- il y a 2 mois
Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, était l'invité du Face à Face sur RMC et BFMTV ce vendredi 19 septembre. Il est revenu sur l’affaire du policier agressé à Tourcoing et la mobilisation du 18 septembre.
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00:00Bonjour Alain Boer, merci de répondre à mes questions ce matin.
00:03Vous êtes professeur de criminologie au Centre National des Arts et Métiers.
00:10Vous êtes responsable du pôle sécurité, défense et renseignement.
00:13Vous venez de publier au bout de l'enquête ce livre que vous écrivez aussi avec Marie Drucker.
00:17Alain Boer, hier les manifestations se sont déroulées dans le calme.
00:22Est-ce que ça veut dire que les manifestants étaient calmes
00:25ou est-ce que ça veut dire que les policiers ont bien bossé ?
00:28Les deux.
00:28Vous avez une réorganisation des manifestations syndicales
00:34grâce à une volonté très ferme de l'intersyndicale de gérer des manifestations
00:38de type classique, bon enfant, avec relativement peu de débordements.
00:44Il y en a par-ci par-là, mais très peu.
00:46Un niveau de mobilisation moyen, car le télétravail d'un côté,
00:51la peur de la violence de l'autre avait éloigné beaucoup de citoyens,
00:55de familles du mouvement social, puis c'était une manifestation de la semaine.
01:01D'après le ministère de l'Intérieur, un million d'après les organisateurs.
01:04J'étais venu il y a quelques années à expliquer qu'on prenait le chiffre de la police,
01:07on rajoutait celui des manifestants et on divisait par deux, on avait quelque chose.
01:11Donc en gros, on est autour de 700 000.
01:12Entre 750 000.
01:14Mais c'est raisonnable.
01:15L'écart est très faible.
01:16D'habitude, les organisateurs vous en annoncent 5 millions et la police 100 000.
01:19Donc tout le monde est à peu près honnête dans son estimation.
01:22Et on est dans une situation où les syndicats ont repris la main.
01:26Et surtout, la mutation des méthodes de gestion des manifestations par la police,
01:32depuis le préfet Lallemand, qui est arrivé en plein chaos des Gilets jaunes,
01:35jusqu'au préfet Nunez, puis les schémas nationaux de maintien de l'ordre,
01:39qui est encore évolué il y a 15 jours,
01:41amène à être plus au contact, plus en anticipation, plus en prévention, plus en prévision.
01:46Et donc, en interpellant ou en empêchant des casseurs ou des blocages,
01:53ce n'est pas la même chose, de manière anticipée.
01:56Et ceci amène beaucoup moins de violence et de casse au moment où,
02:01c'est-à-dire plutôt la fin de manifestation ou la deuxième partie de manifestation.
02:05Donc tout le monde a très bien fait son travail.
02:07Chacun pour protéger la liberté des manifestants et pour empêcher la casse.
02:11Est-ce que cette nouvelle technique, vous pouvez nous en donner quelques explications ?
02:15Ça veut dire qu'on arrête de manière préventive.
02:18Pourtant, hier, il n'y a pas non plus beaucoup d'arrestations.
02:20Alors, on interpelle de manière pas préventive.
02:24On interpelle sur le moment, en flagrant délit.
02:26Mais on peut retarder, bloquer, contrôler, créer les conditions.
02:31Une absence de blocage ne nécessite pas de nombreuses interpellations.
02:34Elle nécessite juste de faire éparpiller ceux qui voulaient bloquer.
02:37Ce n'est pas exactement la même chose.
02:39Et puis, entre l'interpellation et le contrôle d'identité,
02:42avant la garde à vue, il y a un espace de 4 heures, dit la Cour des cassations,
02:47qui est parfois extrêmement utile.
02:50Et enfin, le renseignement a très bien fait son travail.
02:53A la fois en anticipant un risque majeur qui a été annoncé...
02:55Est-ce qu'il n'a pas été surestimé, ce risque majeur ?
02:57Quand on entendait la veille le ministre de l'Intérieur,
03:00y compris à mon micro ou dans le face-à-face,
03:02qui estimait entre 3 et 10 000 le nombre de casseurs,
03:07quasiment casseurs professionnels,
03:09pour reprendre même les mots du préfet de police de Paris.
03:13Est-ce que ça n'a pas été surestimé ?
