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  • 02/05/2023
Marina Ovsiannikova, journaliste et productrice russe, était l'invitée du 7h50 de France Inter, mardi 2 mai. Elle s'est opposée publiquement à la guerre en Ukraine et a dû s'exiler de son pays. Elle relate son histoire dans « NO WAR. L’incroyable histoire de la femme qui a osé s’opposer à Poutine » (L'Archipel).

Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00 7h48, Alexandra Bensaid, votre invitée ce matin est une journaliste et productrice
00:05 russe.
00:06 Bonjour Marina Ovsyannikova.
00:08 Vous venez avec ce livre vous raconter votre incroyable histoire, l'incroyable histoire
00:15 de la femme qui a osé s'opposer à Poutine.
00:18 Tout a commencé en 6 secondes, que nous sommes très nombreux à avoir encore en tête.
00:23 Nous sommes en mars 2022, un peu moins de 3 semaines après l'invasion de l'Ukraine
00:27 et vous voici vous déboulant derrière la présentatrice du JT le plus regardé de Russie
00:33 avec votre pancarte.
00:34 Alors à l'époque on a compris que c'était subversif, rebelle, sans doute dangereux.
00:39 Il y avait écrit en gros "No war", "Non à la guerre" et puis du cyrillique.
00:43 Marina Ovsyannikova, rappelez-nous ce que vous aviez écrit en cyrillique pour les spectateurs
00:47 russes.
00:48 C'était bien sûr une protestation qui était suicidaire parce que c'était le prime time
00:58 des journaux télévisés du soir.
01:00 Donc j'ai écrit "No war", j'ai écrit à l'occident, donc au public occidental et pour les russes
01:06 j'ai écrit en russe.
01:08 C'est de la propagande, ici on vous ment parce que vous ne vous rendez pas compte que Poutine
01:14 pendant les 20 dernières années il a détruit toutes les médias indépendants de la Russie,
01:19 toutes les chaînes de télé sont sous contrôle de l'état et du matin au soir sur toutes
01:23 les chaînes en Russie on n'a qu'un flux incessant de propagande et cette propagande
01:29 travaille sur le même modèle que celle de Goebbels.
01:33 Il parle du noir contre du blanc, du blanc contre du noir et c'est très étonnant que
01:37 des millions de russes sont devenus des zombies, des zombifiés par cette propagande et ils
01:43 seraient prêts à tuer des gens en Ukraine.
01:46 Donc la propagande c'est bien sûr l'arme principale de Poutine, c'est son principal
01:52 système de fonctionnement et c'est pour cela que je voulais détruire cette propagande
01:58 de Poutine quand la guerre a commencé.
01:59 Ici on vous ment, celle qui faisait partie du mensonge depuis quasiment 20 ans, y compris
02:05 en 2008 lors de la guerre éclair en Crémey, y compris en 2014 lors de l'annexion de la
02:10 Crémey, c'était vous, vous étiez journaliste internationale au service de Pervis Canal,
02:16 la première chaîne.
02:17 Qu'est-ce qui vous est arrivé en 2022 ? Comment est-ce qu'on devient comme ça incroyablement
02:22 courageuse ou alors incroyablement inconsciente peut-être ?
02:24 Oui c'était une protestation suicidaire comme j'ai dit parce qu'en fait je dirais que la
02:32 guerre c'est devenu un point d'en-retour, je ne pouvais plus me taire, il y avait du
02:37 sang, des larmes partout, des réfugiés ukrainiens et je comprenais très bien ce qu'allait
02:42 vivre ces réfugiés parce que moi-même j'ai vécu la même situation, j'ai vécu à Grosny
02:49 dans mon enfance et ma maison a été détruite pendant la première guerre de Tchétchénie.
02:53 Donc je comprenais très bien ce que la télévision russe est devenue parce que quand je suis
02:57 venue à la télé russe, c'était encore la fin de l'époque de Yeltsin, je travaillais
03:01 sur une chaîne régionale et à ce moment-là on pouvait encore parler de tout ce qu'on
03:07 voulait dire, il n'y avait pas de sujet interdit mais petit à petit Poutine a détruit toute
03:13 la télé indépendante en Russie, maintenant c'est sous contrôle de l'État et ces derniers
03:17 temps nous travaillons pour choisir uniquement des actualités et des informations contre
03:25 l'Ukraine et contre l'Occident et on nous diffère de l'autre côté du pays.
03:30 Pendant ces 10 dernières années, je ne regardais plus la télé russe, je regardais CNN, Sky
03:39 News ou d'autres chaînes, je regardais des chaînes d'info alternative et je comprenais
03:45 très bien en travaillant dans cette rédaction internationale ce qui se passait.
03:49 Mais il n'y avait pas d'autre alternative, soit on quittait la profession, le métier,
03:55 on change de métier, soit il fallait partir nulle part.
03:58 Ce qu'il faut comprendre c'est qu'en effet vous vous êtes au service international de
04:01 Previkanal et vous avez accès à ces images, vous dites, de morts en Ukraine, de sang,
04:07 vous avez accès aux chaînes étrangères, vous avez accès aux dépêches des agences
04:11 de presse internationales.
04:12 En tant que journaliste, quelles sont les règles de la propagande ? Comment est-ce qu'on
04:16 rebascule ça aux téléspectateurs ? Qu'est-ce qu'on leur dit ? Comment ça marche précisément
04:20 ?
04:21 Je peux dire que ce n'était pas que moi qui avais cet accès, tous les rédacteurs
04:31 de notre rédaction avaient cet accès et donc ils voyaient très bien ce qui se passait.
04:34 Mais pas les Russes ?
04:35 Non, ni les Russes.
04:36 Mais pas la population ?
04:37 Non, non, pas la population bien sûr.
