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Anne Fulda reçoit Antoine Rault pour son livre «L’angle mort du destin» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'heure des livres, Antoine Rau.
00:03On est ravis de vous recevoir.
00:04Vous êtes romancier, vous êtes dramaturge, vous êtes scénariste.
00:08Vous avez déjà écrit plusieurs livres.
00:10Vous avez reçu le Grand Prix de l'Académie française en 2006 pour le Caïman,
00:15le Prix Maurice Genevoix en 2017 pour la Danse des vivants.
00:18Et là, vous venez de publier L'angle mort du destin.
00:20Très beau titre pour un très beau livre qui est paru chez Fayard.
00:24Alors, c'est un roman à plusieurs voix, comme on dit un roman choral en général.
00:30qui nous plonge finalement au cœur de la guerre d'Ukraine,
00:35à quelques temps de l'invasion par la Russie de l'Ukraine, le 24 février 2022.
00:42Et vous avez choisi de vivre cette guerre, ou pas d'ailleurs,
00:47ce que vous expliquerez après, à travers le destin de trois personnages principaux
00:51que vous allez peut-être nous présenter.
00:54Et on va entre Kiev et Moscou parce que vous avez pris les deux parties.
00:58Et surtout, vous avez eu ce parti pris presque enfantin,
01:01comme les enfants disent de temps en temps, et si.
01:04Et là, vous avez pris le parti pris de voir, d'examiner les effets de la guerre
01:09ou de la non-guerre sur les vies et finalement les tempéraments des uns et des autres.
01:14Oui, alors c'est vrai que cette construction d'abord du livre, elle s'est imposée à moi en fait.
01:21Le sujet m'a choisi.
01:22Parce que j'étais en train de travailler à écrire un autre roman
01:24quand la grande invasion de l'Ukraine a commencé le 24 février 2022.
01:29Et pour des raisons, peut-être je vais évoquer après, mais qui sont assez personnelles,
01:32ça m'a énormément marqué.
01:34Et donc je me suis mis à faire des rêves récurrents
01:37dans lesquels il y avait des personnages imaginaires, certains réels,
01:40qui étaient dans deux situations différentes.
01:42C'est la réalité, cette guerre, et ce qui n'est pas arrivé malheureusement,
01:47c'est-à-dire le moment où la guerre n'aurait pas éclaté.
01:50Et donc j'imagine le destin de mes personnages à partir, dans ces deux situations,
01:54au fond, leur histoire est la même dans un prologue de ce roman,
01:59c'est-à-dire avant le 24 février.
02:01Et puis tout d'un coup, il y a ce coup de tonnerre, ou pas.
02:04Et qu'est-ce qui se passe ?
02:05Qu'est-ce qui se passe si la guerre éclate ?
02:06Et qu'est-ce qui se passe si elle n'éclate pas ?
02:08Est-ce que leur destin est totalement bouleversé ?
02:11Bien entendu, en grande partie il l'est.
02:13Mais dans quelle mesure aussi, en dépit des circonstances ?
02:17Au fond, est-ce qu'on est le jouet du hasard et des circonstances ?
02:21Ou est-ce qu'il y a en nous quelque chose qui fait que
02:23quelle que soit la situation, on va devenir qui on est profondément ?
02:26Moi cette réflexion sur le destin m'anime, m'intéresse beaucoup.
02:29Oui, parce qu'il y a souvent aussi, on dit que
02:31alors parfois des événements de l'ordre d'une guerre,
02:35comme ça des coups de tonnerre dans une vie
02:37peuvent soit renforcer un caractère qu'on a,
02:41quelqu'un de courageux peut l'être encore plus,
02:43mais il peut aussi révéler des traits qui sont enfouis en soi,
02:45dans sa personnalité en fait.
02:47D'ailleurs, on va parler des personnages,
02:49mais effectivement j'ai choisi ces trois personnages-là pour cette raison-là.
02:52Parce qu'au fond, j'ai voulu des personnages qui étaient confrontés
02:55vraiment à ces choix dans les deux situations.
02:58Et qui se révèlent effectivement à eux-mêmes,
03:01on ne sait pas, avant l'heure,
03:03quand on est confronté à une maladie,
03:05on ne sait pas si on va avoir...
03:06Face à la mort, on ne sait pas.
03:08Donc là, la guerre, c'est quelque chose de terrible,
03:09qui vous confronte à ça, à la fin aussi,
03:12non seulement au bouleversement,
03:13mais à la possibilité de mourir.
03:14Et donc on ne sait pas si on va être demain,
03:16moi je ne sais pas si je serais lâche
03:18ou si je serais courageux.
03:20Je ne sais pas comment je penserais non plus.
03:22Ça c'est aussi une vraie question.
03:24Comment est-ce qu'on pense
03:26quand on vit dans une société comme la Russie,
03:29qui est une dictature ?
