ART & MARCHÉ - Archéologie : un marché en danger ?

  • il y a 4 mois
Une réglementation sur l’importation de biens culturels devrait s’appliquer en juin 2025 afin de limiter le trafic illicite et le financement du terrorisme. Elle durcit les conditions d’entrée de ces biens dans l’Union européenne en demandant des certificats des pays d'origine, notamment. Pour le Syndicat national des antiquaires, les objectifs de cette loi sont louables, mais ne correspondent pas à la réalité du marché. Pour eux, certains documents demandés sont impossibles à avoir.

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00:00Une réglementation sur l'importation des biens culturels devrait s'appliquer à partir de juin 2025.
00:10Elle durcit les conditions d'entrée des biens culturels dans l'Union Européenne et inquiète la profession des antiquaires.
00:17Christophe Yoco est avec nous, il est président de la Commission juridique et fiscale du Syndicat National des Antiquaires.
00:22Merci beaucoup d'être présent.
00:24Est-ce que vous pouvez nous dire déjà, sur cette réglementation, quels sont les biens culturels concernés par cette réglementation ?
00:32Oui, vous avez raison parce qu'on parle d'archéologie, mais ce n'est pas seulement l'archéologie.
00:36C'est les biens culturels qui ont plus de 250 ans, qui peuvent venir en effet de sites d'archéologie,
00:42mais qui peuvent venir également du démembrement de monuments, de temples, Khmer, indiens, je ne sais où, et donc tout ceci est couvert.
00:53Il y a une liste qui est très longue d'objets qui sont couverts et qui amènent la nécessité d'avoir des autorisations, des licences d'importation,
01:01lorsque ces pièces ont plus de 250 ans, quelle que soit leur valeur, même une valeur minime.
01:06Et de l'autre côté, si ces pièces ont plus de 200 ans, là, il y a une première dérogation qui se fait pour des pièces qui sont au-delà d'une valeur de 18 000 euros.
01:16Voilà aujourd'hui ce qui est couvert par cette question d'importation.
01:21Et bien évidemment, tout ce qui a comme origine cette importance est provenance hors communauté européenne.
01:26Des vieux tableaux, des tableaux anciens européens ne sont absolument pas concernés par cette réglementation, ce qui est assez logique d'ailleurs.
01:33— Oui. Et justement, dans cette réglementation, quels sont les aspects qui pourraient avoir le plus d'impact sur la profession dentitaire ?
01:41— Voilà. Alors je dirais les aspects qui auront le plus d'impact, c'est en fait la limitation qui va être apportée dans la capacité d'importer.
01:50Et je suis sûr qu'on va en parler dans le détail et les raisons. Mais je dirais que même plus que les antiquaires,
01:56ceux qui vont être vraiment impactés à terme, ce sont les collectionneurs ou les gens aujourd'hui qui, par héritage, par famille,
02:04ont des biens culturels qui rentrent dans ces catégories-là. On peut toujours imaginer qu'un antiquaire décide de s'orienter
02:14vers une autre spécialité en raison des contraintes de ces réglementations. Par contre, un collectionneur, ça fait partie de son patrimoine
02:21ou un patrimoine familial. Là, il est bien évident que l'impact est tout à fait différent.
02:26— Parce qu'aujourd'hui, comment ça se passe pour importer un bien culturel en dehors de l'Europe, pour notamment l'archéologie ou les antiquaires ?
02:35J'imagine qu'il y a déjà tout un certain nombre de recherches qui est faite pour vérifier la provenance de cet objet.
02:41— Oui, vous avez raison. Et en fait, soyons très clairs, cette réglementation en tant que telle, le principe est louable.
