00:06Valérie Mosseyev, la prison comme horizon, une directrice de prison, c'est donc à chez Marreuil édition.
00:12Alors moi je dis toujours la vérité aux téléspectateurs, aux auditeurs, vous êtes venus ce matin sur CNews
00:17et à la fin de l'entretien je vous ai dit c'est trop court, on est pourtant resté 10 minutes, un quart d'heure
00:22mais on vous écoutait tous avec tellement d'intérêt que je vous ai dit revenez nous voir sur Europe 1 pour prolonger cette discussion.
00:30Alors si je voulais faire une première synthèse de ce que nous avons dit ce matin, le sujet quand même numéro 1 j'ai l'impression c'est la surpopulation carcérale, vous êtes d'accord ?
00:39Absolument, absolument la surpopulation carcérale est vraiment au coeur de toutes nos problématiques, fait dysfonctionner toutes nos procédures de sécurité
00:46et est un danger pour le détenu parce qu'on n'arrive plus à assurer leur sécurité en cellule, dans les cellules multiples, pour l'agent qui ouvre
00:52et pour la société qui retrouve des personnes forcément à la sortie puisque tous les détenus sortent, je crois que c'est vraiment une réalité qu'il faut avoir en conscience, dont il faut avoir conscience
00:59la sortie est inéluctable.
01:01Bon je rappelle que vous êtes la première femme à diriger le centre pénitentiaire de Bemao en Guadeloupe, j'imagine qu'il n'y a qu'un centre de pénitentiaire en Guadeloupe ?
01:09Alors il y en a deux, il y a aussi la maison d'arrêt de Bastère, qui a une taille beaucoup plus réduite, 200 places et qui vient de réouvrir d'ailleurs sous un nouveau format
01:17puisqu'il y a une nouvelle maison d'arrêt totalement neuve qui vient d'ouvrir en novembre dernier.
01:20Et ce centre il est sans doute historique et peut-être des criminels célèbres sont passés par Bemao, il y a une histoire peut-être dans cette prison ?
01:28Alors Bemao c'est pas, alors quand j'étais à Nice, ou voilà, ou quand je pense aux prisons de Corbat, on était vraiment sur des vieilles prisons, Nice ça datait de 1887, donc oui il y a une histoire.
01:38Mais là à Bemao ça a ouvert en 1996, donc on a une histoire surtout des incidents qui s'y sont déroulés, parce que c'est une prison vraiment qui a une histoire très compliquée en termes d'incidents graves,
01:47à l'encontre des agents, ou des meutes très violentes, enfin on a été sur une guerre des gangs, déclarée en détention, enfin il y a vraiment une très...
01:54Et c'est pour ça d'ailleurs que ça a eu beaucoup de mal pour trouver un directeur, ou trouver parfois des gens intéressés pour y aller, parce que ça a vraiment une très lourde histoire, mais contemporaine plutôt.
02:02Alors ce qui est intéressant dans votre livre, j'ai envie de dire c'est vous aussi, c'est le rapport que vous avez à la fois à votre métier, mais tout simplement à la vie,
02:08et je rappelais ce matin, je lisais ce matin ce que vous écriviez au début du livre, je crois que c'est là que tout a commencé, écrivez-vous,
02:16en tant que collégienne, quand j'ai appris à aimer les humains brisés par la vie.
02:21Et plus loin, vous parlez de cet humanisme à travers une détenue enceinte, et vous dites ceci, une détenue enceinte est autorisée à garder son bébé ou son enfant en bas,
02:32âgé jusqu'à 18 mois, et dans certains cas jusqu'à 3 ans. J'ai éprouvé un stress intense à savoir que des enfants restaient avec des mères instables, dépressives, voire dangereuses,
02:44et ce malgré tout le soutien institutionnel, médical et associatif dont elles bénéficiaient.
02:48J'étais responsable de la santé et de la sécurité de ces enfants enfermés.
02:52Quand un petit bout court dans la coursive d'une prison pour se dégourdir les jambes, c'est une vision qui vous marque tant elle est décalée.
03:01Parce que le petit bout, comme vous dites, il peut rester jusqu'à 18 mois.
03:05Mais alors il a le droit de sortir dans les coursives, comme vous dites ?
