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  • il y a 6 jours
Chaque jeudi dans la matinale de Dimitri Pavlenko, Charlotte d'Ornellas livre son regard sur l'actualité.

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00:00Leur Europe 1 matin.
00:01Place à votre signature Europe 1 du jeudi.
00:03Bonjour Charlotte Dornelas.
00:05Bonjour Dimitri, bonjour à tous.
00:06Vous nous parlez des blocages paysans, ils se multiplient dans le pays.
00:09Dès qu'un micro-stand, on comprend que la crise est plus profonde qu'elle n'en a l'air.
00:14La fin d'un monde, c'était le titre qu'avait choisi Patrick Buisson
00:17pour décrire avec une minutie chirurgicale l'évolution de nos comportements,
00:20de nos croyances et de nos coutumes.
00:22Il décrivait alors pour illustrer cette profonde transformation dans un même mouvement,
00:26la fin du monde paysan, l'effondrement de l'église et l'éclipse du sacré,
00:31ainsi que l'effacement des pères, symbole de l'affaissement de l'autorité.
00:35Les paysans prennent de plein fouet cette crise existentielle
00:38qui laboure le pays depuis des années, en même temps qu'elle hante nos débats.
00:43En effet, cette crise est à bien des égards, celle que nous traversons tous ensemble,
00:47car cette trame éclaire à peu près chacune de nos angoisses.
00:50La fin du monde paysan et sa transformation utilitaire interroge notre rapport à la nature,
00:54en même temps qu'elle signe notre déracinement.
00:57L'éclipse du sacré impose la question du sens de nos vies
01:00et éclaire notre découragement,
01:02tandis que la perte collective de la recette de l'autorité
01:04se perd lourdement sur les terrains de l'apprentissage, du travail
01:07et plus gravement encore, sur celui de la violence juvénile.
01:11Le suicide n'est pas une réponse à une norme de trop
01:13ou à une politique sanitaire aussi cruelle soit-elle.
01:16La détresse de l'homme qui préfère mourir que vivre est infiniment plus profonde.
01:20Or, il nous faut prendre avec tout le sérieux qu'il mérite
01:22le chiffre d'un suicide tous les deux jours dans le monde paysan.
01:26Il est le signe atrocement brut d'une hécatombe silencieuse
01:29engendrée par cette mutation.
01:31Entre 46 et 75, l'agriculture française a perdu les trois quarts de ses effectifs.
01:36Jean Giono écrivait alors
01:37« Si je fais une différence entre le paysan et le reste de l'humanité,
01:41c'est qu'à ce moment, le départ s'est fait entre ceux qui voulaient vivre naturellement
01:45et ceux qui désiraient une vie artificielle. »
01:48La seconde a gagné et le paysan se devine douloureusement anachronique aujourd'hui.
01:53Mais le monde paysan lui-même n'est pas unanime.
01:56Charlotte, composée de métiers, d'intérêts différents,
01:59est-ce que cette crise ne le traverse pas lui-même ?
02:02C'est une évidence.
02:03La crise traverse non seulement le monde agricole lui-même,
02:06en même temps que chaque paysan d'ailleurs, comme nous tous.
02:09Buisson faisait un parallèle intéressant.
02:11L'avènement du tracteur et du crédit a provoqué un rapport à la terre instrumentale comptable,
02:16en même temps que la télévision a mis fin à la vie communautaire
02:19en nous faisant sortir du bistrot pour lui préférer le petit écran.
02:22Nous ne sommes plus les mêmes hommes.
02:24On s'en est remis à la machine plutôt qu'au ciel,
02:27au divertissement télévisé plutôt qu'à son prochain,
02:29à la jouissance plus qu'à la patience.
02:32Le paysan, l'homme enraciné par nécessité,
02:34ne peut y voir autre chose qu'une dévalorisation terrible.
02:37D'autant que si la crise traverse son monde à lui aussi,
02:39il demeure en décalage avec l'urbanisme d'atmosphère
02:42qui fantasme désormais la nature plus qu'il ne le connaît.
02:46Eux savent reconnaître un arbre,
02:47prévoir le temps qu'il fera demain en regardant le ciel,
02:50distinguer les fruits de saison,
02:51où se situer sur quel animal,
02:53la viande qu'ils partagent en famille.
02:55Ils sont encore, malgré tout, de ce type d'homme dur au mal
02:58qui a cédé sa place, mais pour combien de temps ?
03:00Vous abordez, Charlotte, cette crise comme une triste fatalité.
03:04Vous n'y voyez aucun espoir ?
03:05Certainement pas, mais il me semble important d'avoir à l'esprit
03:08cette transformation pour savoir ce qu'il nous revient de choisir.
03:11L'espérance et le soutien que ces paysans reçoivent
03:13et les vocations qui existent malgré tout.
03:16Mais nous devons comprendre que la réponse
03:17n'est pas entre les mains du gouvernement seul.
03:19Bien sûr que ces choix, ces injonctions contradictoires,
03:22ces retournements systématiques devraient cesser.
03:24Mais les paysans meurent aussi d'un modèle de société
03:26que nous plébiscitons tous au quotidien.
03:29L'attente d'un grand soir est désespérante,
03:31tandis que les révolutions utiles se font par contagion.
03:33Et la question que posent les paysans, finalement,
03:36est aussi simple que vertigineuse.
03:38À quoi tenons-nous vraiment ?
03:40Si nous sommes prêts à répondre,
03:41nous pouvons commencer à réapprendre.
03:43Vous devriez écrire, Charlotte Dornelas.
03:46C'est ce que j'ai fait ce matin, je vous remercie.
03:49Il voulait dire des livres, c'est bien compris.
03:52Je veux dire, c'était très beau.
03:53Merci beaucoup.
03:53Merci.
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