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  • il y a 9 heures
Les invités du Grand entretien sont Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur, David Fritz-Goeppinger, ex-otage du Bataclan, “Il fallait vivre” (Leduc), Sandrine Larremendy, psychologue pour la série “Des Vivants”, le lundi 27 octobre en intégralité sur france.tv et le lundi 3 novembre sur France 2 
Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien

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Transcription
00:00Qu'est-ce qu'être en vie ? Voilà une question que l'on se pose tous, mais pour eux, eux qui ont survécu au pire, qu'est-ce que cela veut dire ?
00:08Eux ce sont les rescapés du Bataclan, plus précisément les otages qui ont été retenus pendant deux heures et demie par deux terroristes dans un couloir.
00:15Ils étaient onze, tous sont ressortis vivants et sept d'entre eux sont devenus amis pour la première fois, dix ans après, une fiction raconte leur histoire et leur retour à la vie.
00:26Elle sort aujourd'hui sur la plateforme France.tv à partir du 3 novembre sur France 2 à la télé.
00:32Cette série s'appelle « Des vivants » et c'est vous, Jean-Xavier de l'Estrade, qui l'a réalisé. Bonjour.
00:37Bonjour.
00:38C'est votre histoire qu'elle raconte, David Fritz-Guppinger, bonjour.
00:41Bonjour.
00:42La vôtre est celle donc de ces potages, contractions de potes et otages, vous allez nous en parler.
00:48C'est la vôtre aussi un peu, Sandrine Laramendi, bonjour.
00:51Bonjour.
00:52Merci d'être en duplex avec nous.
00:53Vous étiez à l'époque psychologue clinicienne à la direction de la police judiciaire.
00:57Vous étiez ce soir-là devant le Bataclan avec les négociateurs de la BRI et vous avez ensuite suivi plusieurs rescapés, dont vous, David, je crois.
01:06Avec Alexandre Abdel Saïd, on est vraiment très heureux de vous recevoir tous les trois en avant-première pour parler de cette série.
01:12Si vous voulez participer, vous qui nous écoutez, vous connaissez le numéro 0145 24 7000 et l'application de Radio France, évidemment, pour nous écrire.
01:19Et comme spectateur, on ressort, je vous le dis tout de suite, bouleversé de ces huit épisodes.
01:25Je ne peux pas imaginer ce que ça a dû être pour vous, David Fritz-Guppinger, de voir cette histoire, la vôtre, portée à l'écran et votre personnage incarné par un autre.
01:35Qu'avez-vous ressenti ?
01:37En fait, on assiste à une forme de miroir déformant.
01:40On regarde son histoire, mais ce n'est en même temps pas la nôtre.
01:43Et en même temps, c'est celle que Jean-Xavier a créée, a tissée.
01:47Et c'était absolument émouvant, déjà, de voir que la relation avec mon épouse, Doris, était mise en avant à ce point.
01:55Et j'ai dit à Jean-Xavier, une fois qu'on l'a vu, que finalement, le terrorisme se glisse dans ces petites choses qui sont absolument dégueulasses, qui viennent nous chercher dans l'après.
02:02Et je trouve que cette série le montre extrêmement bien.
02:05Dans, effectivement, les effets sur la vie sexuelle, sur la vie professionnelle.
02:09Voilà, le délabrement de la vie sexuelle, professionnelle, pourquoi on arrête de travailler, qu'est-ce qui nous abîme, qu'est-ce qui nous répare.
02:14Et les potages sont au centre de tout ça.
02:16C'est Thomas Goldberg, je le dis, excellent comme tous les comédiens qui incarnent votre personnage, David.
02:20Vous aviez beaucoup témoigné avant cette série, en interview, en podcast, en photo, c'est votre métier, vous êtes photographe, en livre.
02:27Le dernier est sorti il y a quelques semaines à peine.
02:29Est-ce que pour vous, le fait de passer désormais à la fiction, c'est une page qui se tourne, c'est une libération, c'est une dépossession de votre histoire ?
02:39Je ne parlerai pas de dépossession, parce que ça reste un peu la nôtre, j'ai envie de dire.
02:42Il y avait des rôles, je m'étais donné des rôles après le 13 novembre, qui étaient de parler aux journalistes, de parler à la presse chilienne,
02:49moi je suis né au Chili, de raconter dans un documentaire très connu ce qui nous était arrivé, etc.
02:55Et je pense que ça, c'est une étape de plus, je ne sais pas s'il y en a d'autres, mais celle-ci, c'est celle qui montre pour moi le mieux, ce qui s'est passé dans nos foyers.
