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Marion Carré : L'Heure des Livres (Émission du 14/11/2025)
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il y a 4 heures
#hdlivres
Anne Fulda reçoit Marion Carré pour son livre «Le paradoxe du tapis roulant» dans #HDLivres
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00:00
Bienvenue à l'heure des livres Marion Carré.
00:03
Alors on vous a déjà reçu ici pour un précédent livre
00:05
qui traitait justement d'une chercheuse
00:09
qui avait été une pionnière concernant l'intelligence artificielle.
00:12
Et vous publiez aujourd'hui Le paradoxe du tapis roulant,
00:16
un livre qui est publié chez la TES, un essai nécessaire
00:19
et qui vient de quelqu'un qui a une vraie connaissance de ce secteur
00:23
puisque vous êtes entrepreneuse, experte en intelligence artificielle,
00:27
également enseignante à Sciences Po.
00:28
Alors déjà, avant tout, expliquez-nous pourquoi finalement
00:32
il y a cette constance, cet intérêt que vous avez
00:35
pour ce sujet de l'intelligence artificielle.
00:38
Comment ça vous est venu ?
00:40
Alors je suis tombée dans le bain de l'intelligence artificielle
00:43
il y a près de neuf ans maintenant,
00:45
à une époque où ce n'était pas encore sur toutes les langues comme aujourd'hui.
00:50
Mais il y a neuf ans, j'ai vu l'opportunité de mobiliser cette technologie
00:54
comme un levier au service de la curiosité.
00:58
pour pouvoir, avec l'entreprise que j'ai cofondée qui s'appelle Askmona,
01:02
permettre d'enrichir la découverte dans les musées.
01:05
Donc ça a commencé comme ça, avec une approche, je dirais,
01:08
les mains dans le cambouis de l'intelligence artificielle.
01:11
Et j'ai eu envie au fur et à mesure de prendre du recul
01:13
et de réfléchir à tous les enjeux que soulève cette technologie.
01:17
Alors vous expliquez cette expérience dans votre livre et vous le dites.
01:22
Bon, il ne se passe pas un jour sans que je dialogue avec une IA, une intelligence artificielle.
01:27
Est-ce que vous diriez que c'est créer une forme d'addiction envers cette technologie ?
01:33
Alors, c'est vrai que me concernant, comme j'ai toujours baigné,
01:39
toujours utilisé des intelligences artificielles dans mon quotidien professionnel,
01:43
je me suis assez peu posée de questions pendant longtemps.
01:46
Et ce qui m'a frappée, c'est quand je me suis aperçue que des personnes autour de moi
01:50
se servaient aussi beaucoup de l'intelligence artificielle.
01:53
Dans l'ouvrage, je prends l'exemple de mon père, qui n'est pas du tout le geek typique,
01:56
mais qui s'est mis à s'en servir énormément.
01:59
Et je me suis interrogée sur nos rapports à cette machine
02:03
qui est maintenant très présente dans nos quotidiens.
02:06
Et c'est vrai qu'au moment où je suis passée à la table d'écriture,
02:10
je me suis vraiment rendue compte aussi de la place que prenait l'intelligence artificielle
02:14
parce que ça a été dur d'amorcer le processus d'écriture en me disant
02:18
j'écris tous les jours en utilisant des IA et là je vais écrire sans IA.
02:22
Et au début, la panne était un peu complexe à surmonter.
02:26
Donc vous nous l'assurez, ce livre a été écrit sans aucune IA ?
02:29
Écrit sans aucune IA, mais avec une forme de mise en abîme du sujet tout au long du livre
02:34
sur mon rapport à l'intelligence artificielle.
02:36
Alors justement, vous venez de mentionner votre père
02:38
et vous écrivez effectivement dans le livre que ce n'est pas du tout un geek,
02:41
qu'il s'y est mis assez facilement
02:43
et que surtout elle s'est finalement immiscée avec beaucoup de rapidité dans son quotidien,
02:50
comme si elle avait toujours été là.
02:52
Est-ce que c'est ça le danger ?
02:55
C'est justement que cette IA s'immisce
02:58
et qu'on n'arrive plus à finalement penser, faire certaines tâches, réfléchir sans elle.
03:07
Alors l'intelligence artificielle, c'est vrai qu'elle est présente dans le quotidien de beaucoup de personnes.
