00:00Le Grand Entretien ce matin, c'est Michel-Edouard Leclerc qui est avec nous, président du comité stratégique des centres Leclerc, leader de la grande distribution.
00:07Évidemment, en France, on sait qu'en cette période d'incertitude, le réflexe des Français s'est d'épargner beaucoup en termes de consommation.
00:17Vous, en ce moment, depuis la rentrée, vous observez quoi dans les magasins ?
00:20Alors d'abord, bonjour Sandra.
00:23On sent beaucoup, beaucoup d'hésitation.
00:25On sait qu'il y a un problème de pouvoir d'achat et notamment pour le million de Français qui s'est rajouté depuis le début des années 2020 à ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté.
00:39On arrive, je crois que c'est ce week-end, la collègue des banques alimentaires.
00:43Il y a vraiment des Français qui rament et qui, évidemment, ça impacte les chiffres de la consommation.
00:49Je vois plus la chose de la manière affective et sociale qu'économique, mais c'est un vrai sujet que celui du pouvoir d'achat des plus modestes.
00:59Il y a aussi, dans le discours patronal et dans les échanges à l'Assemblée nationale, assez curieusement, on parle beaucoup des charges, on parle beaucoup des cotisations, des contributions,
01:10mais on parle assez peu des salaires et de l'évolution des salaires.
01:13Et donc, il y a une sorte d'inquiétude, d'interrogation sur le fait qu'il y a l'air d'avoir un front commun pour ne pas parler d'augmentation de salaire
01:21ou en tout cas de sortir de la trappe à bas salaire, ce qui était le sujet pourtant il y a trois ans.
01:26Donc ça, ça freine un petit peu la dépense, ça la rend plus arbitrable, plus rationnelle.
01:33Et puis, il y a ces incertitudes à la fois dues à la politique, les grands choix d'aménagement du territoire sur le logement, sur les équipements, sur les infrastructures,
01:43et même le discours industriel qui n'est pas très clair pour savoir si on doit acheter une voiture ou pas une voiture, par exemple, et quelles voitures.
01:49Donc, on est dans un climat attentiste, mais la France n'est pas en faillite, on a un très gros taux d'épargne.
01:55Et en fait, les acteurs industriels et les distributeurs en ont sous le pied.
02:00Il y a des industriels et des distributeurs qui n'ont pas su anticiper les grandes mutations technologiques, numériques et écologiques.
02:08Mais globalement, le tissu économique français est résilient.
02:14On a des collaborateurs de qualité.
02:17Nous, chez Leclerc, on est parti sur 2035, donc on n'écoute plus trop le débat politique au jour le jour.
02:23Mais je pense que la France en a sous le pied.
02:26Mais les consommateurs et les investisseurs sont attentistes.
02:29Dans ce contexte d'incertitude, vous dites que vous, vous avez en ligne de mire 2030-2035.
02:36Comment on se développe pour rester à proximité des consommateurs, mais pour aussi être technologique,
02:42travailler sur des sujets comme l'intelligence artificielle, c'est-à-dire ne pas se laisser dépasser ?
02:46Quelle est la stratégie entre la proximité et cette révolution technologique ?
02:51On a adopté, mais Zadon vous êtes étonné du mot que j'utilise, on a adopté une stratégie matricielle.
02:59Quand on est en première année de fac en physique ou en chimie, on apprend les équations, les intégrales.
03:05Donc il y a des X qui doivent nous permettre de trouver des Y avec des combinaisons.
03:10En fait, aujourd'hui, on a 4 ou 5 impulsions qui nous viennent comme ça en même temps,
03:14qui sont la révolution technologique qui nous vient du monde entier, avec beaucoup d'innovation.
03:20On a la révolution numérique qui nous permet peut-être des coûts marginaux dans la croissance des investissements.
03:27On a une révolution en termes de transition énergétique, à la fois au nom de la souveraineté,
03:33pas dépendre du gaz russe, pas dépendre simplement du pétrole américain et du cours du pétrole,
03:38donc le nucléaire, les énergies alternatives.
03:41On a aujourd'hui une critique de l'ancien modèle de la société de consommation
03:46envers plus de sobriété, moins d'énergie et du manger mieux et tout ça.
03:51Et on a aussi une vie sociale qui est délitée et au fond, on demande aux entreprises de refaire société.
03:58Donc sur ces 5 grandes impulsions, on a un Rubik's Cube avec plein de couleurs
04:02et le timing pour amener chaque petit carré au vert, il n'est pas le temps de TikTok déjà.
04:08Donc il est temps, c'est assez long.
04:11Mais donc quand Leclerc a une stratégie 2035, il prend ces 5 impulsions
04:15et on va essayer de produire des effets positifs sur la société,
04:20notre durabilité étant liée à notre performance, performance prix, pouvoir d'achat, etc.
04:26Mais aussi sur tous les autres items.
04:28Donc résolument, Leclerc, qui était un groupe...
04:30Je suis né dans les pattes des salariés de mes parents dans les années 50,
04:35dans des petites épiceries.
04:37On a appris à sauter le pas de l'hypermarché avec l'arrivée de Carrefour dans les années du siècle dernier.
04:44On a appris à la spécialisation avec les arrivées des Ikea, des Habitat et tout ça.
04:49On a appris le Hard Discount.
04:51Aujourd'hui, Amazon, même pas peur.
04:54Et les plateformes chinoises arrivent avec des modèles économiques très différents.
04:58Ils s'installent dans le paysage commercial.
