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00:00Et on accueille notre invité, c'est vous, Christophe Jaffrello.
00:03Bonjour à vous, vous êtes directeur de recherche au série Sciences Po CNRS.
00:06Merci de prendre quelques instants pour répondre à nos questions.
00:08Christophe Jaffrello, je voudrais d'abord vous faire réagir à la dernière déclaration de Vladimir Poutine
00:12lorsqu'il assure qu'il continuera de livrer du pétrole à l'Inde.
00:15Qui est-ce qu'il défie particulièrement en disant ça ? Les Etats-Unis ?
00:20Oui, c'est évidemment Donald Trump qui est visé.
00:22Et il peut le dire, c'est forcément à l'Inde de décider si elle, elle veut effectivement résister aux pressions américaines.
00:37En vérité, l'Inde a commencé à céder aux pressions américaines.
00:41Le mois dernier, on a enregistré une baisse de 38% des importations de pétrole russe vers l'Inde.
00:48Donc, mois après mois, la part du pétrole russe décroît dans les importations indiennes.
00:57Et ce sont les pays du Golfe, l'Arabie saoudite, les Émirats, l'Irak, qui compensent.
01:05Parce que l'Inde ne peut pas véritablement ne pas au moins rentrer dans une négociation avec les Etats-Unis
01:15qui viennent de lui imposer un taux de douane, un tarif douanier de 50%.
01:21Et qu'est-ce qu'elle risquerait si elle se tournait le dos aux Américains ?
01:26Elle risquerait précisément de ne pas pouvoir réduire ce taux de 50% qui est prohibitif.
01:33L'Inde a très peu d'excédents commerciaux avec d'autres pays.
01:38Elle a un énorme déficit avec la Chine, 100 milliards de dollars.
01:42Elle a un énorme déficit avec la Russie à cause du pétrole, plus de 40 milliards de dollars.
01:48Elle a évidemment des déficits commerciaux avec tous les pays du Moyen-Orient, les pays du Golfe.
01:54Un de ses rares excédents commerciaux, c'est avec les Etats-Unis,
01:58vers lesquels elle exporte notamment des médicaments génériques, de l'électronique, du textile.
02:0650% de droits de douane vers un des grands marchés mondiaux que sont les Etats-Unis.
02:14C'est très difficile à soutenir et c'est assez humiliant en vérité,
02:17parce que c'est le pays aujourd'hui, l'Inde, qui enregistre le taux le plus élevé,
02:22les droits de douane les plus élevés.
02:24C'est quelque chose qui d'ailleurs suscite beaucoup de tensions avec sa propre diaspora.
02:29La diaspora indienne aux Etats-Unis veut absolument recoller les morceaux avec Washington.
02:35Et donc la position assez maximaliste...
02:40J'allais vous dire, est-ce que l'Inde est en quelque sorte tiraillée,
02:43mais en même temps l'Inde de Modi semble avoir un pied dans chaque bloc ?
02:48C'est la politique qui est suivie officiellement, ce qu'ils appellent le plurilatéralisme.
02:54Avoir des partenaires, jamais des alliés, mais des partenaires en fonction des secteurs.
03:01Ça marche jusqu'à un certain point.
03:04Quand on est en temps de paix et qu'on peut jouer les uns contre les autres,
03:09bon, ça s'est plutôt bien passé pour l'Inde.
03:13Une guerre comme la guerre en Ukraine, que les Américains veulent terminer en mettant la Russie en difficulté,
03:22eh bien ça change la donne.
03:24Et la façon dont les Américains essaient de tordre le bras aux Indiens,
03:28en les obligeant à arrêter leurs importations de pétrole,
03:31montre les limites d'une politique plurilatéraliste.
03:36Alors, ça ne veut pas dire que l'Inde va prendre ses distances avec la Russie dans tous les domaines.
03:42Il y a un secteur où les liens vont être resserrés, c'est le secteur militaire.
03:46Avant d'aller sur le secteur militaire, vous parliez à l'instant du positionnement de l'Inde
03:49dans cette guerre déclenchée par la Russie en Ukraine.
03:51L'Inde qui n'a pas expressément condamné l'invasion en grande échelle de la Russie.
03:57Est-ce que de ce côté-là, les Américains pourraient obtenir quelque chose ?
04:00Non, on ne voit pas comment l'Inde pourrait revenir sur cette posture
04:04qui est devenue quasiment structurelle.
04:08Elle n'a pas condamné l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
04:13Elle s'abstient systématiquement à l'ONU chaque fois que la question est posée.
04:20De même d'ailleurs avec la guerre à Gaza.
04:23L'Inde s'est abstenue et continue de s'abstenir systématiquement.
04:28Elle ne prend pas partie.
04:30Et cela d'ailleurs, c'est une chose que les Européens ont beaucoup de mal à comprendre.
