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  • 3 hours ago
Transcript
00:00On va continuer à parler religion avec l'invité de Paris Direct sur France 24.
00:04Bonjour Vincent Gesser, vous ĂŞtes sociologue et politologue, chercheur au CNRS
00:09et à l'Institut de recherche et d'études sur les mondes arabes et musulmans,
00:14spécialiste du fait religieux.
00:16Et en cette journée de Noël, on voulait mettre un coup de projecteur avec vous
00:20sur un phénomène qui prend de l'ampleur.
00:22Les conversions religieuses sont de plus en plus nombreuses.
00:25Sur un an, en France, on parle d'environ 20 000 conversions, toutes religions confondues.
00:31Comment expliquer cette hausse des conversions en France ?
00:34Est-ce qu'il faut y voir un retour justement du fait religieux ?
00:38Un retour, oui, dans une certaine forme, mais sur un processus qui peut apparaître contradictoire,
00:44mais qui ne l'est pas.
00:45D'un côté, les gens ont besoin de choisir leurs croyances et leurs pratiques,
00:50c'est-à-dire qu'ils ne sont plus seulement dans la posture de la religion comme héritage,
00:54mais de la religion comme choix individuel.
00:57Mais de l'autre, chez ces mĂŞmes personnes qui ont tendance Ă  se convertir,
01:01une volonté aussi de trouver un cadre, une institution, un message de vérité.
01:06Et donc, on est dans ce mouvement assez paradoxal.
01:08Mais comme je dis, il ne l'est pas tant que ça, à la fois choisir sa religion,
01:13choisir sa croyance, choisir sa pratique et en même temps être cadré.
01:17Avoir un rapport très institutionnel avec un message,
01:21avec une pratique, avec, je dirais, une communauté.
01:25Et on est Ă  la fois dans ce qu'on pourrait appeler un mouvement individualiste
01:28et en même temps très communautaire.
01:31Choisir en tant qu'individu et en même temps choisir sa communauté.
01:35C'est ce sens-là qu'il faut trouver, qu'on peut interpréter aujourd'hui,
01:39l'augmentation des conversions, notamment au christianisme,
01:42plus précisément au catholicisme,
01:44mais aussi parfois de chrétiens vers l'islam ou d'autres religions.
01:47Alors, est-ce que ça signifie que ces convertis,
01:50ils trouvent dans la religion les repères qu'ils n'ont plus dans la vie,
01:54j'allais dire, civile ?
01:56Alors, il y a deux choses.
01:57Il y a d'abord ce que j'appellerais un peu les trajectoires individuelles,
02:01les traumatismes de type individuel,
02:03qui sont un facteur de conversion,
02:05cherché à quelque part un cadre qu'on n'a plus.
02:09Mais il y a aussi un message collectif.
02:10On est un peu aujourd'hui dans une sorte de crise des idéologies,
02:14de crise des repères symboliques.
02:15Et dans la conversion ou dans les églises,
02:18dans les communautés religieuses d'une manière générale,
02:21les individus trouvent effectivement des possibilités de s'identifier
02:24et de retrouver un sens collectif Ă  leur croyance et leur pratique
02:29qu'ils ne trouvent pas, par exemple, dans les partis politiques,
02:32dans les syndicats ou dans des ONG de type séculariste et laïque.
02:36Donc, il y a véritablement la quête d'un sens
02:38qui est Ă  la fois un sens collectif et transcendant,
02:42qui est de plus en plus un phénomène que l'on constate,
02:45notamment dans les nouvelles générations des 15 à 30 ans.
02:48MĂŞme s'il faut relativiser,
02:50parce qu'aujourd'hui, il y a quand même plus de 50% des Français
02:52qui se déclarent sans religion,
02:54mais avec quand même une augmentation régulière chaque année
02:57du nombre de conversions.
02:59Alors, Vincent Gesser, vous avez parlé des partis politiques,
03:01vous avez parlé des syndicats.
03:03Est-ce que la religion, c'est une nouvelle forme de militantisme, quelque part ?