03:15Alors ça, on sait qu'après, vous savez que je refuse toujours de venir.
03:18Vous m'invitez régulièrement pour venir avant ou pendant.
03:19Je vous avais même proposé de venir avant et on peut donner les coulisses ce matin.
03:23Vous m'avez dit, il n'est pas question de venir avant,
03:25parce que précisément, je pense qu'aujourd'hui, nous sommes trop dans la surenchère
03:28de dire, il va se passer ci, il va se passer ça.
03:30Et qu'on n'en sait rien.
03:31Et c'est tout à votre honneur d'avoir voulu effectivement voir les faits.
03:34Et les faits ce matin sont que ça s'est déroulé dans le cas.
03:36En fait, on ne sait pas.
03:37Ce qu'on sait, c'est que le renseignement identifie un très grand nombre de personnes
03:42qui veulent passer à la violence pour toute une série de raisons.
03:45Et c'est d'ailleurs les grands messages de la période.
03:47Quand il y a eu la manifestation du 10, on pensait qu'il y aurait la convergence des luttes.
03:51Je vous ai dit, il y aura la divergence des luttes.
03:53Il y aura tellement de micro-éléments partout que ça va tout changer
03:57dans la manière dont on imagine des grands rassemblements
04:01alors qu'il va y en avoir des milliers de petits.
04:02Là, c'est exactement ce qui s'est produit avec une réorganisation massive
04:07de la police, mais surtout de la gendarmerie nationale
04:09qui a été obligée de désorganiser des grandes unités lourdes.
04:13C'est ce qu'on appelle la bataille de chars en centre-Europe
04:15contre les partisans et les maquisards.
04:16Mais c'est d'ailleurs la différence entre la stratégie qui avait été avancée la semaine dernière
04:20et la semaine dernière pour le mouvement Bloquons Tous,
04:22c'était le même nombre de policiers, mais qui était diffusé à peu près partout
04:25sur le territoire pour faire face à des actions dites sporadiques.
04:30Hier, à l'inverse, on a sorti l'artillerie lourde, si je puis le permettre.
04:33Mais il y avait des grands cortèges de manifestations, 55 000 au moins à Paris,
04:39des milliers un peu partout, et donc un niveau différent.
04:43La vraie difficulté, c'est à quel moment on va se trouver dans une configuration
04:47où on aura les deux en même temps.
04:49Car le drame ou l'histoire de la France, c'est que nous avons tout inventé
04:53en matière de mouvements, de violences sociales ou politiques.
04:58C'est un pays qui a mille ans de jacqueries.
05:00Mille ans de jacqueries.
05:01Les jacqueries, ce sont ces colères populaires qui initialement étaient des jacqueries populaires.
05:06Et paysannes.
05:07Et donc, on est dans une configuration aujourd'hui
05:09où nous avons toutes les crises en même temps
05:11et aucune ne s'arrête.
05:13La crise environnementale, la crise sociale, la crise économique,
05:15la crise militaire, la crise sécuritaire, la crise hospitalière.
05:18Tout le monde a entendu les messages.
05:19Et d'ailleurs, quand vous entendez et le ministre de l'Intérieur
05:21et le Premier ministre dire, j'entends le message qui nous est envoyé.
05:24Et d'ailleurs, je partage une partie des revendications.
05:27Le Premier ministre s'est fait le principal porte-parole
05:29de la revendication qui lui était adressée.
05:32Ce qui est assez inattendu en termes de communication politique.
05:34Je pense que vous aurez probablement l'occasion de lui poser la question
05:36plus qu'à moi.
05:37Mais comme spectateur, je me dis, tiens, c'est curieux comme message.
05:41Ce n'est pas « je vous ai entendu », c'est « je vous ai entendu et je partage ».
05:43Donc, il y avait une forme presque d'acceptation globale,
05:45d'ailleurs de droite comme de gauche,
05:47d'une colère qui devait à un moment ou à un autre s'exprimer.
05:49Parce que cette colère est tellement répandue
05:51et tellement enracinée partout
05:52que le vrai risque qui existe désormais,
05:56c'est en même temps les mouvements sporadiques localisés
06:02pour des revendications locales et spécifiques
06:05et un vrai grand mouvement de ras-le-bol généralisé
06:08qui peut se traduire, comme on l'a vu,
06:10non seulement par l'abstention dans les urnes,
06:12mais aussi on ne va même pas aller manifester
06:14parce que ça ne sert à rien,
06:16mais ça n'empêche pas qu'on n'est pas content.