02:48— C'est ça. — Il est bien évident qu'une époque où des sites archéologiques pouvaient être pillés ou des temples démembrés,
02:55c'est heureusement il y a fort longtemps. Et c'est quelque chose, de toute façon, si ça se passait encore, qui est tout à fait plus que critiquable,
03:02qui doit être interdit et qui doit être contrôlé. Donc le point, le sujet n'est pas là. Le sujet, ensuite, c'est ce qui va être demandé
03:09par cette réglementation qui existe depuis 2019 mais dont l'implication va réellement se faire le 28 juin 2025 avec la mise en place
03:18d'un système informatique et de la demande de licences d'importation. Donc aujourd'hui, un marchand et une maison de vente,
03:24qui sont très concernés également par cette réglementation, va s'assurer qu'on a des documents ou un faisceau d'indices
03:32qui nous rassurent sur la provenance de ces pièces. On est extrêmement vigilants, justement, de ne pas avoir... J'ai eu un cas récent, moi, par exemple,
03:41d'une pièce où, faisant des recherches, des recherches sur Internet, sur les bases interpolées, on fait tout un travail sur les provenances,
03:47je me suis aperçu qu'en fait, cette pièce était encore dans un temple indien dans les années 80. Et donc c'est une pièce sur laquelle, bien évidemment,
03:55on a annulé la transaction et ensuite, on s'est même retourné vers l'ambassade d'Inde puisqu'il était clair que cette pièce avait été volée sur ce temple.
04:03Bon, voilà. Donc déjà, on a un travail très important et qui est critique pour nous, bien évidemment, en termes de provenance des pièces,
04:13des documents, des photos, des recherches. Là, j'avais trouvé ça, en fait, sur un document, un article qui avait été fait par un conservateur
04:21de musée américain sur ce temple. Et on avait retrouvé la photo de la pièce. — Parce que qu'est-ce qui va changer, là ? C'est le niveau de sanctions,
04:27le niveau de réglementation ? Parce que toutes ces recherches que vous faites, est-ce que c'est obligatoire dans un sens légal du terme ?
04:34— Je dirais que cette réglementation, quand on la regarde bien au niveau de ces décrets d'application qui datent de 2021... Aujourd'hui, on va nous demander
04:43énormément de documents, comme par exemple d'avoir un document qui est autorisé l'exportation de cette pièce par le Cambodge, par la Colombie,
04:51par je ne sais quel pays, puisqu'on est dans l'archéologie, ou des membrements de monuments. Et à l'époque, en fait, dans l'essentiel des cas,
04:58ces documents n'existaient pas. Donc déjà, c'est un premier obstacle. Bon. Ensuite, on sait parfaitement bien que... Parce que le sujet de provenance,
05:06il y a encore 25 ans, 30 ans, peut-être même 20 ans, n'était pas si sensible qu'aujourd'hui. Ce qui est regrettable, d'ailleurs, soyons clairs.
05:13Vous avez énormément de collectionneurs qui n'ont pas de documents ou qui n'ont pas gardé simplement les documents nécessaires.
05:19Donc ils vont pouvoir nous dire... On va agir sur la bonne foi. Ils vont nous montrer des photos de la pièce chez eux. Mais il est rare, malheureusement,
05:26d'avoir des documents. Et en particulier par rapport... Vous avez mentionné l'UNESCO. Par rapport à ce qui est demandé dans cette réglementation,
05:34d'avoir une confirmation que cette pièce vient d'avant avril 1972. Ça fait partie des dérogations qui sont possibles. Donc aujourd'hui, à partir du moment
05:46où chaque professionnel, maison de vente, où nous faisons notre travail de diligence, je dirais, ça nous permet d'éviter justement les écueils de provenance
05:56qui seraient douteuses. Bon. Mais à partir de ce 28 juin 2025, on va demander un certain nombre de documents. Et je crains que dans la grande majorité des cas,
06:07il soit très difficile de ne pas fournir ces documents, simplement pour les raisons que j'ai mentionnées. On a même les situations... Alors je sais qu'il y a aussi
06:13un allègement qui fait qu'on ne sait pas en fait de quel pays précisément cette pièce vient. Voilà. Lorsqu'on parle d'art du Gandhara, c'est le Pakistan, c'est l'Afghanistan.
06:23Donc il faudrait qu'on ait un document du Pakistan, un document de l'Afghanistan. Puis de toute façon, je suis certain qu'à cette époque, ces documents n'existaient pas.
