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00:00Bonjour et bienvenue en Tête à Tête, l'émission de grandes interviews de France 24.
00:14Notre invité cette semaine est Vladimir Kara-Murza, c'est une figure de l'opposition russe.
00:19Merci beaucoup.
00:20Merci de votre invitation.
00:22Vous avez survécu à deux tentatives d'empoisonnement présumé il y a dix ans ou plus.
00:27Et ensuite, vous avez été condamné en 2023 à une peine de 25 ans de prison pour trahison,
00:33suite à des déclarations que vous aviez faites contre le régime dictatorial du Kremlin,
00:37pour notamment les crimes de guerre, je vous cite, commis en Ukraine.
00:41Mais après plus de deux ans d'emprisonnement, en août 2024,
00:45vous êtes libéré dans le cadre du plus important échange de prisonniers entre la Russie et les pays occidentaux depuis la guerre froide.
00:53Je veux d'abord que vous nous parliez un petit peu de ce séjour en prison.
00:56Vous avez passé un an à l'isolément total en Sibérie.
01:02Comment est-ce que c'était ? Et surtout, comment est-ce que vous avez tenu le coup ?
01:06C'est la réalité de la Russie de Vladimir Poutine aujourd'hui,
01:09que s'exprimer contre le gouvernement, contre ce régime, dire la vérité publiquement, c'est un délit criminel.
01:16Et la plus grande catégorie sur la liste des prisonniers politiques russes aujourd'hui,
01:20ce sont des gens, mes concitoyens russes, qui s'expriment publiquement contre cette guerre d'agression
01:26que le régime de Vladimir Poutine mène contre l'Ukraine.
01:31Bien sûr, on a une grande tradition, malheureusement, dans notre pays, d'emprisonnement politique.
01:36En fait, en prison, quand je relisais des livres des mémoires des dissidents soviétiques,
01:42des gens comme Vladimir Bukowski et Nathan Sharansky et d'autres,
01:45c'était choquant comment rien n'a vraiment changé dans notre pays depuis un demi-siècle quand il était en prison.
01:52Et c'est aussi une tradition que les prisonniers politiques, que le gouvernement,
01:58que le régime considère les plus dangereux, restent dans l'isolement total.
02:03Et c'était le cas avec moi aussi.
02:06Une petite cellule, 3 mètres par 4, il y a 4 murs et une petite fenêtre avec des barons en métal.
02:11Il n'y a rien à faire, on ne peut pas aller nulle part, il n'y a personne à parler.
02:15Et ça, c'est le plus difficile, parce qu'on sait très bien que selon la loi internationale,
02:19selon les règles de l'ONU, l'isolement prolongé aux prisons est considéré comme une forme de torture.
02:26Parce que quand une personne, en être humain, est complètement isolée,
02:32donc en contact avec d'autres humains, en fait, c'est très facile de perdre sa tête.
02:37En fait, je vais être honnête sur ça.
02:38Et on commence à oublier des mots, on commence à oublier des noms,
02:41on commence à faire des arguments avec des murs, je ne sais pas.
02:45Et c'est en fait...
02:46À devenir fou.
02:47Exactement.
02:47Et ça prend un effort spécial de ne pas devenir fou.
02:52En fait, ce que j'ai fait, j'ai obtenu un livre de l'espagnol,
02:56et je le lisais, je le mémorisais chaque jour, jour après jour,
02:59juste pour remplir la tête avec quelque chose pratique, avec quelque chose constructif.
03:04N'oublions pas que les 16 de nous, 16 personnes ont été libérées
03:09dans le cadre de cet échange de prisonniers l'année dernière, en 2024.
03:13Mais plus de 1700 prisonniers politiques, identifiés, pardon, connus,
03:19restent toujours dans les prisons de Vladimir Poutine.
03:21C'est en fait choquant qu'il n'y a plus de prisonniers politiques en Russie aujourd'hui
03:25qui avaient dans le cadre, dans l'ensemble de l'Union soviétique,
03:28ça veut dire 15 pays différents au milieu des années 80.
03:32Et la plus grande catégorie sur ce liste, ce sont mes concitoyens russes
03:36qui s'expriment publiquement contre la guerre en Ukraine.
03:39Et à mon avis, c'est essentiel, c'est très très important,
03:42que n'importe quel accord de cesse le feu à l'Ukraine
03:45contienne une disposition pour la libération de tous les otages de cette guerre.
03:51Ça veut dire tous les otages, tous les captifs civils ukrainiens,
03:54de milliers d'entre eux qui restent dans les prisons russes,
03:57y ont plus les enfants volés et déportés,
04:00les enfants ukrainiens volés et déportés en Russie,
04:02et les prisonniers politiques russes, dont le seul crime, entre guillemets,
04:08est d'avoir exprimé contre cette guerre criminelle d'agression de Vladimir Poutine en Ukraine.
