- il y a 22 heures
Le 13 novembre 2015, des terroristes font irruption dans la salle parisienne du Bataclan en plein concert, tirent sur la foule et prennent des spectateurs en otage. Cette attaque sans précédent, qui coûtera la vie à 90 personnes, donnera lieu à l'une des interventions policières les plus marquantes du XXIe siècle, menée par la Brigade de Recherche et d'Intervention de Paris. Dix ans plus tard, des membres de cette unité d'élite se souviennent de cette nuit d'horreur.
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00:00Ce soir-là, j'étais chez moi, à Vachy, dans mon canapé.
00:30Première action en place, bien amorcée par l'équipe de France.
00:34Dommage que le centre soit contrôlé.
00:35J'avais mis le match de foot en fond.
00:38On avait eu une semaine un petit peu difficile,
00:39puisqu'on avait eu une affaire d'enlèvement assez compliquée,
00:42avec coup de feu, remise de rançon, ça c'était le mardi.
00:46Donc on se reposait un petit peu, ça avait été effectivement éprouvant.
00:53En Brésil, ils doivent se dire, mais qu'est-ce que c'est que cette équipe
00:55qui attend les Français, ils abandonnent la possession du ballon à l'équipe de France.
01:00Très très vite, j'ai remarqué que quelque chose n'allait pas.
01:06Et en fait, on a une équipe de spécialistes explosifs à la BRI.
01:10Et certains d'entre eux étaient en poste à Saint-Denis pour sécuriser le match.
01:15Et ils nous font un retour d'information, et très vite.
01:18On comprend qu'il ne s'agit pas d'un accident,
01:20mais d'une attaque parce qu'ils nous donnent des types d'explosifs.
01:24Nous, on prend notre service à 19h, on prend les consignes à la préfecture.
01:43Et à l'issue, vers 22h30, on sort pour faire des rondes anticriminalité,
01:48comme on fait toutes les nuits.
01:51On entend sur les ondes les premières alertes qui tombent sur le Stade de France.
01:56J'ai deux décédés, six, cinq et un, six d'urgence absolue, six d'urgence relative.
02:02Reçu par les...
02:03Et là, il y a notre état-major qui nous commande pour nous diriger sur place.
02:11Et arrivée porte de Clignancourt, entre Saint-Ouen et Clignancourt,
02:15on commençait à avoir quelques petites informations au niveau des ondes radio-police,
02:21comme quoi on commençait à avoir des détonations, d'armes à feu sur Paris.
02:25Ils annonçaient donc les terrasses, c'était le début des terrasses sur le 11ème.
02:39Et nous, on était commandés pour Saint-Denis.
02:41Et là, on se regarde et puis on sentait vraiment que Paris était important.
02:45Donc on échange.
02:47Du coup, il me dit, on prend Paris.
02:49Et là, de Clignancourt, je descends Barbès, direction le 11ème.
02:53On se dirigeait vers la terrasse.
02:57Pour une urgence, ne quittez pas, un opérateur va vous répondre.
03:01L'urgence pompier ?
03:03Le Bataclan, le Président.
03:04D'accord, ok, vous êtes sortis ?
03:06Non, tous dedans.
03:07Vous êtes tous dedans ? Vous êtes enfermés avec combien de personnes ?
03:10Oui, deux personnes qui sont en détails.
03:11Ils sont toujours dedans, eux ?
03:13Eh, ça tire dans le Bataclan, là.
03:18Ouais ?
03:19Regarde, on entend les coups de feu.
03:23On arrive au bas de magenta, quasiment à la place de la République.
03:33Et sur les ondes, passe l'annonce pour le Bataclan.
03:37Et là, on est à 200 mètres.
03:38On traverse la place de la République et on y est.
03:40En moins de 7-8 minutes, on était là.
03:50On se rassemble, on prend du matériel, tout ce qu'on peut.
03:53On a pris du matériel de protection balistique et du matériel offensif, des fusils d'assaut,
03:58de la grenade offensive, des boucliers balistiques.
04:01Tout ce qu'on pourrait avoir à faire usage dans ce genre de contexte.
04:11On prend la route assez vite vers le Bataclan.
04:13On a décidé d'aller au Bataclan parce qu'on était à proximité.
04:20On coupe la place de la République en deux.
04:22On prend le boulevard Voltaire et on arrive directement devant le Bataclan.
04:26Je roulais tellement fort que je n'ai pas visualisé l'endroit exact du Bataclan.
04:32Et c'est le commissaire qui m'a dit « c'est là, c'est là, c'est là ».
04:35Donc j'ai écrasé tout ce que j'ai pu écraser.
04:37Et en fait, on s'est arrêté en perpendiculaire d'un bus loge du groupe là, de The Eagles,
04:44devant un peu du Bataclan.
