommes blancs et bourgeois, excités par des formes de domination masculine dans le porno, gardent la face en se distinguant des mecs de banlieue.
13:17 Des mecs qui, contrairement à eux, exerceraient une domination particulièrement violente et agressive.
13:23 - La virilité est présentée par ces hommes comme quelque chose de naturel, mais ils sont aussi éduqués, donc ils sont aussi capables de la maîtriser,
13:32 notamment par rapport à certains contre-modèles comme le gros beauf ou la racaille,
13:40 ou des contre-modèles de classe populaire ou d'hommes implicitement arabes ou noirs
13:47 qui, à la différence de ces hommes blancs de classe moyenne supérieure, ne sauraient pas tenir leur virilité.
13:52 - Du coup ces hommes dont la position sociale ne dépend pas de la force physique dévalorisent cette hyper-virilité
13:58 et font valoir leur respectabilité en mettant en avant des choses comme leur assurance, leur sens des responsabilités ou plus généralement leur statut social.
14:07 Cette promotion d'une virilité civilisée basée sur l'assurance est d'ailleurs quelque chose qu'on a pu voir dans l'émission Entre Mecs
14:14 et qui est caractéristique de cette masculinité respectable des classes moyennes et supérieures blanches.
14:20 - Et moi j'avoue je me sens viril. Je saurais pas t'expliquer exactement pourquoi, mais je pense que ça vient avec la confiance, l'assurance.
14:30 Je trouve qu'au bout d'un moment, quand t'es vraiment un mec assumé et que tu vis bien ta masculinité,
14:37 en fait peu importe ce que tu fais, tu seras viril.
14:40 Bref, je pense que vous l'avez compris, mais les hommes considérés comme virils peuvent tout à fait être en bas de la hiérarchie des masculinités.
14:48 Il suffit pour ça qu'ils soient du mauvais côté des frontières de race ou de classe.
14:52 Mais la masculinité hégémonique, comme vous vous en doutez, ne se définit pas uniquement contre ces hommes.
15:01 Elle s'oppose aussi à un autre type de masculinité, celle des hommes homosexuels.
15:06 Être un homme hégémonique, c'est donc non seulement être un blanc de classe moyenne et supérieure, mais c'est aussi ne surtout pas être gay.
15:16 C'est être profondément et authentiquement hétéro.
15:19 C'est toujours tellement bien de passer des moments hétéros comme ça, entre bonhommes, entre couilles. C'est le meilleur.
15:25 Du coup, sortir de l'hétérosexualité est particulièrement coûteux et place les mecs qui le font en bas de la hiérarchie des hommes.
15:32 Cette masculinité, c'est donc ce que Connell appelle la masculinité subordonnée,
15:37 et elle expose ces hommes à une violence sociale particulièrement forte.
15:41 Une violence qui est juridique, que ce soit à travers la pénalisation pure et dure de l'homosexualité,
15:46 ou par un moindre accès au droit, par exemple au mariage ou à la procréation médicalement assistée.
15:51 Une violence qui est aussi économique et qui fait que les hommes gays connaissent plus que les hétéros des situations de précarité.
15:58 On peut penser ici en particulier aux jeunes LGBT qui sont expulsés par leur famille.
16:02 Mais aussi, évidemment, une violence qui est physique et verbale et qui culmine, par exemple, dans les gays tapants homophobes.
16:10 Ils sont piégés sur des sites, des applications ou des lieux de rencontre pour les humilier, pour les voler, pour les frapper, et parfois pire.
16:18 On peut mourir d'être simplement soi.
16:21 Vous pensiez peut-être que c'était de l'histoire ancienne, notre documentaire prouve le contraire.
16:25 Bref, je pense que vous l'avez compris, mais l'orientation sexuelle est un élément clé dans la définition de la masculinité.
16:33 Et les hommes qui s'affranchissent de la contrainte à l'hétérosexualité sont donc particulièrement dominés parmi les mecs.
16:39 [Musique]
16:45 Alors, à ce niveau de la vidéo, je ne vous ai pas encore tout dit de la typologie de Connell, mais on peut déjà constater un truc.
16:52 Ce truc, c'est que contrairement à ce que pense Ben Never, il n'y a pas d'un côté les mecs qui incarnent le rôle du mâle,
16:58 et de l'autre côté, tous ceux qui ne collent pas à ce rôle.
