00:0030 morts, 161 passagers, un ferry plus bancal qu'un tabouret de bar et un procès qui tangue depuis deux ans.
00:07Bienvenue au bal des responsabilités évaporées, où l'État gabonais joue les passagers clandestins d'une audience qui cherche désespérément son capitaine.
00:16L'affaire aurait pu s'appeler chronique d'un maufrage annoncé, mais ce serait encore trop littéraire.
00:20Car ce 9 mars 2023, le ferry Esther Miracle, affrété par la compagnie Royal Coast Marine, a coulé avec la même discrétion qu'un hippopotame tombant dans une baignoire.
00:3030 morts, des dizaines de rescapés, des familles en deuil et une administration gabonais qui, deux ans plus tard, semblent toujours chercher la notice d'utilisation de ses propres institutions.
00:40Un procès historique selon maître martial d'Ibongo Ilundu, c'est vrai.
00:44Rares sont les occasions où l'État réussit l'exploit d'être à la fois juge, parti, coupable potentiel et absent à l'audience.
00:52Oui, absent, comme un ministre en fin de mission qui éteint son téléphone.
00:56Résultat, l'audience du 26 juillet censée faire jaillir la lumière sur ce drame a été renvoyée au 7 août.
01:02Officiellement, pour citation irrégulière des partis, officieusement, parce que personne ne sait exactement où se cache l'État.
01:09Peut-être en villégiature à la pointe des nids, là où le navire a sombré sans que personne ne songe, a déclenché le moindre dispositif de secours.
01:17Un oubli, une panne d'oreiller, un bug informatique.
01:21À ce niveau, c'est presque de l'art conceptuel.
01:24Heureusement, les avocats veillent.
01:26Maître Anjke Vanzigou en mode GPS de la responsabilité publique a demandé à entendre deux figures emblématiques du Titanic administratif gabonais.
01:33Alain-Claude Bilibinze, alors premier ministre, et Brice Constant-Paya, ministre des Transports de l'époque,
01:38qui avait trouvé la sortie en démissionnant dans un rare moment de lucidité politique.
01:43Maître Tony Serge Minko Mindon, lui, a posé la question qui tue, ou plutôt, qui aurait pu sauver ?
01:49Pourquoi diable l'État n'est-il pas présent, alors même que les prévenus agissaient sous son autorité ?
01:54Qui va payer les indemnisations ? Interroge-t-il.
01:57Spoiler, probablement les contribuables, ceux-là même qui n'ont jamais pris le bateau.
02:02Pour Maître Nzigu, le naufrage est un festival de dysfonctionnement technique, administratif et de secours.
02:08Et on confirme, c'est Woodstock au pays de la non-assistance à passagers en danger,
02:13entre la certification délivrée à un bateau manifestement à bout de souffle
02:16et l'absence de réaction pendant six heures après le drame.
02:20La marine marchande a fait preuve d'un zèle bureaucratique inversement proportionnel à sa compétence.
02:26Mais comme souvent, dans ce Gabon bureaucratiquement amphibien, plus c'est grave, plus ça prend du temps.
02:31Le temps d'oublier, de classer, d'archiver, de dire « c'était avant »
02:36et surtout de s'assurer que le principal accusé, l'État lui-même, puisse tranquillement vaquer à ses occupations
02:42pendant que les familles des victimes patientent dans le calme de l'indifférence.
02:46On dit souvent que l'État est une fiction juridique.
02:48Au Gabon, c'est aussi une fiction judiciaire.
02:51À chaque audience, on attend qu'il se présente, mais comme le ferry, il ne viendra pas.
02:56Il reste là, à quai, bien planqué derrière un arrêté, une citation mal rédigée
03:01ou une commission rogatoire, en panne d'encre.
03:04La prochaine audience fixée au 7 août promet d'être aussi décisive que les précédentes,
03:09c'est-à-dire un nouveau chapitre du feuilleton judiciaire où l'on cherche l'État.
03:13On le devine, mais on ne le voit jamais.
03:16Un peu comme la bouée de secours qui n'est jamais arrivée ce 9 mars 2023.
03:20C'est-à-dire un nouveau chapitre du feuilleton judiciaire où l'on cherche l'État.