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  • il y a 3 mois
Face à l'"immense gâchis" que constitue la mort de leur fille, Lorène, 16 ans, poignardée en avril dernier dans son lycée à Nantes, les deux parents veulent transformer leur "colère" en "énergie" pour inciter la société à aider les jeunes en souffrance.

Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Benjamin Duhamel sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00Il est 7h49, Benjamin Duhamel, vous recevez les parents de la jeune Lorraine, tuée dans son lycée le 24 avril dernier.
00:08Ce jour-là, aux alentours de midi et demi, votre fille Lorraine, 15 ans, est poignardée par un lycéen de 16 ans.
00:15Trois de ses camarades de classe blessés s'en sortent, mais elle, Lorraine, succombera à ses blessures.
00:20Et depuis ce drame, vous avez le courage de tenir et de mener un combat pour alerter sur la question de la santé mentale des jeunes.
00:25Bonjour à tous les deux.
00:27Bonjour.
00:27Et merci infiniment d'être avec nous ce matin. Je précise que vous nous avez demandé de ne pas vous appeler ni par votre nom, ni par votre prénom.
00:35Je vous appellerai donc papa de Lorraine et maman de Lorraine, si vous me le permettez.
00:39Je voudrais commencer avec vous, monsieur, sur cette journée du 24 avril dernier.
00:44Quels souvenirs gardez-vous de cette journée, de ce moment où votre vie a basculé ?
00:49On n'a pas beaucoup de mots, on n'a pas de mots en fait pour exprimer la douleur qu'on ressent face à la perte de Lorraine, à l'absence de Lorraine.
01:04C'est une journée bascule, voilà.
01:09Une journée bascule, on voit votre émotion, on imagine, et je m'adresse à vous la maman, un monde qui s'écroule à ce moment où on vous annonce que votre fille a succombé à ses blessures.
01:24Dans un premier temps, ce que vous nous racontiez en préparant cette interview, on vous dit qu'il s'est passé quelque chose dans cet établissement, qu'il y a eu, me disiez-vous, une prise d'otage.
01:32C'est un monde qui s'écroule quand vous apprenez la nouvelle ?
01:36En fait, on ne peut pas vivre en imaginant que ça puisse nous arriver.
01:42Donc quand ça nous arrive, bien sûr, on est stupéfiés.
01:47Moi, pendant 48 heures, j'ai juste dit une seule chose, c'est que ce n'était pas possible.
01:52Et au final, il faut rebondir.
01:57Il faut rebondir, et c'est l'objet de votre prise de parole ce matin.
02:03Vous avez eu ces mots sur les réseaux sociaux, quelques jours après le drame,
02:06où vous demandez aux uns et aux autres de ne pas publier de photos de Lorraine.
02:09Je vais vous citer, si vous me le permettez.
02:11Préservons l'image de Lorraine telle que nous avons tous pu la connaître.
02:14Le souvenir de Lorraine ne sera pas seulement lié à cette tragédie.
02:16Courage à vous, c'est vous qui dites courage à vous, toutes et tous, et surtout continuez à vivre votre vie en la croquant à pleines dents.
02:23C'est ce que Lolo aurait souhaité à tout le monde.
02:25C'est vous qui souhaitez du courage aux autres, vous, parents, qui venez de perdre votre petite-fille,
02:31parce que vous dites que c'est ce que Lorraine aurait voulu.
02:36Lorraine n'est pas la seule victime, en fait, et nous non plus.
02:40Il y a déjà trois enfants qui ont été blessés,
02:43et puis des enfants qui ont vu des choses qu'ils n'auraient jamais dû voir de leur vie.
02:48Et d'autres qui ont entendu, qui ont compris, qui ont vécu dans l'établissement,
02:55ou des amis en dehors de l'établissement.
02:57Donc moi j'ai pensé à eux, oui.
02:58Parce que Lorraine était une jeune fille qui s'intéressait beaucoup aux autres,
03:06et qui n'aimait pas voir les autres malheureux,
03:09et qui détestait l'injustice.
03:14Donc on ne pouvait que penser aux autres aussi, pas que à nous.