17:01 Toute la théorie de Connell s'est d'ailleurs construite en opposition à cette idée d'un rôle masculin unique.
17:07 [Musique]
17:22 Et cette erreur se retrouve très bien chez Ben Never, car quand il se positionne, à aucun moment il ne prend en compte son orientation sexuelle
17:29 et sa position en termes de classe sociale ou de race.
17:33 Du coup, si on suit sa logique, on arrive à des trucs assez aberrants.
17:37 Par exemple, l'idée que par rapport à un mec arabe ou noir des quartiers populaires, un mec qui serait disons plus costaud et moins dans l'émotionnel,
17:44 Ben Never serait celui qui est le plus désavantagé socialement.
17:47 Et ça, on le sait très bien, c'est tout simplement faux.
17:51 On sait très bien que parce qu'il est blanc, il n'aura pas à souffrir de discrimination à l'embauche ou de violences policières.
17:57 Et on sait aussi que la masculinité moins virile qu'il incarne est en fait assez valorisante puisqu'elle est typique des classes moyennes et supérieures.
18:05 Car vous vous en doutez peut-être, mais Ben Never ne vient pas des classes populaires.
18:09 Il vient d'une famille assez aisée, puisque son père est quelqu'un qui a fait des études d'ingénieur et qui a été ensuite dirigeant d'entreprise.
18:16 Autrement dit, il vient des classes supérieures et a bénéficié de bonnes ressources économiques et culturelles.
18:22 Ou encore autrement dit, c'est un bourgeois.
18:25 Et c'est d'ailleurs pas du tout un hasard si son père, qui donc est un bourgeois,
18:29 quand il parle de son enfance se positionne un peu de la même manière que Ben Never.
18:34 Je cite.
18:36 "Les garçons étaient populaires parce qu'ils étaient doués en sport.
18:40 Je me souviens finalement de deux clans,
18:43 ceux qui entraient dans ces codes et ceux qui s'en foutaient ou ne les comprenaient pas dont je faisais partie.
18:49 J'ai eu la chance d'avoir une bonne bande de potes et de garçons-filles au collège,
18:53 qui valorisaient d'autres occupations, comme le cinéma, le théâtre ou d'autres activités intellectuelles non genrées.
18:59 J'ai donc peu souffert de ne pas faire partie de la caste des gens populaires."
19:04 Dans cet extrait, on voit bien que ne pas faire partie des mecs populaires qui font du sport n'est finalement pas si négatif.
19:12 Car se distinguer d'une masculinité plus virile et sportive et valoriser des activités culturelles moins genrées comme le théâtre,
19:19 c'est aussi affirmer un style de vie et de masculinité typique des classes moyennes et supérieures culturelles.
19:25 Et ça, comme vous vous en doutez, c'est plutôt bien vu. Typiquement par l'institution scolaire.
19:30 Et pour le coup, c'est quelque chose qui est très bien identifié en sociologie.
19:35 On sait très bien que dans ces groupes, on se distingue des classes populaires par des expressions de genre qui sont moins marquées.
19:41 C'est par exemple ce qui ressort très bien dans une enquête d'Aurélia Mardon sur les styles vestimentaires au collège.
19:47 Elle y constate que les mecs des classes moyennes adoptent plutôt un style skater ou gothique.
19:52 Un style plus androgyne qui s'oppose aux mecs, plutôt issus des classes populaires qui ont un style hip-hop plus viril
19:58 et qu'ils décrédibilisent notamment en les attaquant sur leurs mauvaises notes.
20:02 Ce genre de constat, c'est ce qu'on retrouve aussi dans une autre enquête fait par Julie Pagis et Wilfried Lignier.
20:08 Car ce qu'ils constatent, c'est que dans les écoles qu'ils étudient, les formes de masculinité moins viriles
20:13 se retrouvent d'abord chez les enfants qui ont le plus de ressources économiques et culturelles.
20:18 C'est par exemple ces enfants qui vont le plus souvent avoir les cheveux longs,
20:22 qui vont le plus souvent croiser les jambes quand ils sont assis et qui vont être moins portés sur les jeux de bagarre.
20:27 Bref, on retrouve ici très bien le style de masculinité de Ben Nevers et son père.
