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  • 22/02/2024
"Le gang des barbares, dix ans après" / Parce qu'il est juif, le jeune Ilan Halimi est enlevé le 21 janvier 2006, attiré dans un piège par une jeune femme qui sert d'appât. Il est séquestré durant vingt-quatre jours, au cours desquels il sera torturé à mort. Plus de vingt-cinq personnes ont participé plus ou moins activement à ce crime. La presse les a surnommés le «gang des barbares». Leur chef, Youssouf Fofana, un jeune homme d'origine ivoirienne de 26 ans, a finalement été arrêté à Abidjan où il avait trouvé refuge. Plus de dix ans après les faits, Imen Ghouali et Dominique Rizet reviennent sur cette affaire en compagnie des protagonistes qui ont accepté de s'exprimer.

Catégorie

Personnes
Transcription
00:00 Ilan est tondu.
00:02 Mais alors avec une violence, là aussi,
00:04 c'est-à-dire qu'on se sert de rasoir jetable, certes,
00:08 mais on retrouve quand même, à l'autopsie sur son crâne,
00:13 des touffes de cheveux arrachées.
00:15 -Ilan est conduit dans un petit bois,
00:19 près d'une voie ferrée.
00:21 Là, Fofana lui plante des coups de couteau dans la gorge,
00:26 dans les flancs,
00:27 avant de l'asperger d'essence et de craquer une allumette.
00:32 Musique douce
00:35 ...
01:00 ...
01:08 -Le gang des barbares,
01:10 27 personnes qui ont enlevé, séquestré
01:13 et tué un jeune homme de 23 ans,
01:15 Ilan Halimi.
01:16 -Il a été traité comme une chose,
01:19 torturé.
01:21 -Le gang des barbares,
01:23 c'est aussi l'illustration de l'antisémitisme rampant.
01:27 -On le traite de sale juif, on lui dit "Crève, sale youpin".
01:30 -Il va déverser sa haine des Juifs
01:33 pendant les deux mois et demi d'audience.
01:36 -C'est aussi la loi du silence
01:38 qui gangrène certaines banlieues.
01:40 -C'est l'affaire de la lâcheté ordinaire.
01:44 -Le gang des barbares, c'est un groupe
01:47 qui a basculé dans une dérive meurtrière
01:50 sous la houlette d'un homme, Youssouf Fofana.
01:53 -Je ne sais pas si ça l'amuse.
01:56 En tout cas, ce qu'il cherche, c'est d'exister.
01:59 -Avec Imen Gouali, nous avons décidé
02:01 de retrouver les protagonistes de cette affaire
02:04 et d'analyser avec eux les conséquences
02:07 et les répercussions de ce dossier hors normes.
02:10 ...
02:14 -France Inter.
02:15 -Ce matin, les bourreaux d'Ilan Halimi
02:18 devant les juges.
02:19 Le procès du gang des barbares et de son chef,
02:22 Youssouf Fofana, s'ouvre devant la cour d'assises de Paris.
02:25 ...
02:27 13 février 2006.
02:29 Il est 8h30, quand le corps d'un homme est découvert
02:32 le long d'une voie ferrée près de Sainte-Geneviève-des-Bois,
02:36 en région parisienne.
02:37 -Il est nu, il est menotté.
02:40 Il a un baillon au niveau du cou, un baillon au niveau du front.
02:43 J'essaie de lui parler.
02:45 Je lui dis que c'est la police et qu'on a fait appel aux pompiers.
02:49 ...
02:51 En fait, il ne me répond pas, il ne parle pas.
02:53 -L'homme meurt avant d'arriver à l'hôpital.
02:57 ...
03:03 L'information remonte au cas des orphèvres.
03:08 Les policiers réagissent très vite.
03:10 Voilà trois semaines qu'ils travaillent
03:12 sur l'enlèvement d'un jeune homme de 23 ans.
03:15 Cette découverte pourrait être l'issue tragique
03:18 de leur enquête.
03:19 Le commissaire Richardot se rend immédiatement
03:23 à l'Institut médico-légal.
03:25 -On découvre le corps qui est en mauvais état
03:28 puisqu'il présente les stigmates de violence assez importants.
03:31 Le crâne est rasé.
03:33 Pour être tout à fait honnête, j'ai des doutes.
03:36 -Les policiers demandent qu'une expertise génétique.
03:40 Les résultats sont sans équivoque.
03:44 L'ADN est bien celui du jeune homme disparu depuis 24 jours,
03:49 il a une anémie.
03:51 ...
03:55 Musique sombre
03:56 Tout a commencé le 20 janvier 2006.
04:00 Ce soir-là, Ilan dîne chez sa mère pour Shabbat,
04:04 comme tous les vendredis.