03:11
On est sur près d'un Français sur deux, plus de 80% des 18-24 ans.
03:16
Donc c'est un outil qui est maintenant très répandu, qui n'est plus du tout une niche.
03:19
Et effectivement, ce que j'ai observé, c'est cet effet tapis roulant
03:22
où au départ, on monte sur le tapis roulant d'intelligence artificielle
03:27
avec un enthousiasme face à cette sensation d'être plus rapide, plus créative, d'avoir plein d'idées.
03:33
Et petit à petit, il y a ce risque de s'appuyer de plus en plus,
03:37
de se laisser porter par l'intelligence artificielle
03:40
en finissant par se rendre compte que cette technologie,
03:44
quand on délègue trop, quand on s'appuie trop dessus,
03:47
nous emmène tous au même endroit.
03:48
Donc c'est le constat que j'ai fait.
03:49
À mon sens, ce n'est pas une fatalité.
03:51
Je pense qu'on est à la croisée des chemins
03:52
entre cet usage tapis roulant d'intelligence artificielle
03:56
et un usage tapis de course dont je parle un peu plus loin dans le livre.
03:59
Et qu'il y a besoin aujourd'hui d'avoir une prise de conscience collective
04:02
sur ce qu'on fait de ces outils,
04:05
aussi bien au niveau individuel qu'en tant que société,
04:07
sur la façon dont on organise notre travail et nos quotidiens autour de ça.
04:11
Oui, parce que l'intelligence artificielle,
04:13
c'est immédiatement dans beaucoup de domaines.
04:15
Certains lui parlent presque comme à une amie,
04:17
comme à une psychologue,
04:19
comme à une sorte d'expert professionnel dans différents domaines.
04:25
Et alors ce qui est intéressant, c'est qu'elle s'impose un peu partout,
04:27
ce que vous constatez, dans tous les milieux sociaux, à tous les âges.
04:32
Et ce que j'aime bien, vous écrivez un moment,
04:35
le plus inquiétant, c'est qu'on en vient à lui confier,
04:37
ce qui touche à l'essence même de nos réflexions et de notre créativité,
04:40
la charge mentale de réfléchir.
04:42
Donc c'est sur ce point particulier que vous entendez mettre en garde
04:46
et dire qu'il y a moyen, d'ailleurs vous allez nous dire comment,
04:50
d'arrêter ce train qui permettrait de déléguer l'essentiel
04:54
de ce qu'il fait un être humain finalement.
04:56
Tout à fait, dans ce paradoxe du tapis roulant,
04:59
ce qui nous emmène sur cette voie du tapis roulant,
05:01
c'est une délégation cognitive croissante
05:04
où petit à petit se développe un phénomène
05:06
que des chercheurs appellent la paresse algorithmique.
05:09
C'est-à-dire qu'en fait, au fur et à mesure,
05:10
on se rend compte, on confie une tâche,
05:12
puis deux, on se rend compte que l'intelligence artificielle s'en sort bien,
05:15
alors on lui donne des problèmes de plus en plus complexes.
05:18
Et le risque, c'est que ça nous emmène à ce que certains scientifiques
05:22
appellent le système zéro, en complément du système 1 et 2
05:26
de la pensée mis en évidence par Daniel Kahneman,
05:29
où il y a système 1, pensée rapide, système 2, pensée plus approfondie.
05:33
Et là, le système zéro, ce serait prendre l'habitude de,
05:36
pour toutes les tâches de réflexion en fait un peu complexes,
05:38
de s'appuyer sur l'intelligence artificielle.
05:40
Alors, il y a des moments où ça fait sens,
05:42
quand on doit manipuler beaucoup de données, par exemple,
05:45
on est content de pouvoir s'appuyer sur cette technologie.
05:46
Mais si c'est pour réfléchir au quotidien sur des choses qu'on faisait avant par nous-mêmes,
05:52
alors ça pose problème parce que l'enjeu, c'est de continuer à exercer notre esprit critique,
05:57
à réfléchir et ne pas prendre l'habitude de déléguer la réflexion à la machine.
06:02
Alors, que peut-on encore maîtriser et comment en fait ?
06:05
Alors, effectivement, moi je pense que ce paradoxe du tapis roulant n'est pas une fatalité
06:10
et à mon sens, il faut renverser l'usage qu'on a de l'intelligence artificielle
06:15
pour transformer le tapis roulant en tapis de course.
