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  • il y a 14 heures
Refus de dépôt de plainte, classements sans suite, féminicides après un premier signalement pour violences… En France, seulement 1 % des plaintes pour violences sexistes et sexuelles aboutissent à une condamnation, selon les chiffres du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes, qui datent de 2022.

L’inscription du consentement dans la loi fin octobre, qui vient redéfinir les viols et les agressions sexuels comme « tout acte sexuel non consenti », est donc l’occasion de revenir sur tout le processus judiciaire. L’objectif ? Comprendre ce très faible taux de condamnation, en se demandant au passage ce que cette loi va changer, et pourquoi elle ne suffira pas à tout révolutionner.

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00:00Pourquoi y a-t-il si peu de condamnations pour les faits de violences sexuelles en France ?
00:08Ça fait des années que je me pose cette question.
00:10J'ai pas la réponse.
00:12Je ne suis pas sûr que je conseillerais à une proche qui aurait été victime de viol,
00:17mais qui n'aurait pas pu ou ne pas su exprimer son refus, aller déposer plainte.
00:22En France, seulement 1% des plaintes pour violences sexistes et sexuelles aboutissent à une condamnation.
00:27Alors l'inscription du consentement dans la loi, qui vient redéfinir les viols et les agressions sexuelles,
00:32c'est l'occasion de revenir sur tout le processus judiciaire pour comprendre pourquoi il y a si peu de condamnations pour ce type de faits en France.
00:39Et de se demander au passage ce que cette loi va changer et pourquoi elle ne suffira pas à tout révolutionner.
00:48Pour commencer, on va partir d'un constat.
00:50Les victimes de violences sexistes et sexuelles, ou VSS, remettent régulièrement en cause l'efficacité de la justice,
00:56et préfèrent donc souvent garder le silence.
00:59Oui il m'a violée, mais j'en ai parlé à personne en fait, sinon à lui.
01:04J'ai pas suffisamment foi en la justice et en la loi pour que ça mène à une condamnation.
01:09Beaucoup de victimes ne déposent pas plainte, entre autres parce qu'un quart d'entre elles considère que c'est inutile,
01:14et 16% ont peur que leur récit ne soit pas pris au sérieux par les autorités.
01:19Résultat, dans le cas de violences sexuelles physiques, elles ne sont que 6% à déposer plainte.
01:25J'avais besoin de porter plainte, mais le fait de me voir expliquer les conséquences que ça peut avoir fait que j'ai changé d'avis.
01:32Pour comprendre toutes ces craintes qui dissuadent les femmes de porter plainte, il faut déjà comprendre comment ça se passe lorsqu'une victime de VSS décide de porter plainte.
01:40D'abord, elle se rend dans un commissariat où un agent de police va recueillir sa plainte.
01:44Dès lors qu'il y a une victime qui se présente dans un commissariat, on va essayer de la prendre en priorité et on va lui demander si elle préfère que ce soit un policier homme ou une fonctionnaire de police féminine qui prenne sa plainte.
01:55Plus la plainte va être sensible et plus on va essayer de trouver un policier qui a de l'expérience, un policier qui est à l'aise dans ce domaine,
02:00puisqu'on a aussi, notamment sur la plaque parisienne, des jeunes policiers qui sortent d'école de police, qui ont finalement peu d'expérience pour prendre ce genre de plaintes qui ne sont pas évidentes.
02:08Ce dépôt de plainte, c'est un moment crucial parce que c'est tout simplement le point de départ de la procédure
02:12et que tout le processus judiciaire va se construire à partir de ses premières déclarations.
02:18Alors si l'intégration du consentement à la loi peut faire évoluer les mentalités et donc améliorer la prise en charge des victimes,
02:24à ce niveau-là, elle ne pourra pas tout régler.
02:26Entre autres parce que ce moment reste souvent très douloureux pour la victime présumée,
02:30qui, en état de choc, peut avoir du mal à avoir un récit clair, concis, précis, sans erreur des faits.