04:06 Il prévient Moni, sa petite amie, qu'il va rentrer tard,
04:09 car il va boire un verre avec un collègue.
04:12 -Il se parle pour la dernière fois à 22h30,
04:16 où Ilan lui dit "je quitte le domicile de ma mère,
04:21 "je file voir Fred et je rentre ensuite".
04:23 -Mais Ilan n'a pas rendez-vous avec Fred.
04:27 C'est une fille qu'il doit retrouver ce soir-là,
04:30 une fille rencontrée trois jours plus tôt.
04:33 ...
04:35 En chemin, il appelle Karim, son meilleur ami,
04:38 pour lui proposer de venir avec lui.
04:41 -Vu mon état, je lui dis que je suis trop fatigué
04:44 et que je préfère rester à la maison pour me reposer.
04:48 Donc il me dit "très bien, dans ce cas-là,
04:51 "on se verra demain".
04:52 -De son côté, Moni s'inquiète de ne pas voir Ilan rentrer
04:56 et elle tente de le joindre.
04:59 Mais il ne répond pas.
05:02 Au petit matin, elle appelle les amis de son compagnon.
05:07 -Ma première réaction est d'être amusé.
05:09 Je me dis "il a dû passer une belle soirée,
05:12 "il a découché, il n'est pas rentré".
05:15 -La journée passe et toujours aucune nouvelle d'Ilan.
05:20 Jusqu'à ce que Moni reçoive un appel.
05:23 -Elle reçoit sur son téléphone portable
05:27 un message surréaliste
05:30 lui demandant de consulter une adresse Internet
05:33 mer855@hotmail.fr,
05:36 adresse Internet sur laquelle Moni aurait des nouvelles d'Ilan.
05:42 -Dans la boîte mail, un message terrifiant.
05:46 "Nous sommes en possession d'Ilan
05:49 "et sa vie est en danger.
05:51 "Nous réclamons 450 000 euros pour le 23."
05:55 -Avec ce mail, une pièce jointe,
05:57 qui est une photo de mon ami, le visage scotché,
06:00 avec un pistolet sur la tempe,
06:02 présentant le Parisien du jour
06:04 pour authentifier la date de la photo.
06:07 Musique de tension
06:09 ...
06:13 -Moni, Karim et les parents d'Ilan préviennent immédiatement la police.
06:18 La piste d'un rapt crapuleux paraît peu probable.
06:23 ...
06:26 Ilan est vendeur dans un magasin de téléphonie.
06:29 Il gagne 1 200 euros par mois et sa famille n'est pas riche.
06:33 -On se demande s'il a une erreur sur la personne
06:36 ou s'il a une double vire.
06:38 -Karim raconte alors au policier
06:40 cette histoire de rendez-vous avec cet inconnu.
06:43 Une fille qu'Ilan lui a décrite.
06:47 -Une jolie fille, assez jeune, plutôt élancée.
06:50 Je pense maghrébine, avec... Oui, jolie.
06:53 -La fille serait esthéticienne à Sceaux,
06:56 une ville de la banlieue sud de Paris,
06:58 où le portable d'Ilan est localisé
07:00 pour la dernière fois le soir de sa disparition.
07:04 Pendant que les policiers tentent de remonter cette piste,
07:09 un nouveau mail arrive chez Moni.
07:12 -Le ravisseur propose à Moni
07:15 de se rendre dans Paris, au HAL,
07:19 accompagnée de 10 personnes
07:22 pour lui remettre une somme de 450 000 euros.
07:25 -Une demande complètement folle.
07:28 Musique de tension
07:31 Le lendemain matin, le ravisseur appelle Moni.
07:34 Sur les conseils des policiers, la jeune femme tente de gagner du temps.
07:38 Elle explique qu'elle n'a pas pu réunir la somme.
07:42 Musique de tension
07:44 Furieux, l'homme contacte alors Didier Halimi, le père d'Ilan.
07:49 -Il s'est imposé par la force des choses,
07:52 puisqu'il était, j'ai envie de dire, le plus solide,
07:55 le plus stable, le plus à même de répondre
07:58 aux sollicitations des ravisseurs 24 heures sur 24.
08:01 -Didier Halimi se plie aux directives de la police.
08:04 Ne pas céder, c'est l'argent contre Ilan.
08:08 L'échange doit se faire en même temps.
08:10 Et surtout, il doit exiger sans cesse
08:13 des preuves de vie de son fils.
08:15 -On veut inciter les ravisseurs à avoir des contacts
08:19 avec leur otage, parce que l'expérience montre
08:22 que plus ils ont de contacts, plus les ravisseurs
08:25 auront du mal à passer à l'acte éventuellement
08:28 pour le mettre à mort ou pour le mutiler, pour le blesser.