04:33Il y a eu la semaine dernière une tribune co-signée par les ambassadeurs de la Grande-Bretagne,
04:39de la France et de l'Allemagne à la veille de l'arrivée de Poutine à Delhi
04:44pour inciter l'Inde à jouer les intermédiaires, à jouer les bons offices.
04:51Modi n'est pas Nehru.
04:52Il ne se voit pas comme un acteur pour permettre qu'on trouve des solutions diplomatiques.
05:01L'Inde est en retrait.
05:03Elle cherche à maximiser ses intérêts, mais pas à s'impliquer.
05:07Parce que s'impliquer, ça veut dire prendre des coups.
05:09Et elle ne cherche pas à prendre des coups.
05:10Et ça voudrait dire peut-être aussi elle-même rendre des comptes sur d'autres conflits
05:13qui l'opposent aux voisins pakistanais.
05:15Évidemment.
05:17Dès que vous posez la question de l'autodétermination, de la protection des minorités,
05:24vous trouvez effectivement la question du Cachemire, la question des musulmans en Inde,
05:29la question des chrétiens en Inde.
05:31Et ça, c'est une autre chose que les Européens ont du mal à comprendre.
05:34Cette amitié tout de même très forte qui unit la Russie et l'Inde,
05:38elle se nourrit d'antilibéralisme ou d'illibéralisme, comme on dit maintenant.
05:43Et c'est une chose que, oui, les Européens ont du mal à saisir.
05:49Ils continuent à considérer l'Inde comme la plus grande démocratie du monde.
05:51Et bien sûr, cette erreur d'appréciation se paye cash.
05:57Il y a, dans le cadre de ces échanges avec la Russie, la question des hydrocarbures,
06:01on l'a vu précédemment, celle de l'armement.
06:04Dans quelle mesure l'Inde est dépendante à la Russie ?
06:07Et dans quelle mesure est-ce que ça peut être compatible, cet achat d'armement à la Russie,
06:11alors que l'Inde achète aussi à la France ?
06:13Est-ce qu'il n'y a pas un conflit quelque part ?
06:17On retrouve exactement ce que je disais à propos du plurilatéralisme.
06:22C'est cette capacité de l'Inde à mettre des œufs dans différents paniers,
06:27à diversifier ses partenariats pour maximiser son intérêt.
06:32Je le répète, c'est quelque chose qui, en temps de paix, ne pose pas de problème.
06:37Lorsque les relations internationales se durcissent, lorsqu'il y a une polarisation,
06:42lorsqu'il y a des intérêts vitaux qui sont en jeu, on revisite tout de même ce genre de partenariat.
06:49Oui, l'Inde et la Russie ont des liens dans le domaine militaire qui sont très forts,
06:55qui sont très anciens.
06:56La Russie, avant elle l'Union soviétique, ont été les premiers fournisseurs d'armes de l'Inde.
07:05Et puis, ont aussi fait des transferts de technologies que beaucoup d'autres partenaires de l'Inde refusaient de faire.
07:11On a maintenant même un missile, le Bramo, qui est une coproduction russo-indienne.
07:19Bon, l'Inde a cherché à diversifier, dans cette logique plurilatéraliste,
07:25et à acheter davantage à Israël, aux États-Unis, à la France.
07:29Et maintenant, elle veut surtout que la Russie l'aide à construire par elle-même.
07:35Et les transferts de technologies sont la priorité.
07:38Les Russes ont l'air prêts à faire les transferts de technologies.
07:40Et puis, ils sont surtout prêts à vendre à l'Inde des matériaux très sophistiqués.
07:45Votre reportage évoquait les S-400.
07:48Les S-400, ce sont effectivement des batteries antiaériennes, des missiles solaires,
07:54qui sont indispensables à la protection du pays face au Pakistan,
07:58qui est armé maintenant par la Chine.
08:00Et on l'a vu lors de la guerre éclair du mois de mai dernier,
08:04où un des rafales indiens a d'ailleurs été abattu.
08:09L'armement chinois dont dispose le Pakistan est très sophistiqué.
08:14Donc, c'est là que, sans doute, se trouve l'avenir des relations russos-indiennes.
08:19Dans cette coopération, dans des domaines technologiquement très avancés,
08:25des militaires, qu'ils soient d'ailleurs de l'armée de terre,
08:31de l'armée de l'air ou de la marine,
08:32car on parle aussi de l'achat ou de l'allocation, du leasing de sous-marins à propulsion nucléaire.
08:39Et c'est vrai, vous le dites, vous le suggérez,
08:42que ça nous pose un problème, à nous Français, à nous Européens,
08:46que d'être dans des relations aussi très avancées au plan militaire,
08:51si le pays qui est devenu l'ennemi public numéro un des Européens, la Russie,
08:59se trouve, elle aussi, dans le même type de coopération.
09:03Merci beaucoup Christophe Jaffrello.
09:04Merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions sur France 24.
09:07Dans l'actualité de ce vendredi aussi,
09:10c'est...
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