20:32 Un style de masculinité qui ne les positionne pas du tout en bas de la hiérarchie des masculinités
20:37 puisqu'il leur permet en fait de se distinguer des classes populaires.
20:42 Et le problème si on suit Ben Nevers, c'est que tous les mecs des classes moyennes et supérieures
20:49 qui ont ce style de masculinité sont considérés comme efféminés et du coup comme dominés.
20:55 Alors qu'on le sait avec Connell, l'élément clé pour être dans ce qu'elle appelle une masculinité subordonnée
21:00 ce n'est pas ça mais l'orientation sexuelle.
21:03 Ben Nevers et son père sont finalement juste des hommes hétéros des classes supérieures.
21:08 Du coup ils ne font ni partie des masculinités subordonnées qui sont celles des hommes gays
21:12 ni partie des masculinités marginalisées qui sont celles des hommes des classes populaires ou des hommes racisés.
21:18 Mais est-ce que pour autant ils font partie de cette masculinité dominante que Connell appelle hégémonique ?
21:24 Et bien pas vraiment et surtout Ben Nevers qui a quand même été violenté dans son enfance.
21:33 Du coup s'ils ne sont ni hégémoniques, ni marginalisés, ni subordonnés, qu'est-ce qu'ils sont ?
21:38 Et bien pour répondre à cette question, il nous faut introduire un autre type de masculinité.
21:43 Et pour ça, il faut bien voir un truc.
21:46 Ce truc c'est que malgré ce que je viens de dire, Ben Nevers n'a pas complètement tort
21:50 quand il dit que les mecs dominants sont censés être puissants et sportifs.
21:54 Car quand Connell parle de masculinité hégémonique, elle nous dit quand même
21:58 qu'historiquement c'est quelque chose qui est très lié au sport masculin.
22:01 Elle nous dit que les figures des grands sportifs ont été très utilisées
22:04 dans la construction d'une forme de masculinité dominante.
22:08 C'est notamment à travers les performances corporelles, les valeurs de compétition,
22:12 d'entre-soi masculin que les hommes ont appris à se sentir supérieurs aux femmes
22:16 et du coup à légitimer leur position de pouvoir.
22:20 Mais la réalité c'est que très peu d'hommes collent à cet idéal de toute puissance physique et morale.
22:25 Et même parmi les sportifs, ces standards hégémoniques, s'ils peuvent être incarnés
22:29 à un moment donné, sont très compliqués à tenir sur le long terme.
22:33 Et c'est là où on voit que la masculinité hégémonique est avant tout un idéal culturel
22:38 qui permet de justifier la domination masculine.
22:41 Un idéal qui du coup sert les hommes mais qui reste inatteignable pour la plupart d'entre eux.
22:46 Et cette ambivalence de la masculinité hégémonique, c'est quelque chose qui ressort très bien
22:50 dans une scène du dernier Spielberg.
22:53 Une scène où l'alter ego de Steven Spielberg, après avoir diffusé son film
22:57 où il glorifie la virilité du beau gosse populaire qui le harcèle,
23:01 est bien surpris par la réaction de son bourreau.
23:05 [Bruit de clavier]
23:06 [Bruit de clavier]
23:07 *Bruits de pas*
23:12 *Bruits de pas*
23:14 *Bruits de pas*
23:16 *Bruits de pas*
23:18 *Bruits de pas*
23:20 *Bruits de pas*
23:22 *Bruits de pas*
23:24 *Bruits de pas*
23:26 *Bruits de pas*
23:52 *Bruits de pas*
23:54 *Bruits de pas*
23:56 Ce que montre parfaitement cette scène
23:58 c'est le côté impersonnel et inatteignable
24:00 de la masculinité hégémonique.
24:02 Un idéal qui semble dépasser
24:04 et inquiéter même ceux qui l'incarnent
24:06 le plus. Et cette ambivalence
24:08 c'est quelque chose que j'ai d'ailleurs bien
24:10 senti dans ma petite expérience personnelle.
24:12 Du coup je vais vous raconter
24:14 deux-trois trucs persos qui vont me permettre
24:16 à la fois d'illustrer la théorie de
24:18 Connell mais aussi de vous donner une idée
24:20 de mon positionnement en termes
24:22 de masculinité.
