00:00Et on passe à notre focus de ce dimanche soir. Pour clore cette année 2025, on s'intéresse au climat politique qui a secoué l'Afrique.
00:08Des élections à haut risque dans de dizaines de pays, des transitions militaires qui s'installent durablement et des organisations régionales bousculées.
00:16Avec Gilles Yabi, analyste politique et fondateur du think tank Wati, nous revenons sur les temps forts de cette année troublée et qui a redéfini les équilibres du continent.
00:26Merci Gilles et bienvenue dans votre JTA. C'est un plaisir de vous recevoir. On a eu l'occasion de vous recevoir par le passé.
00:34Et là, c'est très important pour nous. On a voulu faire un bilan de l'année. On a compté plus d'une dizaine de scrutins sur cette année.
00:42Parlons peut-être des plus emblématiques. Peut-être d'abord la Côte d'Ivoire et le Cameroun. Pour vous, ces scrutins, au vu des scores, de l'âge des candidats, que disent-ils de l'état de la démocratie en Afrique ?
00:54Bonsoir. Alors déjà, j'espère que la connexion sera bonne. Je voudrais d'abord dire qu'effectivement, on a connu une année 2025, je pense, tourmentée, très politique,
01:10comme vous l'avez signalé, avec de véritables motifs d'inquiétude par rapport à la suite et donc à 2026.
01:18Mais on va y revenir par rapport à la Côte d'Ivoire et au Cameroun. Ces deux élections étaient très attendues en octobre dernier.
01:27Je pense qu'avec des similitudes, mais aussi avec des différences, je pense que les similitudes, c'est bien sûr l'âge important des candidats,
01:36même si là encore, le cas camerounais est vraiment particulier. Plus de 90 ans pour le candidat Paul Biya, qui a été donc annoncé vainqueur de cette élection.
01:46Mais aussi le nombre de mandats, puisque dans le cas de la Côte d'Ivoire aussi, on était quand même, disons, au quatrième mandat consécutif du président Alassane Ouattara.
01:58Il y avait déjà une controverse importante lors du troisième, de la tentative d'avoir un troisième mandat,
02:04puisqu'on considérait qu'il y avait là une contradiction avec le texte et l'esprit de la constitution ivoirienne et la limitation à deux mandats.
02:12Le débat ayant été tranché à l'époque par le conseil constitutionnel, évidemment, il n'y a pas eu de controverse sur ce point lors de cette élection,
02:19mais il y a quand même toujours un malaise lié au fait que l'esprit à nouveau de la constitution n'a pas été respecté
02:25et que les engagements aussi du président Ouattara n'ont pas été respectés dans ce domaine.
02:31Et au-delà de ces candidatures, il y avait aussi la question du contexte de manière générale de ces élections
02:38et le fait que des candidats importants, notamment, n'ont pas pu se présenter.
02:43Maurice Camteau, dans le cas du Cameroun, Eti Diantiam, Laurent Gbagbo, dans le cas de la Côte d'Ivoire.
02:48Et cela a effectivement aussi renforcé quand même le sentiment qu'on avait à faire à des élections pas tout à fait compétitives,
02:56même si dans le cas camerounais, on a vu émerger des figures du camp, d'ailleurs, du président Villa,
03:02qui se sont détachés et on a eu une candidature qui s'est avérée menaçante pour le candidat Villa et Issa Chiroma, bien sûr.
03:14Mais on voit bien qu'à la fin du processus, pas de surprise.
03:19Et je crois que ça nous dit beaucoup de choses sur la réalité des pratiques politiques dans ces pays.
03:24C'est qu'en réalité, avec des systèmes très, très verrouillés, il y a très peu de surprises.
03:30Il y a rarement des surprises avec l'annonce d'une victoire d'un opposant.
03:37On l'entend, on entend ce que vous dites, Gilles.
03:42Parlons à présent des transitions militaires.
03:45Au Gabon, comme en Guinée-Bissau, au Mali, les militaires se sont installés durablement au pouvoir.
03:51Les urnes peuvent-elles être encore un rempart contre les coups d'État
03:55quand on voit que, justement, dans pas mal de pays,
04:00il y a eu des élections pour légitimer derrière les coups d'État ?
04:05C'est ce que je disais.
04:09Il y a de véritables inquiétudes aujourd'hui, je dirais,
04:12par rapport déjà à la militarisation des États.
04:17Et lorsque je parle de militarisation, ce n'est pas simplement le retour des coups d'État militaires,
04:22c'est le fait que les militaires se réinstallent finalement dans toutes les sphères du pouvoir
04:29et même de la société.
04:31On le voit dans les pays sahéliens.
04:33On le voit aussi dans quelques autres pays de la région.
04:38La Guinée organise l'élection présidentielle ce dimanche.
04:44C'est un candidat qui est arrivé au pouvoir par un coup d'État,
04:49Mahmoud Doumbouya, qui très, très probablement va être annoncé
04:54comme étant le vainqueur de cette élection,
04:56avec là encore tous les candidats importants de l'opposition qui ont été écartés.
05:03Et à nouveau, on a une militarisation qui est durable.
05:05Ce n'est pas quelque chose qui est simplement conjoncturel.
