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Anne Fulda reçoit Michka Assayas pour son livre «Une mère en fuite» dans #HDLivres

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Transcription
00:00Bienvenue à l'heure des livres, Mishka Asayas, on est ravis de vous recevoir.
00:04Alors vous êtes producteur musical, vous vous occupez d'une émission quotidienne sur France Inter,
00:10Vericul Trip, vous avez déjà écrit plusieurs livres, des romans, exhibitions,
00:15qui a obtenu le prix des domagots, faute d'identité en 2011,
00:18mais aussi des dictionnaires du rock dans la collection bouquins.
00:21Et là vous venez de publier Une mère en fuite, un livre qui est paru chez Grasset,
00:26un joli livre sensible qui vous fait faire une sorte de voyage dans votre enfance,
00:31un peu à la recherche de votre mère.
00:36Alors Une mère en fuite, le titre est évocateur, votre mère Catherine de Carolli,
00:42elle a fui la Hongrie, la Hongrie communie, soviétique, après le siège de Butetbeste,
00:47elle est venue en France, mais elle semble avoir fui d'autres choses aussi,
00:52c'est ce qui apparaît en filigrane à la lecture de votre livre,
00:57c'est un peu ce sentiment qui vous a poussé à l'écrire ?
01:01Oui, je crois que, vous savez, ce n'est pas une question de régler ses comptes,
01:07mais c'est plutôt une question de mise au point avec soi-même
01:11et ses impressions les plus enfouies.
01:14En fait, oui, je n'ai jamais été en paix avec ma mère,
01:18parce qu'elle n'était pas très présente, je pense qu'elle a été une femme exceptionnelle.
01:26Selon les critères contemporains, sans doute pas une très bonne mère, entre guillemets,
01:31mais qu'est-ce que ça veut dire une très bonne mère au fond ?
01:34Moi, elle m'a fascinée et je pense que j'étais très amoureux d'elle
01:39et elle était en effet un peu évanescente, c'est-à-dire qu'elle, je ne vivais pas avec elle,
01:46elle avait une vie de femme très indépendante, très en avance sur son temps d'ailleurs,
01:49les années 60 et 70, et en fait mes parents avaient divorcé,
01:54mais je ne l'avais pas compris, puisque je vivais avec mon père et une nounou hongroise
01:58qui était arrivée de Hongrie avec ma mère.
01:59Un personnage ?
02:00Oui, oui, Marguerite.
02:01Marguerite ?
02:02Oui, et ma mère avait sa chambre, elle avait sa chambre dans notre maison, elle arrivait.
02:07Vous habitiez dans la vallée de Chevreuse avec votre frère Olivier et votre père pendant la semaine
02:12et le week-end, le samedi, votre mère venait.
02:13Ma mère arrivait en majesté et elle régentait tout le temps qu'elle était là
02:20et c'était assez déconcertant.
02:22Alors, c'était un personnage, c'était effectivement une femme qu'on aurait pu dire,
02:27enfin je ne sais pas si le terme est émancipée, en tout cas, qui avait un travail.
02:30Oui, très indépendante.
02:32Qui était passionnée par son travail.
02:32Vous savez qu'elle a créé le prêt-à-porter dans la maison Hermès en 1967,
02:37elle avait une affaire à elle.
02:41Avant ça, elle a été la première à créer la jupe sans tailleur pour les femmes depuis les années 60.
02:48Oui, donc c'était un nom qui comptait dans la mode, que les gens de la mode connaissent toujours.
02:52D'ailleurs, vous racontez la visite que vous faites, parce que de temps en temps,
02:58vous dormez chez elle, dans son endroit d'appartement.
03:00Elle avait un atelier.
03:01Un atelier de Patalouane chez Giscard, dans le fonds de l'Ève.
03:04Oui, rue de Pénouville.
03:07Et vous racontez les visites dans cet appartement cathédral.
03:11Oui, exactement.
03:12En fait, c'était un atelier d'artistes qui occupait un rez-de-chaussée,
03:17extrêmement haut de plafond, avec une grande verrière, donc orientée vers le nord.
03:20Et ce qui était très curieux, c'est que tout était pour la représentation,
03:26et sa chambre était minuscule.