03:03Et je dis souvent que lorsque les lumières s'éteignent le soir, on demeure victime, on est victime.
03:07Et cette série-là le montre, en fait.
03:10Il y a cette scène où c'est Stéphane, qui est joué par Cédric Écoute, qui est dans son lit et qui repense au tir dans le Bataclan.
03:16Et je pense que c'est très significatif de tout ça.
03:18Donc, ça raconte bien, et non seulement, ça rentre dans toutes ces missions que je me suis données derrière.
03:24Jean-Xavier de Lestrade, vous êtes le réalisateur.
03:27Quand David dit que ça n'est pas une dépossession, c'est aussi parce que vous avez travaillé à partir de ce matériau-là,
03:32de la parole des otages qui étaient dans ce couloir.
03:36Oui, oui, exactement.
03:37Ça, c'est un processus très inédit.
03:39C'est-à-dire qu'avec Antoine Lacomblaise, le scénariste, ce qu'on s'est immédiatement dit, c'est qu'il fallait écrire les scénarios à partir,
03:51et exclusivement à partir du récit des sept potages, plus quelques opérateurs de la BRI, le patron de la BRI et la psychologue.
04:01La BRI qui est intervenue ce soir-là, les policiers, pour qu'on comprenne bien.
04:05Et comment est-ce que vous êtes arrivé à la conclusion, dix ans après, que ça y est, le moment de la fiction était venu,
04:12puisqu'on l'a bien compris, c'est la première fois qu'on fait une oeuvre de fiction autour de ces attentats ?
04:18Oui, c'est la première fois. Il y a eu quelques films.
04:20Aussi frontalement. Il y a eu des films qui étaient autour.
04:22Il y a eu le film d'Alice Vinoco, mais qui était un peu autour.
04:27Effectivement, là où on est frontalement avec les faits, avec le Bataclan, avec des otages du Bataclan,
04:34tout est cité, nommé, montré, tourné dans le Bataclan.
04:38C'est ça qui est... Enfin, je voulais aussi, à la fois moi-même, me confronter au lieu et au récit.
04:45Et je voulais que le spectateur, le téléspectateur, soit aussi confronté vraiment au réel, à ce que ça avait pu être.
04:52Donc, là-dessus, il ne fallait pas tricher.
04:55Et dans le temps de la fiction, je pense qu'il fallait...
05:00Ça m'est apparu comme une évidence après le procès.
05:03Je pense qu'il fallait... Il y a le temps du recueillement, le temps du deuil, le temps de la justice aussi.
05:08Et là, il fallait attendre que toutes les parties civiles aient la possibilité de venir à la barre,
05:14déposer leur récit, pour que leur récit devienne aussi...
05:18Soit sur la place publique et devienne public, quelque sorte.
05:22Et à partir de là, je pense que nous, auteurs de fiction, on pouvait s'en emparer et on pouvait raconter cette histoire.
05:28Sandrine Harimendi, il y a aussi, pour vous, le fait de voir votre personnage porté à l'écran.
05:34Et puis, il y a votre regard de psychologue sur cette série et sur le fait, comme le dit Jean-Xavier Delestrade,
05:41de voir la fiction s'en emparer.
05:44Quel rôle peut jouer la fiction ?
05:45Alors, d'abord pour les victimes, mais aussi pour la société tout entière, après un événement aussi traumatisant.
05:51Je pense que pour les victimes, ça leur permet de prendre de la distance, de regarder leur vécu sous un autre angle,
05:58avec d'autres approches, d'autres regards.
06:01Et également, pour le plus grand public, vraiment de découvrir ce que c'est que de vivre un psychotrauma
06:10et de s'en approcher parce que je trouve que réellement, on voit à peu près tout type de réaction
06:17que chacun peut avoir face à un traumatisme joué par chacun des personnages.
06:22Que ce soit les victimes elles-mêmes, leurs proches.
06:24Les victimes, leurs proches.
06:25On ne parle pas assez souvent, je pense, des proches et de l'impact que ça peut avoir pour eux
06:29parce que ça les laisse face vraiment à leur impuissance et parfois à leur sentiment de culpabilité aussi
06:36de ne pas pouvoir soulager les personnes qu'ils aiment.
06:40Donc ça, je trouve qu'on le touche vraiment du doigt.
06:44Vous le disiez d'ailleurs, David Fritz-Göppinger, c'est ce que je retiens de ce que vous avez dit au début de l'interview.
06:50Vous avez témoigné des dizaines, des dizaines et des dizaines de fois dans des documentaires très factuels.
06:57Et là, c'est la fiction qui parle le mieux de ce que vous avez vécu.
07:01C'est vraiment ce que vous pensez.