06:17Ça veut dire qu'une partie des Français partageaient
06:19l'envie de manifester,
06:23mais n'allait pas jusqu'au bout.
06:24Oui, j'ai la chance,
06:26pour me promener naturellement dans les rues,
06:28les transports, les trains,
06:29aller signer des livres, etc.
06:31de voir énormément de gens qui sont plutôt bienveillants
06:33et plutôt extrêmement agacés, énervés ou en colère
06:37contre l'État.
06:39L'État a tout promis,
06:41comme il ne tient quasiment plus rien,
06:43il y a une revendication de la promesse non tenue de l'État
06:46qui s'exprime de manière aimable et bienveillante,
06:49en tout cas jusqu'à présent,
06:51à mon égard,
06:52et à l'égard de plein de gens qu'il peut voir dans la rue.
06:54Ils ont besoin de pouvoir l'exprimer.
06:55Mais pour autant, effectivement,
06:56c'est aussi ceux qui ne vont plus forcément manifester
07:00et qui y auraient été précédemment.
07:02Est-ce que, Alain Boer,
07:03vous considérez que la bonne marche
07:06de cette manifestation hier
07:08est désormais l'idée que s'il y en a d'autres,
07:11ça se passe bien ?
07:12Ou est-ce qu'il y aura des alternances
07:13entre des moments de violence,
07:15comme ça a pu être le cas,
07:16violence sporadique la semaine dernière,
07:18et des moments de marche plutôt calme
07:20et bonne enfant ?
07:21C'est exactement ce que je pense.
07:22Une alternance entre les deux
07:23et le pire étant le basculement
07:25d'une grande manifestation pacifique
07:27vers un mouvement beaucoup plus structuré
07:29et beaucoup plus en colère.
07:30On verra dimanche prochain
07:31avec le prochain mouvement social.
07:33Dimanche, il y a un nouvel appel à manifester
07:35qui est issu plutôt de LFI, notamment.
07:38Très politique,
07:38sur le départ du président de la République,
07:41la volonté qu'il s'en aille.
07:43Et donc, on va voir là aussi
07:44où est le niveau d'exaspération.
07:45Mais il y a un niveau d'expiration bouillonnant.
07:48Personne n'a supprimé le feu sous la marmite.
07:51Il est à feu doux,
07:52mais personne n'a arrêté le...
07:54Donc, il y a la question des grands moments de violence.
07:58Il y a la question des black blocs
08:00qui ne sont d'autres que les manifestants,
08:02qui sont d'autres formes de colère,
08:03qui sont ceux qui ont été appelés
08:06des casseurs professionnels.
08:08Ils n'étaient pas là ?
08:09Ou est-ce qu'ils ont été arrêtés avant ?
08:10Alors, certains n'ont probablement pas pu passer
08:13la frontière, d'autres...
08:14Parce que c'est un mouvement plus international.
08:16Et très décentralisé, par ailleurs.
08:18Il n'y a pas un grand chef qui dirige tout dans l'ombre.
08:22C'est un mouvement très décentralisé,
08:23qui choisit ses combats,
08:24qui choisit ses moments,
08:25qui choisit ses mouvements,
08:27qui essaye de surfer sur les manifestants,
08:29qui a aussi une relation compliquée
08:31avec les services d'ordre des grandes centrales syndicales.
08:33Parfois, à la bagarre.
08:34Parfois, pas cette fois,
08:37parce que le mouvement est trop important
08:39pour que vous veniez polluer.
08:41Ce qui se passe, c'est un mouvement très politisé.
08:43Les black blocs, même les yellow blacks,
08:45la fusion entre une partie...
08:46C'est quoi les yellow blacks ?
08:47C'est une expression qu'on commence à entendre.
08:49L'éclairé des gilets jaunes,
08:51se ralliant aux black blocs, en disant...
08:54C'est un mélange un peu aussi de complotistes, d'anti-État ?
08:57De tout.
08:58En fait, c'est un mélange de tous ceux,
08:59ce que j'appelle la rageosphère.
09:01Tous ceux qui sont enragés,
09:02parce qu'ils en ont assez, marre,
09:04pour toutes les raisons possibles et imaginables,
09:06complotistes et conspirationnistes,
09:08entrant dedans, mais pas seulement.
