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Dans "Je verrai toujours vos visages", en salle ce 29 mars 2023, Jeanne Herry aborde le sujet de la justice restaurative, encore méconnue en France. La réalisatrice y dirige sa mère, Miou-Miou, et son actrice de « Pupille » Elodie Bouchez. A l'occasion de notre avant-première organisée au Silencio des Prés, la cinéaste a répondu aux questions de Jérôme Garcin, chef du service Culture de « l’Obs ». -

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Transcription
00:00 un peu pôle pote de temps en temps.
00:01 Mais de toute façon, en scène, c'est un petit tyran.
00:04 J'essaie d'être un gentil tyran.
00:06 Musique douce
00:08 -Jeanne Hery, ravie de vous recevoir aujourd'hui
00:13 pour ce très passionnant, édifiant film
00:16 que je verrai toujours vos visages.
00:19 Le titre, il vient d'où ?
00:22 -Le titre, il est arrivé assez longtemps
00:25 après le début du tournage,
00:27 parce que j'avais un autre titre, un titre provisoire,
00:30 et puis il est arrivé
00:32 parce qu'on cherchait un titre un peu plus solaire
00:35 que ce qu'il y avait avant,
00:36 et cette phrase d'un des personnages,
00:39 qui est dit dans le film,
00:41 m'a paru pertinente à plein d'endroits.
00:44 C'est un titre assez littéraire et sentimental,
00:47 ce qui ne me déplaît pas.
00:48 Il y a deux versants intéressants dans ce titre.
00:51 Un versant un peu traumatique,
00:53 c'est une phrase que peuvent dire les victimes,
00:56 en parlant d'un agresseur, de ses yeux, de son regard,
00:58 et en même temps, le versant réparateur
01:01 de ce qui fait l'essence de cette justice restaurative,
01:04 c'est-à-dire les rencontres,
01:06 des grandes rencontres qui changent la vie.
01:08 C'est une phrase, je verrai toujours vos visages,
01:11 qui a été dite sur plusieurs dispositifs,
01:13 par des gens qui ne se sont pas consultés avant de les dire.
01:16 Ca me semblait très cohérent
01:18 avec l'expérience de la réalisatrice que j'ai été,
01:21 qui a filmé beaucoup de visages,
01:23 et l'expérience spectateur,
01:25 et j'espère que les gens qui se souviendront de ce film
01:28 se souviendront essentiellement du visage des acteurs.
01:31 Ca me paraissait...
01:32 -Je rappelle que les agressions vont du simple vol à l'arraché
01:35 jusqu'au viol. Cette fameuse justice restaurative,
01:38 qui n'avait jamais été ni montrée ni racontée à l'écran,
01:42 au cinéma, a été mise en place par Christiane Taubira...
01:46 -En 2014. -En 2014.
01:48 On en rappelle vite le principe.
01:50 -Le principe, c'est de proposer des espèces de dialogues sécurisés
01:54 entre des auteurs et des victimes d'infractions.
01:57 C'est une justice adossée à la justice pénale
02:00 et qui vise à réparer les êtres qui ont été abîmés
02:03 par une infraction.
02:04 C'est complémentaire de la justice pénale.
02:06 Ca s'occupe pas du tout des mêmes choses.
02:09 Ca vise à réparer les êtres et le lien social en général.
02:12 -En sachant que les victimes ont peut-être l'occasion
02:15 d'obtenir réparation au moins mentale, psychologique,
02:18 voire physique, et que les agresseurs, eux,
02:21 n'ont rien à gagner... -Autre.
02:23 -Sinon, leur propre réparation. -Absolument.
02:26 -Mais y a pas de réduction de peine, y a pas de...
02:28 -Non, pas du tout. Y a pas de contrepartie.
02:31 C'est gratuit, c'est basé sur le volontariat.
02:34 Donc tous et toutes ne sont pas prêts
02:36 à s'inscrire dans ce type de dispositif,
02:38 mais c'est un outil, quand on s'en saisit,
02:41 qui est très, très efficace en termes de réparation.
02:44 Je pense qu'on devrait vraiment s'en saisir collectivement.