02:36Il faut à la fois que ce soit sensible, sincère, mais pas non plus larmoyant.
02:42Il faut que ce soit suffisamment précis.
02:44En fait, il y a énormément d'injonctions qui reposent sur la victime,
02:46et finalement, il faudrait presque qu'elle soit accompagnée par une personne de justice
02:50pour pouvoir déposer une plainte qui, derrière, donnera lieu à ne serait-ce qu'une enquête.
02:56Et dans certains cas de VSS, même si c'est illégal, il arrive qu'un policier refuse de recevoir la plainte d'une victime présumée.
03:04C'est ce qu'on appelle le refus de dépôt de plainte.
03:07Alors il n'existe pas de statistiques officielles à ce sujet.
03:10Mais un sondage de l'association Nous Toutes indique que sur 3500 victimes présumées,
03:15plus d'une femme sur deux aurait vu sa plainte refusée ou qu'elle a été découragée de porter plainte.
03:20J'ai déjà été confrontée à des situations où des plaignantes ont appelé les commissariats
03:24pour prendre rendez-vous et déposer plainte et se sont retrouvées à finalement hésiter à le faire.
03:29Donc il existe encore des enquêteurs, des commissariats,
03:33dans lesquels on vous dissuade de porter plainte, on vous décourage,
03:36on vous fait comprendre que ce que vous avez vécu ne vaut pas le coup d'être dénoncée.
03:40Après la relation violente que j'ai vécue, ça s'est mué en cyberharcèlement.
03:45Donc j'ai appelé le commissariat proche de chez moi.
03:48J'avais précisé que c'était mon ex-compagnon, que j'avais été victime de viols conjugaux,
03:53que j'avais été victime de violences verbales, que ça avait amené au fait que j'avais été hospitalisée
03:58en disant qu'est-ce que je peux faire ? Est-ce que je peux porter plainte ?
04:01Et en fait, on m'a tout de suite dissuadée de le faire.
04:03On m'a dit non, moi je ne vous conseille pas de le faire parce que ça va prendre très longtemps.
04:09On n'est pas équipé pour. Et franchement, ça aboutira à rien.
04:14Donc forcément, je ne peux pas compter sur cette institution.
04:18Pour autant, malgré ces chiffres et les nombreux témoignages, certains policiers sont en total désaccord.
04:23Peut-être que ça peut arriver dans des cas extrêmement rares, mais non.
04:26Moi, ce n'est pas mon sentiment, sincèrement.
04:28Sur les VSS, les policiers prennent systématiquement une plainte.
04:31A contrario, lorsque la plainte est prise, une enquête préliminaire est menée par des policiers spécialisés.
04:35Cette enquête, elle se compose d'une audition vue mise en cause, d'une confrontation avec la victime présumée,
04:40d'audition de témoins et de plein d'autres choses.
04:43Et d'ailleurs, certaines étapes de son processus sont décriées.
04:46Par exemple, dans les cas de viol ou d'agression sexuelle,
04:49les victimes doivent réaliser une visite médicale juste après les faits.
04:52Ce qui est souvent jugé comme irréalisable par les associations d'aide aux victimes.
04:56Autre exemple, la confrontation avec l'agresseur présumé.
04:59Elle est vue comme particulièrement violente psychologiquement et potentiellement dangereuse,
05:04ce qui peut décourager de nombreuses victimes de porter plainte.
05:07Une fois cette enquête menée, les policiers en envoient les éléments à un magistrat, le procureur.
05:12Là, le procureur a deux options. Il y a d'abord le classement sans suite.
05:16Ça veut dire qu'il estime qu'il n'y a pas assez d'éléments de preuves récoltés pour juger l'affaire.
05:20Cela ne signifie pas l'innocence d'une mise en cause, mais que la plainte en l'état ne peut pas aboutir.
05:25Ce classement sans suite, il concerne plus de 9 plaintes sur 10 pour les viols,
05:29et plus de 8 cas sur 10 pour les agressions sexuelles.