09:10Loin de là, l'idée qu'il y aurait une sorte d'unité
09:12ou de logique unitaire du mouvement
09:15est une irréalité.
09:17Et ça, c'est pour faire de l'emballage.
09:19Le contenu est extrêmement composite.
09:21Certains sondeurs parlent des prafistes,
09:23c'est-à-dire ceux qui seraient les plus rien à faire.
09:25C'est-à-dire qui sont, en quelque sorte,
09:27descendus de la société,
09:29qui désormais se disent
09:30« L'État ne peut plus rien pour moi,
09:31je ne peux plus rien pour lui,
09:33et je vais me débrouiller tout seul ».
09:34Est-ce que ce mot-là,
09:36mais ceux-là,
09:36n'apparaissent plus dans les manifestations ?
09:38Ils n'apparaissent plus dans la politique,
09:40ces abstentionnistes structurels,
09:42ils n'apparaissent plus dans les manifestations,
09:43ils se construisent leur petit espace.
09:45Mais ça ne veut pas dire
09:46que dans leur petit espace,
09:48ils ne seraient pas sensibles à « bloquons tout ».
09:50« Bloquons tout », ça leur parle,
09:52parce que c'est à proximité.
09:54Ce n'est pas le grand mouvement national
09:55avec une structure des négociations,
09:58des syndicats qui vont voir le premier ministre, etc.
10:00En fait, ils se situent de plus en plus hors système.
10:03Et hors système, ça marche aussi
10:05avec la nouvelle logique des réseaux sociaux,
10:07des algorithmes, etc.,
10:08où il n'y a plus de centre,
10:09il n'y a plus que des milliers de périphéries.
10:12Christophe Guilly,
10:12vous raconterez ça probablement beaucoup mieux.
10:14Le géographe sociologue
10:15qui avait parlé de la France périphérique,
10:17Alain Boer.
10:17Mais il n'y a plus qu'une périphérie dans leur tête.
10:19Il n'y a plus de centre.
10:21Le ministre de l'Intérieur a parlé
10:22d'une haine anti-flic.
10:25Est-ce qu'elle existe aujourd'hui ?
10:27Et je voudrais évidemment vous parler aussi
10:28de ce qu'il se passe à Tourcoing,
10:30cette manifestation qui aura lieu tout à l'heure à midi,
10:33à l'appel d'un certain nombre de policiers
10:35qui demandent à manifester devant le commissariat de Tourcoing
10:37contre la libération
10:39de deux des agresseurs, de leurs collègues,
10:43qui donc étaient en rétention provisoire
10:46et qui ont été libérés.
10:48D'abord sur la haine anti-flic, Alain Boer.
10:50Alors, j'ai écrit depuis très longtemps
10:52que la relation entre la police et la population,
10:56quand il y avait confrontation,
10:57se traduisait essentiellement
10:58par le moment où des policiers arrivaient
11:00au mauvais moment, au mauvais endroit
11:01pour interrompre quelque chose.
11:03Il fallait qu'ils arrivent.
11:04Ils étaient l'élément perturbateur
11:07par rapport au contrôle territorial
11:08de ceux qui tiennent, entre guillemets,
11:11les quartiers, les cités, les espaces...
11:13Bref, tout ce qu'on veut.
11:14Là, ça a beaucoup changé.
11:16D'abord, parce qu'on a commencé à agresser
11:17massivement des pompiers.
11:19Et on ne peut faire aucun des reproches aux pompiers
11:21que ceux que, traditionnellement,
11:22on donne aux policiers.
11:24Contrôle officiel, les pompiers ne contrôlent rien.
11:26Tutoiement, ils ne tutoient pas.
11:28Agression, non, ils viennent pour sauver des gens, etc.
11:30Et puis, on est arrivé au guet-apens.
11:32On n'a pas besoin que les policiers
11:33ou les pompiers arrivent.
11:34On les fait venir pour les agresser
11:36avec des faux incendies,
11:39des fausses bagarres, des fausses incendies.
11:41On leur tend un piège.
11:43Et là, on est arrivé à un niveau extrêmement élevé.
11:46Et donc, là, quelque chose a changé dans la relation.
11:49Pas seulement avec les policiers,
11:50avec tous qui portent un uniforme.
