L'actrice américaine Jodie Foster et la réalisatrice Rebecca Zlotowski étaient les invitées de Léa Salamé mardi 20 mai, à l'occasion de la présentation de "Vie privée" au Festival de Cannes. La sortie en salles est prévue le 26 novembre prochain.
Retrouvez « L'interview de 9h20 par Léa Salamé » L'interview de 9h20 avec Léa Salamé sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20
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00:00Elle est à ce matin, superbe casting, une réalisatrice française, une actrice américaine.
00:06Une star américaine.
00:07Ce ne sont pas une, mais deux femmes inspirantes et puissantes du cinéma que nous recevons ce matin.
00:12La première est une icône d'Hollywood doublement oscarisée.
00:15La seconde est l'une des réalisatrices françaises les plus douées de sa génération.
00:19Jodie Foster et Rebecca Zlotowski, bonjour et merci d'être avec nous ce matin, toutes les deux, en direct de Cannes.
00:25Oui, bonjour.
00:26Bonjour, et Dalida en plus.
00:28Merci pour ça.
00:30Pour vous accueillir, vous aimez bien Dalida, Jodie Foster ?
00:33Je la connaissais quand j'étais petite.
00:36Enfin, je l'avais rencontrée une fois, quand j'étais jeune.
00:39Et oui, j'ai écouté ses disques, pourquoi pas ?
00:42Tu l'as rencontrée ?
00:43Oui, j'ai rencontré.
00:44Sur l'un des plateaux où tu danses, les trucs qui circulent là où tu danses super bien sur les plateaux.
00:47T'as vu ça ?
00:48C'est possible.
00:49C'est en tout cas votre toute première interview, toutes les deux ensemble.
00:52Avant la projection ce soir, hors compétition de vie privée, votre sixième film, Rebecca Zlotowski.
00:57Dans quel état vous êtes, Rebecca Zlotowski ?
00:59À quelques heures de montrer votre film au public, aux critiques de Cannes.
01:04Vous avez bien dormi ?
01:06D'abord, ce qu'il faut savoir, c'est que quand on présente un film dans ce théâtre lumière,
01:11on doit contrôler le son et l'image la veille à 2h du matin, entre 2h et 3h du matin.
01:16C'est ce que j'ai fait, c'est ce qui explique, et je m'en excuse, cette petite voix de saison émotionale.
01:21On est très impatients, j'ai hâte, mais l'excitation et l'émotion d'aujourd'hui,
01:25c'est que c'est ma première interview avec Jodie.
01:26C'est vrai ?
01:28C'est la première fois, on est ravis de vous accueillir toutes les deux.
01:33Jodie Foster, votre première fois à Cannes, c'était il y a presque 50 ans, vous aviez 13 ans,
01:37vous débarquiez sur la croisette avec Martin Scorsese, Robert De Niro et toute l'équipe de Taxi Driver
01:41qui gagnera cette année-là, en 1976, la Palme d'Or.
01:45Est-ce que vous avez juste un souvenir de la gamine que vous étiez, qui découvrait la folie cannoise ?
01:51Ah oui, c'était comme une carnaval, ici, les femmes à poil, enfin, n'importe quoi, des choses qui se passaient.
02:02C'était fantastique, j'étais avec ma mère, et comme je parlais français,
02:08j'étais la seule, bien sûr, dans la conférence de presse qui parlait français.
02:12Mais les autres acteurs, De Niro, Harvey Keitel, Scorsese, je ne sais pas pourquoi, mais ils avaient eu peur de quelque chose.
02:18Ils ne sont presque jamais sortis de l'hôtel du Cap.
02:25Alors, c'était moi qui a fait tous les interviews.
02:26C'est vous qui alliez rencontrer les femmes à poil sur la croisette et la folie.
02:32Donc, vous parliez français et vous parlez français dans ce film de Rebecca Zlotowski.
02:37Et je vais vous dire, c'est ce qui bluffe le plus et immédiatement quand on regarde ce thriller psychologique
02:42où vous jouez une psychiatre, psychanalyste dont la vie va être bouleversée quand une de ses patientes va mourir.
02:47C'est votre français époustouflant que vous avez appris au lycée français de Los Angeles.
02:54Et au-delà même de la maîtrise de la langue, on a l'impression, en regardant le film, que vous êtes une actrice française,
02:59que vous en avez l'attitude, le chic, les vêtements, les gestes.