24:24 Comme je vous le disais
24:26 dans une autre vidéo, mon enfance a été
24:28 marquée par l'omniprésence de ma passion
24:30 pour le foot. Et une grande partie de
24:32 ma construction personnelle s'est faite dans
24:34 la pratique de ce sport et par la
24:36 sociabilité qui allait avec.
24:38 Et clairement j'ai senti à quel point être
24:40 bon au foot, être performant
24:42 était valorisant. Que ce soit auprès de
24:44 ma famille mais aussi à l'école
24:46 et bien sûr dans le milieu sportif.
24:48 J'étais en plus un petit blanc de la classe
24:50 moyenne, plutôt bon élève donc
24:52 niveau masculinité j'avais pas
24:54 à me plaindre. Je me rapprochais clairement
24:56 des standards hégémoniques et j'étais
24:58 du coup plutôt bien placé parmi les mecs.
25:00 Mais quand j'ai eu onze ans
25:02 j'ai intégré un club de foot professionnel
25:04 et les choses ne se sont pas vraiment
25:06 bien passées. Ce qui s'est
25:08 passé c'est qu'en gros mon corps n'a pas
25:10 tenu face aux exigences physiques du sport
25:12 de haut niveau. Ce qui était demandé en termes
25:14 d'intensité physique dans les entraînements
25:16 et dans les matchs était au delà de mes limites.
25:18 Et mon corps me l'a clairement
25:20 assez bien fait comprendre. J'ai eu des limbago,
25:22 des problèmes au talon qui m'ont obligé
25:24 à porter des semelles orthopédiques,
25:26 des problèmes aux adducteurs et j'ai fini
25:28 tout simplement par me péter le pied.
25:30 Suite à ça on m'a fait comprendre
25:32 de manière très claire que je n'étais pas
25:34 au niveau et ça a été du coup une assez
25:36 grosse désillusion qui a engendré
25:38 une perte de confiance en moi et qui a
25:40 un peu niqué ma passion pour le foot.
25:42 "Je pense à un garçon qui a perdu confiance"
25:44 A la suite de ça j'ai du coup changé de club
25:46 et je suis devenu un joueur très moyen,
25:48 plus du tout à l'aise sur le terrain
25:50 et avec mes coéquipiers. "Il se marginalise"
25:52 Il m'arrivait par exemple
25:54 de pleurer avant les matchs dans les vestiaires
25:56 ou aussi carrément de vouloir
25:58 arrêter de jouer en plein match.
26:00 Cette vulnérabilité n'étant pas très bien vue
26:02 par mes coéquipiers j'ai été du coup assez
26:04 isolé dans ce nouveau club où je
26:06 resterais 3 ans. Et j'apprendrai
26:08 quelques années plus tard que j'étais considéré
26:10 dans ce club comme une victime.
26:12 "Tous, pointez du doigt
26:14 dans des termes extrêmement sévères
26:16 la fragilité psychologique de l'homme"
26:18 Bref, vous avez un peu l'idée
26:20 alors que j'étais plutôt dans une forme
26:22 de masculinité hégémonique,
26:24 la réalité de mon corps et de ma
26:26 vulnérabilité psychique se sont rappelés à moi
26:28 et du coup m'ont déclassé dans la hiérarchie
26:30 des masculinités avec tout ce que
26:32 ça peut impliquer de petites souffrances personnelles.
26:34 Et ce genre de situation
26:36 pour Connell ça montre
26:38 un truc essentiel.
26:40 Ce truc c'est que
26:42 la plupart du temps, du fait de leur
26:44 constitution physique ou psychique,
26:46 les hommes n'arrivent pas à coller au standard
26:48 de la masculinité hégémonique.
26:50 Et ça, ça ressort très bien chez Ben Nevers
26:52 puisqu'il a dû littéralement se faire des
26:54 injections d'hormones pour arriver à une taille
26:56 plus acceptable. "Auprès des meufs,
26:58 je pouvais pas plaire aux meufs parce que j'étais plus petit
27:00 et je pouvais pas plaire aux mecs aussi parce que j'étais plus petit
27:02 donc en gros j'avais l'impression d'être
27:04 accepté nulle part, j'ai accepté directement
27:06 ce truc en disant "bon bah oui, en effet
27:08 ma porte de sortie c'est ce truc là, tu dis pas
27:10 "je vais passer des nuits à l'hôpital, ça va être un traitement
27:12 lourd, je vais me piquer pendant 6 ans
27:14 tu vois, enfin, tu penses pas du tout à tous
27:16 ces trucs là, tu dis "bon bah tant pis, là c'est ma porte de sortie
27:18 et je vais le faire quoi". - C'est un peu la survie hein
27:20 - Complètement. Et ce truc, c'est
27:22 quelque chose qu'expérimentent une grande
27:24 majorité de mecs. Et parmi
27:26 ces mecs, figurez-vous qu'il y en a même
27:28 qui en font du rap.