05:32C'est un chiffre que les victimes peuvent pas comprendre.
05:35Que les associations de victimes ne peuvent pas comprendre.
05:38Que les magistrats du parquet, comme les juges du siège, regrettent.
05:42Non pas parce qu'il faut absolument aller vers des condamnations,
05:44mais ça symbolise l'incompréhension énorme qu'il y a entre les attentes des victimes et la réalité judiciaire.
05:50Et justement, l'un des espoirs de l'intégration du consentement dans la loi, c'est de faire baisser ce chiffre.
05:56Si la plainte n'est pas classée sans suite, elle passe chez le juge d'instruction.
05:59L'enquête change en quelque sorte de responsable, et à la fin de ces investigations,
06:03ce juge d'instruction a lui aussi deux options.
06:06L'ordonnance de non-lieu, pour les mêmes raisons que le classement sans suite, par manque de preuves,
06:11ou le renvoie vers l'une des trois cours compétentes.
06:13Il y a le tribunal correctionnel, qui juge les délits comme l'agression sexuelle sans pénétration,
06:18le harcèlement ou cyberharcèlement sexuel, ou certaines formes de violences sexistes.
06:23La deuxième option, c'est la cour d'assises.
06:25Elle juge les crimes comme certaines mutilations sexuelles considérées comme de la torture,
06:29les meurtres et donc les féminicides, ou encore les viols.
06:33Mais là, attention, avec le viol vient la troisième option, les cours criminels départementales.
06:38Elles sont compétentes pour juger les viols depuis 2023,
06:41mais contrairement aux cours d'assises, elles n'ont pas de jury populaire.
06:44Et surtout, elles sont très controversées.
06:47En fait, ce qui s'est passé, c'est qu'il y avait tellement de plaintes pour viols
06:50que les cours d'assises ne pouvaient plus suivre.
06:52Alors parfois, les magistrats vont proposer à une victime de viol, un crime donc,
06:57de requalifier l'infraction en une agression sexuelle, un délit.
07:01Le mis en cause sera alors jugé devant un tribunal correctionnel et encourra une peine moins lourde.
07:05C'est ce qu'on appelle la correctionnalisation des viols.
07:08Et ces cours criminels départementales, elles ont été créées pour éviter ça,
07:11pour prendre le relais des cours d'assises.
07:13Ce qu'elles n'ont pas complètement réussi à faire,
07:15selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.
07:17Lorsque les cours criminels départementales ont été créés,
07:19l'objectif était d'arrêter les correctionnalisations,
07:21pour dire un viol est toujours un viol et il doit rester un viol,
07:24et c'est pas un sous-viol.
07:26Pour finir, devant chacune de ces cours,
07:28peuvent être prononcées la condamnation du mis en cause,
07:30ou la relaxe pour les délits et l'acquittement pour les crimes.
07:33Bon, on l'a compris, au cours de ce processus long et fastidieux,
07:41beaucoup de choses peuvent mal se passer.
07:43Et la nouvelle loi ne va pas changer la chaîne judiciaire.
07:45Par contre, elle va profondément modifier d'autres aspects qui y sont directement liés.
07:50D'ailleurs, depuis des années, la loi est l'un des trois points cruciaux et transversaux
07:54qui posent problème au cours de la procédure.
07:56Je suis persuadé que si nous changions le droit, ce pourrait être différent.
08:00Ici, quand François Lavallière parle de changer le droit,
08:03il fait directement référence à l'intégration de la notion de consentement dans la loi.
08:07Pour comprendre ce que ce texte va changer,
08:09il faut déjà savoir que depuis des années,
08:11la principale difficulté dans les procès, c'est de prouver ces violences sexuelles.
08:15Pourquoi ?
08:16Et bien parce qu'en droit français, pour caractériser une infraction, il faut trois choses.
08:20D'abord, un élément légal. En gros, qu'une loi l'interdise.
08:23Ensuite, un élément matériel.