03:09Alors, militantisme, méfions-nous,
03:10parce que ce n'est pas un militantisme au sens classique,
03:13comme nous l'entendons en tant que sociologues et politistes,
03:15mais en tout cas, c'est la recherche d'identification
03:17Ă  des groupes et Ă  des collectifs.
03:19Et c'est vrai que les individus,
03:21dans cette cacophonie un peu politique,
03:23dans cette perte de repères politiques,
03:25dans cette crise sociale, économique,
03:27que connaît aujourd'hui la France,
03:28et d'une manière générale, les pays européens,
03:30les groupes religieux peuvent ĂŞtre aussi des bulles protectrices,
03:34des sortes de milieux ou de réconforts
03:37oĂą les gens vont retrouver, quelque part,
03:39le sens de leur vie en société
03:41et des repères à l'échelle individuelle,
03:44mais aussi à l'échelle institutionnelle.
03:46Donc, quelque part, oui,
03:48ces conversions sont aussi la traduction
03:49d'une profonde crise sociale, politique, économique,
03:53et mĂŞme, on peut dire, quelque part,
03:55des repères idéologiques
03:56qui ont cadré nos sociétés jusqu'à présent.
03:58– Alors, sur les 20 000 convertis que j'évoquais dans l'année,
04:03plus de la moitié se dirige vers le catholicisme.
04:06Qu'est-ce qui rend cette religion si attractive ?
04:09– Alors, c'est la grande surprise,
04:11parce qu'on parlait de décatholisation,
04:13on parlait de crise de l'Église catholique,
04:16ce grand paquebot qui ne cesse de perdre
04:18Ă  la fois des prĂŞtres, mais aussi des croyants,
04:20mais parce que, justement,
04:22l'Église catholique retrouve un peu ce côté traditionnel.
04:25C'est le paradoxe, Vatican II avait marqué la recherche
04:28d'une adaptation à la société,
04:30une ouverture de l'Église.
04:32Les gens veulent Ă  la fois cette ouverture,
04:34mais veulent aussi des cadres.
04:35Et l'Église catholique, par son côté patrimonial,
04:38son côté paroissial, la paroisse,
04:41cette petite unité à l'échelle des communes,
04:43à l'échelle des quartiers,
04:44à l'échelle des villages,
04:46est un facteur qui assure,
04:49conforte les gens.
04:50Quelque part, la religion,
04:52aller vers l'Église catholique,
04:53c'est pour beaucoup une forme de réassurance,
04:56Ă  la fois psychologique et sociale,
04:58dans un contexte oĂą, justement,
05:00les grandes institutions étaient plutôt décriées.
05:02Mais lĂ , il y a une surprise.
05:03Finalement, l'Église catholique redonne du sens
05:06Ă  des individus,
05:07alors qu'on pensait d'être dans une société
05:08profondément en voie de décatholicisation.
05:11Alors, je voudrais aussi évoquer avec vous
05:12ce sondage, cette enquĂŞte
05:15qui a fait un peu de bruit
05:17au mois de novembre dernier,
05:19publié par l'Institut IFOP BVA.
05:21Les jeunes musulmans seraient
05:24de plus en plus rigoristes.
05:26Pourquoi est-ce que les plus jeunes
05:28sont-ils parmi les plus orthodoxes,
05:30d'après vous ?
05:32Alors, attention,
05:32on ne peut pas confondre rigorisme et rigueur,
05:34mais il est clair qu'on assiste aussi,
05:35chez beaucoup de jeunes musulmans,
05:37à un besoin de spiritualité et de cadre.
05:40Attention Ă  ne pas confondre
05:41rigueur religieuse,
05:43rigueur dans la pratique et les croyances,
05:44avec ce qu'on pourrait appeler
05:45des phénomènes de séparatisme
05:47ou du refus de la laïcité.
05:48Mais c'est vrai qu'il y a 20 ans,
05:50beaucoup de jeunes musulmans
05:51se sentaient plutôt héritiers
05:52de la religion de leurs parents.