07:02J'ai eu la chance d'assister au tournage grâce à Jean-Xavier.
07:05Je suis photographe, donc j'étais photographe de plateau sur cette série.
07:08Je me suis rendu compte que la fiction permettait de créer.
07:12Et c'est là toute la bizarrerie, c'est qu'on va créer sur quelque chose de réel.
07:16Et en effet, oui.
07:17Vous vous êtes dit, en acceptant ce projet, est-ce que vous vous êtes dit que ça peut mettre utile à moi
07:21et ça peut être utile aux autres ? Parce qu'une fiction, c'est un récit collectif.
07:25Je pense que, déjà, pour rappeler, c'est Jérôme Korkos qui est venu me trouver, un des producteurs de la série.
07:32Et Jérôme dit bien que si ça n'avait pas été une décision collégiale, si un de nous n'était pas d'accord, il n'y aurait pas eu de projet.
07:38Les sept étaient d'accord.
07:39Les sept étaient d'accord.
07:40Et je pense que ça, c'était hyper important pour nous.
07:43Marie a dit, après les attentats, qu'on s'était serré les coudes dans ce couloir.
07:46Et c'était impossible pour nous de raconter cette histoire collective, enfin cette micro-histoire collective, en n'étant pas dans cette collectivité.
07:52Et donc, oui, il a fallu quand même décider ensemble.
07:54Et cependant, Jean-Xavier Delestrade, quand je disais tout à l'heure que ça a été tourné dans le Bataclan,
07:59il y a des paroles, on en a entendu ce matin sur France Inter, d'anciens survivants qui disent
08:05« ça me dérange, ça ne me plaît pas que ça ait été tourné dans le Bataclan ».
08:08Ça, vous pouvez l'entendre ? Vous le comprenez ?
08:10Oui, complètement. Je comprends.
08:11Et peut-être que moi, si j'avais été proche de victime ou victime, j'aurais peut-être exactement la même réaction.
08:18Mais en même temps, je pense qu'ils peuvent aussi comprendre pourquoi on l'a fait et pourquoi, pour moi, ça me semblait absolument nécessaire.
08:28Parce que sur cette fiction, moi j'en ai tourné des fictions tirées de faits réels, que ce soit Laetitia, Sambre.
08:36Mais chaque fois, je m'étais décalé, j'avais plutôt tourné dans les décors qui n'étaient pas les décors du réel.
08:40Alors que là, j'ai eu le sentiment, mais très très vite, qu'au contraire, il fallait absolument tourner dans les lieux même,
08:50parce qu'on ne pouvait pas tricher avec le spectateur.
08:52Et le souci du détail que l'on a eu dans l'écriture, ce que rappelait David à l'instant, c'est montrer par où passe le trauma,
09:03comment on se relève ou on ne se relève pas.
09:06Tout ça, ça ne pouvait pas se faire si on n'avait pas quelques images du trauma et du lieu du trauma.
09:12Ce trauma qui revient sans cesse à la mémoire des victimes, évidemment, qui essayent d'avancer, mais qui sont sans cesse ramenées.
09:20On va en parler de ce retour à la vie.
09:22Mais il y a effectivement le fait de montrer les fauteuils rouges du Bataclan.
09:27Vous ne montrez pas la fosse, vous ne montrez pas tout, mais vous montrez aussi les visages des terroristes.
09:32En tout cas, vous les incarnez, vous leur donnez un visage, une parole.
09:36Vous vous êtes posé la question de le faire ou pas ?
09:38Oui, évidemment. Là aussi, pendant tout le processus d'écriture et ensuite de préparation, de tournage, de mise en scène,
09:46je pensais, moi, je me mettais toujours dans la peau des proches des victimes ou des victimes en disant
09:51comment vont-ils réagir en voyant ces images-là ?
09:54Qu'est-ce qu'on peut tourner ? Qu'est-ce qu'on ne peut pas tourner ? Qu'est-ce qu'on peut dire ? Qu'est-ce qu'on doit taire ?
09:59Et ça, dans le processus de création, c'est au centre.
10:02Et effectivement, représenter les terroristes, ça a été une question centrale.
10:06Parce qu'on aurait pu très bien avoir la position assez confortable, finalement, de ne pas vraiment les voir,
10:12de les voir toujours un peu dans le fond, flou.
10:16Mais en même temps, très vite, on s'est bien rendu compte que les otages,
10:21ceux qui étaient dans ce couloir, deux heures et demie, c'est très long,
10:24à un moment donné, ils sont confrontés à ces regards, ils sont confrontés à ces visages.
10:28Et je pense que, du coup, il fallait absolument que, puisqu'on est dans leur regard...
