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  • il y a 10 heures
Avec Aziliz Le Corre, journaliste et autrice de l’essai “L’enfant est l’avenir de l’homme” (Albin Michel) et Charlotte Debest, sociologue et autrice de l’essai “Elles vont finir seules avec leurs chats” (La Meute).
Retrouvez « Le débat de la grande matinale » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00A l'occasion du lancement de mon petit France Inter, radio dédiée aux enfants à partir de 6 ans.
00:07Dans ce contexte, notre débat est un petit peu à contre-courant ce matin,
00:13puisqu'il porte sur le choix de ne pas avoir d'enfants.
00:17Étude de l'INED, publiée cet été, plus de 12% des Français déclarent en 2024 ne pas vouloir d'enfants,
00:26contre 6% en 2005, il y a 20 ans.
00:30Et le phénomène est encore plus marqué chez les jeunes, chez les 18-29 ans.
00:36Alors comment expliquer ce refus de faire des enfants ?
00:40Hier c'était une attitude taboue, stigmatisée.
00:45Le choix de ne pas avoir d'enfants est-il en train de changer de nature, de s'ancrer dans la société ?
00:52Est-ce qu'on s'en réjouit ou pas ?
00:53On va en débattre avec Asilise Lecorps, bonjour.
00:57Bonjour.
00:58Journaliste, auteur de l'essai L'enfant et l'avenir de l'homme aux éditions Albain Michel.
01:04Et avec Charlotte Debest, bonjour.
01:08Bonjour.
01:08Vous êtes sociologue, spécialiste du non-désir d'enfant et auteur du livre
01:13Elles vont finir seules avec leur chat.
01:17C'est aux éditions La Meute et vous êtes en duplex ce matin avec nous des studios d'ici Armorique à Rennes.
01:27Alors repartons du constat de ce net recul du désir d'enfant que l'on mesure, donc chiffre à l'appui.
01:35A quoi assiste-t-on ? Selon vous, Asilise Lecorps, le non-désir d'enfant, est-ce qu'il s'ancre de plus en plus dans la société française selon vous ?
01:48Moi, à l'origine de ce livre, il y a la compréhension d'abord, la volonté de comprendre un paradoxe.
01:53Puisque depuis 15 ans, au-delà des chiffres que vous avez cités, il y a une baisse continue de la natalité, une baisse de 20% en France.
02:02Et paradoxalement, il y a une augmentation des discours qui nous expliquent qu'il n'est pas bon de faire des enfants.
02:09Et ça, ces discours ont émergé il y a à peu près 5-10 ans.
02:14Alors même quand on ne fait plus d'enfants, on nous dit qu'il ne faut plus en faire.
02:17Donc j'ai essayé de comprendre pourquoi ces discours émergeaient.
02:21Et finalement, j'ai remarqué qu'il y avait de nouvelles injonctions pour ma génération et pour celles qui viennent à ne pas faire d'enfants.
02:29C'est-à-dire, ne mettez pas un enfant au monde parce que vous allez ajouter un pollueur de plus pour le mouvement No Kids.
02:35Pour toute une partie des child freeze, ça consiste aussi à dire, mais finalement c'est égoïste, faites un enfant pour vous.
02:41Et vous ne pourrez plus en plus jouir de votre existence en ayant des enfants.
02:45Et puis il y a, me semble-t-il, une dernière injonction qui, là, intéressera particulièrement les femmes.
02:52C'est, consacrez-vous d'abord à votre carrière et les enfants, si vous voulez, c'est une aliénation, donc méfiez-vous.
03:00Et ça, ce sont des discours qui sont extrêmement neufs et, encore une fois, qui pèsent pour grande majorité,
03:06non seulement sur les générations qui viennent, mais aussi, encore une fois, particulièrement sur les femmes.
03:10– Charlotte Debest, ces injonctions à ne pas faire d'enfants, vous les repérez, vous aussi, dans vos travaux de sociologie ?
03:21– Alors, je les repère pas vraiment, c'est-à-dire que là, on est plutôt sur, il me semble, des discours qui sont très à la marge.
03:27En effet, ils existent, ils sont relativement nouveaux, ils peuvent être assez diffusés, notamment via les réseaux sociaux,
03:32donc tout le mouvement No Kid, Chai Free, autour la question de l'écologie, un pollueur de plus.
03:38Mais c'est quand même pas le discours dominant dans l'ensemble de la société,
03:42notamment de par les politiques publiques et les prises de parole politiques, cette injonction à ne pas faire d'enfants.