05:08Ça pourrait être durable.
05:09Et ça, je pense que c'est une véritable menace,
05:12pas simplement pour les pays qui sont déjà concernés,
05:14mais aussi pour beaucoup d'autres sur le continent
05:16où effectivement d'autres militaires peuvent se dire
05:18finalement, ça marche à peu près partout.
05:21Pourquoi est-ce qu'on ne prendrait pas le pouvoir ?
05:23Et s'il faut vraiment donner des formes finalement démocratiques,
05:27on organise une élection et puis on est candidat
05:29et on se maintient au pouvoir simplement en ayant changé de costume.
05:33Mais dans le fond, on a véritablement ce risque aujourd'hui.
05:36Allons plus loin, certains disent sur le continent et ailleurs
05:39que les États africains ont besoin d'hommes forts,
05:42de dictateurs éclairés, pas de présidents élus.
05:46Qu'en pensez-vous ?
05:49Mon point de vue est très clair là-dessus.
05:52Il ne s'agit pas simplement d'une position de principe.
05:55On a connu dans le passé, depuis l'indépendance des pays africains,
06:00beaucoup de coups d'État militaire,
06:02beaucoup de régimes militaires qui sont restés au pouvoir très longtemps.
06:05Lorsqu'on parle des pays sahéliens par exemple,
06:07la réalité est qu'ils ont été dirigés pendant beaucoup plus d'années
06:12par des dirigeants militaires que par des dirigeants civils.
06:15Et on a vu le résultat en termes de liberté bien sûr,
06:18de démocratie, d'État de droit,
06:20mais aussi en termes de développement économique et social
06:22et de développement humain.
06:24Donc on le sait, exceptionnellement,
06:26on peut avoir des hommes forts, autoritaires,
06:28qui produisent des résultats sur le plan sécuritaire
06:31et qui produisent des résultats sur le plan économique.
06:33On le voit dans d'autres continents, en Asie,
06:36il y a beaucoup d'exemples de pouvoirs autoritaires
06:38qui peuvent effectivement produire de la croissance économique,
06:41voire du développement économique.
06:43Mais on voit quand même dans le cas des pays africains
06:46que c'est un choix extrêmement risqué.
06:48Lorsque vous avez des régimes militaires,
06:50vous avez ensuite en réalité aucune possibilité
06:53de rectifier le tir lorsqu'il se révèle à la fois
06:56dysfonctionnel, corrompu et brutaux.
06:59Et donc je crois qu'on a suffisamment d'exemples aujourd'hui
07:01pour dire très clairement
07:03que ce choix d'hommes forts, autoritaires,
07:06n'est pas celui qui correspond aux sociétés que nous voulons.
07:09Alors justement, Gilles, on va rapidement sur la fin,
07:12parce qu'on arrive à la fin de cet entretien.
07:14J'aimerais vous entendre deux mots.
07:15Donc un mot d'abord sur Madagascar,
07:18avec l'émergence d'une nouvelle,
07:20et ça rentre aussi dans l'idée de cette société civile
07:23qui se prend en main, ces jeunes de la GENZ,
07:26qui ont fait basculer les pronostics à Madagascar.
07:28Et aussi peut-être cette société civile
07:31qui s'organise par ailleurs,
07:32notamment avec des think tanks comme les vôtres.
07:35C'est que, évidemment, Wati célèbre,
07:37en 2025 a célébré ses 10 ans d'existence.
07:40Qu'est-ce que ça dit sur ce qu'on peut espérer
07:43sur le futur peut-être du continent africain
07:45et peut-être une prospective pour 2026 ?
07:48– Alors oui, très rapidement.
07:52D'abord, inquiétude pour 2026.
07:55Il faut être très clair là-dessus.
07:57Le rôle des think tanks, de mon point de vue,
07:59est un rôle d'éclairer sur ce qui se passe
08:02et d'être collé au fait et à la réalité
08:05au niveau de la difficulté aujourd'hui
08:07sur le plan sécuritaire et sur le plan politique.
08:10Donc nous sommes très inquiets par rapport à cela.
08:11Le deuxième message, c'est que l'espace de liberté
08:14pour la société civile, pour les chercheurs,
08:16pour les universitaires, il doit être préservé,
08:18d'autant plus qu'on est aussi aujourd'hui
08:20sous la menace de la désinformation
08:21où on a des opinions publiques africaines
08:24qui sont noyées sous le flot d'informations,
08:27parfois venant de personnes qui n'ont aucune connaissance
08:30des sujets sur lesquels ils s'expriment,
08:32mais ayant beaucoup d'influence.
08:34Et le troisième élément, c'est qu'à nouveau,
08:37toutes ces questions politiques et sécuritaires
08:40demandent de la réflexion et appellent à de la complexité.
08:44Il y a de vrais défis démocratiques.
08:46On doit redéfinir les pratiques politiques
08:50sur le continent.
08:51Ce n'est pas quelque chose de facile.
08:52Il y a bien sûr des gouvernants civils
08:54qui ont fait énormément d'erreurs
08:56et qui, d'une certaine manière,
08:57ont créé les conditions pour le retour des militaires,
08:59mais il est de notre responsabilité collective
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