27:30 J'ai tout fait plus tard que
27:32 les autres, ma croissance en désordre
27:34 mais est-ce de ma faute que je grandisse
27:36 de la sorte ? Je te parle de là
27:38 où tout a commencé. On choisit pas
27:40 son corps mais ce qu'on en fait. Je m'en suis
27:42 sorti par l'humour, l'intelligence en contrepoids
27:44 transforment tes défauts en blagues et les
27:46 gens riront avec toi. Plutôt
27:48 que de toi, avoue que c'est mieux, non ?
27:50 Le second degré, la première des
27:52 protections. Petit Flo grandira
27:54 et il comprendra qu'une tête
27:56 remplie est plus utile qu'avoir de gros bras
27:58 L'homme idéal, j'en étais pas l'archétype
28:00 L'histoire commence mal
28:02 mais attend la suite, ok
28:04 Alors ce morceau
28:06 de Big Flo, il est vraiment parfait
28:08 parce qu'il résume parfaitement le
28:10 positionnement de Ben Nevers et le créneau
28:12 qu'occupe son émission Entre Mecs
28:14 C'est d'ailleurs quelque chose qui ne lui a pas
28:16 échappé. Et je lui ai dit que tu venais dans Entre Mecs
28:18 il m'a dit "il faut que t'écoutes absolument le son
28:20 Florian" et je
28:22 l'ai envoyé au mec juste après, j'ai fait "mais le gars
28:24 il a fait tout Entre Mecs en fait"
28:26 C'est Entre Mecs en 6 minutes
28:28 C'est hallucinant. Car ce que ce
28:30 son décrit très bien, c'est cette masculinité
28:32 d'une grande partie des mecs
28:34 des mecs qui bien malgré eux n'arrivent pas
28:36 à atteindre les standards de virilité
28:38 de la masculinité hégémonique
28:40 C'est cette masculinité des mecs
28:42 de classe moyenne et supérieure qui ne correspondent
28:44 pas à l'homme idéal mais qui
28:46 pour autant reste bien positionné
28:48 socialement car ils ont tout un tas de ressources
28:50 qui peuvent s'avérer particulièrement
28:52 rentables. Ces mecs ce sont
28:54 les geeks, les no life, les intellos
28:56 les mecs sensibles, les gros, les
28:58 maigres, bref tous ces losers
29:00 qui vont valoriser le savoir
29:02 les compétences techniques et l'intelligence
29:04 Ce sont ces mecs qui comme le dit très bien
29:06 Daisy le tourneur dans son livre
29:08 souffrent ou ont souffert
29:10 d'un certain modèle de masculinité
29:12 hégémonique, viril
29:14 violent, macho, sportif
29:16 beau gosse qui s'est moqué d'eux au lycée
29:18 Mais des mecs qui pour
29:20 autant ne sont pas totalement hors
29:22 course. Et ce truc
29:24 c'est décisif pour Raiwin Connell
29:26 C'est parce que ces mecs ne sont pas totalement
29:28 hors course qu'elle les range dans ce qu'elle appelle
29:30 la masculinité complice
29:32 Car ces hommes
29:34 hétérosexuels sans être particulièrement
29:36 viril ont quand même sérieusement
29:38 intérêt à l'hégémonie
29:40 Ils ne sont pas l'homme idéal mais c'est parce que
29:42 cette figure de l'homme idéal existe
29:44 qu'ils peuvent rester en position
29:46 dominante par rapport aux meufs
29:48 et bénéficier largement de leur oppression
29:50 Ces bénéfices c'est ce que Connell
29:52 appelle les dividendes patriarcales
29:54 Et c'est ce qui fait que ces hommes pas virils
29:56 et pas vraiment dominés ont un rapport
29:58 de complicité avec le projet hégémonique
30:00 Et c'est ça qui unit un petit
30:02 nerd comme Steven Spielberg à son bourreau
30:04 beau gosse et sportif
30:06 C'est ça qui unit le mec hégémonique
30:08 et le mec complice