10:34Que le spectateur soit confronté aussi.
10:36Que le spectateur soit confronté, et puis qu'après...
10:39Enfin, c'est tout ce que j'ai démontré depuis 15 ans, dans les films que je fais, ou 20 ans,
10:44c'est que ce sont quand même des personnes humaines, aussi.
10:48Et on le voit bien, ce qui s'est passé avec le téléphone d'une des otages, Marie.
10:53Où elle découvre des messages que l'un des terroristes a envoyés à sa mère avant de mourir.
10:58Effectivement, ça aussi, c'est quelque chose qui peut faire débat.
11:00C'est humaniser, effectivement, le terrorisme.
11:02Mais vous dites, ce sont des hommes.
11:04Ben oui, oui, ils viennent de quelque part.
11:07Eux aussi, ils ont une mère, ils ont une femme, quelque part.
11:10Et avant de mourir, ils pensent à elle.
11:13Et c'est quand même des hommes qui ont grandi en France.
11:18David Fritz-Göpinger, qu'est-ce que vous pensez de ça, justement ?
11:20En effet, ça humanise, ça donne un visage, ça donne des sentiments à ces terroristes.
11:26Est-ce que ça vous impacte ?
11:27Et vous parliez de vos proches, eux aussi, quand ils ont vu ces scènes, cette série.
11:32Qu'est-ce qu'ils vous ont dit ?
11:33Mes parents l'ont vu seulement, mon frère aussi.
11:35On n'a pas vraiment discuté de tout ça.
11:37Mais encore une fois, je pense qu'on est dans quelque chose de la représentabilité.
11:42Au moment où j'ai rencontré Jean-Xavier, je suis venu avec tout un tas de prérequis,
11:47de choses qu'il fallait qu'il coche ou pas, etc.
11:49Des lignes rouges.
11:50Des lignes rouges qu'il fallait peut-être pas dépasser.
11:52Et en fait, c'était presque décourageant.
11:53Et finalement, ça ne l'a pas été.
11:55Je pense que ce qui a bien marché dans cette série, c'est que Jean-Xavier arrive à...
11:59Et pas seulement lui, toutes les personnes qui ont porté ce projet arrivent à rester, selon moi, dignes, en fait.
12:06Dans mon dernier livre, Il Fallait Vivre, je raconte mon processus dans le procès.
12:10Salah Abdeslam, qui est un des accusés du procès V13.
12:14Je dis dans ce livre que finalement, il faut le traiter comme un humain, non pas par humanisme, mais parce que le processus de justice juge des humains.
12:21Et finalement, montrer les terroristes aussi, montrer que c'était des humains.
12:24Est-ce que dire que c'est des humains, ça veut dire qu'on leur pardonne, qu'on comprend ou peu importe ?
12:28Pas forcément, on montre.
12:29Et je pense que ce n'est pas notre rôle d'aller derrière cette ligne.
12:32Sandrine Larimendi, est-ce qu'il y a une frontière entre ce que l'on peut montrer, ce que l'on ne peut pas montrer ?
12:38Je le disais, la série ne montre pas, par exemple, les victimes qui ont été, les 90 personnes qui ont été tuées dans la fosse.
12:45Est-ce qu'il y a des images, des choses qu'on ne pourra jamais montrer de ces attentats ?
12:50Oui, je pense que l'idée, c'était quand même de ne pas faire une série d'horreur.
12:54Mais quand même, malgré tout, de garder de la pudeur et de penser aussi aux familles qui souffrent et qui ont perdu des personnes endeuillées.
13:01Donc ça, je trouve que c'était plutôt bien que Jean-Xavier ne les mette pas à l'écran.
13:08Et l'idée, c'était aussi de ne pas figer les spectateurs dans la scène traumatique.
13:13Donc je pense que c'était important de montrer, de dire, mais de permettre aussi au silence et puis aux projections de chacun
13:23pour pouvoir essayer de penser un peu au trauma.
13:26C'est important de garder un peu, je pense, ces espaces.
13:29Et je voulais également dire, je pense que c'était important de montrer le visage des terroristes.
13:34Parce que comme Jean-Xavier le disait, ce sont des humains.
13:37Et c'est une rencontre d'humains qui se passe malgré tout dans ce couloir-là.
13:40Et je pense que c'est important de se décaler des visages monstrueux qui sont souvent dépeints.
13:46Parce que ça éloigne nos capacités à pouvoir penser la prévention, justement, de ce type d'attaque.
13:54Il faut se rapprocher des humains pour pouvoir un peu comprendre leur parcours et prévenir.