03:09Ben non, c'est un exemple effectivement qu'il a de Nîmes, parce que j'ai géré 3 quartiers femmes,
03:13à Nîmes, à Nice et à Bémao, il n'y a pas beaucoup de femmes incarcérées, donc c'est plutôt rare d'avoir des femmes.
03:19Mais on a ces situations de femmes enceintes, et je me souviens effectivement de ce petit bout qu'on laissait courir dans la coursive,
03:23parce qu'en fait c'est important qu'ils se dégourdissent les jambes.
03:26Alors on développe là, par exemple, j'ai eu deux femmes enceintes à Bémao cet été,
03:30et avec le SPIP, avec les médecins, avec les services de l'État,
03:36on a vraiment fait en sorte, pour l'une d'entre elles, qu'elle sorte avant l'accouchement.
03:40Et pour la seconde, qui a accouché détenue, le parquet d'ailleurs a pris l'enfant,
03:44on l'a vraiment accompagnée pour bien vivre, ou en tout cas le mieux possible,
03:50la prise de son enfant qu'elle a pu après voir dans le cadre d'entretiens médiatisés,
03:53parce qu'elle était quand même sur des cas de maltraitance à enfants.
03:55Et donc on était quand même rassuré, enfin j'ai été rassuré,
03:58de savoir qu'on ne laissait pas l'enfant à cette femme dans une cellule tout seule.
04:04Et donc il y a vraiment un accompagnement, on essaie de mettre en place vraiment pas mal de dispositifs,
04:08pour à la fois que la mère vive bien sa maternité, parce que l'enfant a besoin de sa mère,
04:12et à la fois que l'enfant évidemment puisse tout de suite être à l'extérieur.
04:16Alors il y a un travail évidemment qui est particulièrement rude, j'imagine,
04:19et on parlait il y a quelques instants de vos parents.
04:21Je crois que votre mère est professeur de mathématiques,
04:24votre père est médecin, vous avez fait des études brillantes,
04:27et vous leur avez dit je veux diriger une prison.
04:29Et ils ont eu peur, tout simplement.
04:31Peur pour vous, parce qu'effectivement c'est des métiers qui sont quand même rudes, dangereux.
04:36J'imagine, je ne sais pas si vous avez déjà été agressé, verbalement, physiquement.
04:41Alors vous avez raison, ça ne fait jamais rêver personne,
04:43quand on dit qu'on veut travailler dans la pénitentiaire,
04:45qu'on soit surveillant, directeur, enfin finalement toute la pénitentiaire
04:47est marquée comme ça, de cette opprobre un petit peu sociale,
04:51puisqu'on est toujours derrière nos murs, on ne sait pas trop le métier, personne ne connaît.
04:54Mes parents étaient inquiets, d'ailleurs je leur parle très peu de prison,
04:56comme je parle très peu de prison, à part mon mari qui est pénitentiaire.
04:59Mais oui, il m'est arrivé d'être...
05:02Il est votre mari, pardonnez-moi, il est avec vous en Guadeloupe ?
05:04Oui, absolument.
05:05Donc il travaille dans la même prison ?
05:06Absolument.
05:06On a toujours travaillé ensemble depuis...
05:08On dit parfois que le couple est une prison, là, en l'occurrence.
05:10Cette phrase prend toute sa valeur.
05:18Alors, je ne parle pas du couple, mais je vais garder cette intimité pour moi.
05:24Non, on travaille ensemble, on travaille très bien,
05:25et heureusement qu'il est là, parce que vraiment il m'aide terriblement.
05:27J'imagine, vous êtes mutés à chaque fois ensemble ?
05:30Oui, en fait on a un dispositif, vu que j'ai une clause de mobilité
05:32qui m'oblige à muter entre 2 et 5 ans,
05:34il est muté systématiquement avec moi, dans le cadre d'un dispositif, le maire,
05:37et heureusement, parce que sinon il serait toujours à la traîne,
05:39en plus on a un logement de fonction, donc il ne pourrait pas être logé,
05:41et puis moi j'ai besoin d'avoir ma famille près de moi pour assumer mes fonctions.
05:45Et vous avez des enfants peut-être ?
05:46Absolument.
05:47Donc les enfants, forcément...
05:49Mais alors on ne vit plus aujourd'hui à l'intérieur de la prison, lorsqu'on dirige la prison ?
05:52Non, oui, pas très loin.
05:55Jamais très loin de la prison, il faudrait être sur place très rapidement.