02:47 -Avec des médiateurs dans ce film qui sont...
02:50 puissants, lumineux.
02:53 -Oui.
02:54 -Dont il faut rappeler
02:56 qu'ils sont bénévoles ou professionnels.
03:00 -Absolument. C'est eux que j'ai été rencontrer
03:02 pour me documenter, pour comprendre cette justice
03:05 dans les petites et les grandes lignes,
03:07 du détail des protocoles à la philosophie générale
03:10 qui irrigue cette justice restaurative.
03:13 Tout m'a passionnée, mais les premiers,
03:15 c'est ces animateurs, professionnels ou bénévoles,
03:18 qui sont issus des associations d'aides aux victimes
03:21 d'une administration pénitentiaire,
03:23 qui travaillent en binôme, eux, qui ne travaillent pas ensemble.
03:27 Ce que j'ai vu, c'est des gens absolument pas sacrificiels,
03:30 dans une démarche douloureuse, d'aller dans le soin aux autres,
03:34 malgré tout. Au contraire, c'est des gens
03:36 qui ressemblent à la justice restaurative,
03:39 pour tout dire, ouverts, sympatoches,
03:41 qui s'adorent, il y a beaucoup d'amitié, de compagnonnage,
03:44 ils vivent des choses fortes ensemble.
03:46 On sent que, par là même, ils se restaurent eux-mêmes.
03:50 C'est une justice restaurative qui va même restaurer
03:52 ceux qui travaillent, parce que, on le sait,
03:55 c'est une tarte à la crème de dire ça,
03:57 mais partout, les travailleurs de l'Etat sont au bout du rouleau,
04:01 un peu partout, on a vu.
04:02 Ca, ça fait partie des choses où ils ont le temps
04:05 de travailler, de travailler bien,
04:07 enfin, de repartir dans de la dentelle,
04:11 dans du cas par cas,
04:12 et il y a beaucoup de bonne humeur dans cette justice restaurative.
04:16 -Ca, on parle de justice,
04:18 mais on parle un peu quand même de cinéma.
04:20 C'est un film de cinéma, je rappelle, je l'adore.
04:23 -Elle l'adore. -Elle l'adore.
04:25 Elle l'adore, mais c'était...
04:26 On peut le prendre comme un éloge.
04:29 "Pupille". -Oui.
04:30 -Pareil, je dirais pareil, au sens où c'est fondé
04:33 à la fois sur une question de réparation,
04:36 aussi de collectif,
04:38 et que c'est un sujet de société,
04:40 dont vous faites un film de cinéma absolument bouleversant,
04:45 avec Gilles Lelouch et Ludi Boucher,
04:48 qu'on retrouve dans "Je verrais".
04:51 Et évidemment, ce qu'on se dit, c'est qu'un sujet pareil,
04:54 on revient à la justice restaurative,
04:57 le passé du côté du cinéma, du grand écran,
05:00 ça supposait un coup de baguette magique.
05:02 Comment vous y êtes arrivée ?
05:04 -Bah... -En évitant, je dirais,
05:06 d'emblée, le film dossier ou le film à thèse.
05:10 -En fait, moi, ces sujets m'intéressent
05:13 comme citoyenne et comme personne,
05:15 je trouve ça passionnant de me documenter là-dessus,
05:18 mais je le fais pour faire du cinéma.
05:20 Je choisis ces sujets car j'y vois l'opportunité.
05:23 Je vois du cinéma partout,
05:24 je trouve les situations incroyablement riches,
05:27 des choses à jouer.
05:28 J'aime bien les terrains de jeu.
05:30 Je vois que c'est un terrain de jeu formidable pour moi,
05:33 comme scénariste, pour écrire des beaux personnages,
05:36 des séquences fortes, des trajectoires riches,
05:39 et pour donner à des joueurs, tous les acteurs,
05:41 ceux que j'ai pas connus, ceux avec qui j'ai déjà travaillé,
05:45 ceux que je découvrais dans le travail,
05:47 c'est tous des joueurs, des gens qui adorent jouer.
05:50 Je sais qu'un acteur est heureux quand il a des choses à jouer.