08:25C'est-à-dire démontrer que l'acte a concrètement eu lieu.
08:28Et enfin, un élément intentionnel.
08:30C'est-à-dire prouver que l'auteur présumé avait conscience de ce qu'il était en train de faire,
08:34qu'il en avait l'intention.
08:36Et souvent, dans les cas de violences sexuelles, et plus particulièrement du viol,
08:39c'est là que ça coince.
08:40Parce que jusqu'à aujourd'hui, pour apporter la preuve de cet élément intentionnel,
08:44il fallait démontrer que l'auteur avait usé de contraintes, violences, menaces ou surprises.
08:49Or, ce n'est pas toujours le cas.
08:50Et surtout, dans plus de 90% des cas de violences sexuelles, la victime connaissait son agresseur.
08:57Réussir à prouver ce qui se passe dans la sphère intime, c'est toujours l'endroit le plus difficile dans lequel investiguer.
09:02On sait aujourd'hui que la majorité des viols ont lieu dans des relations préétablies entre des gens qui se connaissaient déjà.
09:08Et donc souvent, ça se passe dans l'intimité, sans la présence de témoins, sans la présence de caméras de surveillance.
09:14D'où d'ailleurs la difficulté de prouver les faits.
09:16Et on sait surtout que les viols, en général, sont le point culminant de violences physiques, morales, qui ont précédé.
09:24Dans la sphère privée, il y a rarement besoin d'un couteau pour que l'emprise, les menaces,
09:29ou la dépendance même économique, financière, contraignent les femmes à accepter ou à se laisser faire.
09:35Il y a non seulement l'élément matériel, et ce qui a bien eu ce contact sexuel, et ce qui a bien eu cette pénétration,
09:40mais il y a aussi l'élément intentionnel de l'auteur.
09:42C'est l'élément intentionnel qui est la difficulté majeure dans tous ces faits.
09:46Très souvent, les faits de viols ou d'agressions sexuelles sont matériellement reconnus.
09:52Dans le sens où, mais oui, nous avons bien eu un contact sexuel, mais oui, nous avons passé la nuit ensemble.
09:57Elle était d'accord. Ou en tout cas, elle ne m'a rien dit.
10:00Aujourd'hui, il est difficile dans ces situations-là d'envisager une condamnation.
10:03Cette immense désillusion, cette impression de ne pas être cru, et pas qu'on ne vous croit pas.
10:07Il arrive parfois qu'un juge soit convaincu que la victime, ce qu'elle dit, est vrai,
10:11mais que les éléments de la procédure ne permettent pas de démontrer suffisamment la culpabilité de l'auteur.
10:17C'est pour tout ça qu'en janvier 2025, deux députés ont déposé une proposition pour modifier la loi.
10:24La définition pénale du viol et de l'agression sexuelle deviendra alors tout acte sexuel non consenti.
10:31Dans ce texte, on trouve d'autres spécificités.
10:33Ce consentement, il doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.
10:39C'est-à-dire qu'il doit être donné par quelqu'un qui est libre de ses choix, qui est en capacité de discernement,
10:43qu'il doit être donné sur chaque acte différent et en amont de chacun de ses actes, et qu'il peut être retiré à tout moment.
10:49Ce consentement doit aussi être obtenu sans l'utilisation de contraintes, violences, menaces ou surprises,
10:54et doit être apprécié au regard des circonstances.
10:57Enfin, ce consentement, il ne pourra pas être déduit du seul silence ou de l'absence de réaction de la victime.
11:02Une victime endormie ou comateuse, comme Gisèle Pellicot dans l'affaire des viols de Mazan, sera donc considérée comme non consentante.
11:09Bref, le changement majeur que vient apporter cette loi, c'est qu'elle va intégrer la notion de consentement au rapport sexuel,
11:17et complètement changer la façon de prouver et d'appréhender les VSS.
11:21Ce texte que je vous ai détaillé, il vient tout juste d'être adopté à l'Assemblée nationale, et devrait l'être dans la foulée par le Sénat.