05:58Alors pour répondre à votre précédente question,
06:01oui, il m'est arrivé d'être insulté, menacé,
06:02mais je dirais, la violence en prison, ce n'est pas un accident,
06:05c'est un risque qu'on assume,
06:06on sait que c'est un milieu très violent,
06:08on connaît les personnalités,
06:09moi quand c'est trop violent ou trop dangereux,
06:11en tout cas j'ai des surveillants qui s'équipent de tenues par coup,
06:14j'ai aussi une équipe locale de sécurité pénitentiaire
06:16qui sont des agents très costauds,
06:18équipés avec du matériel spécifique,
06:20qui se mettent entre le détenu et nous pour nous protéger,
06:22et moi je me suis toujours sentie très bien protégée en prison,
06:25et pas du tout en danger.
06:26Les seules situations que j'évoque dans le livre
06:27et qui ont été problématiques, c'est à l'extérieur.
06:30Alors je n'ai pas que des situations problématiques,
06:32j'ai eu des très belles histoires avec des détenus extérieurs
06:33que j'ai pu rencontrer qui ont été vraiment prévenants
06:36et qui ont d'ailleurs un jour changé ma roue,
06:38mais j'ai eu quand même des actes d'intimidation
06:41et de violence parce qu'ils étaient venus notamment à Grenoble,
06:45je dirigeais Grenoble,
06:46pour tirer la Kalachnikov sur nos véhicules de direction,
06:48parce qu'on avait fait une fouille le matin,
06:50qu'on avait trouvé pas mal de stupéfiants,
06:52et effectivement face à là,
06:53on est vraiment dans le cas du narcotrafic,
06:55des réseaux criminels,
06:56qui avaient voulu, je pense,
06:58nous donner un sérieux avertissement
06:59pour nous dire, n'essayez pas dans cette voie.
07:02Et j'ai eu aussi un cas que je raconte,
07:04qui est quand même marquant,
07:05un gradé qui faisait trop de fouilles en cellules
07:06et qui avait reçu une grenade à domicile
07:09alors qu'il était chez lui avec sa femme et son enfant.
07:11Donc oui, l'extérieur peut être dangereux,
07:13le danger vient pas de l'intérieur.
07:14Restez quelques secondes encore avec nous,
07:16c'est encore trop court.
07:18Il n'y a pas de téléphone dans votre prison.
07:21Ah si, si, mais on n'est pas d'accord.
07:23Alors téléphone fixe ou portable ?
07:25Ah non, mais je parle des détenus.
07:26Est-ce qu'il y a des portables dans les cellules ?
07:29Mais il y a des portables dans toutes les prisons.
07:31Malheureusement, les portables rentrent en cellule.
07:33Oui, mais ils rentrent, ils rentrent.
07:34C'est pas bien qu'ils rentrent.
07:35C'est interdit.
07:36Absolument.
07:37Mais si l'interdit suffisait...
07:39Vous n'arrivez pas à juguler cela.
07:41Bon, il est 17h43, on va recevoir Christine Kelly
07:44parce qu'on a dit que nous parlerions de Noël
07:46tous les jours jusqu'au 23 décembre
07:48avec un invité de la maison, de la grille,
07:52comme vous avez dit.
07:53Donc je vous remercie, c'est encore trop court,
07:55Madame Moussaïev.
07:55La prison comme horizon.
07:58Je trouve que c'est un livre formidable.
07:59Vous voyez, je l'ai évidemment lu attentivement
08:05et vraiment, je trouve que c'est un livre vraiment à lire
08:09et pourquoi pas à offrir en cette période de Noël.
08:12Donnez-le moi, je vais l'offrir moi.
08:14Ça m'évite d'acheter un cadeau.
08:15D'abord parce que la prison fascine.
08:17Vous repartez en Guadeloupe, je crois, ces prochaines minutes.
08:19Oui, demain.
08:20Vous repartez demain.
08:21Même mon établissement a besoin de moi aussi.
08:23C'est combien d'heures de vol ?
08:24C'est huit heures de vol.
08:26Huit heures de vol et cinq heures de vol.
08:27Merci pour ta question, Olivier.
08:29Je vais passer pour ta question.
08:30Ça m'intéresse.
08:31Merci pour ta question.
08:33Et vous allez passer Noël, évidemment, en Guadeloupe.
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