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  • 21/03/2023
Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de L'Express, Thomas Legrand, producteur à France Inter et chroniqueur à Libération, et Jérôme Jaffré, politologue et chercheur associé au Cevipof, reviennent sur l'adoption, via le 49.3, de la réforme des retraites.

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Transcription
00:00 ce matin un grand entretien en forme de table ronde au lendemain du rejet par l'Assemblée
00:04 nationale des motions de censure RN et Liott déposées contre le gouvernement. Trois invités
00:09 pour en parler, Jérôme Jaffray, politologue, chercheur associé au Cévi-Pov, Thomas Legrand,
00:15 chroniqueur politique au quotidien Libération, producteur sur France Inter de l'émission
00:19 Enquête de politique, voix bien connue des auditeurs de la matinale, Anne-Rose Ancher,
00:25 directrice déléguée de la rédaction de L'Express, voix qui commence à être bien connue des
00:30 auditeurs du 7-9-30. Bonjour à tous les trois. Et merci d'être en studio ce matin avant
00:35 d'essayer de comprendre le moment dans lequel se trouve le pays. Beaucoup de mots circulent,
00:40 crise politique, crise sociale, crise institutionnelle, crise de régime. Un premier tour de table
00:46 sur la photo à l'instant T. La motion de censure déposée par le groupe Liott a été
00:51 rejetée hier à 9 voix. Les oppositions ne sont donc pas parvenues à faire chuter le
00:57 gouvernement en borne et la réforme des retraites est de facto adoptée. Même question à tous
01:02 les trois, 9 voix Anne-Rose Ancher, 9 voix seulement. Dans la presse ce matin, beaucoup
01:08 de députés disent leur sidération. Avez-vous été surprise vous-même par un résultat
01:13 si serré ? Disons qu'après le recours au 49.3 sur lequel moi je n'avais pas misé,
01:18 je m'attendais un peu à tout et être surprise. Je n'ai pas été si surprise que cela. Après
01:23 c'est vrai que 9 voix c'est les tiages bas. Et donc qu'est-ce que ça veut dire ? Pour
01:28 reprendre votre expression, la photo à l'instant T, elle est très difficile à prendre parce
01:32 que je trouve qu'il est devenu dans la nouvelle économie médiatique difficile de penser.
01:37 On entend beaucoup de fracas, de commentaires, beaucoup d'affects aussi. Or la politique
01:42 c'est prendre du recul, il est devenu difficile d'en prendre. Je pense quand même là à
01:46 Grotteret pour lancer que c'est quand même plutôt une mauvaise nouvelle pour l'exécutif.
01:50 C'est-à-dire qu'on voit qu'il va être difficile de gouverner avec ce niveau d'opposition
01:56 parlementaire qui s'ajoute à une impopularité de la rue, sachant que les défis devant nous
02:04 sont immenses. Donc on a quand même cette impression en photo à l'instant T d'un
02:09 grand gâchis d'énergie politique, d'une grande colère sociale qui est née. Tout
02:13 ça pour ça. Neuf voix seulement Jérôme Jaffray. Oui, c'est évidemment impressionnant.
02:20 La crise elle est multiforme. C'est un gouvernement en sursis. Tôt ou tard il tomberait à d'autres
02:26 motions de censure. C'est une assemblée nationale en sursis. C'est-à-dire que tôt
02:31 ou tard, au moment qu'il pourra choisir, le président dissoudra probablement pour
02:35 essayer de trouver une autre assemblée nationale. Mais surtout pas maintenant. Évidemment,
02:40 les députés iraient au massacre. Pas de capacité à faire voter des textes importants
02:45 pour trouver une majorité pour l'Assemblée nationale dans les mois à venir. Pas non
02:51 plus de majorité alternative. Cette motion de censure, elle réunit qui ? Les extrêmes
02:56 ensemble. Le Rassemblement National, la NUPES et la France Insoumise. Et on trouve normal
03:01 que tout ce monde-là fonctionne ensemble ? Non. Ça n'est pas une majorité alternative.
