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L’agonie de 60h d’Omayra Sanchez

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Éducation
Transcription
00:00Le 13 novembre 1985, le volcan Nevado de El Ruiz, situé dans la cordillère centrale des Andes colombiennes,
00:06entre en éruption après plusieurs mois de signaux précurseurs.
00:09Si ça vous intéresse, j'ai fait une vidéo qui retrace cette éruption en détail.
00:12Vous pouvez aller la voir, c'est la vidéo précédente, sinon je vous la mets là.
00:14Si vous ne voulez pas la voir, je vous fais un résumé rapide de cette éruption maintenant.
00:18Une activité sismique inhabituelle et des émissions de gaz avaient été relevées dès septembre par les scientifiques,
00:23mais les mesures de prévention furent limitées par le manque de moyens,
00:25les tensions administratives et une forme de scepticisme politique.
00:30Malgré les avertissements répétés d'experts nationaux et internationaux,
00:33peu de décisions concrètes furent prises pour évacuer les zones vulnérables.
00:37Et lorsque le volcan entre en éruption à 21h, le panache de cendres atteint plusieurs kilomètres de hauteur.
00:43Mais l'élément le plus destructeur n'est pas le feu ou les cendres, c'est l'eau.
00:47Sous l'effet de la chaleur, le glacier qui coiffe le sommet du volcan fond rapidement,
00:51et pour accentuer le phénomène, des pluies diluviennes s'abattent sur la région.
00:54Ce phénomène déclenche une série de lahars découlés de bouts dévastatrices et apocalyptiques,
01:00qui dévalent les flancs du Nevado del Ruiz, emportant les lits des rivières,
01:04qui accélèrent les coulées, atteignant des vitesses de plus de 60 km heure.
01:08A 23h35, deux heures à peine après l'éruption, le premier lahar frappe la ville d'Armero,
01:13située à plus de 40 km du volcan.
01:16Les pluies diluviennes ont empêché les habitants d'entendre le lahar arriver.
01:20Cette ville de plus de 23 000 habitants est littéralement engloutie.
01:24En quelques minutes, des quartiers entiers disparaissent.
01:27Plus de 20 000 personnes meurent, parfois sans comprendre ce qui se passe dans une obscurité quasi totale,
01:32dans une masse compacte de boue, d'eau, de cendres et de débris de toutes sortes.
01:37La nuit passe dans le chaos total et le petit matin arrive.
01:41Au lendemain de la catastrophe, les secours vont être désorganisés.
01:44Ils sont ralentis par l'état des routes et face à l'ampleur du désastre, ils arrivent difficilement sur place.
01:49Et le premier constat va être un véritable choc.
01:52Il y a des survivants qui errent dans la boue, couvert de boue, cherchant leurs proches.
01:57Certains ont été projetés à plusieurs centaines de mètres de leur maison.
02:00D'autres sont encore coincés sous les décombres, criant à l'aide.
02:03Partout, il y a aussi des cadavres, des bras, des jambes qui dépassent, des animaux, des voitures éventrées.
02:09C'est vraiment une vision apocalyptique.
02:11Et les photos sont terriblement impressionnantes et montrent la violence inouïe de cette coulée de boue.
02:17Parmi les survivants, il y a une adolescente de 13 ans, Omaira Sanchez Garzon.
02:22Elle attire rapidement l'attention des sauveteurs et des journalistes.
02:25Elle est coincée dans les débris de ce qui était autrefois sa maison.
02:29La boue lui monte jusqu'à la poitrine.
02:31Son visage est bien sûr noirci de cendres, ses yeux sont rouges et sont gonflés.
02:35Malgré cela, elle parle.
02:37Elle est lucide, elle est posée et elle est d'une maturité saisissante.
02:41Elle souffre déjà d'hypothermie mais va rester dans un calme désarmant.
02:44A ce moment-là, je pense que les secours se disent, bon, on va la sortir rapidement,
02:48on va la mettre dans un hélico avec une couverture de survie,
02:51dans 20-30 minutes, elle sera dans un gymnase avec une bonne soupe chaude,
02:54avec des paroles réconfortantes et tout ira bien.
02:56Eh bien en fait, pas du tout.
02:58Les premiers secouristes vont constater en fait qu'il est impossible de la tirer hors de l'eau.
03:02Le problème va vite sauter aux yeux des sauveteurs.
03:05Ses jambes sont piégées en fait sous une dalle de béton.
03:07Regardez le schéma que je vous ai fait pour vous expliquer justement sa position dans la boue.
03:12En fait, elle est debout dans une position semi-accroupie.
03:15Ses tibias ont été attrapés par une dalle tellement lourde
03:18qu'il est impossible de la soulever sans utiliser un engin de levage.
03:23Bien sûr, engin qui ne peut pas accéder à l'endroit
03:26car tout autour, à des centaines de mètres à la ronde,
03:29ce n'est que de la boue dans laquelle on s'enfonce comme dans de la vase.
03:32Autour de ses jambes, au-dessus de la dalle, il y a une boue lourde charriée de briques et de pierres
03:36qui agit en fait comme un ciment vaseux.
03:39Et au-dessus, on a une couche d'eau sale.
03:41Tout ça crée en fait une masse lourde dans laquelle les sauveteurs ne voient absolument rien.
03:46Tout est opaque.