04:50Alloignez-vous, alloignez-vous, madame.
04:55Alloignez-vous, madame, alloignez-vous.
04:57Et quand on arrive, il y a déjà des corps de partout.
05:00Alloignez-vous.
05:01On a trois pauvres personnes qui sont par terre, qui sont décédées.
05:08On sent bien que ça ne va pas.
05:12Le commissaire, lui, dans son angle de vue, a un moment donné, les portes s'ouvrent.
05:16Et il voit le terreau avec une calache.
05:19Il m'annonce « calache, calache ».
05:21À l'époque, le protocole nous a permis de rentrer.
05:24On nous a demandé de figer la situation et de faire appel aux ABRI, aux RAID.
05:29Avec le commissaire, on se regarde.
05:32On ne se parle pas parce qu'il n'y a pas besoin.
05:34Et on rentre.
05:37On voit évidemment une scène indescripible.
05:41Quand on passe les portes, il y a des corps.
05:44Les corps sont enchevêtrés les uns sur les autres.
05:47Sur trois, trois, deux, trois, quatre niveaux.
05:49La salle et j'enchaîne le corps.
05:52Et on voit sur la scène le premier terroriste en train de lever sa calache en direction d'une victime qui était là.
05:58Ça commence comme une énorme rafale, en fait.
06:21C'est vraiment...
06:21C'était assez violent comme son.
06:30C'est vraiment très, très puissant.
06:38Quand on voit la réaction du groupe qui court vers le fond,
06:42là, on sait qu'il y a un problème.
06:43On sait qu'il y en a un vrai.
06:44Je cherche la sortie.
06:46Je cherche d'aller derrière là où les musiciens sont sortis.
06:49C'était mon objectif.
06:50Au moment où je m'apprête à courir,
06:52je n'entendais pas.
06:57Je n'entendais pas qu'ils sont même d'ailleurs plutôt calmes.
07:06Là, je suis nez à nez, en fait, finalement, avec un terroriste.
07:11Il ressemblait vraiment à n'importe quelle personne de banlieue,
07:15avec un tracksuit, des baskets, et voilà.
07:23Il est sur scène, et moi, je suis sur le côté de la scène,
07:25et lui, il me regarde et il me dit, lève-toi, lève-toi.
07:29Il m'emmène, oui, il m'emmène au milieu de la scène.
07:32Et à ce moment-là, en fait, s'en suit une conversation rocambolesque
07:35avec les deux terroristes du haut.
07:37Il y en a deux, en fait, qui sont surpris de me voir
07:41et qui me disent, couche-toi, couche-toi,
07:43qu'est-ce que tu fous là, qu'est-ce que tu fous là ?
07:46Et l'autre, le terroriste qui était avec moi,
07:50il disait, non, c'est bon, il est avec nous, il est avec nous.
07:54C'est une scène lunaire où deux terroristes s'engueulent
07:57sur quoi faire d'un seul otage.
07:59Vous pourrez vous emprendre à votre président François Hollande.
08:07C'est lui qui vous a emmené à ce massacre d'aujourd'hui.
08:11Et sachez que c'est que le début.
08:13Je ne m'attendais pas à ce que ce soit ce profil-là de personne.
08:17Qu'il soit désorganisé à ce point, c'était le plus surprenant.
08:26Pendant le débat entre les deux terroristes,
08:27je vois au fond de la salle deux ombres
08:30qui ont l'air d'être de mon côté.
08:34J'ai tout de suite compris que ces deux ombres,
08:36c'était des ombres positives.
08:39Elles sont là pour m'aider.
08:41Et c'était ma chance.
08:43Je vois ces deux ombres se lever assez rapidement
08:45et je vois une position,
08:49en fait, une position professionnelle
08:52de l'usage d'une arme.
08:54Ça doit être ça.
08:56Je comprends tout de suite.
08:56Je comprends tout de suite
08:57que ces gens-là, ce sont des policiers.
09:07Le commissaire tire quatre fois.
09:10Il donne le tempo.
09:11Et moi, je commence à enquiller
09:17sur sa troisième ou sa quatrième cartouche.
09:19je fais un tir comme au stand,
09:22un tir debout, droit et zéroïe.
09:27Je vois d'ailleurs quelques petits flashs.
09:33Et à ce moment-là, je comprends tout de suite
09:35qu'il tire sur le terroriste qui est à gauche de moi.
09:38que celui-ci dévisse.
09:42Je vois que son arme, en fait, se tourne
09:44et que celui-ci s'apprête à tomber aussi.
09:47Je vois ça et j'en profite, en fait, à ce moment-là.
09:50Je cours vers la sortie que je n'avais pas vue
09:53depuis le début,
09:54qui, en fait, était là depuis tout ce temps.