11:52Postier, infirmier, situation aux urgences,
11:54où on vient vous sauver,
11:55parce que vous êtes dans une situation très grave.
11:58Et pourtant, il y a des bagarres de plus en plus.
12:00Non, ces urgences sont de plus en plus protégées
12:02contre les patients et leurs familles.
12:04Voire même ceux qui viennent finir quelqu'un
12:07qu'ils n'ont pas réussi dans le cadre,
12:08notamment, d'un conflit.
12:09Donc, ça n'est plus un espace, en quelque sorte, sacré ?
12:11Non.
12:12Ou respecté ?
12:13L'uniforme.
12:14Les services publics en global,
12:15je parlais à mes collègues instituteurs,
12:17qui sont mes collègues,
12:18on n'enseigne pas aux mêmes élèves
12:20et ni à le même âge,
12:20mais je comprends bien la souffrance
12:22qui est la leur,
12:23la peur qui est la leur
12:24par rapport à l'agressivité générale.
12:26Il n'y a plus d'espace sauvegardé,
12:28ni protégé, ni sanctuarisé.
12:30Le sanctuaire a disparu.
12:31Il vous dit initialement,
12:33le policier était venu,
12:35était vu comme celui qui va venir
12:36déranger un deal
12:37ou déranger...
12:39Une bagarre, un règlement de compte.
12:40Et donc, à ce moment-là,
12:41lorsqu'il arrive pour y mettre fin,
12:43on s'y attaque.
12:44Deuxième étage de la fusée,
12:45en quelque sorte,
12:46le moment où le policier
12:47n'est plus celui qui vient empêcher,
12:49mais il devient lui-même la cible
12:51et la victime.
12:52Et puis le hasard.
12:53Et puis maintenant,
12:53on est arrivé à un autre point.
12:55Ce sont les policiers,
12:56c'est les policiers à Reims,
12:58c'est le policier à Tourcoing,
12:59c'est-à-dire la rencontre fortuite.
13:02On tombe sur un policier
13:03que l'on reconnaît,
13:05qui ne porte d'ailleurs pas l'habit,
13:07mais on sait qu'il est policier
13:09et on le tabasse.
13:11Vous savez, parfois,
13:11il est en intervention,
13:12c'était le cas.
13:13Mais ce n'était pas le cas à Reims.
13:14Non, parfois, il est en civil.
13:15Parfois, il est en civil chez lui.
13:17On essaye de l'assassiner,
13:18c'est le cas d'un gendarme
13:20ou d'un douanier,
13:21il y a quelques semaines.
13:22Qui a été visé chez lui.
13:23Chez lui, de 8 balles.
13:24Une tentative d'assassinat
13:25a été détournée.
13:26C'est une tentative d'assassinat
13:28prémédité, structuré,
13:30avec un tueur probablement à gage,
13:32puisqu'il y en a plus.
13:33Et donc, on est dans cette phase-là.
13:35C'est-à-dire qu'aujourd'hui,
13:36il y a une guerre ouverte
13:37entre la police,
13:38parce qu'elle n'est pas la police,
13:39mais parce qu'elle est une autre bande,
13:41considérée comme une autre bande,
13:42avec les mêmes moyens
13:43que l'autre bande,
13:44et une gestion,
13:45par la violence
13:46et l'équilibre de la violence,
13:47donc l'équilibre de la terreur,
13:49du contrôle du territoire.
13:50Ça veut dire que c'est une guerre de clans
13:52entre policiers d'un côté
13:53et voyous de l'autre.
13:56Oui, absolument.
13:58Quelle est la suite pour cela ?
13:59Est-ce que vous pouvez comprendre
14:00la colère des policiers
14:01qui, aujourd'hui, disent
14:03que, dans le cas de Tourcoing,
14:05ils sont cinq suspects
14:07à avoir participé, semble-t-il,
14:10à ce tabassage en règle ?
14:12Aucun n'est en prison.
14:13Je les comprends, oui.
14:14Mais le problème, c'est que,
14:16si on critique beaucoup les juges,
14:18il faudrait aussi parler aux parlementaires.
14:20Qui écrit la loi ?
14:21Qui permet que la loi s'applique
14:23dans ces conditions-là ?
14:24Ce n'est pas les magistrats.