03:28Minuscule.
03:29Il y avait un majestueux escalier en marbre qui menait à une sorte de chambre placard.
03:36Et puis, il y avait, au fond de cette cathédrale, une alcôve,
03:43qui était séparée de la pièce principale par une sorte de cloison qu'on tirait.
03:49J'avais l'impression d'être dans une prison là-dedans.
03:52C'était un souterrain.
03:54C'était très angoissant.
03:56Ma mère était très soucieuse des apparences.
03:58Oui, ça c'est quelque chose qui revient.
04:00Alors, c'est vrai qu'elle est assez, elle est difficile à saisir,
04:03parce que, vous racontez, elle est capable de vraies élans de tendresse.
04:08Elle vous invente des surnoms divers et variés, magnifiques et chantants.
04:14Elle vous organise des jeux très amusants.
04:17Elle vous transforme en gâteau.
04:19Oui, oui, oui.
04:19J'étais le petit dernier aussi.
04:21Vous étiez le petit dernier.
04:22Et en même temps, comme vous venez de le dire,
04:24elle était très attachée aux apparences, très exigeante, très stricte,
04:28concernant les bonnes manières.
04:30L'étiquette.
04:31L'étiquette, les coups sur la table, la manière de s'exprimer.
04:37À votre avis, que traduisait cette exigence, cette sévérité,
04:43alliée à des vrais moments de tendresse ?
04:45Parce qu'elle vous en a donné de l'amour quand même.
04:47Beaucoup, beaucoup.
04:49Écoutez, c'est très difficile de relier les deux.
04:52Je pense qu'il y a quelque chose qui tenait beaucoup à cœur à ma mère,
04:55qui était l'esthétique.
04:56C'est-à-dire qu'elle aimait ce qui était beau.
04:59Et elle aimait ce...
05:00Elle détestait le relâchement, l'avachissement.
05:03Donc, dès que j'étais voûtée, ça ne supportait pas.
05:07Et je crois qu'il y avait en elle beaucoup de tendresse,
05:13beaucoup d'affectivité, beaucoup d'émotivité aussi.
05:16Elle était souvent au bord des larmes.
05:19C'était une personne extrêmement sensible.
05:21Et elle avait une forme d'idéalisme de la beauté, de l'intelligence,
05:27du bon comportement en toutes circonstances.
05:31Et c'était aussi, peut-être le côté protestant,
05:33le bon comportement moral au vu de tous.
05:36C'est-à-dire qu'il ne fallait pas se montrer indigne de ses idéaux.
05:43Alors, c'est peut-être en raison de cela qu'elle a été ce que vous avez découvert
05:46en voyant ses cahiers, en découvrant son cahier, ses cahiers intimes.
05:52Qu'elle a été amoureuse d'un homme qui, effectivement, représente l'intelligence.
05:57C'est sa grand I, qui est entrée Malraux.
06:00Oui.
06:00Et elle allait vous raconter.
06:02Alors, d'ailleurs, avant cela, elle allait sans cesse à Verrières.
06:07Oui, oui.
06:07Elle avait une forme d'admiration aussi pour Louise de Villemorin.
06:10Oui, parce qu'il y avait un lien avec les migrations hongroises.
06:15Hongroises.
06:15Puisque Louise de Villemorin avait épousé un aristocrate hongrois.
06:19Et, en effet, c'est dans ce cadre-là que ma mère avait rencontré Malraux.
06:22Je pense qu'il avait été assez ébloui par la beauté de ma mère et son charme.
06:28Il l'avait emmené avec lui dans de grands voyages, notamment en Iran.
06:32Elle avait visité Persepolis.
06:33Elle avait vu le chat d'Iran.
06:35Il l'avait emmené en croisière.
06:36Donc, elle a eu une passion folle pour lui.
06:39Mais je ne me rendais pas compte qu'elle avait été éconduite par Malraux assez vite.
06:45au profit de Sophie de Villemorin.
06:48Et ça, ma mère ne l'a pas supportée.
06:51Et elle ressassait, comme une amoureuse éperdue, malheureuse,
06:57tous les moments merveilleux qu'elle avait passés avec lui.