09:55Le terroriste, on le voit, donc, il est sur le dos.
10:09Et moi, je vois qu'il relève la tête.
10:12Et c'est à ce moment-là que je fais un tir-tête.
10:14Et là, ça explose.
10:21On est en train de baler à votre tête.
10:23On est en train de baler à votre tête.
10:24On est en train de baler.
10:26Au moment de l'explosion,
10:28moi, je vois comme des espèces de paillettes
10:31à la fin des spectacles qui descendent là.
10:33C'est exactement ce que je vois.
10:34Sur le moment, je pense qu'il a été couvert par une grenade.
10:37Et en fait, assez rapidement quand même,
10:41mais plus tard, on se rend compte
10:43que ce que j'ai pris pour des confettis,
10:44c'était le terreau qui s'est évaporé.
10:49J'aurais pu rester là et friser
10:50et partir dans l'explosion.
10:53Vous voyez ce que je veux dire ?
10:54On se fait rafaler par un autre terroriste
11:05qui était sur les balcons.
11:06Et donc là, on recule, on reçoit, on ressort
11:12et on annonce ce qui se passe sur les ondes
11:18et puis on attend les renforts.
11:20On marche vers le Bataclan.
11:36À une centaine de mètres,
11:37on croise le chef de la Bac Nuit
11:39et son chauffeur.
11:41Il y a un bref échange entre nous.
11:43On leur dit juste ce qui se passe,
11:46ce qu'on a vu,
11:47pour leur donner le maximum d'informations.
11:50Et après, ça veut être joué.
11:52On comprend qu'il y a une prise d'otages massif,
11:54on comprend qu'il y a plusieurs assaillants,
11:56on comprend qu'il y a des armes de guerre
11:57et on comprend qu'il y a des explosifs.
12:00On comprend que c'est très grave
12:02et on continue notre progression.
12:07L'entrée du Bataclan,
12:09elle desserre un vestiaire.
12:11Il y a une espèce de bar et un vestiaire
12:13et on arrive à l'entrée de la salle.
12:23Quelqu'un a allumé les spots de la scène.
12:26Donc on a une lumière crue, très blanche.
12:29Et face à nous, on a à peu près,
12:31c'est dur à estimer,
12:32mais cinq, six cents personnes
12:34qui sont couchées par terre.
12:36Il y a une drôle d'odeur,
12:38de poudre,
12:39et une chaleur qui vient d'un coup.
12:43C'est particulier, très, très particulier.
12:46Drôle de sensation.
12:47Quand je vous en parle là, je l'ai encore.
12:50Je ne saurais pas comment l'expliquer.
12:53Je me dis des fois qu'il n'y a pas de mots
12:55dans la langue française
12:56qui puissent exprimer vraiment
12:58ce que moi j'ai ressenti à ce moment-là.
13:00On comprend qu'il y en a qui sont morts,
13:02on pense que quasiment tout le monde est blessé ou mort,
13:05d'ailleurs, c'est la première impression.
13:08Mais nous, on est douze.
13:10Donc là, ça nous prend quelques secondes,
13:13quelques minutes pour décider de la meilleure stratégie.
13:15Les gens, eux, ils pensent qu'ils sont sauvés
13:18puisqu'on est là.
13:19Et on essaie d'en faire comprendre
13:20par quelques mots, par un geste, par un regard
13:22que non, il ne faut pas bouger,
13:24on va revenir, mais pour l'instant,
13:25nous, on a une mission à faire.
13:27Ça, c'est difficile.
13:28Il y en a qui ne comprennent pas
13:29pourquoi on ne soigne pas leurs proches
13:31et qui ne sont pas contents, vraiment,
13:34qu'ils l'expriment.
13:34Il y en a qui nous attrapent un peu les pantalons
13:36et qui se plaignent du fait qu'on ne les aide pas.
13:38On comprenait bien qu'il fallait qu'on permette
13:50l'évacuation des gens qui étaient blessés.
13:54Mais bon, nous, on a une mission à faire
13:55et si nous, on ne remplit pas notre mission,
13:57de toute façon, tout est figé.
13:58Donc il faut absolument qu'on aille
14:00au contact de ces terroristes pour voir où ils sont
14:02et créer ce périmètre un peu sécurisé.
14:05On se concerte, on décide
14:07de, au plus vite, d'aller prendre le haut,
14:09c'est-à-dire de monter sur le balcon,
14:11côté gauche,
14:14pour essayer de prendre une vision
14:15sur l'ensemble du théâtre.
14:19On entend la chef dire
14:21aux victimes qui pouvaient se lever
14:23et de lever les mains
14:26et de partir,
14:27de sortir du Bataclan.