03:03C'est simple, on se dit, vous avez toujours vécu à Paris, en fait.
03:06On ne voit pas Jodie Foster, l'actrice américaine, on voit une française.
03:09Surtout, on voit la personnage, j'espère.
03:12C'est une femme qui a décidé d'abandonner un petit peu son pays pour venir ici pour refaire sa vie.
03:18Et là, après 40 ans de vivre en France, on a une certaine fantaisie de ce que c'est la France.
03:25Et je pense que ça fait partie du personnage.
03:30Et avec une voix différente en français et en anglais.
03:32C'est vrai, j'ai une voix qui est plus haute.
03:34Et c'est vrai, Rebecca, que vous lui demandiez de faire des fautes de syntaxe.
03:38Mais oui, mais Jodie, il va falloir faire quelques fautes quand même.
03:40Parce que dans le personnage, c'est une américaine, on n'a pas voulu gommer le fait que c'est une américaine d'origine.
03:45Qui s'est installée en France, cet horizon, en tous les cas cet imaginaire, il a du sens dans le film.
03:49Et il fallait donc qu'elle fasse quelques petites fautes.
03:52Elle la faisait extrêmement difficilement, il fallait vraiment qu'elle l'apprenne.
03:55Qu'elle apprenne le moment où elle faisait les fautes.
03:56Et c'est bien parce que j'adore que quand on te dise, on dirait un personnage français, tu ne nous dises pas, je suis désolée.
04:01Parce que moi, je viens quand même de la génération quand on disait, ça fait français, c'était nul.
04:04Et ça fait américain, c'est super.
04:06Et là, c'est en train de...
04:07Non, non, c'est l'inverse.
04:08C'est l'inverse.
04:09C'est l'inverse, vous voyez.
04:11Ça fait des années que vous rêviez de tourner avec Jodie Foster.
04:14C'était même une obsession chez vous, Rebecca Zlotowski.
04:16Oui, je suis désolée.
04:17Vous l'y aviez envoyé.
04:19Oui, c'est vrai.
04:20Elle vous avait envoyé son premier scénario.
04:23Il y a 15 ans, Belle Épine, sans réponse.
04:26C'est resté assez distant, comme réponse.
04:29Je n'ai même pas pu l'envoyer, je n'avais même pas l'adresse.
04:31On en était là.
04:32Et vous n'avez pas lâché l'affaire.
04:34Toute votre vie, vous vous êtes dit, je cherche le bon personnage à offrir à Jodie Foster.
04:38Pourquoi cette obsession ?
04:39Je pense que, d'abord, tout le monde comprend, en fait, l'oracle peut avoir Jodie Foster dans nos vies, d'abord.
04:45Je profite du fait qu'elle soit absente pour dire beaucoup, beaucoup de bien d'elle.
04:48Ça va nous mettre vraiment à l'aise.
04:50Je vais essayer de ne pas être trop flippante.
04:51Je ne vais pas parler de fascination.
04:52Je vais essayer de ne pas être trop inquiétante.
04:54Je ne vais pas dire obsession.
04:54Je parlerais juste d'amour.
04:56Donc, en fait, quand on a un amour si fort pour une actrice réalisatrice, il y avait et la femme qu'elle était, et l'actrice qu'elle était.
05:03Les films dans lesquels elle émergeait, pour moi, de Foxy's.
05:05Pour moi, c'était Sommersby.
05:07Sommersby qui était, je sais, qui n'est pourtant peut-être pas le film.
05:09Après, évidemment, il y a le silence des agneaux, mais qui n'était pas le film, peut-être, qui va le plus ancrer, si tu veux, ta filmographie.
05:15Mais qui est quand même un scénario de Jean-Claude Carrière, qui est un remake du retour de Martin Guerre.
05:19Et je me souviens d'une épiphanie, vraiment, en voyant ce film.
05:22Ensuite, j'ai vraiment baladé, comme on le fait avec des figurines d'enfants, tous mes personnages sur toi.
05:28En me disant, est-ce que ça, ça va à Jodie Foster ?
05:29Non, ok, ça, ça ne va pas.
05:30Et puis, un jour, c'était le bon personnage.
05:33C'était le bon personnage et c'était le bon scénario.