13:59En amont, au niveau du parcours scolaire, du parcours familial, tout un tas d'éléments
14:08qui pourraient aider à ce que des personnes soient prises en charge pour éviter ce type d'événement.
14:15Votre personnage, Sandrine Larimendi, et les psys en général sont au cœur de cette série
14:19puisque le thème central, c'est l'après.
14:23Les jours d'après, les heures même d'après, les jours d'après, les semaines d'après, les mois d'après.
14:27Et on voit que cette notion, elle est particulièrement complexe parce que, je le disais tout à l'heure,
14:31le pendant, ce qui s'est passé dans ce couloir, revient sans cesse en tête, en tout cas à la mémoire des victimes,
14:39alors que leurs proches leur disent « Allez, t'es vivant, tout va bien, passe à autre chose ».
14:43Même certaines victimes disent « Je suis vivant, allez, on tourne la page ».
14:48C'est cette complexité-là qui est intéressante, Sandrine Larimendi ?
14:51Oui, elle est intéressante et c'est réellement ce qui se passe,
14:55quel que soit le type d'événement traumatique vécu, j'ai envie de dire,
14:58il y a vraiment une difficulté dans le rapport aux autres, à ses proches, mais à des autres, à des collègues,
15:05parce qu'il y a une incompréhension souvent.
15:09Et encore une fois, comme je le disais tout à l'heure, les proches se retrouvent vraiment face à l'impuissance,
15:14ils ne savent pas comment agir.
15:16Et du coup, leur moyen, c'est souvent de dire « Mais vas-y, avance, tourne la page ».
15:21Et ce n'est pas possible, il faut du temps, il faut de l'espace,
15:25et il faut permettre à ces personnes-là, ce temps-là, avec bienveillance et empathie,
15:31de les soutenir.
15:33Bien sûr que ça prend beaucoup de temps, et c'est vrai que ce n'est pas toujours évident,
15:36on le voit très bien, je trouve, dans la série.
15:39David Fritz-Guppinger, ce qu'on voit bien aussi dans la série,
15:42c'est qu'en fait, le décalage, après ces attentats, il arrive tout de suite.
15:45On n'est tout de suite pas bien.
15:47Mais ensuite, le processus pour essayer de retrouver,
15:50si ce n'est, je vous allais nous dire, si vous avez retrouvé votre vie,
15:52ou en tout cas une vie,
15:54ça va être un très long chemin,
15:56avec des hauts, des plus hauts,
15:58et des grands bas.
16:00C'est effectivement pas tout à coup, ça y est, on guérit, hop, c'est fait.
16:03Le changement, il est aussi brutal que le surgissement de l'attentat.
16:07C'est-à-dire que moi, dix minutes avant,
16:09j'étais en train de boire une bière avec des potes,
16:10dix minutes après, j'étais tout en otage.
16:13Ce contraste, il perdure dans l'après,
16:16il touche tout.
16:17Moi, j'ai été barman, aujourd'hui, je suis photographe un peu par dépit.
16:21J'ai trouvé une psy, qui d'ailleurs est avec nous en ce moment,
16:25qui m'a beaucoup accompagné.
16:27Oui, on ne l'a pas dit, mais Sandrine Larimente,
16:28elle suit encore certains des otages.
16:30On l'a dit, à part dans Simon.
16:31Et je pense que cet après, il est aussi construit avec ses épreuves
16:37et en même temps, ses rencontres aussi.
16:39Je pense que les potages, on s'est soudés,
16:42on s'est rencontrés aussi parce qu'il y avait une nécessité
16:44de parler, de se regarder dans les yeux,
16:45de se dire, toi, t'as vu ça ?
16:47Ouais, j'ai vu ça.
16:47Ouais, mais qu'est-ce que ça t'a fait ?
16:49Et sortir du cabinet de la psy.
16:51Pardon, Sandrine, mais sortir de ça.
16:54Parce qu'il faut justement créer de l'humain,
16:57créer du vivant.
16:58Et je pense que c'est vraiment ce qui nous a portés dans l'après.
17:02Il y a eu les potages, il y a eu des rencontres,
17:04je pense aux associations, Life for Paris,
17:0613-11-15, Fraternité Vérité.
17:08Il n'y a pas que les potages,
17:09il y a toute une communauté de vivants
17:10qui entoure ces attentats
17:11et qui dénonce en même temps la mission du terrorisme ce soir-là.
17:14C'était celui de viser la société.
17:16On a fait bloc contre, on continue de faire bloc contre.
17:18Et non, je n'ai pas encore récupéré ma vie.
17:20Je pense qu'aujourd'hui, j'en ai une autre,
17:22j'en ai une nouvelle.