14:29On les fait sortir un peu
14:43en groupe,
14:45on va les canaliser tous.
14:47On lève les mains, on lève les mains,
14:49on lève les mains !
14:50Et on va vérifier
14:52que ces gens-là
14:53ne sont pas des terroristes.
14:56On ne peut pas avoir
14:57un sur-attentat
14:58avec quelqu'un qui aurait
15:00un gilet piégé
15:01ou ce genre de choses.
15:02Reculez, reculez !
15:04Il y a des gens qui arrivent.
15:06D'abord, les gens valides,
15:08ils sortent plus ou moins en courant.
15:09Et puis, des blessés marchaient.
15:12Et puis, très rapidement,
15:13des blessés qui ne marchent pas,
15:14qui sont entraînés par leurs copains.
15:15Les premiers qui arrivent,
15:19on les lâche, là.
15:20On commence à faire
15:21mettre des pansements compressifs,
15:25mettre un ou deux garrots.
15:27Et après, moi, je n'ai plus rien.
15:29Donc, quand ça saigne,
15:31je prends mes ciseaux,
15:32je découpe les t-shirts,
15:32je les mets en boule,
15:33je l'appuie là où ça saigne.
15:36Et je dis aux copains,
15:37appuie dessus,
15:37et de toute façon,
15:38il faut le sortir.
15:40Pour les sortir,
15:42ceux qui sont vraiment
15:43très gravement blessés
15:44sont allongés.
15:45Il faut les mettre sur des brancards.
15:46Oh, des brancards,
15:47on n'en a pas.
15:48Je me souviens qu'en arrivant,
15:50j'avais vu une dizaine de barrières,
15:52qu'on appelle des barrières Vauban.
15:53Et c'est barrière métallique.
15:55Et je dis aux policiers,
15:56attrapez-moi des barrières,
15:58vous me les mettez à l'horizontale,
15:59on va s'en servir de brancard.
16:00C'est comme ça que sur les images,
16:02vous voyez des Noria,
16:04barrière métallique
16:05avec des gens dessus.
16:12Donc, on continue notre cheminement.
16:14ça dure à peu près
16:1520 minutes, 25 minutes.
16:18On a fait donc tout ce côté gauche
16:19et on arrive au bout
16:20de ce couloir
16:21qui desserre le balcon gauche,
16:24en haut à gauche,
16:25où se trouve en fin de couloir
16:27une porte en bois classique.
16:30Et on se rapproche de cette porte.
16:32Comme on a fait plein de pièces avant,
16:34on continue dans la foulée
16:35et on se dit,
16:36bon, ben voilà,
16:36on va aller jusqu'au bout,
16:37comme ça,
16:37on saura s'ils sont là ou pas.
16:38On pensait honnêtement à ce moment-là
16:40qu'ils étaient peut-être partis.
16:42Donc, on va pour ouvrir cette porte.
16:45Là, mon collègue
16:46remarque un chargeur de AK-47,
16:50de Kalashnikov.
16:52C'est la première fois qu'on en voyait un
16:53depuis qu'on était rentrés.
16:54On s'est dit,
16:54tiens, c'est peut-être un signe
16:55que les terroristes ne sont pas très loin.
16:58Donc, on enlève la main de la poignée.
17:00On était prêts à l'ouvrir, la porte.
17:02Et quasiment dans la foulée,
17:03il y a quelqu'un qui prend contact avec nous.
17:05En fait, une voix nous dit,
17:08vous reculez,
17:11sinon je vais tuer tout le monde.
17:15Et on leur propose
17:28de nous donner un numéro de téléphone.
17:30Ce qu'ils font,
17:31qu'on fait suivre aux négociateurs.
17:36Nous, on est à l'écart
17:37dans un véhicule, au calme.
17:41Il y a mon collègue
17:42qui est au contact avec eux.
17:44Moi, qui l'assiste
17:45sur ces appels
17:47et sur les stratégies de négociation.
17:52Et donc là, mon collègue m'explique
17:53qu'il a eu au téléphone
17:54un des terroristes
17:55et que le premier appel
17:57a été plutôt revendicatif
17:59puisque le terroriste
18:00explique
18:01qu'ils sont des soldats du califat,
18:05qu'ils sont venus sur le territoire français
18:07pour se venger
18:08puisque la France
18:10tue leurs femmes
18:11et leurs enfants en Syrie
18:13et que, donc là, aujourd'hui,
18:15ils sont venus pour tuer les nôtres.
18:17L'information, c'est qu'ils sont plusieurs,
18:20au moins deux,
18:22qu'ils sont armés,
18:24qu'ils sont déterminés
18:25et qu'ils ont des otages
18:26sous leurs contraintes.
18:29Déjà, pour nous,
18:30c'est quand même
18:30un peu fondamental.