14:26Les magistrats,
14:26ils adaptent une situation
14:27casier, pas casier,
14:29antécédent, pas antécédent,
14:30connu, pas connu,
14:32premier acte, pas d'ailleurs.
14:33Il suffit que,
14:34et vos collègues le font très bien,
14:36ceux qui participent
14:36aux audiences après casse,
14:38après agression, etc.,
14:39qui vont dans les tribunaux,
14:41ils sont parfois extrêmement étonnés
14:42de voir comment la technique juridique
14:45fait en sorte que,
14:47ben non, on aille peu
14:48ou pas en prison
14:49pour des tas de raisons diverses.
14:51Mais qui a écrit la loi ?
14:52Qui l'a votée ?
14:53Dans l'indifférence,
14:54l'incompétence,
14:56parfois l'idéologie
14:57sur le thème,
14:58ah oui, pas grave,
15:00pas de peine courte,
15:00pas de peine rapide,
15:01on verra plus tard.
15:02Et qui ?
15:03Six mois, un an, deux ans,
15:04les mêmes parfois,
15:05vous disent,
15:06ah oui, non, mais là,
15:06c'était...
15:07Parce que personne n'écoute le terrain.
15:09Mes collègues de terrain,
15:10mes collègues,
15:10sociologues, ethnologues,
15:12enseignants,
15:12académiques,
15:13universitaires,
15:14flics, magistrats,
15:16je parle au sens...
15:17Tous ceux qui observent.
15:18Tous ceux qui observent
15:18vous disent,
15:19mais c'est quand même n'importe quoi,
15:20comment vous avez pu voter
15:21des trucs pareils ?
15:21Et 10 ans, 15 ans, 20 ans plus tard,
15:23une commission d'enquête parlementaire
15:24qui fait très bien son travail,
15:25celle sur le narcotrafic,
15:26par exemple,
15:27du Sénat,
15:28dit, ah oui, quand même,
15:29ça s'est énormément dégradé,
15:30on n'a rien vu venir.
15:32Non, non,
15:32on n'a rien écouté.
15:34On n'a rien écouté.
15:35Alain Boer,
15:36il y a eu hier
15:37un individu armé d'une machette
15:39qui a été abattu par la police
15:40près d'une école
15:41dans le Var.
15:42C'est le procureur
15:47cohérent et se promenait
15:48et avançait avec son arme,
15:50y compris vers les policiers
15:51alors qu'ils avaient d'abord
15:52utilisé leur taser.
15:55Est-ce que désormais,
15:56ça fait partie du quotidien ?
15:58Oui.
15:59Depuis l'assassinat de Magnanville,
16:01c'est-à-dire un couple de policiers
16:03assassinés devant leur enfant
16:04chez eux,
16:05par un terroriste islamiste
16:08ou djihadiste,
16:09les policiers ont compris
16:10qu'il n'y avait plus aucun terrain
16:12sanctuarisé du tout.
16:14Chez eux,
16:14là où ils habitent,
16:15leur famille,
16:16leurs noms sont parfois
16:17inscrits sur les murs
16:18des HLM,
16:19parfois leur téléphone,
16:21parfois le nom de leurs enfants,
16:22ils cachent à leurs enfants
16:23le métier qu'ils font.
16:24Les policiers ont peur aujourd'hui ?
16:25Bien sûr.
16:26Ce sont les policiers eux-mêmes
16:27qui ont peur ?
16:28Oui,
16:28parce que la peur
16:29est devenue un instrument
16:31du contrôle du territoire
16:32et de la conquête du territoire
16:34par les opérateurs criminels.
16:36La France est un des pays
16:37préservés
16:38parce que sa police
16:38était puissante,
16:39elle était centralisée,
16:41elle était structurée
16:42et elle faisait peur
16:42aux organisations.
16:43Ça veut dire quoi ?
16:43Elle ne l'est plus ?
16:44Non.
16:45Elle ne l'est plus ?
16:46Non.
16:46La police est en déprime
16:47sociale,
16:48culturelle,
16:49morale,
16:52matérielle,
16:53terrible.
16:54Il faut aller vivre
16:55dans un commissariat,
16:56allez,
16:5648 heures,
16:57avec une nuit surtout,
16:58et se rendre compte
16:59de comment ça marche.
17:00Et des difficultés
17:01auxquelles ils font face.