05:00Donc nous voulons amener les centres Leclerc en 2035
05:04comme étant le premier interlocuteur des besoins de la société française.
05:08Quand vous en parlez comme ça et que vous les mettez toutes les unes à la suite des autres,
05:10ça paraît assez vertigineux, effectivement.
05:12On va se rapprocher un petit peu de cette année 2025
05:14et de comment elle va se terminer.
05:16Il y a les négociations commerciales qui vont reprendre, évidemment,
05:19entre tous les acteurs du secteur.
05:20Fin d'année jusqu'à mars 2026.
05:22Serge Papin, qui était à votre place il y a deux jours,
05:24disait qu'il fallait réduire leur durée.
05:28Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
05:29Alors, c'est des débats qu'on a tous les ans.
05:32Et je ne suis pas si sûr que ce soit très impactant.
05:35Ça nourrit les gazettes professionnelles.
05:39Moi, le marché mondial est un marché du quotidien.
05:45Leclerc, aujourd'hui, est le deuxième acheteur d'énergie en France
05:49puisqu'on achète aussi avec système U des carburants.
05:52On achète des carburants et de l'énergie pour la RATP, la SNCF.
05:55C'est presque 20 milliards de chiffre d'affaires pour les centres Leclerc.
05:59On achète du carburant tous les jours.
06:01On fait des appels d'offres tous les jours.
06:02Et en parallèle, on achète aussi du dollar tous les jours
06:05parce que vous savez bien que le prix du pétrole,
06:08ce n'est pas simplement le prix de la matière première,
06:10c'est le prix de la monnaie avec laquelle on l'achète.
06:12Et donc, moi, je vois bien que tous les collaborateurs de Leclerc,
06:18les propriétaires de magasins,
06:20ils sont dans la lecture des évolutions de marché au quotidien,
06:23y compris sur leur territoire.
06:24C'est la loi française qui balise les négociations sur un an,
06:30avec telle forme et tout ça.
06:31Il y a aussi les centrales européennes.
06:33Oui, mais les centrales européennes, elles sont déjà sur un marché libéral.
06:36Elles sont des boîtes comme Nestlé, Procter, etc.
06:40achètent eux-mêmes leur matière première librement.
06:44Il n'y a qu'en France qu'on a ce débat.
06:46Donc, on l'a pour ne pas se faire tacler.
06:50Mais franchement, aujourd'hui, c'est pinot, c'est débat
06:54par rapport aux stratégies vers lesquelles on doit aller.
06:59Une sénatrice écologiste veut regarder, monter une commission
07:05pour qu'il y ait plus de transparence sur les marges des distributeurs.
07:09Alors, ce qu'elle dit, c'est que les prix ont flambé ces trois dernières années,
07:13qu'ils ne sont pas redescendus.
07:15Et que donc, ça veut dire qu'ils ne sont pas seulement dus
07:16au prix des matières premières et au prix de l'énergie.
07:20Il y avait déjà eu ça en 2019.
07:22Est-ce que des évolutions, des progrès ont été faits, selon vous, en six ans ?
07:27Alors, moi, ça doit être ma 20e commission d'enquête parlementaire
07:30sur les marges de la distribution.
07:32Donc, pas de problème avec ça.
07:33Si on peut leur apprendre un peu comment on fonctionne, c'est bien.
07:39Je pense que l'intention de cette sénatrice, c'est pour les députés,
07:45peut-être déconnecter aussi, voulant se déconnecter des réseaux de lobbying,
07:51c'est de se faire leur propre opinion.
07:53Donc, pas de problème pour y participer.
07:55Je trouve que ça aurait été plus objectif d'y mettre tous les acteurs économiques,
07:58parce que la distribution, elle pèse très peu dans le prix final du produit.
08:03Et puis, surtout, c'est un peu à contre-temps,
08:05parce que l'inflation, c'était il y a trois ans.
08:07Il y a trois ans, j'étais sur vos plateaux à réclamer des commissions d'enquête
08:10parce que le prix des conteneurs passait de 1 500 euros le conteneur à 17 000 euros,
08:16parce qu'il y avait plein de spéculations.
08:17Puis, rappelez-vous, on a eu 22% d'inflation sur l'huile de tournesol,
08:21sur les pâtes et tout ça.
08:23Donc, faire une commission d'enquête aujourd'hui sur les prix,
08:27alors qu'on rentre en déflation, je trouve que c'est un petit peu décalé.
08:31Moi, ce que je retiens positivement, c'est qu'à l'Assemblée nationale,
08:36il y a quand même des gens, même s'ils l'expriment mal,
08:38qui s'intéressent au pouvoir d'achat,
08:40qui s'intéressent à l'accessibilité des choses.
08:43Je leur demande seulement de ne pas faire le jeu d'une corporation contre une autre.
08:48On doit faire société.
08:49Il y a les cinq impacts que je disais tout à l'heure
08:52et qui doivent nous amener à une société plus vertueuse
08:54sur le plan économique, sur le plan écologique,
08:56sur le plan social.
08:59Ça embarquera tout le monde.
09:02L'idée d'isoler la distribution de la production
09:04ou de la production de l'industrie
09:06ne permettra pas d'atteindre une économie décarbonée.
09:10C'est l'addition des efforts de chacun
09:11qui fera une économie décarbonée.
09:13Merci beaucoup, Michel-Édouard Leclerc,
09:15d'avoir été avec nous aujourd'hui,
09:16président du comité stratégique des centres Leclerc,
09:19dans la matinale de l'économie.
09:20Merci d'être venu.
09:21Merci.