18:33Parce que là,
18:34on retrouve quelque chose
18:35qu'on connaît plus,
18:36c'est-à-dire
18:36une situation de prise d'autorité.
18:38Et dès les deux premiers appels,
18:42on se dit
18:43qu'il n'y aura pas de reddition.
18:44Ça nous paraît improbable.
18:46Donc, nous,
18:46notre rôle,
18:46ça va être plutôt un rôle
18:48de garder le contact avec eux
18:49pour tenter de les stabiliser.
18:50Moi, je suis assis
18:54à genoux sur un siège
18:55un petit peu décalé
18:56avec des gens
18:58qui ont été tués
18:58et qui sont là
18:59pour les côtoyer
19:01pendant toute la préparation
19:02de l'action.
19:04C'est un petit peu lunaire
19:05aussi comme situation.
19:07Et on prépare
19:08notre action future,
19:09à savoir un assaut.
19:11Il y a un petit peu d'attente
19:13parce que la colonne
19:14se configure.
19:16Il y a une part de stress
19:17qui monte en moi, forcément.
19:18Et du coup,
19:21je me retrouve devant
19:23au niveau du ramcès,
19:24du bouclier ramcès.
19:27Alors devant,
19:27pour moi,
19:28ce jour-là,
19:28ce n'était pas la pire place.
19:31Je voulais vraiment
19:31sauver des otages.
19:33Quand j'ai appris
19:34qu'il y avait des otages
19:35des gens en vie,
19:37pour moi,
19:38c'était l'objectif ultime,
19:39c'était les sauver.
19:42Tout le monde avait
19:42admis le fait
19:45qu'on pouvait très bien
19:46et que ça allait sûrement
19:47arriver d'ailleurs,
19:48que ce serait peut-être
19:48la dernière chose
19:49qu'on ferait.
19:50Du coup,
19:50ça devient un petit peu froid
19:51là.
19:53On a une mission à faire
19:54et on fait abstraction
19:55beaucoup de l'environnement.
19:59Avec mes collègues
19:59qui m'entouraient,
20:00en fait,
20:01on s'est regardé
20:02dans le blanc des yeux,
20:03on s'est checké
20:04juste avant de monter
20:05à l'assaut.
20:06C'est mon seul souvenir
20:08de ce moment-là,
20:09en fait.
20:10J'ai cloisonné
20:11un petit peu
20:11une partie
20:13de cette intervention
20:14pour ne pas ressasser
20:15en permanence
20:16et essayer
20:18d'avancer
20:19un petit peu
20:19dans ma vie aussi.
20:27Alors,
20:27sur le dernier appel,
20:28mon collègue
20:28est au contact
20:29avec le terroriste
20:30qui lui dit
20:35« mais j'entends
20:36du bruit derrière la porte,
20:37qu'est-ce que vous faites ? »
20:38Alors, mon collègue
20:38le rassure
20:39en lui disant
20:39« ne vous inquiétez pas,
20:40il n'y a rien de particulier,
20:42il y a juste
20:42un petit peu de bruit. »
20:44On avait détecté
20:45au-dessus de la porte
20:45un objet noir
20:46qu'on avait pris
20:47pour une caméra
20:48parce qu'on ne comprenait pas
20:49pourquoi,
20:49parce qu'à chaque fois
20:49qu'on bougeait,
20:50les terroristes à l'intérieur
20:51se plaignaient
20:51auprès du négociateur
20:52ou auprès de nous directement
20:53qu'ils nous voyaient.
20:57Le début de l'assaut,
20:58pour nous,
20:58ça a été la neutralisation
20:59à l'aide d'une arme
21:01de cet ustensile
21:03qu'on avait pris
21:03pour une caméra.
21:08J'ai donné des coups
21:19au niveau de la porte.
21:22La porte s'est entre-ouverte.
21:29Une première fois,
21:30une deuxième fois,
21:31elle résistait encore
21:32une fois.
21:33Je crois qu'à la troisième,
21:35elle s'est totalement ouverte.
21:38Et là,
21:39il y a eu le déluge de feu.
21:51On se prend une rafale complète
21:53de chargeurs complets
21:54d'AK-47
21:55à 5-6 mètres de distance
21:56directement dans le bouclier.
21:58Je sens les impacts
22:04arriver sur le bouclier
22:05et je me dis
22:07qu'il faut continuer
22:08d'avancer
22:08pour les acculer,
22:10tout simplement.
22:10là, on a le deuxième chef de groupe
22:29qui était venu nous renforcer
22:30qui est touché,
22:31qui est touché à la main.
22:32Je le sens en fait
22:33faire un salto arrière
22:35à l'impact.