06:18
C'est-à-dire que cette fois, on ne se laisse pas porter.
06:21
On court dessus pour venir muscler notre réflexion et nous renforcer.
06:27
Et je pense qu'il y a plusieurs, il y a tout un ensemble de techniques et d'idées
06:31
que je développe dans le livre.
06:33
Mais ce qui est assez important parmi ces axes-là,
06:35
c'est notamment le fait de garder ce que j'appelle le premier et le dernier kilomètre de la réflexion.
06:40
C'est-à-dire que l'intelligence artificielle ne nous demande pas de tout déléguer.
06:45
Les moments où on doit agir se déplacent, c'est-à-dire plus en amont
06:48
pour donner un maximum d'idées et d'orientation à la machine,
06:54
mais aussi plus en aval pour réfléchir, challenger, rediriger ce qu'elle a proposé
07:00
et pleinement se l'approprier afin de sortir de cette mauvaise habitude
07:04
où beaucoup de personnes se contentent de copier-coller ce que propose l'IA.
07:08
Et c'est ça qu'il faut éviter parce qu'il faut continuer à réfléchir par nous-mêmes.
07:12
Alors c'est une pente dangereuse effectivement que vous décrivez,
07:14
mais qui peut justement faire en sorte que ce tapis de course devienne un...
07:18
Ce tapis roulant, pardon, devienne un tapis de course comme vous le dites.
07:22
Est-ce qu'il faut réglementer ?
07:23
Est-ce que ça doit venir de ceux qui mettent sur le marché ces IA de plus en plus perfectionnés
07:29
ou des pouvoirs publics parce que la pente naturelle de l'homme
07:33
est peut-être une certaine paresse, c'est une forme de facilité ?
07:36
Donc comment arriver justement à imposer cette évolution ?
07:40
Alors il y a plein de portes d'entrée et de, je dirais, moments de la vie où ça peut agir.
07:45
Il y a déjà un aspect sur l'éducation.
07:47
En se disant, alors on a eu cet enjeu avec d'autres technologies,
07:50
par exemple on apprend à faire des tables de multiplication
07:53
avant de se servir d'une calculatrice,
07:55
alors qu'on pourrait direct se dire mais la calculatrice peut le faire,
07:58
pourquoi ne pas apprendre ça directement ?
08:00
Et je pense qu'il va y avoir un enjeu dans la formation à l'intelligence artificielle
08:04
pour avoir une progressivité où on n'apprend pas tout de suite à s'en servir,
08:09
on apprend à s'en servir parce que c'est clé,
08:11
mais avant on apprend les fondamentaux
08:12
qui nous permettent de ne pas dépendre de la machine
08:15
parce qu'on sait faire par nous-mêmes
08:16
et surtout parce que comme on sait faire par nous-mêmes,
08:19
on peut critiquer ce qu'elle fait,
08:20
on peut prendre du recul.
08:23
Donc ça c'est un premier axe qui est celui de l'éducation.
08:25
Il y a aussi celui de la façon dont on organise notre travail
08:29
puisqu'on a ce réflexe où comme l'IA nous permet d'aller plus vite,
08:34
on calque notre rythme de travail sur ce que permet l'IA.
08:37
On se dit voilà maintenant ça prend quelques minutes,
08:39
donc je ne veux pas prendre plus de temps pour relire ce qu'a fait l'IA
08:42
parce que j'ai l'impression de perdre du temps,
08:44
or cette prise de temps est nécessaire.
08:47
Donc ça c'est quelque chose à prendre en compte dans les organisations.
08:49
Et après il y a effectivement au niveau de la façon
08:51
où on conçoit des intelligences artificielles,
08:54
plein de choses qui peuvent être faites pour les enrichir,
08:57
que ce soit sur la diversité des données
08:59
à partir desquelles elles vont être entraînées,
09:01
mais aussi sur le fait de nous inciter à continuer à challenger,
09:05
à se poser des questions face aux résultats qu'elles nous proposent.
09:08
Très bien.
09:09
En tout cas c'est un sujet qui est passionnant,
09:11
que vous abordez de façon très fouillée et intéressante.
09:15
Votre livre s'appelle Le paradoxe du tapis roulant,
09:17
c'est paru chez Lattès.
09:19
Merci beaucoup Marion Carré.
09:20
Un grand merci.
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