03:06 Et la réforme, vous l'avez dit, elle est adoptée, mais elle n'est pas légitimée.
03:09 Elle n'est pas légitimée pour les Français. Et ça, évidemment, c'est source de problèmes,
03:15 de rancœurs. Donc la crise, elle n'est loin d'être terminée.
03:18 Thomas Legrand, ce résultat sur le fil dit quoi selon vous ?
03:22 Neuf voix, c'est pas tellement le chiffre qui compte parce que les majorités sont majoritaires
03:28 à une voix près. La République a été adoptée avec l'amendement Vallon à une
03:31 voix près. Le problème, c'est évidemment la légitimité, comme vous venez de le dire.
03:38 Il y a trois légitimités qui s'opposent en France. La légitimité du président de
03:43 la République élue directement par les Français, la légitimité législative.
03:47 Elle ne s'oppose pas à celle du président de la République, mais elle est quelquefois
03:52 en frottement, en concurrence, en complémentarité. Et là, elle est en opposition parce qu'il
03:56 y a quand même une majorité de parlementaires qui voulaient s'opposer au texte. Là, c'est
04:03 par un vote négatif qu'on dit que le texte est adopté. Mais ce n'est pas le texte
04:06 qui est adopté, c'est le gouvernement qui est sauvé. Et par un effet un petit peu
04:12 pervers de langage, le gouvernement dit que le texte est adopté. Et puis la troisième
04:19 légitimité, c'est une légitimité informelle et très complexe et très française, la
04:23 légitimité de la rue. Évidemment, la rue n'est pas toujours légitime quand elle
04:26 manifeste, mais dans certaines conditions en France, et compte tenu de notre histoire,
04:29 parce que tous nos acquis sociaux ont été obtenus par la rue. La République et la démocratie
04:34 ont été obtenus par la rue, que ce soit sous la révolution en 1848 ou même en 1945
04:41 avec les résistants, le Conseil national de la résistance, et puis le 25 août par
04:46 Paris qui se soulève. Et même en 36, les acquis sociaux n'ont pas été acquis par
04:51 le gouvernement et par les grèves qui ont soutenu le gouvernement. Donc, on a cette
04:54 légitimité de la rue qui est très difficile à expliquer, d'ailleurs, aux étrangers.
04:58 J'ai été correspondant à l'étranger. J'ai déjà essayé d'expliquer ça. C'est
05:02 très compliqué, mais nous, on a ça. Et ces trois légitimités sont en ce moment,
05:07 aujourd'hui, en opposition, en confrontation. Qu'est-ce qui va sortir de tout ça ? Je
05:13 ne sais pas, parce que généralement, le président est en situation arbitrale et on
05:17 attend de lui une solution. Or là, on ne voit pas comment il pourrait donner une solution
05:23 satisfaisante parce qu'il a deux légitimités contre lui. Celle du Parlement, malgré ses
05:27 neuf voix, et celle de la rue. La rue qui, aujourd'hui, est légitime puisqu'elle
05:32 est soutenue depuis des semaines après avoir manifesté de façon pacifique, soutenue par
05:37 une très grande majorité des Français.
05:38 Alors justement, Emmanuel Macron doit s'exprimer demain dans les journaux de 13h de TF1 et
05:44 de France 2. Que peut-il dire dans le contexte dans lequel se trouve aujourd'hui le pays,
05:51 contexte à la fois politique et social, selon vous, Anne Rosencher ?
05:54 Ce qu'il peut dire, on ne peut pas le prévoir, bien entendu. J'espère en tout cas qu'il
06:04 ne va pas, si vous voulez, nourrir le récit que l'on sent poindre aujourd'hui du président
06:11 martyr de l'irrationalité française et des Gaulois réfractaires, si vous voulez.
