"la marge est extrêmement faible pour le producteur.” Etienne Fourmont est agriculteur. Pour neo, il détaille le processus de la chaîne alimentaire en France et répond à la question : combien gagne vraiment un agriculteur ?
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00:00 Quand vous faites vos courses, vous ne savez pas pourquoi vous payez votre litre de lait 1,20€
00:04 ou les autres produits, combien ils vous coûtent et surtout combien moi, agriculteur, je retouche derrière.
00:08 Donc je vais essayer de vous expliquer très simplement comment ça fonctionne.
00:11 Quand vous achetez vos courses, sur 100€ de course, pour un agriculteur, c'est 7€ à peu près,
00:17 grosso modo, qui revient à l'agriculteur.
00:19 Donc sur 100€, ça fait très très peu au final que nous on retouche à la fin
00:22 pour pouvoir vivre notre métier, travailler correctement, s'occuper des animaux, des cultures.
00:26 Comment se compose en fait la chaîne alimentaire en France, on va dire la redistribution des revenus en France ?
00:31 On a quelques centaines de milliers d'agriculteurs.
00:33 On a quelques milliers d'agro-industriels, c'est-à-dire de gens qui transforment notre production.
00:37 On a 6 centrales d'achat et après on a des millions de consommateurs.
00:42 Donc en fait, nous producteurs, on se retrouve égorgés par un entonnoir,
00:45 on est la base et il y a l'entonnoir qui se resserre, qui se resserre, qui se resserre.
00:48 Et au final, on a très peu de gens à qui vendre notre production.
00:50 Les centrales d'achat et les agro-industriels concentrent tout,
00:53 ils sont tellement peu nombreux et nous on est tellement nombreux que eux décident du prix
00:56 et après c'est redispatché dans les grandes surfaces, dans les marchés pour aller au consommateur.
01:01 Donc par exemple, si on prend une bouteille de lait.
01:02 Donc le lait, il est à la ferme, on traite les vaches.
01:05 Tous les 2 ou 3 jours, le lait part chez le transformateur,
01:07 donc il va soit en faire des fromages, soit comme ici, le mettre en briques.
01:10 Ensuite, la brique, elle part à la centrale d'achat, qui va acheter,
01:13 et ensuite dans les rayons des magasins.
01:15 Donc c'est assez rapide.
01:16 Ce qu'il faut savoir quand même, c'est que quand vous achetez votre bouteille de lait,
01:18 c'est très souvent du demi-écrémé.
01:20 L'industriel a enlevé la moitié de la crème et on a fait autre chose derrière.
01:23 Donc quand on prend une bouteille de lait, il faut aussi imaginer que quand on parle de prix du lait,
01:26 il y a derrière une autre transformation qui est faite.
01:28 Donc si on prend une bouteille de lait classique,
01:30 en gros il va y avoir 34% du prix qui va revenir à moi, producteur.
01:34 40% pour l'industrie.
01:35 Ensuite c'est 24% pour le distributeur et 5% pour l'État.
01:39 Donc nous, des années pour le produire, ce lait-là au final,
01:41 élever les vaches, nourrir les vaches, les traire, et on n'en touche que 34%.
01:45 Et ceux qui font "le moins de travail" en touchent la plus grosse partie.
01:49 Ensuite si on prend d'autres produits, comme les yaourts, ou le jambon, ou les pâtes,
01:53 c'est des produits plus transformés.
01:54 Plus ça va être transformé, moins on va toucher derrière.
01:57 Simplement parce que le transformateur, l'agro-industrie,
01:59 et ensuite la grande surface qui va le revendre, ont beaucoup plus de travail.
02:02 Il y a un packaging qui est beaucoup plus compliqué que la bouteille de lait.
02:05 Donc ils vont d'abord se servir eux, et s'il en reste un peu à la fin, c'est pour nous.
02:08 Pour ce yaourt par exemple, on va avoir 15% pour nous les éleveurs,
02:13 et 44% pour l'agro-industrie.
02:15 Et ensuite il y a 35% pour le distributeur, et 5% pour l'État.
02:19 Donc vous voyez que la marge est extrêmement faible pour le producteur.
02:22 On se bat pour gagner mieux notre vie.
02:24 Donc on le dit très clairement que les agro-industriels vont se faire des marges
02:28 énormes sur ces produits-là, sur le lait, sur les yaourts par exemple,
02:31 ce qui n'est pas normal.
02:31 D'accord il peut y avoir des coûts de production qui vont un peu plus élevé sur les yaourts,
02:34 mais nous derrière on a toujours les vaches, des années de travail pour arriver à sortir du lait.
02:38 Donc c'est pas normal que les agro-industriels se fassent autant d'argent,
02:41 c'est pas normal que la GMS se fasse autant d'argent.
02:43 Les GMS c'est "grande" et "moyenne" surface, c'est la grande distribution quand vous allez acheter vos courses.
02:47 Et que nous à la fin, qui sommes la base, il reste si peu.
02:51 Il y a l'entretien aussi du territoire.
02:53 On va entretenir les champs, on va entretenir les haies, on va entretenir les prairies.
02:56 Et tout ce travail-là, quand vous achetez des produits alimentaires comme ça,
02:59 on l'a derrière ce travail-là.
03:00 Et nous il nous est pas rémunéré ce travail-là derrière.
03:02 Donc c'est super important que la marge soit mieux répartie
03:04 pour que nous on puisse continuer derrière à assurer la sécurité alimentaire,
03:07 à entretenir le territoire, à faire une alimentation durable, la plus durable possible.
03:10 Tout ça, ça demande beaucoup de travail, beaucoup d'énergie, des coûts très élevés.
03:13 Et si on n'a aucun revenu de produits derrière qui nous revient derrière, on va pas y arriver.
03:17 18% aujourd'hui des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté.
03:20 Se dire que des gens dévoués comme ça, qui sont agriculteurs, agricultrices,
03:25 qui comptent pas leurs heures, qui font super attention à ce qu'ils font,
03:28 n'arrivent pas à vivre de leur métier, c'est juste inadmissible.
03:30 En plus de pas gagner notre vie, on a des charges morales et environnementales et fiscales
03:34 qui sont très très lourdes, donc à un moment donné ça passe plus quoi.
03:36 Laissez-nous travailler, faites-nous confiance.
03:39 Je vous assure qu'on travaille du mieux qu'on peut.
03:40 L'environnement, la nature, les sols, les animaux, c'est notre outil de travail.
03:44 On n'a aucune raison de détériorer, sinon on irait encore plus mal.
03:47 Donc vraiment, on en prend très soin.
03:48 Essayez de discuter avec des agriculteurs si vous le pouvez.
03:51 On est de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux à partager notre métier,
03:54 à montrer comment on travaille avec les vaches, avec les tracteurs dans les champs,
03:57 porcheries, volailles.
03:58 En plus, on aime ça partager notre métier, montrer qu'on travaille bien,
04:01 qu'on fait attention à ce qu'on fait à l'environnement, à nos animaux.
04:03 Aimez-nous, faites-nous confiance, on fait très bien notre travail.
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