04:11Vous avez vu certainement, la semaine dernière, il y avait une lettre publique,
04:15les 17 lauréats de prix Nobel adressés aux dirigeants de l'Union européenne,
04:19les États-Unis, l'Ukraine et la Russie,
04:21en appelant pour n'importe quel accord de ce seul feu à l'Ukraine
04:25d'inclure cette disposition pour la libération de tous les otages de cette guerre,
04:29tous les captifs de cette guerre, les ukrainiens et les russes en même temps.
04:33Ça, c'est très très important.
04:34Alors, vous êtes donc libérés.
04:36J'imagine que pour vous, c'était une sorte de miracle, parce que vous avez dû quand même craindre.
04:42Vous dites que vous étiez un opposant identifié,
04:44avoir été victime de deux tentatives d'empoisonnement en 2015-2017.
04:48Évidemment, vous deviez être au courant de ce qui est arrivé à l'Alexei Navalny,
04:52lui aussi victime d'empoisonnement et qui a fini par mourir dans une prison, loin de tout.
04:59Ça fait dix ans, en 2015, que le chef de l'opposition russe,
05:02l'ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov, a été tué.
05:04Je n'ai aucun doute sur les ordres directs de Vladimir Poutine à côté du Kremlin.
05:08L'année dernière, comme vous avez dit, Alexei Navalny a été tué,
05:11empoisonné dans sa prison en Russie.
05:16Il y avait quelques années, un groupe des médias internationaux,
05:19il y a inclus Bellingcat, mené par Bellingcat,
05:22ont publié une investigation très détaillée,
05:25et identifiant les noms des officiers de la FSB,
05:29de la Service fédéral de sécurité russe,
05:32qui font partie de ce régiment spécial,
05:36qui tuent ou qui essayent de tuer les opposants politiques de Vladimir Poutine.
05:41Je connais les noms des officiers de la FSB
05:43qui m'ont empoisonné en 2015 et 2017,
05:46les mêmes officiers qui ont empoisonné Alexei Navalny en 2020.
05:50C'est très très important qu'on se souvienne que chaque fois qu'on parle de Vladimir Poutine,
05:56on ne parle pas seulement de quelqu'un qui est un dictateur,
05:58on ne parle pas seulement de quelqu'un qui est un usurpateur illégitime,
06:02tout ça c'est vrai,
06:03mais on parle aussi de quelqu'un qui est un meurtrier,
06:05dans le sens direct et littéral de ce terme.
06:07Je n'ai aucun doute que tous les ordres pour assassiner les opposants politiques du régime de Poutine
06:13viennent directement de Vladimir Poutine.
06:16Et donc je crois que c'est très important que chaque dirigeant occidental
06:21qui veut normaliser les relations avec Poutine,
06:25qui veut encore une fois serrer la main de Vladimir Poutine,
06:29se souvienne que cette main serait de sang.
06:32Vous avez eu peur de mourir ?
06:33Vous pensiez que vous alliez mourir ?
06:35J'étais convaincu que j'allais mourir dans cette prison sibérienne.
06:39Et cet échange de prisonniers en août 2024 était un vrai miracle,
06:42c'est la seule façon que je peux le dire.
06:44Mais c'est très très important que cet échange a envoyé un message très puissant et très clair.
06:51Que les gouvernements démocratiques, les pays démocratiques,
06:55savent que les vrais criminels sont les gens au Kremlin qui mènent cette guerre en Ukraine.
06:59Pas nous qui étions dans les prisons pour avoir exprimé contre cette guerre.
07:06Et comme j'ai déjà dit, c'est très très très important
07:08que n'importe quel accord de cessez le feu en Ukraine contienne cette provision
07:13pour la libération de tous les captifs de cette guerre,
07:16les otages civils ukrainiens et les prisonniers politiques russes
07:19qui sont dans les prisons parce qu'ils se sont exprimés contre cette guerre.
07:23Lors de votre procès, vous avez déclaré que vous maintenez vos propos
07:28et que votre seul regret, c'est de ne pas avoir réussi à convaincre plus de vos compatriotes
07:32et plus de dirigeants occidentaux de la nature même du régime en Russie.
07:39Pourquoi est-ce que les Russes ne s'opposent pas à Vladimir Poutine ?
07:43Et pourquoi est-ce que, d'après vous, certains Occidentaux, dans le passé,
07:46mais aussi dans le présent, Donald Trump, par exemple,
07:49semblent lui trouver des qualités ou en tout cas trouver qu'il faut négocier avec lui ?
07:55D'abord, il faut dire que beaucoup de Russes s'opposent à Vladimir Poutine.
07:59Et ces statistiques, ces chiffres affreux des repressions politiques en Russie,
08:04ils parlent d'une côté de la nature du régime de Vladimir Poutine,
08:09le fait qu'il y a plus de prisonniers politiques en Russie
08:10qu'il y avait dans l'ensemble de l'Union soviétique il y a 40 ans.