17:02Alain Boer,
17:03au-delà de la question
17:04de la cible des policiers,
17:05la violence du quotidien,
17:06parce qu'en réalité,
17:07cet individu armé
17:08d'une machette hier
17:08ne visait pas spécialement
17:10les policiers,
17:11mais les policiers,
17:11une fois qu'ils ont été
17:12appelés sur place
17:13par des habitants,
17:14effectivement,
17:14se sont retrouvés finalement
17:15eux aussi visés.
17:18Cette question
17:18de la violence du quotidien,
17:19c'est-à-dire que certes,
17:20hier,
17:21et on peut s'en réjouir,
17:22il n'y a pas eu
17:22de violence majeure,
17:24il n'y a pas eu
17:24d'image de casse.
17:26Est-ce que,
17:27c'est-à-dire,
17:27qu'il y a des moments,
17:28des phases dans notre société
17:31où il y a effectivement
17:32plus de violence que d'autres
17:33et que peut-être,
17:34là,
17:34on pourrait espérer
17:35des moments
17:35où il y en a moins ?
17:36Vous savez,
17:37en fait,
17:38moi,
17:38je regarde à la fois
17:39le micro,
17:39au bout de l'enquête,
17:40je raconte des histoires
17:41criminelles
17:42et je regarde le macro.
17:43Le macro,
17:44c'est la statistique.
17:45La statistique est la forme
17:45la plus élaborée du mensonge,
17:47on lui fait dire tout
17:47et n'importe quoi,
17:48mais il y a un élément
17:49qu'on compte bien en France
17:50depuis 1539.
17:52L'État civil,
17:53François 1er,
17:53les morts.
17:54On sait qui naît,
17:55qui meurt
17:55et de quoi on meurt.
17:57Jamais,
17:57au cours des 50 dernières années,
17:59il n'y a jamais eu
18:00autant de domicides,
18:01de tentatives d'homicides
18:02et de violences physiques
18:03en période de paix
18:04que durant la période
18:06que nous visons actuellement.
18:07Ces derniers mois,
18:09la dernière statistique
18:10qui a été diffusée
18:11en août
18:12par le service statistique
18:13du ministère de l'Intérieur
18:14sur les faits,
18:15enregistrée,
18:15je ne parle même pas
18:16du sentiment d'insécurité,
18:17ce qu'on subit
18:18mais qu'on ne déclare pas
18:18ou qui n'est pas toujours enregistré.
18:20Mais en matière
18:21de violences physiques,
18:22on fait plutôt bien le travail.
18:23Jamais le rythme,
18:26l'intensité,
18:27la quantité
18:28n'a jamais été aussi élevée
18:29en homicide,
18:30en tentatives d'homicide
18:31et en violences volontaires
18:32à caractère physique.
18:34Je mets les violences
18:34à caractère sexuel de côté
18:36parce que le niveau
18:36de décompte historique
18:37a toujours été très mauvais
18:38et on n'en tenait pas
18:39beaucoup compte.
18:40Maintenant,
18:41on voit arriver la vague
18:42donc ça ne fait que rajouter
18:43à ce que je viens de vous indiquer.
18:44La violence physique
18:45est devenue un instrument naturel
18:47de la vie quotidienne
18:48qui était masquée
18:49par la violence théoréiste
18:50Un instrument de la vie quotidienne ?
18:52Oui, bien sûr.
18:53On règle ses comptes
18:54et on ne demande plus à personne,
18:55il n'y a plus de médiateur,
18:57il n'y a plus de système
18:59d'intervention
19:01qui dit
19:01je vais porter plainte,
19:02je vais régler mes comptes
19:04parce que c'est rapide,
19:05c'est efficace
19:06et ça me défoule.
19:07Merci Alain Boer,
19:08j'aurais aimé
19:09de meilleures nouvelles
19:09mais tout de même,
19:10merci en tout cas
19:11d'avoir partagé avec nous ce matin.
19:12Vous êtes professeur de criminologie
19:14au CNAM
19:15et responsable du pôle sécurité,
19:16défense et renseignement.
19:17Je voudrais signaler également
19:18le livre auquel vous venez
19:19de faire référence
19:20au bout de l'enquête
19:21saison 3,
19:21vous l'avez écrit
19:22avec ma consœur
19:23Marie Drucker.
19:24Il est 8h51
19:26et vous êtes bien sur RMC
19:27et BFM TV.
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