04:40 La rédaction bien sûr avait cet accès, on avait les écrans et on avait ces images
04:45 en direct et on voyait très bien comment cette image que nous diffusions était biaisée.
04:54 Mais ils jouaient ce jeu du Kremlin et ils devaient se rendre compte que s'ils disent
05:02 un mot contre Poutine, ce sera leur dernière journée de travail et c'est complètement
05:07 suicidaire.
05:08 Donc on coupe les images, on ne diffuse pas d'informations négatives sur Poutine, racontez-nous
05:14 pas d'informations positives sur l'Occident, on ne parle pas de guerre.
05:17 C'est quoi les règles précisément ?
05:19 Quand la guerre a commencé, on a eu un ordre du Kremlin que nous ne parlions jamais d'une
05:29 guerre, nous ne disons pas guerre, c'est une opération spéciale militaire pour libérer
05:34 les populations pacifiques du Donbass.
05:37 Donc en fait nous étions en train de construire une réalité parallèle, nous ne parlions
05:41 pas de réfugiés, des avions russes qui bombardaient l'Ukraine, on devait montrer que des vidéos
05:51 du ministère de la Défense russe ou de la FSB.
05:57 Et dans ces vidéos, l'armée russe était présentée comme délibérateur du Donbass.
06:07 Donc oui, nous créons cette réalité parallèle, nous avons déshumanisé les Ukrainiens, nous
06:13 ne parlions pas d'eux comme des personnes mais comme des nazis, comme des banderistes.
06:18 Donc c'était de tout faire pour attiser cette haine des Russes contre les Ukrainiens.
06:23 Mais est-ce que la population est consciente de cette manipulation ? Et surtout, aujourd'hui
06:28 il y a d'autres sources alternatives en dehors des frontières de la Russie.
06:32 Il y a par exemple le site Meduza, il y a des journalistes russes exilés.
06:35 Est-ce que les Russes peuvent y accéder ? Et est-ce qu'ils veulent accéder à autre
06:39 chose que cette information contrôlée par le Kremlin que vous nous décrivez ?
06:42 Nous sommes des journalistes et nous avons cette habitude de chercher des informations.
06:50 Mais la plupart des Russes n'ont pas cette habitude.
06:52 Ils appuient sur le bouton, le premier bouton, la première chaîne et donc ils consomment
06:58 ce que le média de l'État leur propose.
07:01 Aujourd'hui tous les médias en dépendance sont bloqués en Russie, tous les réseaux
07:05 sociaux Twitter, Facebook, Instagram sont bloqués.
07:09 Et aujourd'hui on parle de bloquer Youtube aussi.
07:13 Donc pour avoir accès à des sources d'informations alternatives, il faut installer un VPN sur
07:22 son portable.
07:23 Beaucoup de personnes âgées ne savent pas le faire.
07:26 Donc ce sont que des Russes les plus jeunes, les plus modernes qui peuvent accéder à
07:32 ces informations et suivre ces informations.
07:34 Donc la propagande est très efficace.
07:36 Et quand vous êtes en Russie, vous commencez peut-être à douter de toutes ces infos.
07:43 Et peut-être que la propagande dit vrai et la Russie est une forteresse assisgée.
07:50 Vous avez montré cette pancarte en mars 2022.
07:52 Votre mère, même votre mère a eu des mots très durs.
07:56 Quelle a été la réaction des Russes et en particulier de votre maman ? Avez-vous été
08:01 comprise ou avez-vous été seule ?
08:03 Vous devez comprendre qu'en Russie la guerre a détruit des millions de familles.
08:11 Ma famille ce n'est pas un cas unique.
08:13 Il y a des familles comme ça, il y en a plein en Russie.
08:18 Et souvent entre la femme et l'homme, ce n'est pas la même opinion.
08:23 Donc souvent il y a des oppositions au sein de la famille.
08:27 La femme ne parle plus à son mari et le fils ne parle plus à son père.
08:33 Donc cette société russe aujourd'hui, elle est en dépression, elle est frustrée.
08:37 Les gens ne savent pas quoi faire.
08:40 Donc c'est des temps très durs.
08:42 Et dans notre pays, il y avait une autocratie au départ.
08:45 Mais aujourd'hui c'est une vraie dictature.
08:47 Et les personnes aujourd'hui essaient de garder, de préserver leur famille et ils
08:53 font l'autruche.
08:54 Des journalistes russes, c'est ma dernière question.
08:56 Critiques de Vladimir Poutine et de sa politique ont eu des destins tragiques.
09:00 Paul Klebnikov, Anna Politovskaya, Natalya Stemirova.
09:03 Est-ce que vous Marina, vous regardez toujours par-dessus votre épaule aujourd'hui ?
09:08 Mes amis, quand ils m'appellent depuis la Russie, ils me blaguent en me disant "est-ce
09:19 que tu préfères le Polenium ou le Novichok ?" Moi je blague en leur répondant parce
09:24 qu'on ne peut pas vivre dans cette tension constante depuis un an.
09:29 Donc moi j'ai des règles de sécurité que je suis aujourd'hui.
09:34 Et donc moi je dis en blagant, en répondant qu'il n'y aura pas assez de Novichok pour
09:39 tous les dissidents qui parlent aujourd'hui contre Poutine et contre cette guerre criminelle.
09:43 Marina Ovsyannikova, merci beaucoup, spasiba bolchoy.
09:47 Le livre s'appelle "No War", l'incroyable histoire de la femme qui a osé s'opposer
09:51 à Poutine aux éditions L'Archipel et ses reporters sans frontières qui vous a aidé
09:54 à partir de Russie.
09:55 Et merci à Anna Survejina pour la traduction assurée en direct ce matin, 7h58.

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