06:16 On le sent arriver, ce récit-là, qui est un récit pour rebondir, qu'on peut comprendre,
06:21 qu'on peut dire qu'il est logique. Et il est aidé en cela, quelque part, par le comportement
06:28 parfois des oppositions qui peut être sur la forme très contestable et sur le fond
06:33 assez démagogique. Mais d'abord, je le pense, assez injuste sur le fond. C'est-à-dire,
06:40 Emmanuel Macron lui-même n'a pas eu un comportement très rationnel tout au cours de cette réforme,
06:45 et l'exécutif de manière générale. On n'a pas très bien compris pourquoi, sans
06:49 têter sur l'âge des 64 ans, l'âge coup près, sachant que ça ferait peser mathématiquement,
06:55 mécaniquement, la réforme sur des Français ayant commencé de travailler tôt, ayant
06:59 peu fait d'études, qui sont justement les Français qui se sentent lésés des dernières
07:04 décennies et qui expriment une colère plus importante dans les urnes et nourrissent cette
07:10 fracture sociale. Donc pourquoi, si même on était d'accord pour dire, s'il avait
07:16 réussi à convaincre qu'il fallait faire une réforme des retraites, il fallait au
07:19 moins qu'elle soit équitable. Voilà, c'était ça l'enjeu. Pourquoi s'être
07:23 en têté là-dessus ? Moi, je ne trouve pas ça rationnel. Premier élément sur cet
07:26 élément de récit, Macron versus l'irrationalité des Français. Et ensuite, surtout, il ne
07:32 faut pas qu'il perde de vue, et ça je pense que parfois il le fait un peu trop, c'est-à-dire
07:35 qu'il se met en scène face à des oppositions qui en effet, comme l'a dit Jérôme Jaffray,
07:42 ne sont pas crédibles, ne sont pas une alternative crédible. Oui, mais quand il met en scène,
07:48 moi, contre l'irrationalité française, ça n'est pas que les oppositions qu'il
07:52 vise. C'est une société, c'est une nation, ce sont des citoyens. Et ce récit-là, qui
07:57 vient d'une trop grande partie, je trouve, parfois des dirigeants et des élites, de
08:01 dénigrer un peu le pays, de ne pas avoir confiance, d'être trop pessimiste, défaitiste,
08:06 de dire qu'on ne fera jamais rien de ce vieux pays décidément trop réfractaire.
08:10 Et pour moi, au cœur du déclassement français est d'un problème français.
08:15 Jérôme Jaffray, on entendait tout à l'heure dans le journal de 8h, Simon Le Baron du
08:22 service politique d'Inter qui nous rapportait les messages d'Elisabeth Borne à ses troupes
08:27 hier soir. La première ministre disait avoir la satisfaction du devoir accompli. On continue
08:32 comme avant. Est-ce une partition qui peut être jouée par le président de la République
08:38 ou il peut y avoir une forme de mea culpa sur ce que vous disiez à l'instant, à savoir
08:43 une réforme qui de fait est adoptée mais dont la légitimité, je reprends vos mots,
08:48 est faible ? Oui, la première surprise que j'ai, c'est
08:52 qu'Emmanuel Macron ne s'exprime pas dans le cadre d'une allocution de 20 heures où
08:56 il s'adresse aux français tous ensemble pour leur parler un peu solennellement, mais
09:01 qu'il a choisi un format assez curieux du 13h sur TF1 et France 2 à la fois et qui
09:08 nous renvoie davantage à l'idée de l'explication et pas à l'idée de solennité ni à l'idée
09:13 de remise en cause. Donc déjà nous avons un petit peu une orientation.
09:17 Alors il y a effectivement deux hypothèses et nous verrons, mais avec Macron les choses
09:23 sont toujours compliquées, un Macron qui s'arc-boute sur ce qu'il a fait et qu'il
09:28 dit "c'était dur, je sais bien que je demande des sacrifices aux français, que c'est
09:33 impopulaire, je l'accepte pour moi qu'ils soient au service du pays, enfin taratata,
09:38 on voit bien tout ce qu'il peut développer là-dessus. Mais l'autre hypothèse, c'est
09:43 un Macron qui dit "je vous ai compris" et c'est pour ça que j'aurais préféré
09:48 de ce point de vue le 20h et que du coup le "je vous ai compris" s'éloigne.