11:28Mais attention, il ne s'appliquera que pour les faits qui auront lieu après son entrée en vigueur.
11:32Donc dans les années à venir, beaucoup de cas de VSS vont continuer d'être jugés sur la base de l'ancienne loi.
11:38En tout cas, l'apport de cette nouvelle loi pour le futur a été longuement débattu au sein du milieu juridique.
11:44C'est un vrai vrai débat qu'on a, et qu'on doit avoir en matière judiciaire et juridique.
11:48Si vous mettez au cœur de la réaction sexuelle, qu'elle soit avec pénétration ou sans pénétration,
11:53que le consentement doit être recueilli, que nous devons à tout instant de cet échange sexuel demander si l'autre est d'accord,
11:59et qu'il est bien d'accord avec ce qui va se passer, et que nous admettons qu'il a le droit de changer d'avis,
12:04et à tout moment, on change complètement le prisme. Non seulement le prisme juridique, mais même le prisme social.
12:09Un second point d'attention, c'est le manque de moyens des forces de l'ordre et de la justice.
12:14Ça, ce n'est pas près de changer, et ça s'accompagne notamment d'un manque de personnel et d'un manque de formation,
12:19notamment au recueil de la parole des victimes.
12:22La victime va devoir raconter parfois son calvaire, on a des victimes qui sont choquées, qui sont désorientées,
12:26et donc effectivement, le policier va devoir essayer de recueillir un maximum d'éléments et d'essayer d'ordonner tous ces éléments.
12:31On a des victimes qui vont beaucoup parler, des victimes qui vont pas oser parler, qui vont avoir très peur,
12:35qui se trompent ou qui reviennent parfois sur leurs propos, et donc pour les policiers, c'est toujours difficile de savoir le vrai du faux.
12:40C'est pour ça que les policiers ont aussi un devoir de neutralité.
12:43Ils doivent rapporter fidèlement par écrit ce qu'il leur a indiqué.
12:46Les policiers disposent aussi de trames avec des questions obligatoires pour essayer de prendre une plainte qui va se rapprocher le plus fidèlement possible de la réalité,
12:53pour qu'on puisse travailler correctement sur ce genre d'enquête.
12:55Mais alors ces formations des forces de l'ordre, qui sont parfois décriées, comment s'organisent-elles ?
12:59Il y a d'abord la formation initiale du policier, l'école de police, qui peut durer de 4 mois à 2 ans,
13:05selon la fonction qui va être occupée, et qui inclut des stages pratiques.
13:09Les policiers y sont formés sur de nombreux sujets, dont les VSS, mais sans se spécialiser.
13:14Les policiers, déjà en poste, peuvent aussi être formés à ces sujets, notamment par des centres régionaux de formation ou des associations.
13:20Dans les formations des forces de l'ordre, on va d'abord aller déconstruire la question du sexisme.
13:24Parce qu'on sait que si on n'est pas déconstruit au niveau du sexisme, les situations, on va aller voir avec des lunettes.
13:29Ça permet d'avoir une assise pour après aller comprendre ce que sont les violences sexistes et sexuelles.
13:33J'ai déjà eu un policier qui avait 25 ans de métier et qui m'a dit, mais Elise, je me rends compte que ça fait 25 ans que je fais de la merde.
13:41Parce qu'en fait, dans sa formation initiale, il n'y avait rien eu sur ces éléments-là.
13:44Il se rendait compte que c'est les victimes qu'il avait tendance à ne pas croire.
13:47C'est les victimes sur lesquelles il avait tendance à s'énerver.
13:49Parce que quand vous n'êtes pas formés, vous bricolez.
13:51Et ce n'est pas du bon sens et du feeling qui fait que vous vous rendez compte si les gens mentent ou pas.
13:55Bien entendu, les commissariats font avec leurs moyens humains et matériels.
13:59On peut avoir des unités qui souffrent du manque d'effectifs.