06:30— Mais est-ce que si ça se fait progressivement, si par exemple dans 10, 15 ans, tout le monde a maintenant en tête qu'il faut avoir ces documents-là,
06:38peut-être que ça va rentrer et devenir un réflexe ? Vous ne pensez pas que ce soit possible ? — D'abord, il faut que les documents existent. Donc il y aurait même un risque plutôt d'avoir des faux.
06:47Voilà. Donc il faut quand même... Et d'ailleurs, on l'a vu. On l'a vu dans des périodes récentes. Bon. Donc non. En fait, je dirais ce qui est également un souci extrêmement important,
06:56qu'il faut avancer. C'est pour ça que je pense, moi, aux collectionneurs, parce que d'abord, on vit grâce à des collectionneurs. Bon. C'est qu'avec tous ces documents,
07:04il sera très difficile d'apporter tous ces objets culturels. Et de nouveau, l'étendue est très importante. Tout ce qui est art d'Asie est concerné, art précolombien, ainsi de suite.
07:14Bon. Et donc à partir du moment où ça sera difficile de les importer, il y a quand même d'autres pays qui, eux, ne vont pas être concernés. Donc je dirais...
07:23Vous voyez, dans cette situation, je vais prendre un exemple très très simple. Et pour être très direct, je dirais c'est un peu la revanche du Brexit.
07:30— Ah oui, mais dans le sens... — Le Brexit a amené un déplacement des marchés, parce qu'au lieu d'avoir un transit efficace à l'intérieur de la communauté européenne,
07:42bien évidemment, c'était beaucoup plus compliqué avec le Royaume-Uni, en particulier avec Londres, qui est une grande place. Bon.
07:48Là, les Anglais, qui ont participé en fait en 2019 à la définition de ce règlement, puisqu'ils faisaient partie de la communauté européenne, ont décidé,
07:58je dirais presque sans grande surprise, de ne pas l'appliquer. Et au contraire même de faciliter les formalités douanières qui ont été mises en place au moment du Brexit.
08:07Donc ils suivent exactement le chemin inverse. Et je les critique pas. Je dis que c'est une réalité. Donc l'Europe, bien sûr, c'est important, mais c'est qu'une partie du monde.
08:16La communauté européenne n'est qu'une partie du monde. Et donc c'est pour ça que je parle de revanche du Brexit. On va avoir clairement un déplacement de l'activité de Paris en particulier,
08:27qui est devenu la grande place en Europe, vers Londres, pour ces raisons-là, ou même d'autres endroits.
08:34— Il nous reste quelques secondes. Juste, est-ce que vous pouvez nous dire ce qu'est possible pour la profession de faire pour alerter avant ? Est-ce qu'il y a des changements possibles avant justement le juin 2025 ?
08:43— Bon. Alors je dirais que nous avons deux actions actuellement et que nous menons vraiment quotidiennement, qui sont d'une part un dialogue avec le ministère des Cultures et les douanes.
08:53Et je dois dire que nous avons des interlocuteurs à chacun des niveaux, en particulier au niveau des douanes, qui seront amenés à contrôler en fait cette application.
09:02Donc nous travaillons avec eux pour mieux comprendre les règles d'application et en fait leur soumettre même des cas concrets concernant tous ces objets culturels.
09:11Et bien évidemment, au niveau européen, où là, c'est un effort international avec nos confrères d'autres pays d'Europe et même anglais dans certains cas,
09:19c'est voir au niveau de la communauté européenne quels pourraient être à terme les aménagements. L'objectif est louable. L'objectif n'est pas de détruire ce règlement.
09:28C'est simplement qu'il soit réalisable et qu'on n'ait pas un appauvrissement final de la culture extra-européenne en Europe, parce qu'on pourra continuer à exporter.
09:39Par contre, il sera très difficile d'importer. Donc les conclusions sont simples.
09:43Merci beaucoup Christophe Yocot. Je rappelle que vous êtes président de la Commission juridique et fiscale du Syndicat national des antiquaires.
09:48Merci d'avoir été avec nous. Et quant à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Arrêt marché.

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