09:51 Je vous ai compris, ce qui dans cette réforme pose le plus problème c'est la souffrance
09:56 au travail déjà, c'est la fin des carrières, c'est le fait qu'il est extrêmement dur
10:00 pour énormément de français de travailler de 62 à 64 ans. Il faut donc commencer tout
10:05 de suite par aller réformer des choses sur le travail, c'est-à-dire gérer les carrières,
10:12 c'est-à-dire permettre par exemple davantage une retraite progressive, pouvoir dire éventuellement
10:17 que cette loi vient d'établir une autre loi, celle du travail par exemple, pourrait
10:21 sur certains points corriger certains points, retraite progressive par exemple, modulation
10:27 des horaires de travail tout au long de la vie, il y a des moments où on peut vouloir
10:30 travailler davantage en termes de temps de travail de semaine et quand on arrive en fin
10:34 de carrière, travailler 30h et plus 35, avoir un jour de plus où on ne travaille pas, des
10:40 choses aussi fortes que celle-là. J'aimerais, mais je rêve peut-être, que le président
10:45 dise avoir compris qu'il y a une certaine usure, un vieillissement de nos procédures
10:49 constitutionnelles, de nos procédures démocratiques, que le président dise qu'effectivement
10:54 il y a un problème d'articulation entre les pouvoirs et entre les légitimités,
10:59 comme l'a dit Thomas Legrand. J'aimerais, je rêve toujours un peu, que le président
11:03 dise qu'il y a un problème de représentation, qu'il y a un problème d'usage du 49-3
11:08 sur lequel il faut discuter et qu'il veut réunir toutes les forces politiques. Voilà.
11:12 Mais le 13h ne me paraît pas être le format parfaitement adapté pour aller aussi loin.
11:16 - Thomas Legrand ? - Ce qui est très étonnant, c'est qu'aujourd'hui
11:20 et demain à 13h, Emmanuel Macron se retrouve dans la situation dans laquelle et par laquelle
11:28 il est arrivé, c'est-à-dire il est arrivé en dénonçant exactement la situation dans
11:32 laquelle, la situation de blocage. Son parti s'appelait En Marche, il n'avait pas de
11:36 but, c'était un nom de moyen de locomotion, c'était pour nous remettre en marche, c'est-à-dire
11:41 pour faire confiance, il parlait de confiance, ce que disait Anne Rosencher tout à l'heure,
11:46 c'est-à-dire remettre la société au travail et pas au travail, enfin en tout cas dans
11:53 l'action pour se réformer et puis pour passer outre les élites et les blocages. Et là,
12:00 il se retrouve dans la situation de blocage qu'il dénonçait et pour laquelle il est
12:06 arrivé. Ce qui est très étonnant, c'est qu'il va dire demain, s'il répond à votre
12:17 rêve, Jérôme Jaffray, ça sera trop tard, ça sera trois jours trop tard. C'est-à-dire
12:22 que s'il cède, s'il met en pause sa réforme ou dit simplement je vais faire une réforme
12:29 qui va annihiler les effets de cette réforme, donc l'histoire des 13 milliards, ça sera
12:34 fini, eh bien on aura l'impression qu'il cède à ses trois jours de violence. C'est
12:39 quand même dommage parce qu'il y a eu des semaines d'une démonstration pacifique
12:44 qui nous a tous surpris puisqu'on n'avait plus l'habitude d'avoir un Front syndical
12:48 responsable, puissant, soutenu à l'ancienne. Et on avait l'impression que chaque manifestation
12:55 finissait en violence, qu'un petit groupe d'insurgés voulait instrumentaliser chaque
13:03 manifestation. Ce n'était plus le cas, ça va le devenir parce que les manifestations
13:06 seront moins fournies, mais plus instrumentalisées par ces insurgés qui n'attendent que ça.