05:36Parce que ce qui est très important chez vous, Jodie Foster, c'est le scénario.
05:38Vous dites, moi, je choisis mes films en fonction du scénario.
05:42Donc, vous avez reçu ce scénario de vie privée de Rebecca Zlotowski.
05:44Ensuite, vous l'avez reçu, elle.
05:46Vous avez discuté avec elle une séance de travail pendant 7 heures à Los Angeles.
05:50C'est vrai, c'était bon.
05:50Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce scénario ?
05:54J'imagine que vous en recevez des tonnes.
05:55Pourquoi ce scénario de cette réalisatrice française que vous ne connaissiez pas ?
05:58Écrit par Anne Bérest, la romancière Anne Bérest.
06:00Oui, co-écrit avec Anne Bérest.
06:02Co-écrit avec Anne Bérest.
06:03L'histoire de cette psychanalyste qui va perdre pied.
06:08Qu'est-ce qui vous a plu dans ce thriller ?
06:11Plein de choses.
06:12C'est un thriller, mais il y a de l'humour aussi.
06:15Il y a beaucoup d'humour.
06:17Pour moi, c'était plein de choses.
06:19C'est juste un scénario pour moi qui était...
06:23Je ne vais pas dire parfait.
06:25Parce que parfait, c'est...
06:26Je ne peux y aller, je n'ai aucun problème.
06:27Mais pour moi, c'est la chose la plus importante.
06:32Et c'était intelligent, mais aussi émotionnel.
06:36Et il y avait plein de choses à dire.
06:39Alors, en général, j'essaye de ne pas rencontrer le metteur en scène avant de lire le scénario.
06:45Parce que je ne veux pas être influencée.
06:47Parce que ça se peut que le metteur en scène, comme Rebecca, est tellement charmante.
06:54Ou tellement intelligente que peut-être je serais persuadée.
06:58Alors, pour moi, c'est important de vraiment voir le scénario tout seul.
07:01Et je l'adore.
07:02Et vous l'avez vu et vous avez adoré.
07:04Rebecca, à l'origine, vous aviez...
07:05Là, c'est une obsession assumée.
07:07Mais pour le titre, Vie privée, empruntée de manière assumée à Louis Malle.
07:11Ça fait des années que vous vous dites, je veux faire un film qui s'appellerait Vie privée.
07:16Et du coup, ça m'a fait penser à cette phrase de Gabriel Garcia Marquez qui disait
07:19« Tout le monde a trois vies.
07:21Une vie publique, une vie privée et une vie secrète. »
07:24Ça vous va, comme phrase ?
07:25Ah oui, j'adore.
07:26Ah, ça j'aime bien.
07:27J'adore.
07:27Je trouve que ça déploie un imaginaire intéressant.
07:30Parce que quelle est la différence entre l'intime, l'obscène, le champ, le hors-champ de nos vies ?
07:35Entre vie privée et vie secrète, j'aime beaucoup cette distinction.
07:38Et oui, j'avais une obsession pour le titre.
07:40Moi, j'adore le film de Louis Malle.
07:42J'ai écrit d'ailleurs à Candice Bergen qu'elle s'aveuve pour lui dire
07:44« Est-ce que je peux utiliser ce titre ? »
07:46Même s'il n'y avait aucune obligation, j'allais dire pénale.
07:49Mais moralement, ça me semblait important.
07:51J'adore le film.
07:51Il a eu le bon goût, en plus, d'être pas le film le plus réussi de Louis Malle.
07:55C'est un film sur une histoire d'amour avortée entre Brigitte Bardot,
07:59au fait de sa gloire, et Marshall Mastroni.
08:01Bref, rien à voir.
08:02Mais oui, on va faire la psychothérapie de cette obsession, je pense, là, pendant ce cas.
08:05Parce que je vais essayer de comprendre pourquoi j'avais cette obsession.
08:07Pourquoi vous êtes obsédée ?
08:08On va faire l'archéologie de cette émotion.
08:10Par la vie privée.
08:11Vie privée, c'est l'histoire, donc, d'un vacillement intérieur.
08:15Celui de Lilian Steiner, que vous interprétez donc.
08:17Jodie Foster, femme forte, psychiatre, psychanalyste,
08:20qui reçoit dans son appartement parisien sombre et bourgeois.