05:54Aujourd'hui, de nombreux Français
05:56de culture ou de religion musulmane
05:58revendiquent cette religion
05:59comme la leur,
06:00en tant que pratique et croyance,
06:01et non pas simplement
06:02comme un héritage culturel,
06:04mais aussi comme une pratique
06:05et une croyance profondément spirituelle
06:07qu'ils assument Ă  la fois
06:08en tant que Français et musulmans,
06:10sans voir d'opposition
06:12entre ces deux identités.
06:13Est-ce qu'il faut y voir
06:15une rupture entre deux générations
06:18de musulmans ?
06:19Non, parce que les parents
06:21étaient croyants,
06:21mais au sens très traditionnel,
06:23de la relation héritée,
06:24c'est-Ă -dire presque,
06:25je dirais,
06:25une sorte de mécanique
06:27par rapport Ă  ce qu'ils avaient appris,
06:28alors que les enfants,
06:29ils l'investissent différemment,
06:31notamment par les médias sociaux,
06:32par les lectures,
06:33par les voyages.
06:34Et donc, de ce point de vue-lĂ ,
06:35lĂ  aussi,
06:36on constate chez les musulmans
06:37le mĂŞme mouvement,
06:38Ă  la fois recherche du collectif,
06:40du groupe,
06:41mais en mĂŞme temps,
06:41une démarche profondément individuelle.
06:44Je choisis ma religion
06:45et je ne me contente pas
06:47de la considérer seulement
06:48comme un héritage,
06:49mais je l'investis
06:50en tant qu'individu
06:51pour lui donner un sens
06:52Ă  la fois collectif,
06:54mais aussi, quelque part,
06:55un peu individualiste.
06:56Alors, loin de moi,
06:56l'idée de remettre en cause
06:59la foi de ces nouveaux convertis,
07:01et lĂ , je parle
07:02de toutes religions confondues,
07:04mais est-ce que ces convertis,
07:06ce n'est pas une forme
07:09d'effet de mode ?
07:11Est-ce qu'ils vont rester
07:12dans la religion
07:13du moment qu'ils l'ont embrassée ?
07:16Alors, il y a effectivement
07:17des phénomènes,
07:18peut-ĂŞtre pas de mode,
07:19mais d'inspiration.
07:20C'est vrai,
07:20il y a une offre religieuse,
07:22il y a aussi un activisme,
07:23un prosélytisme,
07:24de plus en plus,
07:25des églises chrétiennes,
07:26qu'elles soient évangéliques,
07:26catholiques ou protestantes,
07:28autres,
07:28un prosélytisme musulman,
07:30mais vous avez tout Ă  fait raison.
07:31Attention,
07:32la conversion peut ĂŞtre
07:34une étape provisoire.
07:35D'abord,
07:35on change de religion
07:36ou on adopte
07:37une nouvelle religion,
07:38mais pas forcément
07:38pour y rester,
07:39mais pour aller suivre
07:41un itinéraire spirituel
07:43et pour aller peut-ĂŞtre
07:43vers encore une autre religion.
07:45Donc, il n'y a pas
07:45le passage du rien
07:47Ă  une religion
07:47ou d'une religion
07:48Ă  une religion,
07:49mais il y a toute
07:49une trajectoire,
07:50un itinéraire
07:51qui fait qu'un individu,
07:52aujourd'hui,
07:53ça peut paraître
07:53très surprenant,
07:54peut avoir
07:55ou peut vivre
07:56plusieurs religions
07:56dans une mĂŞme vie,
07:58ce qui n'était pas le cas
07:59des parents et des grands-parents
08:00des précédentes générations.
08:03Merci beaucoup,
08:04Vincent Gesser,
08:05de nous avoir expliqué
08:06ce fait religieux,
08:08sociologue,
08:08politologue,
08:09chercheur au CNRS
08:10et Ă  l'IREMAM.
08:11Merci infiniment
08:12d'avoir été l'invité
08:13de Paris Direct.
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