22:36Je l'entends crier
22:36et je la vois tomber
22:37sur le côté
22:38et là, je me dis
22:38on n'est pas encore
22:39rentré dans le couloir.
22:40On a déjà perdu quelqu'un.
22:42Elle a avancé,
22:42c'était relativement étroit.
22:44C'était beaucoup plus court
22:45en réalité
22:47que dans mon souvenir.
22:49J'avais l'impression
22:49qu'on avait marché
22:50des dizaines de mètres
22:51et au final,
22:52on s'est rendu compte
22:53que non,
22:53c'était assez exigu
22:54et que le fond
22:56était assez proche.
22:56Quand il y a une balle
23:05qui a touché
23:06la glace du bouclier,
23:08j'ai laissé la tête
23:09très vite
23:11en pensant
23:11que la balle
23:12l'avait traversée.
23:14J'ai relevé
23:15et j'ai annoncé
23:16la position du terroriste
23:17au fond du couloir
23:18à droite.
23:22À un moment donné,
23:23je sens que
23:23le bouclier bascule
23:25tombe.
23:27Il y a deux marches
23:28qui se trouvent
23:29à peu près
23:29à 1,50 mètres
23:29de l'entrée.
23:31Et ces deux marches
23:32font que le bouclier
23:33bascule.
23:34Kader essaie
23:34de le garder
23:36mais il bascule
23:36et il bascule
23:37d'ailleurs sur des otages.
23:38Notre rôle là-dessus,
23:40c'est vraiment
23:41de retirer
23:42les otages
23:43et de les gicler
23:45vers l'arrière.
23:46Donc ça va très vite.
23:52Ouvrez les otages !
23:53Quand on récupère des gens,
24:01on les fait sortir.
24:02Alors malheureusement,
24:03il y en a certains
24:03qui, quand ils sortent,
24:05ils passent devant
24:06obligatoirement,
24:06ils descendent escalier
24:07et puis ils passent
24:08dans la scène principale.
24:12Et donc, oui,
24:12ils voient les cadavres.
24:14Regardez pas, madame !
24:15Regardez pas, c'est couvert !
24:17Il y a tellement
24:22d'adrénaline
24:22à ce moment-là
24:23que c'est même pas du temps
24:25et c'est une action
24:26qu'on a commencé
24:26et qu'on va terminer.
24:27De toute façon,
24:28dans un couloir
24:28où il n'y a pas
24:29de 30 000 solutions,
24:30il n'y a pas d'échappatoire.
24:31Donc de toute façon,
24:31il faut avancer.
24:32La sécurité,
24:33elle vient du fait
24:34de continuer l'action.
24:35Donc j'avance dans le couloir
24:37et jusqu'à ce que je vois
24:38le terroriste
24:39qui refait surface
24:41au bout du couloir
24:42et là, je tenais
24:44mon pistolet automatique
24:45à une main.
24:46L'autre main
24:46me servait
24:47pour garder l'équilibre.
24:49Je tire deux balles
24:50dans sa direction.
24:56Là, on sent un vrai blast,
24:57donc on le ressent vraiment.
25:01C'est le premier terroriste
25:03qui s'était réfugié au fond
25:04et qui est blessé par Kader
25:06et qui actionne son gilet.
25:07Il s'est mis dans un renfoncement
25:09quand il s'est déclenché.
25:10La majorité de son gilet
25:12a tapé dans le mur arrière
25:14où il n'y avait personne
25:15et a tapé sur le mur
25:16qui était devant lui
25:16où il n'y avait personne.
25:20Il est mort.
25:22Il s'est fait exploser
25:22et on arrive sur le deuxième.
25:24Et le deuxième,
25:25on s'aperçoit
25:25qu'il est toujours vivant.
25:26Et quand on s'avance,
25:28on s'aperçoit
25:28que le terroriste
25:29essaie d'appuyer
25:31sur son nombril.
25:33Mais la chance qu'on a,
25:34c'est que le blast,
25:36le souffle,
25:36l'explosion
25:37de son complice
25:39a fait tourner son gilet.
25:41Les premiers éléments
25:42qui arrivent sur lui
25:44s'aperçoivent
25:45qu'il essaie de se faire sauter
25:45et donc vont le neutraliser.
25:49Est-ce qu'on a un outage ?
25:50Est-ce qu'on a un outage ?
25:50Est-ce qu'on a un outage ?
25:54Est-ce qu'on a un outage ?
25:55Oui, ils sont descendus.
25:56C'est une réussite tactique.
26:05Et on a pu sauver,
26:07même si c'est pas grand-chose,
26:08mais c'est quand même important,
26:09on a pu sauver
26:10plus d'une dizaine d'otages
26:11qui étaient directement
26:12sous la menace des terroristes.