17:23Et je pense que je deal avec celle qui me reste, on va dire.
17:25Vous parlez de la complexité, effectivement, de l'après.
17:29Encore une fois, que montre particulièrement bien la série.
17:31Il y a un personnage qui, devant le personnage de la psy,
17:35qui pourrait être vous, Sandrine Larimendi,
17:38dit, c'est le personnage de Grégory,
17:40dit qu'il déteste le mot résilience,
17:42qu'il n'a pas envie qu'on lui parle de ça.
17:44Est-ce que c'est votre cas, d'abord, à vous, David ?
17:46Je pense que la résilience,
17:49à force d'injonction,
17:51à force d'en parler,
17:52pas forcément l'assigner aux victimes,
17:54pas forcément le dire.
17:55Vous dites que, oui, parfois les proches nous disent de passer à autre chose.
17:58À force d'en parler,
18:00les victimes peuvent se sentir visées
18:01et peuvent se sentir obligées.
18:04Je vais rappeler à ce micro que, il y a un an et demi,
18:06Fred Deville, bédéiste,
18:08victime des attentats du 13 novembre au Bataclan,
18:09s'est suicidé.
18:10Et je pense que c'est important d'en parler,
18:12parce que ça raconte aussi un chemin
18:13qui n'est pas seulement celui de la résilience,
18:15ce qui n'est pas seulement celui de l'assignation de la société,
18:18de dire, oui, être victime, c'est être héroïque,
18:19être beau, être, j'en sais rien,
18:21être belle, être plus fort, etc.
18:23Ce n'est pas forcément être ça.
18:24Vous pouvez que ça se parler de transformation ?
18:26Oui, exactement.
18:27Je pense qu'il y a une transformation,
18:29et cette transformation,
18:29elle passe à travers plein de phases
18:31que j'essaie de décrire dans mon livre,
18:33dans les choses qu'on fait,
18:34que cette série aussi décrit.
18:35Et ça, c'est votre métier,
18:36Sandrine Larmendi,
18:37d'amener les patients,
18:38comme David,
18:39à essayer de faire quelque chose
18:41de cet événement impensable,
18:44de devenir quelqu'un d'autre,
18:45mais pas de redevenir celui qu'on était après.
18:47Avant, pardon.
18:48Oui, comme David disait,
18:50nous, notre but,
18:51c'est qu'ils sortent, au contraire,
18:52de notre bureau,
18:53le mieux et le plus vite possible.
18:55Et l'idée, c'est vraiment
18:56de les aider à transformer
18:57ce fégu qui est très brut,
18:59et puis de soutenir une mise en mots,
19:01et puis surtout une mise en sens
19:03de ce vécu qui est très particulier,
19:06et essayer de rendre possible
19:08une reprise de la vie psychique
19:10et relationnelle
19:11qui a été très abîmée
19:13pendant toutes ces années.
19:15Jean-Xavier de Lestrade,
19:16il y a d'autres à qui la série
19:18donne des visages,
19:19et des visages qu'on ne voit
19:20strictement jamais.
19:21Ce sont les hommes de la BRI,
19:22ce sont ceux qui ont donné l'assaut,
19:24mis fin à la prise d'otages.
19:26Ça vous intéressait de montrer
19:27le lien, l'humanité,
19:29entre des hommes qui sont formés
19:31pour laisser leurs émotions de côté,
19:33et des victimes qui se battent
19:34pour ne pas se laisser étouffer
19:36par les leurs.
19:37Oui, oui, c'est aussi
19:38parce que c'est totalement inédit
19:40et très singulier
19:40dans l'histoire des potages.
19:42C'est que, pour la première fois,
19:44les hommes d'une troupe d'élite,
19:46les hommes de la BRI,
19:48c'est eux qui ont donné l'assaut
19:49au Bataclan,
19:50et pour la première fois,
19:52ils se sont liés
19:53avec des personnes
19:54qu'ils ont sauvées.
19:56Et ça, je voulais vraiment
19:58qu'on le montre dans la série,
19:59montrer ces hommes
20:00qu'on a l'habitude
20:01de voir cagoulés
20:03avec des armures
20:04presque de chevaliers
20:06et surarmés,
20:08de les voir sans cagoule,
20:10sans armes,
20:11et de les voir
20:11comme les personnes
20:14qu'ils ont sauvées.
20:14Et il y a une scène
20:15dans la série
20:16qui m'émeut profondément,
20:19c'est de voir cette rencontre
20:21et comment les hommes
20:23de la BRI se confient,
20:25confient leurs propres expériences
20:27aux otages,
20:29parce que comme ils ont vécu
20:30la même chose,
20:31ils ont été au même endroit,
20:32quelque part,
20:33ils ont vécu
20:34la même horreur.