13:12 Et on va avoir l'impression, s'il cède, s'il ne cède pas, je ne sais pas ce que
13:17 ça va donner, mais s'il cède d'une certaine façon, qu'il finalement, que simplement
13:22 la violence paye. Ce n'est pas céder, c'est comprendre ce qui s'est passé dans l'esprit
13:29 des Français qui a fait que cette réforme, dont on nous dit tout le temps, tous les autres
13:35 pays européens sont beaucoup plus avancés, 66, 67 ans. Vous avez raison Gérôme, mais
13:39 simplement, s'il l'avait fait il y a trois jours, on aurait pu dire qu'il a compris,
13:43 s'il le fait maintenant, on va avoir l'impression qu'il cède aux violences. Il faudra qu'on
13:48 retienne nos commentaires d'ailleurs pour dire qu'il ne cède pas aux violences, mais
13:50 enfin il comprend.
13:51 Anne Rosancher ?
13:52 Mais juste parce que je suis d'accord avec Gérôme quand il dit qu'il faudrait un
13:57 "je vous ai compris", mais le "je vous ai compris" est déjà arrivé sous maintes
14:01 formes depuis.
14:02 Le "j'ai changé".
14:03 Il y a eu le "j'ai changé", il y a eu le "plus rien ne sera jamais comme avant",
14:07 ça c'était pendant le Covid. Il y a eu le "ce vote m'oblige" au second tour de
14:12 la deuxième élection présidentielle à l'issue de laquelle il est réélu. Donc je
14:17 pense que ce qui est problématique c'est que cette réforme justement est venue appuyer
14:24 sur son point faible, sur le point où on lui dit "mais vous dites vous avez compris
14:29 et vous faites une réforme qui justement va peser sur les gens qui ont le plus de ressentiment
14:35 à votre égard". C'est pour ça que je trouve que la situation est extrêmement inquiétante,
14:41 parce que quelque part ça continue de creuser exactement pile sur les lignes de fracture
14:47 que nous connaissons déjà.
14:48 Jérôme Jaffray, on reste quand même dans le système monarchique de la Ve République
14:53 jusqu'au cou. Nous sommes uniquement à nous demander ce que va faire et ce que va
14:57 dire le président. Il y a même eu cet appel absolument stupéfiant je dois dire de Laurent
15:02 Berger, car là c'est une énormité, c'est pas un spécialiste des questions constitutionnelles,
15:07 autant bien. Mais faire une tribune dans le monde pour demander au président de la
15:11 République de ne pas promulguer la loi. Mais le président de la République, il a l'obligation
15:16 de promulguer la loi. Sinon nous revenons à la monarchie absolue et au lit de justice
15:21 royale où Louis XIV se moquait de ce que voulaient les parlements et disait "vous
15:27 vous avez voté des textes, mais c'est ma position qui compte, c'est moi qui suis
15:31 seul". Le président a l'obligation de promulguer la loi, ensuite il peut dire "d'autres
15:36 lois peuvent corriger certains négatifs de cette loi". Mais si le président dit maintenant
15:41 "je ne promulgue pas la loi", le conseil constitutionnel doit lui rappeler l'obligation
15:45 qu'il a de promulguer la loi.
15:46 - Croyez-vous qu'il soit encore possible, Thomas Legrand, et là c'est une question
15:50 d'efficacité, d'action politique, de réunir après cette réforme des retraites, des majorités
15:57 de circonstances, texte par texte, qui semblait être la méthode voulue par Elisabeth Borne ?
16:03 - Je ne pense pas, parce que maintenant, dans l'esprit de tout le monde, la macronie c'est
16:06 fini. Donc chacun va attendre l'événement institutionnel de rupture, qui peut être
16:12 la dissolution, qui peut être une démission du président, je ne crois pas du tout, mais
16:18 enfin ce sera plutôt la dissolution à un moment de blocage. Ce qui est très étonnant,
16:23 c'est qu'on est dans la caricature de la 5ème, dans la caricature personnaliste.