08:13Mais ça aussi montre qu'il y a tellement de gens en Russie
08:17qui sont préparés à s'exprimer contre les crimes de ce régime,
08:22même s'ils savent qu'ils vont payer pour ça avec leur liberté personnelle.
08:26Et ça, c'est très très important.
08:27En fait, ça me fait fier de mon pays.
08:29Dans les années du début du régime de Vladimir Poutine,
08:33dans le début des années 2000,
08:36il y avait beaucoup de croissance, comme vous le savez, du prix du pétrole mondial.
08:41Une grande croissance économique en Russie.
08:43Et malheureusement, je le savais en ce temps très très bien,
08:46beaucoup de gens en Russie ont décidé de ne se pas concerner avec la politique.
08:52Ils se concentraient sur leur vie personnelle, sur l'économie et tout ça.
08:56Et ça a vraiment aidé Vladimir Poutine à consolider son régime,
09:00à consolider sa dictature,
09:01parce qu'une indifférence publique, ça aide toujours un dictateur
09:06qui veut consolider un pouvoir total.
09:09Mais ce qui a aussi aidé beaucoup à M. Poutine,
09:13c'était la politique de l'apaisement menée par les dirigeants occidentaux
09:18pendant beaucoup, beaucoup d'années.
09:20On se souvient d'un président américain, George W. Bush,
09:23qui a regardé dans les yeux de Poutine et a vu son âme.
09:25On se souvient d'un autre président américain, Barack Obama,
09:29qui a poussé le bouton de « reset » avec la politique de Vladimir Poutine.
09:34On se souvient d'un chancelier allemand qui s'appelait Gerhard Schröder
09:38qui s'est vendu littéralement à Vladimir Poutine.
09:40Et on peut continuer ce liste.
09:42Et ça a beaucoup aidé Vladimir Poutine,
09:45cette politique honteuse de l'apaisement
09:47menée par beaucoup de démocratie occidentale envers l'origine de Poutine
09:52a vraiment aidé Vladimir Poutine à consolider son régime
09:55et à créer les situations qu'on voit aujourd'hui.
09:58Et ce qui est vraiment choquant,
10:00c'est que même aujourd'hui,
10:01après presque quatre ans de la guerre en Ukraine,
10:04le plus grand conflit militaire en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale,
10:08on voit par exemple l'actuelle administration des États-Unis
10:12qui continue cette honteuse politique de l'apaisement de Vladimir Poutine.
10:16En effet, dans la stratégie de sécurité nationale publiée il y a quelques jours,
10:20l'intérêt c'est de rétablir, je cite,
10:22la stabilité stratégique avec la Russie.
10:26Est-ce que, d'après vous, Donald Trump se trompe
10:29ou est-ce qu'il a raison parce que c'est la réelle politique ?
10:32La Russie est une puissance, il faut dealer avec elle,
10:34même si c'est le prix à payer pour les Ukrainiens.
10:38Ce n'est pas la question de la Russie,
10:39c'est la question d'une dictature illégale et criminelle de Vladimir Poutine.
10:43Moi, j'espère qu'un jour la Russie va revenir dans la G8.
10:47J'espère qu'un jour la Russie va revenir dans l'économie mondiale,
10:50dans les relations internationales.
10:52Mais une autre Russie, une Russie normale, démocratique, paisible,
10:56je n'ai aucun doute que ce jour viendra.
10:57Mais maintenant, pendant que ce meurtrier reste au Kremlin,
11:01c'est complètement honteux et inacceptable
11:04de continuer cette politique de l'apaisement envers lui.
11:08Parce que s'il y a une leçon très claire du XXe siècle,
11:12c'est que l'apaisement d'un agresseur ne mène jamais à l'apaisement.
11:15Je crois que beaucoup de votre audience vont se souvenir
11:18de ces images de Neville Chamberlain, le premier ministre anglais,
11:22avec ce papier après qu'il est revenu de la conférence de Munich,
11:26en automne de 1938, quand il a dit qu'il a apporté la paix pour notre époque.
11:32On sait la fin de cette histoire.
11:34L'apaisement d'un agresseur ne mène jamais à la paix.
11:37Le seul langage que comprennent les agresseurs,
11:39c'est le langage de force et le langage des principes.
11:43Malheureusement, ce n'est pas ce qu'on voit aujourd'hui aux États-Unis.
11:47Et c'est vraiment important, à cause de ça,
11:51que l'Europe continue à mener une politique de principale, réelle politique.
11:55Mais une politique des principes,
11:57une politique qui va montrer à cet agresseur, à ce dictateur,
12:01qu'il n'y aura pas de place pour lui dans le système international.
12:05Vladimir Karamorza, merci beaucoup d'avoir répondu aux questions de France 24.
12:09Et merci à vous d'avoir regardé cette édition d'En tête à tête sur nos antennes.
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