20:35David, c'est vous
20:36qui avez tenu
20:36à les rencontrer.
20:37Il y a cette scène
20:37dans la série
20:38où vous demandez
20:40un numéro de téléphone
20:40qu'on n'est pas du tout
20:41censé vous donner.
20:42Vous le notez sur un post-it,
20:44on vous dit
20:44t'appelles une fois
20:45et ensuite tu le brûles.
20:46Et vous allez le faire,
20:47vous allez appeler une fois,
20:48laisser un message
20:49et brûler ensuite le post-it.
20:51C'est là où on voit
20:52que la réalité est parfois
20:54plus dingue que la fiction,
20:55c'est que oui,
20:55c'est arrivé.
20:56C'est arrivé vraiment ça ?
20:57Et ensuite,
20:58pourquoi est-ce que
20:59vous vouliez les rencontrer ?
21:00Vous aviez cette urgence ?
21:01Oui, il y a cette urgence
21:02de les remercier.
21:03Moi, je me qualifie
21:04d'humaniste
21:05et donc j'avais besoin
21:06de leur serrer la main
21:06en leur disant
21:07les gars,
21:08personne ne pouvait rentrer
21:09dans ce couloir
21:09et nous délivrer.
21:11Et quelque part,
21:12j'avais envie de leur rendre hommage
21:13comme Jean-Xavier
21:14leur rend hommage,
21:14comme la société
21:15leur rend hommage.
21:16Il y a un petit regret
21:17que je vais exprimer aujourd'hui
21:18qui est celui de dire
21:19que les hommes de la Béry
21:19n'ont pas été médaillés
21:20après le 13 novembre.
21:21Il y a eu des reconnaissances
21:22internes au service,
21:23etc.
21:23et ils n'ont pas eu de médaille.
21:24Et donc,
21:26je suis content
21:27qu'ils soient à l'écran
21:28et qu'on parlait d'humanité
21:30tout à l'heure
21:30et qu'on montre aussi
21:31un regard humain
21:31derrière ces cagoules,
21:32derrière ces casques,
21:33derrière ces armes
21:34et cet engagement ultime,
21:36celui de nous délivrer.
21:37Justement,
21:38Sandrine Larébendi,
21:39vous étiez avec ces hommes
21:40à l'extérieur du Bataclan
21:41juste avant l'assaut,
21:42avec les négociateurs
21:44de la Béry.
21:45C'est vous qui écoutez
21:46les terroristes
21:47et qui dites
21:48« là, on peut y aller,
21:50je crois qu'on peut donner
21:50l'assaut »
21:51et la série montre
21:52cette scène incroyable.
21:54Et derrière,
21:55vous avez donc suivi
21:56des rescapés
21:56comme David.
21:58Ça a été difficile pour vous
21:59d'être des deux côtés
22:01du miroir en quelque sorte ?
22:02Oui,
22:03et ça n'arrive jamais
22:04habituellement.
22:05Là,
22:06c'est vrai que
22:06je tiens quand même
22:07à préciser
22:08que la psychologue
22:10est associée
22:11au groupe négociation
22:12mais que ce n'est évidemment
22:12pas elle
22:13qui prend la décision
22:14de l'assaut.
22:14Vous donnez un avis, oui.
22:16Elle est consultée,
22:17on donne un avis,
22:18on a travaillé
22:19avec les deux négociateurs
22:21qui étaient présents
22:22ce soir-là
22:22à essayer de penser
22:24au mieux
22:24à cette intervention.
22:26Mais évidemment,
22:27la responsabilité,
22:27elle reste au chef
22:29du service
22:31de la Béry.
22:32Oui,
22:32c'est compliqué
22:33d'être sur les deux plans,
22:36c'est inédit.
22:37J'en ai d'ailleurs
22:38parlé dans ma thèse
22:40que je soutiens
22:41le 14 novembre.
22:41Oui,
22:42le 14 novembre.
22:43Il faut vraiment
22:45pouvoir travailler
22:46avec un superviseur
22:47pour prendre de la distance
22:48et ne pas mélanger
22:50ses propres ressentis
22:52avec ceux des patients.
22:54De toute façon,
22:54ça c'est le travail
22:55que le psy a à faire
22:56en général
22:57mais avec son analyste
22:58mais également
22:59avec un superviseur
23:00pour essayer de penser
23:01un peu cette place
23:02très particulière
23:03à cet endroit-là.