05:53 -Mais tellement joueurs que le spectateur a l'impression
05:57 que les textes sont improvisés, que rien n'est écrit.
06:00 Il se passe entre eux quelque chose qui pourrait se passer
06:03 dans le réel, mais qu'il y a plus de scénario,
06:05 qu'il y a plus de texte.
06:07 C'est une des forces du film.
06:09 -C'est une des forces du travail des acteurs
06:11 qui ont incarné à merveille cette partition
06:14 que j'avais écrite de manière très précise.
06:17 C'est ma façon de travailler.
06:18 Je demande qu'on la respecte très rigoureusement,
06:21 jusqu'à la ponctuation et tout ça.
06:23 -Un peu psychologique sur les tournages.
06:26 -Un peu pôle pote, de temps en temps.
06:28 Mais attention, c'est un petit tyran.
06:30 J'essaie d'être un gentil tyran.
06:32 Mais c'est vrai que je leur demande leur rapport,
06:35 leur collaboration, leur rapport artistique,
06:38 leur rapport créatif, qui est immense,
06:40 n'est pas dans le choix des mots.
06:42 Je leur impose le choix des mots,
06:44 un cadre assez serré, mais comme le jeu, c'est étrange,
06:48 c'est un mélange d'abandon et de maîtrise,
06:50 je leur demande de maîtriser.
06:52 Après, j'ai la sensation qu'il n'y a que dans les cadres
06:55 qu'on s'épanouit.
06:57 J'essaie de faire en sorte qu'ils s'épanouissent
06:59 dans ce cadre serré.
07:01 Vous l'avez dit, nous avons tous été incroyablement vibrants
07:04 dans cette partition.
07:06 Ca me fait plaisir quand on dit que ça sonne vrai.
07:08 -Dernière question, elle a dit Boucher et Gilles Lelouch,
07:12 venus directement de Pupil, les Labectis,
07:14 qui est aussi incroyable, Denis Podalides,
07:17 Adèle Hexarchopoulos,
07:19 qu'on n'a jamais vues comme ça, je trouve.
07:21 Et puis, une certaine Miu-Miu.
07:23 -Oui.
07:25 -Question rituelle, évidemment, c'est difficile, facile,
07:28 de diriger sa propre mère sur un tournage ?
07:31 -C'est facile d'être inspirée par elle,
07:35 car j'ai écrit le rôle pour elle.
07:37 Tout le monde sait que c'est une grande actrice.
07:40 J'avais vraiment envie... -Ce rôle a été écrit pour elle.
07:43 -Vraiment pour elle.
07:44 J'avais envie de la voir dans un personnage de timide.
07:47 J'aime d'adore quand elle joue les timides, ma mère.
07:50 Je la trouve touchante.
07:52 En plus, il y a une fragilité qu'il a gagnée au fil des ans,
07:55 très inspirante.
07:56 Et puis, j'avais envie... Quel est le temps de jouer ?
08:00 C'est pas des petits dialogues, des trucs en ping-pong.
08:03 Quel est le temps de jouer ? J'avais envie de la regarder jouer.
08:06 C'est une grande actrice qui est très précise.
08:09 On a des façons de travailler qui s'accordent très bien.
08:12 Elle aime pas trop travailler en impro.
08:14 Elle adore avoir un texte, elle le travaille,
08:17 elle le remache.
08:18 Quand elle arrive, elle a une proposition solide.
08:21 C'est vrai que c'était une partition toute en émotions,
08:24 en particulier pour son personnage.
08:26 Comme je sais qu'elle fait partie des actrices ultra-émotionnelles
08:30 qui vont à la mine les chercher, les émotions,
08:33 c'est facile.
08:37 Et c'est un peu plus chargé qu'avec les autres
08:39 d'un point de vue sentimental, affectif.
08:42 -Elle doit être fière de vous et de ce film,
08:45 parce que je trouve que vous êtes toutes les deux,
08:48 avec ce film, ce rôle et votre réalisation,
08:51 vous n'êtes jamais été aussi proches.
08:53 Merci beaucoup, Jeanne. -Merci à vous.
08:56 Merci beaucoup.
08:57 [Musique]
09:02 [SILENCE]
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