08:24Elle est chic, elle est cérébrale, elle est dure, elle est contrôle fric.
08:27Pas trop la place pour les émotions ou pour les faiblesses.
08:30Et voilà que sa patiente, Paula, incarnée par Virginie Effira, meurt, qu'elle se suicide.
08:36Mais très vite, Lilian, votre personnage, est persuadée que Paula a été assassinée.
08:40Alors cette psy, ce mue, ultra rationnel, elle devient détective obsessionnelle
08:45pour essayer de comprendre qui a assassiné sa patiente.
08:49Est-ce que c'est son mari ? Est-ce que c'est sa fille ? Est-ce que c'est quelqu'un d'autre ?
08:52Et au-delà de cette enquête criminelle,
08:55c'est à elle-même qu'elle va se confronter à son passé,
08:58à ses contradictions, à ses failles, à sa relation compliquée avec son mari,
09:01Daniel Auteuil, avec son fils, Vincent Lacoste.
09:05C'est ça, c'est le fait que cette femme très maîtrisée bascule soudainement
09:10qui vous a intéressée, Jodie Foster ?
09:14Vous l'avez résumée tellement bien.
09:15Tellement bien.
09:16Tellement bien, bravo, bravo.
09:18Voilà, bisous.
09:18Je vous enverrai le chèque.
09:19Je vous enverrai le chèque.
09:19Rendez-vous dans les salles.
09:21Plein de choses qui sont intéressantes,
09:22mais c'est aussi cette lentille psychanalytique freudienne
09:26qu'on ne trouve pas beaucoup maintenant.
09:30Et surtout pas aux Etats-Unis,
09:31parce que Freud, chez nous, il est dépassé, cancelled.
09:35Il est très critiqué.
09:37Très critiqué, depuis très longtemps.
09:38La psychanalyse.
09:39Depuis très longtemps, la psychanalyse, on n'utilise plus.
09:41Mais en France, oui, toujours.
09:43Et c'est une sorte de lentille,
09:44une sorte de possibilité de lire un film,
09:48le cinéma, à travers cette lentille.
09:50Ça, j'ai trouvé ça très intéressant.
09:52La dernière fois que je vous ai interviewée, Jodie Foster,
09:54vous ne vous en souvenez pas, c'était il y a neuf ans.
09:56J'étais venue à Cannes.
09:57Vous veniez comme réalisatrice pour Money Monster
09:59avec George Clooney et Julia Roberts.
10:01Et vous m'aviez dit, j'ai réécouté l'interview,
10:03mais ça m'avait marqué,
10:04tout mon travail tourne autour de la crise existentielle ou spirituelle
10:09qui ouvre la vie, la voie à un changement.
10:12C'est une très bonne chose d'avoir des crises dans la vie.
10:15C'est aussi l'histoire de ce film.
10:17Une crise qui vous percute et qui vous fait changer votre vie,
10:21qui toutes les certitudes vacillent.
10:25C'est l'histoire de votre vie, de votre travail.
10:27Oui, je pense que les crises spirituelles vous donnent accès à la transformation.
10:33Et les êtres humains, ils doivent transformer tout le temps.
10:36Nous transformons tout le temps.
10:38Et il faut évoluer constamment.
10:41Et c'est pénible aussi.
10:42C'est douloureux.
10:44Et dans le film, c'est vrai qu'elle pense qu'elle est à l'enquête,
10:48cette enquête, mais en fait, c'est une enquête sur soi.
10:50Et elle découvre des choses intimes de sa vie,
10:55même des choses, on arrive à voir des choses même
10:57qu'elle ne veut pas suggérer, qu'elle ne veut pas y penser.
11:02Et c'est à travers ça qu'elle puisse se transformer.
11:05Cette histoire cherche à en finir avec la fiction des femmes fortes,
11:09dites-vous dans le dossier de presse, Rebecca Zlotowski.
11:12C'est une fiction, les femmes fortes ?
11:14Je pense que la violence, la femme forte, la femme puissante,
11:19ce sont des constructions sociales.
11:21C'est en même temps des aspirations,
11:22en même temps des conjurations, en même temps des injonctions.
11:25On voit bien qu'il y a des limites à tout ça.
11:26Et quand on fait des films où on construit des personnages,
11:30moi les miens s'appellent très souvent Friedman,
11:32ceux qui se libèrent, ceux qui cherchent un chemin de paix.