23:05C'est vrai qu'on avait
23:05tellement de personnes
23:07à recevoir
23:08qu'ils sont arrivés
23:10dans mon bureau
23:11un peu par hasard
23:12et puis finalement
23:13le lien s'est construit
23:14on a réussi quand même
23:15à faire je pense
23:15du bon travail
23:16ensemble
23:17donc c'est ça
23:19qui est important
23:19à garder aujourd'hui.
23:20On est dix ans plus tard
23:22David Fritz-Göpinger
23:23est-ce que vous avez peur
23:25que la société oublie ?
23:26Est-ce que c'est aussi
23:26une des raisons
23:27pour lesquelles
23:27vous acceptez ce projet ?
23:29Là on va avoir
23:30des grandes commémorations
23:31mais ensuite
23:32ou bien déjà
23:33parce que je sais
23:34que vous parlez
23:35à des classes
23:35vous parlez à des jeunes
23:36Oui, je ne suis pas le seul
23:37mais on parle à des jeunes
23:39Stéphane et moi
23:39allons en classe.
23:41Est-ce que vous avez eu peur
23:43à un moment donné
23:44qu'on vous oublie ?
23:45Ou pas ?
23:45Moi je n'ai jamais eu peur de ça.
23:47En revanche
23:47quand malheureusement
23:48j'entends à la télé
23:50où je vois des titres
23:51de journaux
23:52qui titrent
23:52les attentats du Bataclan
23:54je pense que ça
23:54ça parle d'un certain oubli
23:57quand même.
23:58Le 13 novembre
23:58c'est quand même
23:59les terrasses
23:59c'est quand même
23:59le Stade de France
24:00il y a une victime
24:00qui est décédée
24:01au Stade de France
24:01qui s'appelle Manuel Dias
24:03personne n'en parle
24:03je pense que c'est important
24:05de revenir à ça
24:05quand même dix ans après
24:06à cette conjoncture
24:09à tout ce qui s'est passé
24:10ce soir-là
24:10et là ça me fait peur
24:12moi qu'on m'oublie
24:12quelque part
24:13je le souhaite
24:13au fond.
24:14Oui parce que vous dites
24:15que vous avez envie
24:17que la société continue
24:18évidemment de se souvenir
24:19et que vous
24:19vous avez envie
24:20d'être une victime
24:21à la retraite
24:21une victime
24:23à la retraite
24:23c'est aussi
24:24la fonction de cette série
24:26Jean-Xavier Delestrade
24:27de leur permettre
24:27d'être des victimes
24:28à la retraite.
24:29Oui
24:29leur permettre
24:30un tout petit peu
24:31peut-être
24:32de se déposséder
24:34légèrement
24:34de cette histoire-là
24:36et de la rendre
24:38totalement publique
24:40enfin de la partager
24:41avec un très vaste public
24:45et ça c'est aussi
24:46la fonction
24:46je pense de la fiction
24:48c'est très important
24:49parce que
24:50vous parliez
24:51de ce souvenir
24:52oui on est dix ans après
24:53et moi je pense
24:54que ça c'est le rôle
24:55aussi de la fiction
24:56et de cette série
24:57c'est de pouvoir
24:58qu'est-ce qui lit les gens
25:01qu'est-ce qui fait
25:01socle commun
25:02c'est vraiment
25:03les histoires
25:04que l'on se raconte
25:05et les histoires
25:06que l'on se partage
25:07et cette histoire-là
25:08il faut la partager
25:09il faut se la raconter.
25:11C'est une série
25:12c'est un choc
25:12qui s'appelle
25:13Des vivants
25:14à retrouver donc
25:15dès aujourd'hui
25:16sur la plateforme
25:17France.tv
25:17à partir du 3 novembre
25:19sur France 2
25:19avec je les cite
25:20parce qu'ils sont tous
25:21encore une fois
25:21excellents
25:22Alix Poisson
25:23Benjamin Laverne
25:23Félix Moati
25:24Antoine Reinhardt
25:25Anne Steffens
25:26Cédric Ecoute
25:27et Thomas Goldberg
25:28qui interprètent
25:29Marie Arnaud
25:30Sébastien Grégory
25:30Caroline Stéphane
25:32et vous David
25:32David Fritz Goppinger
25:34votre livre
25:35Il fallait vivre
25:36vient de sortir
25:37chez Le Duc
25:38et votre thèse
25:39Sandrine Laramendi
25:41s'appelle
25:41La pratique du psychologue
25:42en police judiciaire
25:43en jeu
25:44et défi
25:44d'une clinique
25:45de l'extrême
25:46merci à tous les trois
25:47et merci à ICPI Basque
25:48pour l'organisation
25:49du duplex
25:50avec vous Sandrine
25:51et merci à tous les deux
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