26:13Au milieu de cet océan
26:14de malheurs
26:15et de morts
26:15et de blessés,
26:16il y en a quand même
26:17quelques-uns
26:17qu'on a pu sauver.
26:18C'est loin d'être fini,
26:28je fais le tour partout,
26:29je fais chercher des blessés,
26:30il faut continuer à les évacuer,
26:31il faut les catégoriser,
26:33il faut les faire prendre en charge,
26:35il faut faire venir les pompiers
26:36à ce coup-là.
26:37Quand on dit
26:38ça y est,
26:38on peut faire rentrer les secours,
26:40arriver en masse,
26:40les guider,
26:41leur dire
26:41« va là, va là, va là ! »
26:43« Chope-moi celle-là,
26:44celui-là ! »
26:48« La mission continue
26:50parce qu'il y a encore
26:51des otages
26:52qui sont cachés
26:52de partout.
26:54Pour ma part,
26:55je ne sais pas
26:55s'il y a encore un terreau
26:56ou pas,
26:56donc on continue
26:57tout le boulot
26:59à chercher dans les recoins,
27:02les gaines techniques
27:02et à chaque fois,
27:05on découvre
27:05qu'il y avait des gens
27:06cachés un peu partout,
27:08même dans des endroits
27:09improbables.
27:13Les toits,
27:14sous les plafonds,
27:15dans les placards,
27:17enfin,
27:17ils essaient
27:18de se dissimuler
27:20le plus possible.
27:22On a même
27:22à l'endroit
27:23où on a
27:24les terroristes,
27:25on a une loge
27:27et on a des gens
27:28qui sont là,
27:29qui se sont enfermés.
27:33Le corps
27:33du dernier kamikaze
27:35forcément était tombé
27:36à proximité
27:38de la porte
27:38de la loge.
27:42Ça perçoit
27:42qu'il n'a qu'une partie
27:43du gilet sur lui.
27:45C'est un gilet explot.
27:47Il fallait éviter
27:48que les otages
27:49marchent dessus,
27:50donc j'ai fait
27:51barrage de mon corps
27:51entre le terroriste
27:53et la sortie
27:54des otages.
27:56et donc tout ça,
28:01c'est un travail encore
28:02où il faut être sûr
28:03et sécuriser entièrement
28:05ce bâtiment
28:07qui est quand même
28:08très grand.
28:08L'assaut est terminé,
28:12on a évécu les gens.
28:14Nous, les démineurs,
28:15avec les maîtres-chiens,
28:16on est restés
28:17jusqu'à 5h du matin
28:17sur place
28:19pour continuer
28:20à fouiller le bâtiment
28:21à la recherche
28:21d'exclusifs.
28:22Il faut descendre
28:23dans la fosse,
28:24regarder s'il ne reste
28:25rien dans la fosse.
28:26Et dans la fosse,
28:27il y a des dizaines
28:27de personnes
28:28qui sont décédées.
28:29Il faut fouiller la salle,
28:30qu'il faut
28:31que tout retombe,
28:34que le silence s'installe,
28:38qu'on constate réellement
28:41l'horreur.
28:42C'est plus dur.
28:43Les téléphones qui sonnent,
28:44qui s'éclairent,
28:45maman, papa.
28:49Pour moi,
28:50ça a été plus dur
28:51que l'assaut.
29:00sorti dehors,
29:05pour moi,
29:05c'était une atmosphère
29:06de fin du monde.
29:13On voyait
29:14les victimes
29:15un peu partout
29:15avec des couvertures
29:18de survie,
29:19il y en a qui
29:19montaient dans des bus.
29:26Les regards
29:27à gare,
29:27ça ne parlait pas,
29:31c'était...
29:33On ne reconnaissait plus Paris.
29:38Quand j'arrive
29:39dans le quartier
29:40du Bataclan,
29:42je vois
29:42tous ces soignants,
29:44médecins,
29:45infirmières,
29:46infirmiers
29:47qui ont vu
29:49des choses
29:50et des êtres,
29:51surtout,
29:52horriblement touchés
29:53et donc
29:55sont encore
29:57au chevet
29:58des blessés,
30:00me regardent,
30:03comprennent
30:03que je viens
30:03les soutenir
30:04aussi,
30:06mais sont encore
30:06à la tâche
30:07et vont continuer
30:09à l'être
30:09pendant toute la nuit.
30:17Ensuite,
30:18me tenant
30:18à la porte
30:19du Bataclan,
30:20sans d'ailleurs
30:21vouloir y rentrer,
30:23je vois encore
30:23des femmes
30:24et des hommes
30:25en sortir
30:26et je vois
30:28leur visage
30:30défait
30:32comme
30:32pétrifié
30:34par
30:35l'horreur
30:37dont ils sont sortis.