16:27 Alors personnaliste ce n'est pas le bon mot, parce que ça veut dire autre chose en politique,
16:30 mais enfin la question du président monarchique, elle est exacerbée ici, parce que d'habitude
16:38 quand on a un président, que ce soit François Hollande, Nicolas Sarkozy, tous nos anciens
16:42 présidents, il y avait une majorité, il y avait en tout cas un parti politique, un
16:47 mouvement politique qu'on pouvait identifier, dont on pouvait dire qu'il venait de telle
16:51 famille, qu'il suivait telle lignée, et qu'il y avait un but politique à peu près
16:56 identifié et on pouvait interroger les barons d'ailleurs, les chefs de clan, les chefs
17:00 de tendance et voir sous quelle influence penchait le président. Là, rien, rien. Vous
17:05 interrogez un macroniste en ce moment, il n'a rien à vous dire, il attend de savoir
17:11 ce que va donner le président, tout ça est désidéologisé et donc on est dans la caricature
17:17 de la 5ème République puisque tout repose sur un homme et depuis tout à l'heure,
17:21 8h20, on se demande ce qu'il y a dans la tête du président. C'est quand même un
17:27 appauvrissement de la politique assez dramatique.
17:29 Alors il y a plusieurs questions d'auditeurs sur l'application de France Inter, des questions
17:32 institutionnelles. Philippe, n'assistons-nous pas à la fin de la 5ème République ? Ferdinand,
17:38 le 49-3 doit être supprimé, c'est une sorte de dictature. Je vous livre ces remarques
17:45 en vous posant aussi la question de savoir pourquoi Jérôme Jaffray sait ce 49-3 là
17:51 utilisé jeudi dernier le centième de la 5ème République qui a cristallisé pour
17:58 finir une telle colère.
18:00 Alors vous avez une mécanique française qui est quand même l'usure des institutions
18:05 qui est extrêmement importante. C'est-à-dire que le 49-3, d'abord ce 49-3, il a été
18:10 combiné à la procédure accélérée. C'est-à-dire le 47, tout le monde maintenant révise la
18:15 constitution, la 5ème dans le détail, procédure accélérée.
18:18 On est tous constitutionnalistes.
18:20 Oui, la procédure accélérée + 49-3, c'est cette combinaison. Parce que le 49-3 ne devient
18:25 acceptable qu'à l'issue d'une obstruction très longue. À un moment donné, il faut
18:29 arrêter le débat. Et c'est ce qu'avait fait Edouard Philippe, par exemple, début
18:33 2020 pour l'adoption de la précédente réforme des retraites. Il y avait eu 55 jours de débat,
18:38 etc. Bon, il y a un moment donné, pour ça, il faut pouvoir garder le 49-3. Mais le 49-3,
18:44 il a été très bien accepté pendant très longtemps sous la 5ème République, tout
18:48 simplement. Parce que d'abord, c'était le souvenir de la 4ème qui l'avait imposée.
18:51 C'est d'ailleurs les présidents du conseil de la 4ème qui l'avaient réclamé au général
18:55 de Gaulle et à Michel Debré dans la constitution de la 5ème, pour avoir un outil d'engagement
19:00 de responsabilité. Car les gouvernements tombaient comme des mouches sous la 4ème.
19:04 Nous n'en sommes plus là depuis un bon moment. Et le problème de l'usure du 49-3, c'est
19:09 la montée de la défiance envers le pouvoir et envers les institutions, qui le rend du
19:14 coup insupportable. Quand vous avez confiance dans le pouvoir et les institutions, ce qui
19:18 a été très longtemps le cas de la 5ème République, vous n'avez pas cette cassure.