11:35On a vocation à s'en affranchir,
11:38on a vocation à chercher un chemin de liberté, absolu.
11:40Y compris dans la revendication de son impuissance,
11:42à certains moments.
11:44Et ce qui m'a passionnée dans la manière de saisir jeudi
11:47le personnage de Lilian Steiner,
11:48c'est qu'elle a été sensible à ça.
11:50Quand je suis allée la voir à Los Angeles,
11:52je n'avais jamais rencontré un acteur ou une actrice
11:54qui me lisait le film,
11:56qui comprenait mon film avant moi.
11:59Ça c'est quand même très très agréable,
12:01parfois un tout petit peu flippant.
12:02On se dit, il va falloir courir derrière,
12:04il va falloir être à la hauteur.
12:06Mais c'est très agréable parce que tu as apporté,
12:07je pense, une épaisseur aussi de ces crises spirituelles
12:09dont tu parles, peut-être dont toi tu traverses,
12:12tu l'as apporté au personnage.
12:13Donc ça c'était un moment de collaboration formidable.
12:16Les crises existentielles,
12:18les crises spirituelles qui vous font changer
12:20et devenir quelqu'un de mieux peut-être.
12:22La psychanalyse, c'est aussi la chanson du film,
12:25depuis le générique.
12:26Talking Heads, Psycho Killer.
12:28On écoute.
12:28Qu'est-ce que c'est ?
12:32Je chante très bien.
12:44Je m'aime ça.
12:45Surtout pas.
12:45Surtout pas.
12:50Ouais, bah vous chantez bien.
12:51En tout cas, c'est la musique qui donne l'énergie de ce film
12:57et on l'entend tout le temps.
12:59C'est très agréable cette chanson, vous l'avez bien choisie.
13:03Une des dimensions importantes du film
13:05est une question qui nous touche tous, toutes,
13:09j'ai envie de dire.
13:10En tout cas, vous deux, dans toutes vos interviews,
13:13ça y revient.
13:13C'est la question de la filiation,
13:15de qu'est-ce que c'est qu'être une mère,
13:17qu'est-ce que c'est qu'être une fille,
13:18et cette relation mère-fils.
13:20Vous êtes une drôle de mère,
13:22Liliane Steiner est une drôle de mère
13:23qui a du mal à l'être pleinement,
13:25qui est très distante avec son fils,
13:26interprétée par Vincent Lacoste.
13:28La question de l'ambivalence maternelle
13:30vis-à-vis de ses propres enfants,
13:32c'est quelque chose qui vous touche, Jodie Foster.
13:34Vous dites, l'amour et le ressentiment,
13:36oui, ça peut exister.
13:39L'amour et le ressentiment, ça peut exister.
13:41Vous le dites dans elle.
13:43C'est...
13:43Oui, c'est compliqué.
13:46Nos relations avec nos enfants, c'est compliqué.
13:48Les relations avec nos mères, compliqué.
13:51Nous sommes des êtres humains très compliqués.
13:55Dans ce film-là,
13:57il y a une chose qui m'a touchée vraiment,
13:58c'est le fait qu'elle a un fils qui est français
14:00et qui a décidé de ne pas parler la langue de sa mère.
14:06Et ça, je l'ai...
14:08J'ai compris, c'est une sorte de peine
14:12qu'il a fait pour la punir, un peu.
14:15Et là, maintenant, il a 30 ans,
14:20et elle est obligée de parler une langue
14:22qu'elle ne maîtrise pas tout à fait
14:24et qui sera toujours dominant.
14:26Et c'est une toute petite détail,
14:28mais pour moi, c'est très intéressant dans le film.
14:31J'adore ce que tu dis, Jodie,
14:32Jodie, elle a une idée quand même
14:34de faire un festival à un moment de film
14:36sur la maternité défaillante et ambivalente
14:38en disant, le jour de la fête des mères,
14:40il faudrait faire ce festival avec...
14:42Il faut amener, il faut que tout le monde
14:44amène leur mère au festival.
14:47Leur mère au festival,
14:49ou leur fille, c'est selon.
14:51En tout cas, c'est quelque chose
14:51qui vous touche aussi, Rebecca Zlotowski,
14:53dans vos autres films aussi.