30:10 Du coup parmi ces mecs on trouve aussi
30:12 bien des mecs misogynes que des mecs
30:14 plutôt déconstruits. Des mecs qui
30:16 utilisent le concept sexiste de
30:18 friendzone
30:20 et des mecs qui le dénoncent
30:22 Mais on nous apprend très tôt ça
30:24 c'est pas être copain avec des filles
30:26 et plutôt avoir un truc de désir
30:28 un truc justement de relation plutôt de drague
30:30 Parce que ce que tous ces mecs ont en commun
30:32 c'est d'avoir intérêt à remettre
30:34 en question l'idéal de l'homme viril
30:36 mais de ne pas avoir du tout intérêt
30:38 à remettre en question la manière
30:40 dont il leur bénéficie
30:42 Et ça, ça donne l'émission Entre Mecs
30:44 Une émission dont le succès repose en grande partie
30:46 sur le fait qu'elle amène des hommes hétéros
30:48 à témoigner de leur souffrance de mecs
30:50 pas virils sans jamais parler
30:52 des bénéfices que la masculinité
30:54 hégémonique leur apporte. Finalement
30:56 elle remet donc en question ce qui ne les
30:58 arrange pas dans le patriarcat sans jamais
31:00 remettre en question tout ce qui les arrange
31:02 Et c'est pour ça que ça parle à
31:04 autant d'hommes, car ça donne du sens à leur
31:06 souffrance tout en leur répargnant
31:08 une réflexion inconfortable sur le pendant
31:10 positif de leur malheur
31:12 Entre Mecs et Ben Nevers c'est donc ça
31:14 Ce n'est pas une émission pour les mecs
31:16 dominés, mais une émission pour les mecs
31:18 complices
31:20 [Musique]
31:22 [Musique]
31:24 Bon, maintenant
31:26 que je vous ai détaillé tout ça, on va pouvoir
31:28 répondre clairement à la question
31:30 de savoir quel genre de mec est Ben Nevers
31:32 Mais avant ça, il faut préciser
31:34 deux petits détails qui ne sont pas sans
31:36 importance. Le premier détail
31:38 c'est que pour Connell, les hommes peuvent
31:40 au cours de leur vie passer d'une masculinité
31:42 à une autre. On l'a vu dans mon cas
31:44 j'ai été plutôt dans une position de masculinité
31:46 hégémonique quand j'étais enfant
31:48 et mes échecs sportifs m'ont mis dans une
31:50 position non hégémonique et moins
31:52 valorisée qui s'apparente à ce qu'elle appelle
31:54 la masculinité complice. Mais on peut
31:56 facilement imaginer d'autres cas
31:58 par exemple des mecs qui mèneraient une vie d'hétéro
32:00 pendant un temps et qui à l'âge adulte
32:02 transgresseraient cette norme en sortant avec des
32:04 hommes. Bref, premier détail, les
32:06 hommes ne restent pas forcément dans la même
32:08 masculinité tout au long de leur vie
32:10 Et deuxième détail, pour Connell, certains
32:12 hétéros peuvent à un moment donné de leur
32:14 vie être renvoyés à une forme d'homosexualité
32:17 et du coup subir des violences liées à cette
32:19 position subordonnée. La chose n'est
32:21 pas aussi générale et durable que pour les hommes
32:23 gays, bi ou trans, mais elle peut
32:25 exister et être particulièrement violente.
32:27 Et ces deux détails jouent
32:29 peut-être dans le cas de Ben Never
32:31 car peut-être qu'il y a eu quelque chose
32:33 comme ça pendant l'année de son harcèlement
32:35 scolaire. Les violences verbales et physiques
32:37 qu'il a subi avaient peut-être aussi un
32:39 fond homophobe et expliquent peut-être
32:41 en partie le fait qu'il tienne absolument
32:43 à se positionner comme un mec efféminé.