03:46Et pour couronner l'horreur de la situation,
03:49on aperçoit les bras sans vie de sa tante, morte à ses côtés, qui flotte sous l'eau.
03:54Selon les témoignages, les bras de sa tante entouraient en partie les jambes d'Omaera,
03:58ce qui rendait leur extraction encore plus complexe.
04:01Des secouristes colombiens décrivent les bras comme flottant autour d'elle dans la boue,
04:04enchevêtrés dans les décombres,
04:06et confirmeront dans des interviews que le dégagement d'Omaera
04:08était impossible sans démembrer le corps de sa tante.
04:11Pendant plus de 60 heures, les hommes et femmes se relaient pour tenter de la sauver.
04:15Mais le matériel manque cruellement.
04:17Il n'y a pas de pompe pour évacuer l'eau,
04:19ni d'outil adapté pour soulever les débris qui risquent de l'écraser.
04:23Un problème est également très angoissant.
04:25Dès qu'on essaye de bouger des objets autour d'Omaera
04:28ou de la tirer de la boue vers le haut,
04:30son corps se replace en s'enfonçant un peu plus,
04:33manquant de peu qu'elle se noie.
04:35On envisage à un moment de l'amputer sur place pour l'extraire,
04:38mais l'intervention serait pratiquement une condamnation immédiate,
04:42sans anesthésie, sans chirurgie d'urgence,
04:44elle n'aurait pas survécu.
04:46Pendant que les secouristes s'affairent à trouver une solution,
04:48Omaera parle de son école,
04:50demande un stylo pour écrire à sa mère,
04:52et prit à voix basse.
04:53La jeune fille lutte pour ne pas piquer du nez dans l'eau.
04:55Un pneu est alors placé autour de sa taille
04:58pour la maintenir hors de l'eau.
04:59Les journalistes présents en nombre photographient,
05:02filment, témoignent.
05:03Le photographe français Franck Fournier
05:04prend une série de clichés dont l'un deviendra iconique.
05:08Celui du visage d'Omaera,
05:10les yeux fixés vers le haut,
05:12l'expression à la fois digne et résignée.
05:15Ces images, qui provoquent quand même un peu l'indignation pour leur intrusion,
05:18deviennent un cri visuel.
05:20Un signal d'alarme sur la situation sur place.
05:23La presse colombienne et internationale,
05:53s'emparent de l'histoire.
05:55Les télévisions du monde entier diffusent les images de cette jeune fille en boucle
05:58sur la télé, prisonnière de la boue,
06:00dans l'attente d'un secours qui n'arrive pas et qui n'y arrive pas.
06:03Les journalistes, au fil des heures, vont relater sa douceur,
06:06sa foi et sa volonté de vivre.
06:09Ils décrivent, heure par heure, son corps qui s'affaiblit,
06:11mais son regard qui est déterminé.
06:13Et pendant trois jours, elle va lutter.
06:16Mais le 16 novembre au matin,
06:17après près de trois jours d'agonie,
06:20Omaera Sanchez meurt dans la boue.
06:22Entourée, mais seule.
06:24Les causes probables de son décès sont multiples.
06:27Hypothermie, septicémie, épuisement.
06:30Elle décède doucement, sans violence apparente,
06:33devant les yeux impuissants des secouristes et des journalistes.
06:36Son image va faire le tour du monde.
06:39Elle devient le symbole tragique de la catastrophe d'Armero,
06:42mais aussi d'un échec politique et humain.
06:45L'échec de prévoir, d'organiser et de protéger une population
06:49face à des éléments qu'on connaissait d'avance.
06:51Des voix s'élèvent en Colombie et ailleurs pour dénoncer l'inaction des autorités,
06:56la lenteur des secours,
06:58l'absence d'une gestion des risques adaptée dans une région pourtant connue pour son activité volcanique.
07:03Le cliché de Franck Fournier est publié dans le magazine Paris Match du jeudi suivant.
07:07Et je me souviens très bien de ce numéro.
07:09J'avais 9 ans à l'époque.
07:10Ma mère l'avait acheté et cette couverture m'a profondément marqué.
07:14Cette photo, je m'en souviens comme si c'était hier.
07:16Je me souviens vaguement des informations à la télévision.
07:20Mais la photo d'Omaira, quand vous l'avez vue et que vous avez compris ce qu'elle a enduré,
07:23votre cerveau ne peut pas l'oublier.
07:25En tout cas, cette photo et la couverture médiatique importante reprise dans toute la presse internationale
07:30va alimenter un débat éthique sur le rôle des médias.
07:33Fallait-il photographier Omaira ?
07:35Était-ce une intrusion dans l'intimité d'un sauvetage, d'une souffrance ou un devoir de témoignage ?
07:41Eh bien, je vous pose la question et n'hésitez pas à dire en commentaire quel est votre avis là-dessus.
07:45Est-ce qu'il fallait montrer Omaira, même dans son agonie, ou fallait-il tout cacher pour respecter sa dignité ?
07:51Aujourd'hui, Arméro n'a jamais été reconstruit.
07:54Une croix blanche se dresse à l'endroit où Omaira a perdu la vie.
07:57Et chaque année, des Colombiens se rendent sur les lieux pour lui rendre hommage.
08:00Son histoire est enseignée dans les écoles, évoquée dans les documentaires,
08:04commémorée comme celle d'une enfant devenue malgré elle, l'icône silencieuse d'un drame évitable.
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