14:55Voilà, la difficulté d'être mère,
14:57l'ambivalence d'être mère
14:59et d'être fille.
15:01Puisque tous vos films tournent autour
15:02de la question de la mort,
15:04comment vivre avec ces morts,
15:05c'est la question de votre vie,
15:06Rebecca Zlotowski,
15:07depuis la mort de votre mère,
15:08quand vous aviez 11 ans,
15:09vous droyiez par un AVC.
15:11Vous disiez récemment au AM,
15:12le magazine du Monde,
15:14j'ai honte d'être toujours hantée
15:16par ce moment, de ne pas en sortir.
15:17A 45 ans, mais je dois bien l'admettre,
15:19c'est vraiment le point autour duquel
15:21je suis devenue un compas dans ma vie,
15:22pour reprendre l'expression magnifique
15:24de Ouajdi Mahawad.
15:26Vous parlez aussi de cette phrase
15:27du philosophe Edgar Morin,
15:29au micro de Laura Adler,
15:31qui lui aussi a perdu sa mère très tôt,
15:33à l'âge de 10 ans, comme vous.
15:34Et voilà ce qu'il dit de la mort de sa mère.
15:37Cette phrase vous a énormément touché,
15:38vous allez nous dire pourquoi.
15:39J'ai retrouvé l'extrait.
15:41Ce qui m'est arrivé avec la mort de ma mère,
15:45je crois que c'est la plus grande souffrance
15:47que l'on puisse concevoir.
15:49même encore aujourd'hui,
15:53je la ressens avec un étonnement incroyable.
15:59Je crois que ça, ça m'a marqué à jamais.
16:03Et en même temps,
16:05ça a été la source de beaucoup de mes bonheurs,
16:08parce que s'il n'y avait pas eu ce malheur,
16:10je n'aurais pas eu sans doute ce besoin d'amour,
16:12et c'est la satisfaction de l'amour que j'ai eue.
16:16Donc, tout est ambivalent.
16:20J'ai vécu la vie dans toute son ambivalence,
16:23pour le pire, pour le meilleur.
16:26Pourquoi, Rebecca Zlotowski,
16:27dites-vous que cette phrase d'Edgar Morin,
16:29103 ans, vous a délivré ?
16:32C'est la phrase et son âge.
16:33D'ailleurs, j'ai un peu la même voix que lui ce matin.
16:35C'est vraiment un hommage à Edgar Morin.
16:37C'est lumineux, parce qu'entre l'âge de cet homme,
16:41avec la vie s'y remplie,
16:42il ne s'agit pas seulement de cet âge,
16:43c'est aussi une vie remplie de pensées,
16:45de combats, de guerres personnelles, etc.
16:48Enfin, il a traversé tant de tragédies,
16:51et qu'il revienne à cette tragédie-là,
16:52intime, quasiment à la fin de son existence,
16:55en disant au seuil de sa vie,
16:56voilà, ce moment a été un événement,
16:58et il reste un événement.
16:59Donc, ça m'a délivré, parce que je me suis dit,
17:01voilà, quelque part, on a le droit
17:03de ne pas s'en remettre,
17:05mais quand même de continuer de hiérarchiser les combats
17:08et de continuer de s'engager ailleurs.
17:10C'était cette hiérarchie-là, voilà,
17:11qui de temps en temps me paraissait un peu solipsiste
17:13dans cette disparition.
17:14Puis ailleurs, quand vous me parlez de la maternité,
17:16en vrai, c'est mon seul personnage de mère que j'ai filmé.
17:18C'est Lilian Steiner dans ce film.
17:20Je n'ai jamais filmé de femme mère,
17:21parce qu'en fait, je ne l'étais pas moi-même avant.
17:23C'est surtout, je pense que tous les hommes
17:24doivent raconter quelque part leur paternité
17:27ou leur filiation, les mauvais fils qu'ils sont,
17:29les mauvais pères qu'ils ont eus.
17:30Et nous, femmes cinéastes, évidemment,
17:32à chaque fois, je pense, si on est parfaitement honnête,
17:34on interroge aussi la question de nos maternités.
17:36Et évidemment, on a toujours peur d'en être des mauvaises,
17:39des mères, peut-être un peu plus que les hommes.
17:41Ce film, c'est aussi un casting incroyable.