03:48– Mais alors, pourquoi on en fait moins ?
03:51– Alors, pourquoi on en fait moins ?
03:53Déjà, donc, les études, en effet, il y a une baisse de la natalité.
03:57Une baisse de la natalité, ça veut pas forcément dire qu'il y a de moins en moins de parents.
04:01C'est-à-dire que ça peut être qu'on ne fait pas le deuxième ou le troisième enfant qu'on aurait pu faire.
04:06Ensuite, donc, on est à peu près à 6-5% en 2005 puis en 2010 de personnes qu'on peut considérer comme ne voulant pas d'enfants.
04:14Et donc, en 2025, cette même enquête de l'Inette qui a été reconduite, on est à 12% de certainement pas.
04:21Et je pense quand même que de dire qu'on ne veut certainement pas d'enfants,
04:24c'est pas la même chose que de dire qu'on ne veut d'enfants ni maintenant ni plus tard, ce qui était le cas en 2005 et en 2010.
04:29– Où est la nuance ? Expliquez-la.
04:31– Certainement pas, c'est-à-dire non, actuellement, j'en aurai certainement pas.
04:36Alors que de dire j'en veux ni maintenant ni plus tard, on projette la personne dans un temps plus long,
04:41on ne lui demande pas juste son avis à un instant T au vu des conditions actuelles.
04:45Donc, c'est quand même beaucoup plus ferme et engageant de dire ni maintenant ni plus tard que de dire certainement pas.
04:51Même ces 12%, ça veut quand même dire que la majorité des personnes, la grande majorité des personnes, souhaite des enfants.
05:00Après, la question justement, ça peut être, voilà, est-ce que les conditions sont réunies ?
05:04Il y a en effet la question des discours qu'on peut entendre selon sa classe sociale, selon son milieu.
05:08Il y a la question des conditions de vie, d'éventuelles précarités.
05:12Et il y a aussi, bien évidemment, la question de l'égalité femmes-âmes.
05:15– Oui, ça, c'est un point qu'on va aborder.
05:17Vous souhaitiez réagir, Asilise Lecor ?
05:20– Oui, ce qui est intéressant en effet, c'est de constater qu'il y a une différence entre le nombre d'enfants que l'on a et le nombre d'enfants souhaités.
05:29En France, on estime que les femmes ont en moyenne 1,7, alors 6 maintenant enfants, mais souhaiteraient idéalement en avoir 2,3.
05:38Donc là aussi, on voit qu'en fait, on n'aide pas finalement les parents qui le souhaitent à le devenir.
05:43Et je pense que les discours politiques, on voit qu'ils se ressaisissent de cette question, mais c'est extrêmement récent.
05:49Et d'ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que ça va de la gauche à la droite.
05:54Je veux dire, c'est tous les partis, mais parce qu'il y a d'abord un enjeu économique.
05:57Or, posons la question de savoir pourquoi est-ce que dans notre vie, dans notre façon, si vous voulez, de nous organiser,
06:05les enfants ne sont pas faciles à accueillir.
06:09Et c'est pour ça que je remercie d'ailleurs France Inter de consacrer sa journée aux enfants,
06:11parce qu'ils sont aujourd'hui dans la société invisibilisée.
06:14On ne les voit pas. Si vous sortez de chez vous, il n'y a pas d'enfants.
06:16Et on essaye d'effacer l'espace public des êtres vulnérables,
06:22c'est la même personne pour les personnes âgées,
06:23parce qu'ils ne correspondent pas aussi à ce que souhaite le marché,
06:26de cette efficacité, de cette rapidité.
06:30Et se pose véritablement la question de comment est-ce qu'on fait pour permettre notamment aux femmes
06:34de pouvoir se consacrer à leur maternité.
06:37Les femmes qui le souhaitent aujourd'hui, si vous voulez,
06:40elles doivent retourner pour leurs deux premiers enfants à deux mois et demi au travail,
06:43alors qu'elles ne sont pas cicatrisées,
06:44que notre cerveau est encore programmé pour nous attacher à cet enfant.
06:50Donc forcément, tout ce dont on parle, c'est-à-dire les dépressions post-partum, etc., qui sont réelles,
06:57pourquoi elles existent ?
06:58Elles existent aussi parce qu'il y a un trop-plein,
07:00et qu'on ne prend pas suffisamment soin des femmes qui mettent des enfants au monde.
07:04Comment vous réagissez à ces propos, Charlotte Debesse ?