03:20Juste avant de parler de votre combat sur la question de la santé mentale,
03:24un mot pour ceux qui nous écoutent ce matin,
03:25qui sont bouleversés par votre dignité, votre courage.
03:28Est-ce que vous pouvez nous parler de Lorraine ?
03:31Comment était-elle ?
03:33Monsieur, vous disiez à l'instant, elle détestait l'injustice,
03:36elle aimait les autres.
03:37Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur votre fille ?
03:39Lorraine était très vive.
03:44Lorraine, elle aimait, elle croyait qu'on avait tout à fait la possibilité,
03:48tous, de faire avancer les choses à notre échelle.
03:54Et souvent, elle nous interrogeait sur...
03:58Parce que nous, en tant que parents, elle disait,
03:59tu vois, ce serait peut-être bien de faire comme ci, comme ça.
04:01Et puis, elle disait, mais pourquoi ?
04:03On a toujours fait comme ça, après tout.
04:05Est-ce qu'on ne peut pas faire autrement ?
04:06Et des fois, du coup, nous, ça nous obligeait à nous questionner.
04:10Et on se disait, mais en fait, tu as raison, on peut faire autrement.
04:14Et là, du coup, c'est ce qu'on se dit.
04:16On a toujours fonctionné en attendant la possibilité d'être pris en charge pour sa santé, etc.
04:25Mais là, là, ça bloque, quoi.
04:27Ce qui s'est passé n'aurait pas dû se passer.
04:33Des personnes qui ont des problèmes, qui ont une santé mentale fragile,
04:37qui ont des maladies psychiques, ça existe depuis que l'humain est l'humain.
04:42Mais nos sociétés, elles sont, à chaque fois, elles ont trouvé des solutions pour qu'ils puissent trouver leur place sans mettre en danger les autres.
04:50On est quand même en 2025, la psychologie a développé tellement d'outils.
04:56Et là, on ne serait pas capable de les mettre en œuvre.
04:57On n'est pas capable de faire de la prévention pour empêcher ça.
05:01C'est quand même assez inquiétant.
05:03Vous nous dites ce matin, ça n'aurait pas dû arriver.
05:06Je rappelle à ceux qui nous écoutent ce matin que l'agresseur de Lorraine envoie un document de 13 pages aux élèves de l'établissement scolaire.
05:11Un manifeste incompréhensible.
05:13L'agresseur, dont l'état de santé est initialement jugé incompatible avec la garde à vue.
05:17Il est même transféré dans un hôpital psychiatrique.
05:20Vous considérez que ce qui s'est passé, ce drame-là, est le résultat d'une absence de prise en compte de la question de la santé mentale,
05:27d'une absence de moyens ?
05:30On ne va pas s'exprimer sur l'agresseur aujourd'hui.
05:39Et d'ailleurs, jamais.
05:40On ne s'exprimera jamais sur l'agresseur.
05:42Mais sur cette question de la santé mentale, d'une absence de priorité au moment du drame,
05:49on a entendu des responsables politiques parler de couteaux, parler de portiques à l'entrée des établissements scolaires.
05:56Quand vous avez entendu ça, vous vous êtes dit, ils sont à côté de la plaque, ils n'ont pas vu quelle était la priorité pour éviter ce genre de drame ?
06:04Clairement, on pense qu'on ne peut pas construire une société sur la suspicion envers les jeunes.
06:12Ce n'est pas une logique correcte.
06:16Et c'est déjà assez compliqué pour les jeunes de se construire dans le contexte actuel.
06:21En fait, on peut en effet prendre la question sous cet aspect matériel.
06:29Mais on ne peut pas vivre dans une boîte hermétique encore une fois.
06:32Les jeunes, ils ont besoin qu'on leur fasse confiance.
06:35Ils ont besoin de pouvoir construire leur estime d'eux-mêmes.
06:39Et ce n'est pas en effet en les empêchant d'agir que ça va fonctionner.
06:49Ils pourront toujours du coup agresser ailleurs s'ils ont envie d'agresser.
06:52La question c'est pourquoi ils ont envie d'agresser ?
06:55La question c'est pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas trouvé avant quelqu'un qui peut les aider avant qu'ils en arrivent là ?
07:01À vous écouter, on pense à ce livre écrit par Antoine Léris.