32:45 Mais ce qu'il faut bien voir c'est que cette
32:47 situation a été temporaire, puisqu'il
32:49 a très vite repris confiance en lui à travers
32:51 son traitement hormonal, à travers aussi
32:53 une inscription dans un club de judo
32:55 et aussi nous dit-il, à travers
32:57 un sens de la répartie qu'il a su
32:59 aiguiser au fil du temps. Il a donc
33:01 pallié très vite aux choses qu'il avait amenées
33:03 à se faire harceler. Donc s'il a
33:05 pu connaître quelque chose comme une expérience
33:07 de subordination, il est très vite
33:09 retombé sur ses pattes et dans une forme
33:11 de masculinité normale.
33:13 Bref, vous l'avez compris,
33:15 le verdict de cette vidéo c'est que
33:17 globalement, Ben Never, contrairement
33:19 à ce qu'il affirme, n'est pas un homme dominé.
33:21 Il fait juste partie
33:23 de cette masculinité complice qui ne
33:25 colle pas complètement à l'idéal hégémonique
33:27 mais qui reste bien positionné.
33:29 Comme moi, il fait donc partie de
33:31 cette masse d'hommes blancs hétérosexuels
33:33 des classes moyennes et supérieures, qui
33:35 incarnent une masculinité tout à fait respectable
33:37 sans être forcément très glorieuse.
33:41 Mais il faut quand même nuancer un peu,
33:43 car Ben Never a aussi certains attributs
33:45 très valorisés chez les hommes
33:47 et en particulier un truc.
33:49 Ce truc, c'est qu'à
33:51 l'inverse de plein de mecs pauvres et marginalisés,
33:53 il fait partie de ces hommes
33:55 qui font carrière. Quelque chose qui,
33:57 comme il le remarque, le rapproche de son père.
33:59 En fait, il y a un moment où tu vieillis
34:01 et tu te
34:03 rends compte que t'es tellement un peu comme ton père.
34:05 Tu vois, moi j'ai jamais voulu faire d'études longues
34:07 parce que mon père a fait des études longues.
34:09 Moi jamais je serai absent, moi jamais je serai
34:11 à fond dans mon taf et tout.
34:13 Mais je pense que je travaille encore plus que mon père.
34:15 Du coup, si Ben Never
34:17 est dans un registre plus émotionnel,
34:19 il n'en reste pas moins un homme
34:21 tout à fait dans cette norme qui pousse les hommes
34:23 à se définir par leur travail
34:25 et à s'investir à fond dans leur carrière.
34:27 Il incarne seulement une masculinité
34:29 plus douce qui ne colle peut-être pas
34:31 complètement au modèle hégémonique
34:33 mais qui n'en reste pas moins dominante.
34:35 Car il bénéficie de ce truc fondamental
34:37 dans le patriarcat,
34:39 une position de pouvoir dans le monde du travail.
34:41 Du coup, en se positionnant comme un
34:43 dominé parmi les hommes et en faisant
34:45 de la virilité l'alpha et l'oméga
34:47 de la hiérarchie des masculinités,
34:49 il nous cache l'essentiel.
34:51 Il nous cache qu'il n'a pas intérêt à voir,
34:53 à savoir le fait que c'est avant tout la race,
34:55 la classe sociale et l'orientation
34:57 sexuelle qui hiérarchisent les hommes
34:59 entre eux. Il nous cache le fait
35:01 que ce ne sont pas les mecs sensibles et pas très
35:03 forts qui sont dominés, mais les mecs
35:05 qui subissent du racisme, les mecs qui sont
35:07 exploités et pauvres, les mecs gays,
35:09 les mecs bi et les mecs trans.
35:11 Bref, vous l'avez compris,
35:13 Ben Nevers est un mec qui n'est ni dominé
35:15 ni subversif. Et son discours
35:17 ne permet pas de comprendre comment
35:19 le patriarcat hiérarchise les hommes.
35:21 Donc finalement, son apport féministe
35:23 quand il se penche sur les masculinités
35:25 n'est vraiment pas ouf, puisqu'il ne remet
35:27 pas vraiment en question la domination
35:29 des hommes entre eux. Et ce qu'on va
35:31 voir dans la prochaine vidéo, c'est que
35:33 sans surprise, c'est un peu la même chose
35:35 quand il évoque la domination
35:37 des hommes sur les femmes.
35:39 *musique*

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