19:22 Mais quand la confiance est partie, par exemple le baromètre du Sévipoff qui vient de paraître,
19:26 il y a une question extrêmement intéressante parce que c'est une enquête internationale
19:31 France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie. Est-ce que les responsables politiques se préoccupent
19:36 de ce que pensent les gens comme vous ? Question extrêmement simple et que nous suivons dans
19:40 les sondages depuis des années et des années. 86% des Français répondent plutôt pas
19:46 ou pas du tout, mais finalement dans tous les pays il y a une majorité. Ce qui est
19:49 très intéressant c'est le pas du tout. Pas du tout ça veut dire l'extrême position.
19:54 En France, 43% des Français dans le sondage du Sévipoff disent pas du tout, 19% en Allemagne.
20:01 43 qui protestent à fond contre la démocratie française, seulement 19% des Allemands. Nous
20:07 avons un déséquilibre institutionnel français qui devient patent.
20:11 Anne Rosencher ? Oui je suis tout à fait d'accord avec Jean-Romain Jaffray sur la question de la confiance.
20:16 Merci de ne pas m'appeler Fourquay, on progresse dans le débat.
20:20 Anne Rosencher ? Sur la question de la confiance et je pense que c'est pour ça que personnellement
20:24 je pense qu'il faudrait mieux rétablir la confiance. C'est très difficile bien entendu,
20:30 mais ça résoudrait plein de problèmes à la fois, plutôt que pour moi de tout changer
20:36 nos institutions qui après tout ont leurs défauts mais aussi ont leur qualité notamment
20:40 dans la stabilité et c'est vrai que la référence à la 4ème République en cela est pertinente.
20:44 J'ajouterais juste pour ce 49-3 là, qu'il y a eu en plus un manque d'habileté politique
20:50 quand même de la part du gouvernement qui a consisté à venir partout, y compris ici,
20:56 dire qu'il ne fallait surtout pas y avoir recours pendant 10 jours le précédent. C'est
21:00 pour ça que moi je vous disais en début que je ne m'attendais pas à ce qu'ils y
21:03 aient recours. Je me suis dit c'est pas possible qu'après avoir dit pendant 10 jours qu'il
21:06 ne fallait surtout pas y recourir, ils ont quand même contribué à faire monter l'enjeu
21:12 et le drame autour de cet usage.
21:14 Thomas Legrand sur le 49-3, vous avez des mots très durs dans Libération, 49-3 qui
21:23 signe l'inutilité et même celle la nocivité du macronisme pour la France. Mots extrêmement
21:29 forts, pourquoi ?
21:30 Parce qu'il n'y a pas de mouvement politique macroniste et donc on est resté dans la personne
21:35 d'Emmanuel Macron. En fait le 49-3 c'est un outil, comme l'a dit Jérôme, pour débloquer
21:40 une situation entre les trois légitimités dont je parlais, deux formelles et une informelle.
21:45 Généralement l'exécutif utilise le 49-3 pour contraindre le Parlement à laisser l'exécutif
21:52 qui a une légitimité plus fraîche avec l'élection du Président de la République, en tout cas
21:56 plus reconnue comme telle, puisque le Parlement est organisé en partie donc c'est encore,
22:01 même s'ils sont élus directement par le peuple, c'est encore quand même une organisation
22:06 partisane, la vieille dénonciation des partis du général de Gaulle. Donc la légitimité
22:11 plus puissante du Président doit s'appliquer et donc il y a des moments où on débloque
22:16 avec le 49-3. Il se trouve que là, c'est-à-dire quand deux légitimités sont contre une,
22:21 il se trouve que là deux légitimités sont contre une mais ce n'est pas les mêmes
22:23 que d'habitude. C'est-à-dire que vous avez le Parlement et le peuple d'un côté
22:26 qui sont du même côté, qui auraient refusé cette loi et le Président de la République
22:31 tout seul de l'autre côté. Je dis tout seul, même pas avec son camp puisque son
22:34 camp est indéfini, on n'en parle pas, personne ne connaît ses leaders et on ne sait pas
22:38 ce qu'il pense et d'ailleurs il ne pense rien. Donc vous avez un homme tout seul et
22:41 deux légitimités très puissantes et historiques que sont celles du peuple, j'ai expliqué
22:46 pourquoi elles existent en France et celles du Parlement qui est quand même le siège
22:50 de notre représentation. Et on a l'impression qu'il a utilisé ça comme un outil de désinter...