17:43Vous avez rencontré les acteurs les plus en vue
17:45du cinéma français, Jodie Foster.
17:46Il y a Daniel Auteuil, votre mari,
17:48Virginie Effira, Mathieu Amalric,
17:50Vincent Lacoste, Irène Jacob,
17:52Aurore Clément.
17:53Loana Bajrémy.
17:54Et c'est très, très jubilatoire
17:56de vous voir avec Daniel Auteuil
17:58en couple divorcé,
17:59qui a encore beaucoup de tendresse,
18:00en vieux amants,
18:01qui remettent un peu le couvert.
18:04Et comment c'était avec Daniel Auteuil ?
18:06Moi, je l'adore.
18:07Je l'adore.
18:09Le moment que je l'ai rencontré,
18:10j'ai dit, c'est comme mon frère.
18:12Et alors, c'était très facile,
18:14aussi parce que Daniel Auteuil,
18:16il me fait rire.
18:18C'est simple.
18:19Il doit faire ça à tout le monde.
18:21Il a une sorte de calme,
18:23de gentillesse,
18:25peut-être parce qu'il vient du Sud.
18:26C'est peut-être ça ?
18:28On se prend un taquet, les Parisiens, là, tout de suite.
18:30On l'a entendu, on l'a senti le taquet, on l'a senti passer.
18:34Mais oui, ça s'est très bien passé entre nous.
18:36Et pour moi, c'est une des parties le plus joyeux du film.
18:41Vous dites dans Elle, Jodie Foster,
18:44que ce que vous aimez en France,
18:45c'est les discussions dans les cafés,
18:46les débats, l'intelligence du quotidien.
18:48Mais ce que vous aimez moins,
18:49c'est l'intellectualisme des Français
18:52qui peut partir un peu trop loin.
18:54Et puis le fait que nous, Français,
18:55pensons que nous sommes toujours les meilleurs,
18:58que tout est le meilleur chez nous,
18:59que ce petit chauvinisme,
19:01un poil arrogant...
19:02C'est ça le problème.
19:03C'est qu'on m'a demandé
19:04qu'est-ce que vous aimez chez les Français ?
19:05Et j'avais une tonne de choses.
19:06Et puis ils ont dit
19:07qu'est-ce que vous détestez chez les Français ?
19:08J'ai dit presque rien.
19:10Presque rien.
19:11Sauf que c'est vrai que la France, c'est génial,
19:15la nourriture est fantastique, culture, etc.
19:19Et des fois, c'est difficile pour les Français de voyager
19:21parce qu'ils se demandent,
19:23ils se disent
19:24ce camembert, il n'est pas bon.
19:27Comment ça se fait que ce camembert n'est pas bon ?
19:29Parce que ce n'est pas la France.
19:30Tout est mieux chez nous, bien sûr.
19:33C'est vrai.
19:34Bien sûr.
19:35Mais l'intellectualisme très fort comme ça,
19:39qui des fois nie un petit peu l'émotionalisme,
19:44ça fait un petit peu partie de la France,
19:46mais ça fait partie de moi aussi.
19:47C'est un problème que moi aussi j'ai
19:49comme fille élevée à la française.
19:54Et c'est aussi une sorte de débat
19:56qu'on a dans nos corps,
19:58dans nos cerveaux.
20:00qui donne de l'art, en fait.
20:04L'intellect et les émotions,
20:07le mélange entre les deux,
20:09la cérébralité et les corps,
20:12toujours très présents dans le travail
20:14de Rebecca Zlotowski et dans le vôtre aussi,
20:16Jodie Foster.
20:16On était très heureuses d'avoir deux femmes
20:19intelligentes, on a le droit de le dire comme ça,
20:21ce matin,
20:22et bien plus dans ce film
20:25qui s'appelle Vie privée,
20:26projeté ce soir hors compétition à Cannes,
20:28qui sortira le 26 novembre.
20:29On en reparlera Rebecca Zlotowski
20:32en salle en France.
20:33Merci infiniment toutes les deux
20:35d'avoir été,
20:36d'avoir nous donné votre première interview
20:38toutes les deux sur Inter.
20:39C'est fait, ça y est.
20:40C'est bon, ça a marché ?
20:42Ça y est, c'est bon, on achète.
20:43Merci infiniment toutes les journées
20:46et très belle soirée.
20:47Et merci Léa.