07:08L'idée d'une société devenue, comment dire, qui ne fait plus sa place à l'enfant et aux enfants ?
07:18Je suis assez d'accord.
07:20C'est-à-dire qu'on est dans une société où finalement, on sépare tout à fait les différentes sphères.
07:27C'est-à-dire qu'il y aurait la sphère du travail, il y aurait la sphère de la famille,
07:30il y aurait la sphère de l'espace public.
07:32Et on voit bien que c'est beaucoup plus complexe que ça,
07:34que quand on va au travail, si on est parent, on est toujours parent même au travail.
07:38Quand on est parent, on peut quand même avoir des questionnements sur sa profession.
07:43Et qu'en effet, les enfants, finalement, sont réservés au cadre familial et au cadre privé.
07:51Ce qui est problématique, notamment, particulièrement pour les femmes, en effet,
07:54qui sont encore aujourd'hui largement les premières à s'occuper des enfants,
08:00à devoir articuler leur vie professionnelle et leur vie familiale.
08:05Et donc, d'une certaine manière, je suis pour une fluidité des espaces.
08:08C'est-à-dire qu'en effet, ces enfants, comme n'importe quelle personne, ils existent.
08:12On ne peut pas les cantonner à la vie privée,
08:14ce qui fait que forcément, ça pèse principalement sur les femmes.
08:17Et ça entraîne aussi tout un nombre d'inégalités salariales, d'épanouissements.
08:21Oui, Asilise, le corps, la question de l'égalité homme-femme,
08:29de l'inégale répartition du travail domestique et parental,
08:35c'est aussi l'une des explications dans le fait de ne pas vouloir faire d'enfants
08:42ou d'en faire moins ?
08:43Moi, dans les couples que j'ai rencontrés,
08:44puisqu'il y a toute une enquête journalistique dans mon livre, dans une première partie,
08:48et ensuite, il y a une réponse de ma part, liée à mon expérience de mère.
08:53Mais ce que j'ai constaté, moi, ce n'est pas tellement cette inquiétude.
08:57C'est plutôt, chez les jeunes femmes, j'entends,
09:00la crainte de ne plus, si vous voulez, pouvoir progresser dans la carrière.
09:05Elles ne pensent pas tellement à leur foyer,
09:06puisqu'en fait, les hommes de notre génération quand même progressent sur ces questions.
09:09On n'y est peut-être pas encore, mais ce ne sont plus nos pères ou nos grands-pères.
09:13Le pire est derrière vous, oui.
09:15J'ai l'impression.
09:16Et en revanche...
09:18Ce n'est pas ce que montrent les dernières études,
09:20notamment sur les représentations sur les jeunes, mais...
09:23Ah oui ?
09:25C'est simplement, juste pour terminer ce propos,
09:28ce que les femmes me disaient,
09:29c'est qu'elles me disaient, et certaines vraiment avec des larmes dans les yeux,
09:33c'est-à-dire, j'ai ce désir en moi,
09:35c'est-à-dire qu'il y a, pour certaines femmes, pas toutes,
09:37mais un appel du ventre.
09:39Moi, c'est ce que j'ai ressenti aussi,
09:40ce désir viscéral de porter la vie.
09:43Mais à quel moment ?
09:44Puisque les injonctions sont contraires.
09:45Aujourd'hui, on nous dit, c'est trop tôt, tu es trop jeune,
09:48tu vas foutre ta vie en l'air parce que tu vas prendre une pause,
09:51tu ne vas plus...
09:52Tu vas te dépendre financièrement de l'État,
09:55après peut-être d'un homme.
09:57Et donc, en fait, les personnes les plus discriminées aujourd'hui,
09:59ce sont ces personnes qui se retirent, finalement, du marché
10:02et qui osent affirmer un autre choix de vie,
10:05qui est la possibilité de se consacrer à son foyer.
10:07Et moi, les jeunes filles me disaient,
10:11j'ai l'impression qu'il faut choisir,
10:13qu'on ne peut pas être les deux.
10:14Et je trouve que c'est quand même terrible qu'aujourd'hui,
10:17les jeunes femmes en soient encore là.
10:18Alors qu'en fait, les politiques, justement,
10:21et le discours, à mon avis, féministe,
10:23devraient se porter sur comment est-ce qu'on aide les femmes
10:25qui le veulent à devenir mères dans les meilleures conditions possibles.
10:29Sur ce point, sur ce discours féministe-là,
10:34Charlotte Debesse, quelle est votre analyse ?