22:58 Pour se libérer de ce carcan des deux autres légitimités, des incarcérations d'Emmanuel
23:04 Macron, c'est un outil de blocage aujourd'hui et pas un outil de déblocage.
23:09 Mais est-ce que vous n'oubliez pas tout de même les discours enchantés qu'on entendait
23:12 il n'y a pas si longtemps encore sur le fait que cette Assemblée incarnait la proportionnelle
23:16 au sein de la Vème République, la proportionnelle sans la réforme des institutions, la proportionnelle
23:23 dans la Vème République qui en était l'antithèse. Aujourd'hui on entend crise de régime, crise
23:28 institutionnelle, il faut tout mettre par terre, plus rien ne fonctionne. Jérôme Jaffray,
23:34 quoi on s'est trompé hier, aujourd'hui nous avons besoin de la parole d'un sage.
23:41 Je vous rassure, il nous arrive de nous tromper bien entendu. Cela dit, ce que nous avons
23:45 c'est, je dirais que nous avons les défauts de la Vème dans une sorte de retour à la
23:51 IVème. Alors ça, nous arrivons à la quintessence de ce qui ne va pas. Car la proportionnelle,
23:57 la proportionnalisation de l'Assemblée nationale s'accompagne d'un système de
24:01 blocs alors que la proportionnelle suppose de casser les blocs. C'est-à-dire qu'en
24:05 d'autres termes, il faut beaucoup plus de mobilité pour trouver les compromis. Le
24:09 problème en France, aujourd'hui, légitimité de la décision politique extrêmement faible,
24:14 incapacité à faire des compromis. Et c'est ça nos deux crises profondes et là aussi
24:18 nous aimerions que le Président par exemple, demain, parle de ce type de problème.
24:22 Un mot chacun de conclusion, Thomas Legrand, Anne Rosenberg.
24:24 Si il y avait eu la proportionnelle, la proportionnelle ce n'est pas le résultat qui compte, c'est
24:28 la campagne et l'idée qu'il y a la proportionnelle dans les têtes. C'est-à-dire que quand
24:32 vous faites campagne dans un cadre proportionnel, vous vous dites "j'aurai pas la majorité
24:36 absolue". Donc vous ne dites pas trop de mal des voisins et vous êtes dans un état
24:39 d'esprit de compromis. Si vous avez le résultat d'une proportionnelle sans la campagne
24:44 proportionnelle, ça donne ça.
24:45 Anne Rosenberg.
24:46 Oui, pour moi, ce n'est pas tellement le problème encore des institutions que la crise
24:51 des partis, là aujourd'hui. C'est-à-dire que finalement, là où on peut se dire qu'on
24:55 est en crise politique grave, c'est qu'il y a une grande dépolitisation, beaucoup d'abstention
25:00 et donc des partis qui parlent à des clientèles de plus en plus réduites en espérant que
25:05 finalement avec l'abstention, le ticket pour réussir, pour être élu, va être de plus
25:09 en plus faible. Et la politique, c'est l'effort de parler à tout le monde. Et là, objectivement,
25:16 proportionnelle ou pas proportionnelle, on pourrait débattre des heures sur les institutions.
25:19 Moi, je pense que c'est plus là le problème aujourd'hui.
25:21 Merci à tous les trois. Anne Rosenberg, Thomas Legrand, Jérôme Jaffray, c'était très
25:26 intéressant et on aimerait en débattre pendant des heures. Il est déjà malheureusement
25:31 8h48.

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