07:04Sa femme avait été tuée au Bataclan et il disait, c'était le titre de son livre,
07:07« Vous n'aurez pas ma haine ».
07:08Où est-ce que vous trouvez la force, la dignité de mener ce combat sans tomber dans la colère, sans s'effondrer ?
07:15Alors on a tout de suite pensé que la haine allait nous consumer de l'intérieur et non pas nous aider.
07:22En fait, on a de la colère bien sûr.
07:25C'est un aimant, on se gâchit.
07:26Notre fille méritait de vivre une vie plus longue.
07:31Et du coup, cette énergie de la colère, on va l'utiliser pour autre chose.
07:35Sinon, en effet, on flanchera.
07:39Et vous ne flanchez pas et vous êtes ce matin d'un courage absolument admirable.
07:43Parmi les initiatives que vous avez prises, il y a cette course que vous avez organisée pour votre fille, pour Lorraine.
07:49Et cette cagnotte, il y a aujourd'hui plus de 80 000 euros qui ont été réunis, rassemblés.
07:55Ça, c'est votre combat, ce qui vous permet de tenir ?
08:00Alors, je tiens à spécifier que la course solidaire, ce qui est formidable, c'est que c'est les jeunes qui sont à l'initiative de cette course,
08:08qui ont proposé ça pour finir l'année en beauté, sur une note positive, je dirais.
08:14Et l'établissement, ainsi que nous, on leur a donné le go pour l'organiser.
08:21Et ils l'ont réussi en peu de temps, en six semaines.
08:23C'est une vraie réussite.
08:24Et ça prouve qu'on peut faire confiance aux jeunes pour créer de belles choses.
08:30En fait, lors de cette course solidaire, on s'est rendu compte que Edwin, ça leur faisait du bien de pouvoir réagir,
08:36faire quelque chose physiquement, ensemble, marcher, se rencontrer, écouter de la musique.
08:43Il y avait des musiciens, il y avait un clown, il y avait énormément de choses.
08:47Et ils ont pu aussi rencontrer des associations qui travaillent justement pour la prévention de la santé mentale.
08:53Ça a fait du bien à tout le monde, ça nous a fait du bien à nous aussi.
08:57Ça fait du bien aussi à l'établissement qui a été énormément fédérateur
09:00et qui a très bien travaillé pour les soutenir et les aider dans cette organisation.
09:05Et en plus de ça, ça a ramené du financement pour que d'autres projets puissent être aidés par la suite.
09:12Donc en effet, on se retrouve avec cette cagnotte où on n'avait jamais imaginé que ça se passerait comme ça.
09:18Et on remercie toutes les personnes qui nous ont soutenues par rapport à ça.
09:22Un tout dernier mot pour terminer cet entretien.
09:26Qu'est-ce que vous souhaitez qu'on retienne de Lorraine ?
09:28Alors première chose, c'est que Lorraine continue à vivre dans l'association que nous montons
09:33qui s'appelle Effervescence Jeune.
09:36Cette association, elle va permettre justement de discuter avec des personnes toutes générations,
09:43les ados tout comme les adultes, les anciens, de ce qu'on veut faire de cet argent.
09:47Pour quel projet, pour la prévention mentale est-ce qu'on décide d'aider à ce financement ?
09:53Elle va permettre aussi de rappeler aux politiques que la question de la santé mentale, c'est prioritaire,
10:02que les adolescents d'aujourd'hui sont les adultes de demain.
10:05Et ça nous permettra aussi de reprogrammer ce type d'événements comme le Run for Lorraine.
10:11Et s'il y a d'autres établissements qui sont intéressés, ils pourront nous en faire part.
10:15Merci infiniment à tous les deux et d'avoir eu ce courage.
10:20Je dis aux auditeurs qui nous entendent que vous vous teniez la main pendant toute cette interview
10:24et que tout le monde était bouleversé dans ce studio.
10:27Merci infiniment à vous, la maman de Lorraine, au papa de Lorraine.
10:30Et on pense à Lorraine ce matin.
10:31Merci à tous ceux qui nous ont soutenus.
10:33Et merci à vous, Benjamin Duhamali.
10:35Merci à tous ceux qui ont soutenus.
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