07:00Elle ne comprenait pas pourquoi ça avait brusquement cessé.
07:03Et c'est allé très très loin.
07:04Puisque dans son journal intime, elle essaie même d'entrer en contact avec lui d'une manière médiumnique.
07:11J'ai été confronté à une forme de folie de ma mère.
07:13Vous savez, c'est extrêmement troublant.
07:15Parce que, en fait, l'affectivité et la sexualité des parents, c'est tabou quand on est enfant.
07:21Et on se demande même si on a le droit d'aborder ça après leur disparition.
07:25Je me suis permis de le faire.
07:26Vous avez hésité, d'ailleurs.
07:27J'ai hésité.
07:28Ne serait-ce que d'ouvrir son cahier.
07:30Vous savez, ma mère m'a mis en contact avec le sacré, d'une certaine façon.
07:34C'est-à-dire que tout ce qu'elle faisait, elle créait une forme de mystique, de sacré.
07:41Rien que sa chambre me faisait penser à un hôtel d'église.
07:45Enfin, c'est pas très protestant.
07:48Mais je ne sais pas.
07:49Vous savez, elle gardait tous les petits dessins de chat, de Malraux.
07:55Elle avait rencontré Marc Chagall.
07:58Je me souviens, quand j'ai débarrassé son appartement après sa mort,
08:02il y avait un étui où il y avait écrit « lunettes ayant appartenu à Marc Chagall ».
08:06Et quand je l'ai ouverte, elles se sont pulvérisées en 25 morceaux.
08:11Donc, c'est presque une forme de fétichisme qu'elle avait voyé.
08:17Ça, vous l'avez découvert plus tard.
08:19Parce que quand vous étiez enfant, vous ne le perceviez pas.
08:21Oui, mais elle nous parlait beaucoup de Malraux.
08:22Elle nous parlait beaucoup de Malraux.
08:23Ah oui, beaucoup.
08:24Elle nous répétait tout ce qu'il avait dit.
08:25André Malraux a dit.
08:26Oui, oui.
08:27André Malraux estime que, etc.
08:29Donc, elle répétait ses bons mots.
08:31Alors, en fait, dernière question.
08:33Maintenant que vous êtes un adulte,
08:36peut-être que vous la comprenez mieux.
08:37Qu'est-ce que vous a-t-elle légué ?
08:40Qu'est-ce que vous avez d'elle en vous ?
08:42Je crois peut-être une forme de sensibilité exacerbée
08:52accompagnée d'une pudeur presque écrasante et insupportable.
08:56C'est-à-dire qu'en fait, la peur du ridicule,
08:58la peur d'exprimer ce qu'on ressent,
09:03de peur d'être jugé surtout,
09:05ou de peur de ne pas être à la hauteur.
09:07Parce qu'en fait, ma mère était très snob.
09:09Alors, peut-être que j'ai hérité une part de ce snobisme.
09:11Mais je pense que chez elle,
09:13le snobisme était une forme d'idéalisme.
09:16L'idéalisme de la beauté, des bonnes manières,
09:18aussi de l'élévation intellectuelle,
09:22même spirituelle.
09:23Elle s'intéressait beaucoup à toutes les religions,
09:25à toutes les formes de spiritualité.
09:27Donc, j'ai l'impression qu'en fait,
09:29la vie terrestre a quelque chose de très limité
09:31et qu'il faut en profiter pour s'élever.
09:34S'élever dans tous les domaines.
09:36Donc, j'ai essayé de...
09:39C'est une belle leçon.
09:40Ah, magnifique.
09:40Votre frère Olivier, qui est cinéaste,
09:43a aussi bénéficié.
09:44Oui, certainement.
09:45Clairement, tous les deux.
09:45Oui, je pense.
09:48Finalement, elle a bien réussi.
09:50Je pense qu'elle serait heureuse, j'espère.
09:53En tout cas, merci beaucoup.
09:54C'est vraiment un joli livre sensible.
09:56Ça s'appelle Une mère en fuite.
09:57C'est paru chez Grasset.
09:58Merci beaucoup, Micheca Asayas.
09:59Merci beaucoup, Anne Fulda.
10:00Merci beaucoup, Anne Fulda.
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