03:31C'est-à-dire qu'il y a une propagande quotidienne
03:33et qu'on vous donne la représentation de nous en Europe
03:36qui est inversée de celle que nous on peut avoir
03:39par les reportages de ce qui se passe maintenant.
03:42Complètement, tout est inversé.
03:43Tout est inversé.
03:44Mais je ne sais pas comment je penserais, moi,
03:47si j'étais dans une autre société.
03:48Oui, alors c'est ça qui est intéressant.
03:50Donc on voit à travers ces trois personnages
03:52que vous évoquiez, les réactions différentes.
03:55Alors il y en a un qui est un architecte.
03:58Romane, un jeune homme.
03:59Un jeune romane.
04:01Il y en a une qui est attirée par le monde de la mode.
04:04Oui, qui rêve d'être célèbre comme beaucoup de jeunes.
04:06Une influenceuse importante.
04:07Elle rêve d'avoir des millions de followers.
04:09Un objectif assez commun chez les jeunes.
04:13Et une troisième qui, elle, a eu un objectif,
04:17une préoccupation qu'il a à Tarot.
04:19C'est d'emmener son fils.
04:21Alors en fait, elle a un enfant autiste.
04:23Elle a un enfant autiste, voilà.
04:24Et donc, elle a deux enfants.
04:25Et en fait, elle est aussi, c'est quelqu'un qui voudrait vivre.
04:28Alors il faut préciser, donc Romane, c'est un architecte
04:30qui vit en Ukraine.
04:31En Ukraine.
04:32Voilà.
04:32Il rencontre Anastasia, cette influenceuse,
04:35qui vient faire des études en Ukraine
04:37parce qu'elle est russo-ukrainienne, comme beaucoup.
04:39Il y a beaucoup de croisements.
04:40Et donc, elle a un père qui est d'origine ukrainienne,
04:42mais qui vit en Russie.
04:44Et elle a une mère qui est russe.
04:45Et donc, elle est venue en Ukraine.
04:46Et puis, Yulia, elle, c'est une femme de 40 ans
04:48qui habite à Moscou, qui est poscovite.
04:51Voilà.
04:51Et elle, elle rêverait d'une Russie démocratique
04:53qui n'existe pas.
04:54Et elle est confrontée, elle se débat avec
04:56ses deux enfants qu'elle doit élever toute seule.
04:59Et voilà.
04:59Et ces trois personnages-là
05:00vont vivre des choix complètement différents
05:03en fonction de si la guerre éclate
05:06ou si elle n'éclate pas.
05:07Donc, Romane, lui, si la guerre éclate,
05:10il va hésiter.
05:12Puis, finalement, il va choisir de s'engager.
05:13Et ça le mène, évidemment,
05:15jusque sur les champs de bataille
05:16et dans les tranchées.
05:17S'il n'éclate pas, il fait son métier d'architecte.
05:20Mais alors, à ce moment-là,
05:21il est confronté à ce qui se passe,
05:22qui existe aussi,
05:23qui existe encore en Ukraine,
05:24même s'ils font des efforts.
05:26Là, maintenant, ils sont confrontés à la guerre.
05:27Mais c'est-à-dire que c'est un pays
05:28qui est sorti du communisme
05:29avec la corruption qu'on connaît.
05:32Et donc, dans les marchés de la construction
05:34et de l'immobilier,
05:34évidemment, il est confronté à ça.
05:36Et donc, là aussi,
05:37il est confronté à un choix.
05:38Est-ce que je fais carrière ?
05:39Mais j'assume cette corruption ou pas ?
05:42Chacun de mes personnages
05:43se retrouve dans cette situation.
05:44Oui, et c'est ça qui est intéressant.
05:46C'est que ce n'est pas un monde
05:48en noir et blanc que vous décrivez.
05:49C'est qu'en fait, à chaque fois,
05:51vous décrivez la réalité de l'intérieur.
05:54C'est-à-dire, ce que vous disiez,
05:56la propagande à un moment,
05:58la corruption de l'autre côté.
06:01Donc, c'est rarement, finalement,
06:03ces destins, ces vies,
06:05se retrouvent, certes,
06:06face à un événement dramatique,
06:08face à une invasion,
06:10mais ce n'est pas si simple que ça.
06:12Non, alors, c'est-à-dire qu'en fait...
06:13Ce n'est jamais très simple.
06:15Là, je crois que la vie des êtres,
06:17de nous tous,
06:18elle n'est pas simple.
06:19En fait, on est confronté
06:19à nos contradictions.
06:21On est pris dans un mouvement collectif.
06:24Voilà, on subit les grands événements.
06:26Moi, j'ai toujours été très intéressé
06:27de comprendre
06:28quel était l'impact de la grande histoire
06:30sur nos petites histoires individuelles.
06:33Et c'est en racontant, je pense,
06:35ces histoires d'anonymes, finalement,
06:36de personnages imaginaires,
06:38que j'espère rendre plus humains
06:40et donc plus sensibles
06:42ce qui se passe là-bas,
06:43qui est quand même, pour moi,
06:45une considérable tragédie
06:46qui frappe l'Europe à nouveau.