14:02Dans tous les cas, on n'arrive pas toujours à avoir des procédures ou des dépôts de plainte qui sont toujours parfaits.
14:06Mais en tout cas, les forces de l'ordre ont beaucoup progressé ces dernières années sur cette thématique,
14:11puisqu'ils ont été très largement sensibilisés.
14:13Mais sans doute, il y aura encore des progressions à voir à l'avenir.
14:16Des policiers et des gendarmes mieux formés, ils vont bien mieux chercher la caractérisation des faits.
14:20Ils vont chercher les preuves là où on peut en trouver.
14:22Sur les violences administratives, sur les violences économiques, sur tel type de témoin, sur des choses comme ça.
14:27Parce que la caractérisation des faits, c'est la base des poursuites.
14:30Vous ne pouvez pas poursuivre et condamner quelqu'un si vous n'avez pas de preuves.
14:33Voilà pour la formation des policiers.
14:35Mais si on regarde de l'autre côté, la chaîne judiciaire, on peut se demander,
14:38les métiers de la justice sont-ils suffisamment formés aux enjeux et aux notions qui entourent les VSS ?
14:43Ça fait plus de 20 ans que je suis dans la magistrature,
14:45j'ai vu une révolution culturelle.
14:47Et la formation de tous les intervenants, elle est extrêmement importante.
14:50La formation des magistrats, la formation des enquêteurs, la formation des avocats.
14:56Nous pourrions mieux former tous les intervenants de la chaîne pénale sur ces mécanismes psychiques
15:00qui peuvent bloquer une personne, comprendre ce que c'est que de la sidération
15:04et les notions d'amnésie traumatique.
15:06Ce que le trauma peut induire sur notre capacité à nous souvenir des choses.
15:11Ça permettrait à tous les intervenants de comprendre pourquoi une victime a pu évoluer dans ses déclarations.
15:16Non pas parce qu'elle mentait, mais parce que la mémoire est revenue progressivement.
15:19La justice est faite de gens comme vous et moi.
15:21Donc en réalité, c'est la société tout entière qu'il faudrait éduquer, outiller.
15:26La seule différence, c'est que c'est à la justice qu'on demande de rendre justice.
15:29Donc évidemment, elle a une responsabilité supplémentaire.
15:32Je suis convaincu que ce ne sont pas les hommes et les femmes qui composent l'univers de la justice qui sont des failles.
15:39Nous avons des failles, nous avons des défauts, comme tous les membres de la société.
15:43Nous avons des manques cruels de personnel, ça c'est une certitude.
15:47D'ailleurs, ces formations des forces de l'ordre et de la justice
15:50vont devoir à nouveau être mises à jour avec l'arrivée de cette nouvelle loi.
15:54Le troisième point qui pose problème, c'est l'idée que les victimes sont mal accompagnées et protégées tout au long de ce processus.
16:01Le média Les Jours a calculé qu'entre 2018 et 2021, un quart des femmes victimes de féminicides
16:07avaient déjà déclaré des faits de violence à la justice.
16:10Un chiffre qui concorde globalement avec les données du ministère de l'Intérieur.
16:14Negara Eri est l'avocate de la famille de Shaina, une jeune fille de 15 ans
16:18qui a été tuée puis brûlée par son compagnon en 2015 parce qu'elle était enceinte.
16:23Pourtant, deux ans auparavant, Shaina avait déposé plainte pour viol, puis pour violence en réunion.
16:29Je pense que la justice se fout des violences faites aux femmes.
16:34Ça, c'est une phrase que je dis en sortant du délibéré du procès d'Assise de Shaina.
16:39À partir du moment où la justice est supposée protéger celle qui s'adresse à elle,
16:43lorsque finalement elles sont agressées en dépit de ses premières plaintes, ça signifie bien que la justice a failli.
16:48Et je ne peux pas m'empêcher de penser que parmi toutes les femmes qui quotidiennement portent plainte pour des violences ou pour des viols,
16:54Shaina soit la seule à avoir subi ce dysfonctionnement.