30:38tout Bataclan est reparti
30:44à son siège
30:45et là,
30:46on a discuté,
30:47on a débriefé,
30:49il fallait avaler
30:50ce qu'on venait de vivre.
30:53C'était chaud.
31:00Et nous,
31:01on rentre
31:02au 36 ?
31:03Moi,
31:03je me sentais
31:04vraiment
31:04vidé.
31:07J'avais besoin
31:07de me retrouver
31:08avec
31:08certains de mes collègues
31:12qui sont
31:13comme de la famille,
31:15en fait,
31:15pour moi,
31:16on était très liés
31:18déjà auparavant
31:19et
31:20on s'est retrouvés
31:21entre nous.
31:23On a vécu
31:24quelque chose
31:24d'impensable
31:26et d'unique,
31:27j'espère,
31:27et
31:28oui,
31:29ça crée des liens
31:30pour la vie.
31:33Je suis rentré,
31:34je me suis couché
31:35et j'ai pleuré.
31:38C'est le seul instant
31:39où
31:40il y a eu craquage,
31:42comme dirait l'autre.
31:45Contrairement aux militaires,
31:46quand ils rentrent
31:46d'opérations extérieures,
31:47ils ont un sas.
31:49Ils s'arrêtent
31:50quelque part
31:51entre les combats
31:52et la maison,
31:52il y a un sas.
31:53Nous,
31:53il n'y a pas de sas,
31:54ça fait
31:54un Bataclan maison.
31:56On est interrogé
31:58par sa famille
31:58qui nous demande
31:59qu'est-ce qu'il y a alors.
32:00On ne peut pas trop raconter.
32:02On n'a même pas les mots
32:03au début.
32:04On essaie de dormir,
32:05on ne dort pas.
32:06Et de toute façon,
32:07à 9h30,
32:08on nous a rappelé
32:08parce qu'une voiture
32:09utilisée par les terroristes
32:10avec des armes dedans
32:11avait été localisée
32:12sur Montreuil
32:13et on nous demandait
32:15d'aller planquer
32:16sur cette voiture.
32:26aujourd'hui,
32:40dix ans après,
32:41je pense que c'est
32:42l'intervention
32:42la plus marquante
32:43de ma carrière.
32:45Je ne me serais jamais
32:46douté
32:47qu'un an après
32:48l'hypercachère,
32:49on aurait le Bataclan
32:50qui arriverait
32:51avec autant de gens
32:53tués.
32:54Ça paraissait improbable.
32:56On a tous gardé
32:57une blessure en nous,
33:00je pense,
33:00de cette soirée-là.
33:03C'est toujours vif
33:04au moment des dates anniversaires.
33:06Et puis même,
33:07c'est toujours vif,
33:07en fait,
33:08au final.
33:11Ouais.
33:12Je me souviens,
33:13j'ai une image
33:14assez précise
33:15de deux femmes
33:16qui sont enlacées
33:16près du bar
33:17et qui ont essayé
33:18mutuellement
33:18de se protéger.
33:20Clairement,
33:21elles sont mortes.
33:22Je me vois les enjambler.
33:24Parce que je n'avais pas le choix,
33:25il fallait que je les enjambre.
33:26Et je me vois
33:27m'excuser
33:27de les enjamber,
33:28en fait.
33:29C'est le genre
33:30de truc qui me reste,
33:31quoi.
33:32J'ai rencontré
33:32ces deux policiers
33:33en bas de la rue
33:35et...
33:37C'est une semaine après.
33:39Même pas.
33:40Même pas.
33:42Et c'était assez
33:43émouvant,
33:44quand même.
33:45Ouais.
33:46C'était assez émouvant.
33:47Pour moi,
33:48c'était très, très fort.
33:49Et ça m'a beaucoup aidé,
33:51en fait,
33:51en vrai dire.
33:53On a gardé des contacts
33:54assez étroits
33:56avec les otages.
33:59Donc souvent,
34:00ils viennent nous rendre visite,
34:01on en reparle,
34:01et on a gardé un lien
34:03assez fort
34:03avec eux.
34:04ouais.
34:10Ça fait dix ans.
34:12Donc...
34:12Donc voilà,
34:14la vie continue.
34:17Pour nous,
34:17la vie continue.
34:18Et encore une fois,
34:19je répète,
34:20elle est beaucoup plus facile
34:21à continuer pour nous
34:21que pour les gens
34:23du Bataclan.
34:24C'est quand même
34:31une commémoration,
34:31disons.
34:33C'est même un respect
34:34envers les victimes.
34:36On ne les oublie pas.
34:37On ne les oublie pas.
34:50On ne les oublie pas.
Recommandations
1:02
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À suivre
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1:52
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16:44
20:06
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