06:48C'est la guerre à nouveau en Europe.
06:49Mais nous, au bout de trois ans et demi,
06:51évidemment, avec les médias,
06:53on parle tous les jours,
06:54mais il y a une lassitude de la guerre.
06:55Oui, ce que je l'ai dit.
06:56Des guerres, d'ailleurs.
06:57Presque une relative indifférence, finalement.
06:59Presque une relative indifférence,
07:00ça devient lointain,
07:01ça devient des chiffres abstraits.
07:02Et en fait, je pense que par le roman,
07:04si on s'attache aux personnages,
07:06si on les aime,
07:07si on est en empathie avec eux,
07:08tout d'un coup, on se rapproche,
07:10on comprend mieux.
07:11Et on comprend mieux
07:11ce que les gens vivent au quotidien.
07:14Il faut que je dise quand même un petit mot.
07:15C'est vrai que ce roman
07:16n'est pas venu pour moi nulle part.
07:18Mon épouse est russe.
07:20Sa famille, sa mère, son frère,
07:22sa fille,
07:23vivent là-bas,
07:24sous la propagande,
07:25et ont un regard totalement...
07:26C'est très difficile de communiquer.
07:28Elles sont dans une situation assez tragique.
07:30On a accueilli des réfugiés ukrainiennes
07:31au début de la guerre
07:32qui ont vécu chez nous.
07:33Une grand-mère, une mère,
07:35une fille de 13 ans,
07:36qui quittaient tout.
07:37Le père restait pour faire la guerre.
07:39C'est ces destins-là
07:40qui sont...
07:41Et si on...
07:42Quand on est frappé par ces destins-là,
07:44on comprend ce que ça veut dire
07:45de le vivre.
07:45Et si demain, nous nous vivions ça,
07:47comment est-ce qu'on réagirait ?
07:48Et j'imagine la menace qui pèse
07:50lorsque l'on prend le risque
07:52de recevoir des Ukrainiens.
07:53Peut-être la difficulté
07:54à retourner en Russie, j'imagine.
07:55Le fait de publier ce livre, par exemple,
07:57ça rend très dangereux d'y retourner.
08:00On y retournait l'année dernière,
08:02mais c'est vrai que maintenant,
08:03j'ai publié d'ailleurs ce livre
08:05parce que mon épouse était favorable
08:07à ce qu'elle pensait
08:07que c'était une bonne chose de le faire,
08:09mais en conscience de ce que ça représente.
08:11Des risques que ça...
08:12Mais à un moment donné,
08:14effectivement, si on peut sensibiliser
08:17par le roman, en fait,
08:19par la fiction,
08:20à ce conflit qui paraît abstrait à beaucoup,
08:22c'est déjà quelque chose.
08:24Alors, avec une question en filigrane,
08:25ce que vous disiez,
08:26c'est la grande histoire
08:28qui percute les petites histoires,
08:30les destins individuels,
08:31mais finalement,
08:32est-ce qu'on peut être maître de son destin ?
08:34C'est pas une grande question.
08:36Grande question.
08:36Je pense qu'à la fois,
08:40effectivement,
08:41on subit les événements.
08:42Enfin, quand on doit quitter son pays
08:43du jour au lendemain
08:44parce qu'on est sous les bombes
08:45et qu'on se retrouve avec deux valises
08:46en France sans parler un mot de français,
08:49évidemment qu'on a subi quelque chose.
08:51Après,
08:52et c'est une réflexion justement
08:54qui est au cœur du livre,
08:55c'est qu'au fond,
08:56quelle que soit la situation,
08:57je pense que chaque être
08:59est constitué d'une colonne vertébrale,
09:01est constitué d'un caractère.
09:03On a des limites
09:04au-delà desquelles on ne va pas.
09:06Et donc, au fond,
09:07les grands événements
09:08vous révèlent à vous-même.
09:09Et c'est ce qui se passe
09:10pour mes personnages,
09:11en tout cas dans ce roman.
09:12Mais je crois que si nous,
09:13on est confrontés,
09:13à chaque fois qu'on est confrontés
09:14à une grande épreuve,
09:15personnelle ou collective,
09:17en fait,
09:18on se découvre soi-même.
09:20Les grands événements
09:20nous révèlent
09:21dans notre grandeur
09:22ou nos petites.
09:23Dans notre petitesse, absolument.
09:24C'est ça.
09:24On est des humains,
09:25on est fragiles,
09:27on est imparfaits.
09:29Je vous conseille vraiment ce livre
09:30parce qu'en plus,
09:31c'est vrai que ce titre est magnifique,
09:33L'angle mort du destin,
09:34mais pas que le titre,
09:35le livre aussi.
09:36Merci Antoine Rose,
09:37c'est un livre qui est publié
09:37chez Fayard.
09:38Merci beaucoup.
09:39Merci.
09:39Merci.
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