16:57Dans une affaire qui est dramatique comme celle de Shaina, on doit savoir se dire qu'il y a sans doute eu un loupé quelque part
17:02de policiers, certainement de magistrats, de toutes les institutions.
17:06Ça peut arriver malheureusement. L'erreur est humaine après.
17:08Mais le but, bien évidemment, c'est de pouvoir s'améliorer.
17:10Et donc c'est important aussi pour l'institution policière, l'institution aussi judiciaire, de pouvoir de temps en temps se remettre en question.
17:16Assez naïvement, je me disais qu'à partir du moment où on remporte un procès,
17:19à partir du moment où il y a une victime qui est réhabilitée dans sa parole,
17:23on devrait être satisfait et pouvoir tourner la page judiciaire.
17:26Et là, ça n'a pas été le cas.
17:28Pourquoi ? Parce qu'une bonne justice, ça n'est pas qu'une question de résultats, c'est une question de traitement judiciaire.
17:33Le but, c'est pas seulement que la justice dise de vous que vous êtes en effet une victime,
17:38c'est qu'elle vous traite avec dignité.
17:41Et ce traitement judiciaire-là, j'estime que nous n'avons eu ni du temps de l'instruction au moment où Shaina était vivante,
17:47ni du temps des différents procès lorsque nous étions en train de défendre sa mémoire.
17:53Le risque zéro n'existe pas dans ce genre de cas, malheureusement.
17:56L'auteur des faits, il va être au courant de la procédure à son encontre.
17:59On va devoir protéger la victime, mais on ne peut pas mettre un policier derrière chaque auteur de violences conjugales.
18:04Et si un magistrat décide de classer une plainte, une enquête,
18:07le travail s'arrête là pour les policiers.
18:09Néanmoins, les policiers ont essayé de trouver des solutions pour ces victimes.
18:22Alors voilà comment on en arrive à 1% de condamnation pour les faits de violences sexistes et sexuelles,
18:28et seulement 0,4% si on se concentre uniquement sur les viols.
18:32Mais du coup, sur ces questions-là, est-ce qu'on peut avoir confiance en la justice ?
18:36Moi personnellement, est-ce que je crois en la justice ?
18:38Je pense que la justice se fout des violences aux femmes.
18:40Je crois en la justice de manière générale.
18:42Je sais que j'ai quand même énormément encore de craintes par rapport à notre système.
18:46Je crois en la justice, simplement je pense qu'il faut aider la justice à ouvrir les yeux.
18:50La justice, c'est pas une question d'y croire ou pas.
18:53C'est une question de comment on agit pour travailler de concert avec les magistrats,
18:57avec les forces de l'ordre, parce qu'on n'a pas le choix.
19:00La thématique des violences faites aux femmes n'est pas encore une thématique qui est prise à sa juste mesure.
19:04Mais d'ici 10, 20, 30 ans, pour les générations à venir, peut-être qu'on aura laissé quelques billes.
19:13Aujourd'hui, des choses sont mises en place pour tenter de faire évoluer la situation.
19:17Déjà, pour rendre le signalement des violences sexistes et sexuelles plus accessible,
19:21le gouvernement a créé en 2020 le site Arrêtons les violences.
19:24Il permet de s'informer, de signaler et d'être orienté soit vers un représentant des forces de l'ordre,
19:29via un tchat en ligne qui peut être quitté à tout moment sans laisser de traces,
19:33soit via le numéro gratuit 3919 géré par Solidarité Femmes.
19:38Quant au droit, on l'a vu, il est en cours d'évolution.
19:41L'intégration de la notion de non consentement à la définition légale du viol et de l'agression sexuelle
19:46pourrait être une avancée majeure.
19:48Mais on l'a également vu, elle ne réglera pas tout,
19:50parce que les victimes sont confrontées à une multitude d'obstacles
19:53tout au long de leur parcours judiciaire.
19:59J'ai eu levé du viol...
20:03...
20:16...
20:18Sous-titrage FR ?
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