10:37Ben oui, bien évidemment, un discours féministe,
10:40c'est-à-dire finalement un discours qui souhaite l'égalité
10:42entre les femmes et les hommes,
10:43devrait permettre à tout à chacun et tout à chacune
10:46de s'épanouir comme il le souhaite,
10:48avec les meilleures conditions de vie.
10:50Mais ça n'est pas le cas ?
10:52Ben, c'est pas le cas, non.
10:54C'est-à-dire que, par exemple,
10:56même si peut-être que les hommes prennent de plus en plus en charge,
10:58les enfants et encore...
11:00Enfin, les études, en tout cas, statistiques et économiques,
11:02ne montent pas ça.
11:03C'est-à-dire qu'on est encore à 77% des hommes
11:06qui déclarent aucun impact sur leur vie professionnelle
11:08à l'arrivée des enfants.
11:10C'est énorme.
11:11Et c'est dommage aussi pour eux.
11:13C'est-à-dire que c'est aussi
11:14comment on fait pour réfléchir à la paternité ?
11:16C'est-à-dire comment on fait pour que
11:18les hommes ne privilégient pas,
11:23pour tout un tas de raisons,
11:24finalement leur carrière par rapport à leur vie de famille
11:26et qu'on leur permette d'être avec leurs enfants
11:31et de vivre ça.
11:32Donc c'est aussi les couper complètement
11:34d'une sphère ou d'un espace possible
11:38qu'est la parentalité pleine.
11:41Et après, chez les jeunes,
11:42il y a quand même, toutes les études le montrent,
11:44un retour, donc chez les 15-20 ans,
11:48des stéréotypes, disons, traditionnels ou sexistes
11:51autour de la prise en charge des enfants
11:54et des rôles des hommes et des femmes
11:57dans la parentalité.
11:59Je disais le pire est derrière nous,
12:01mais en fait non.
12:02Et ça, pour le coup, c'est à la marge.
12:03Le masculinisme ou le mouvement trad-wife,
12:06ce sont surtout des expressions
12:08que l'on retrouve sur les réseaux sociaux.
12:09Mais je pense que le féminisme a un tort aussi.
12:12C'est de couper les femmes de leur corps
12:14et de leur possibilité de devenir mère.
12:16Quand on lit Simone de Beauvoir,
12:19elle disait, son malheur, en parlant de la femme,
12:20c'est d'avoir été, vous et biologiquement,
12:23répété la vie.
12:24Et quand on lit Elisabeth Belinter,
12:26ensuite, on comprend qu'il y a toujours
12:28cette volonté de faire de la femme
12:29un homme comme un autre,
12:30en disant finalement,
12:32ne devenez pas mère,
12:34ou en tout cas, devenez-le.
12:36Et par exemple, n'allaitez pas.
12:37Elle a une forme d'obsession avec l'allaitement
12:39parce que ça renverrait à notre animalité
12:41et à cette forme d'instinct
12:43qu'elle pense qu'il y ait un instinct
12:44seulement social.
12:46Or, il se trouve que ça fait aussi partie
12:48de nos désirs profonds
12:50et de notre humanité,
12:51ce besoin de déverser l'amour
12:53sur un autre être
12:53qui peut être un enfant.
12:55Merci, Asilise Lecor.
12:57Simone de Beauvoir et Elisabeth Belinter,
12:58on n'est quand même pas sur les jeunes générations
13:00des féministes.
13:01Non, mais ça découle, si vous voulez,
13:04la perception du féminisme aujourd'hui
13:05découle de cela
13:05et je suis heureuse d'entendre des féministes
13:07qui disent comment permettre aux femmes
13:09de devenir mères
13:10et qu'ils n'opposent pas.
13:10Mais ça existe toujours.
13:12Moi, j'ai toujours entendu
13:13consacre-toi d'abord à ta créère
13:15et quand je suis tombée enceinte,
13:16on m'a dit
13:17tu es un peu jeune,
13:17tu as tout foutu en l'air.
13:18Et ce sont des femmes qui me l'ont dit.
13:20Merci à toutes les deux.
13:21Asilise Lecor,
13:22l'enfant et l'avenir de l'homme
13:24aux éditions Albain Michel,
13:26Charlotte Debesse
13:27qui était en duplex
13:28depuis les studios d'ici Armory
13:31qu'on salue au passage.
13:33À Rennes,
13:33votre livre,
13:34elles vont finir seules
13:35avec leur chat
13:36aux éditions La Meute, Sonia.
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