08:32 -Durant trois jours, les proches d'Ilan
08:35 reçoivent une dizaine d'appels,
08:38 de nombreux SMS et deux e-mails.
08:41 Les policiers travaillent sur ces échanges,
08:44 mais d'emblée, ils se heurtent à une barrière technique.
08:47 Les ravisseurs se connectent depuis des cybercafés.
08:51 -On essaie de retrouver les références de l'ordinateur
08:55 à partir duquel le message est envoyé,
08:57 et ensuite, la localisation géographique
09:00 de cet ordinateur.
09:02 -Les policiers identifient le lieu
09:04 d'où a été envoyé le premier mail.
09:06 C'est un cybercafé du quartier de Bordeaux,
09:09 un cybercafé du 14e arrondissement.
09:12 Questionné, le gérant se souvient
09:14 d'un homme barraqué de type africain.
09:17 Le cybercafé est placé sous surveillance.
09:21 Les appels passés à la famille sont également analysés.
09:25 -Les appels transitent soit par des cabines téléphoniques,
09:28 soit par des taxiphones.
09:30 Ils sont intraçables et ne permettent pas
09:33 d'identifier le correspondant.
09:35 -Le lundi matin, nouvel obstacle.
09:37 Certains appels proviennent de Côte d'Ivoire.
09:41 -On est soumis à la législation locale
09:44 et ça complique énormément le travail d'identification.
09:47 -Reste alors au policier la piste de la fille
09:50 avec laquelle il avait rendez-vous.
09:53 En étudiant les relevés téléphoniques
09:56 du jeune homme, il retrouve l'appel
09:58 de cette esthéticienne.
10:00 Malheureusement, elle a utilisé une puce anonyme.
10:06 S'il est impossible de remonter jusqu'à cette fille,
10:09 les enquêteurs peuvent néanmoins savoir qui elle a contacté.
10:15 -On identifie quelques correspondants
10:18 qui, au départ, sont pour nous des gens suspects.
10:21 -Parmi eux, un certain Marc l'a appelé
10:24 plus d'une trentaine de fois avant l'enlèvement d'Ilan.
10:28 -Je me rends compte que je suis soupçonné,
10:31 mais je sais pas de quoi.
10:32 On m'a simplement écrit un numéro sur un tableau
10:35 et on me demandait sans cesse à qui était ce numéro.
10:38 Et puis, en cherchant un petit peu dans mon téléphone,
10:41 on a trouvé l'explication.
10:43 C'était une fille qui est venue me draguer au magasin,
10:46 qui se prénommait Léa.
10:47 -Une esthéticienne qui drague sans complexe
10:51 et sort le grand jeu.
10:52 Le même scénario que pour Ilan.
10:55 Musique pesante
10:57 Les policiers en sont sûrs.
11:00 Cette fille est un appât.
11:02 Un appât auquel Marc a bien failli succomber.
11:06 Mais il a décommandé à la dernière minute.
11:09 C'était une semaine avant la disparition d'Ilan.
11:12 -Pour eux, je deviens une bonne source d'informations.
11:17 On établit ensuite, un ou deux jours après,
11:19 je crois que c'est le jeudi ou le vendredi,
11:22 un portrait robot de la jeune fille.
11:24 -Blonde, cheveux raides,
11:26 svelte, les yeux bleus.
11:29 Rien à voir avec la fille qui a abordé Ilan.
11:32 Mais c'est la même carte de téléphone
11:35 et la même tactique.
11:37 ...
11:40 Cela fait maintenant une semaine qu'Ilan a été enlevé.
11:45 L'homme qui conduit les négociations
11:47 depuis la côte d'Ivoire s'impatiente.
11:50 -Les propos sont de plus en plus durs.
11:53 Il est de plus en plus menaçant.
11:55 Il décrit exactement ce qu'il peut faire à Ilan.
11:58 Ce qu'il peut commanditer de faire à Ilan.
12:01 -Le ravisseur veut l'argent,
12:03 mais il refuse de rendre l'otage dans le même temps.
12:07 Inacceptable.
12:09 C'est l'impasse.
12:10 ...
12:14 Pour faire pression,
12:16 le ravisseur se tourne alors vers un nouvel interlocuteur.
12:19 Thierry Zigny,
12:22 un homme totalement étranger à l'affaire,
12:25 il est rabbin et reçoit cet effroyable message
12:29 sur son portable.
12:31 -Allô, bonsoir.
12:32 Il y a un Juif qui a été kidnappé.
12:35 Vous êtes rabbin.
12:37 Il faudra aller pour avoir une preuve de ce que je vous dis
12:41 dans la boîte remettre.
12:42 Une cassette sera là-bas.
12:45 Et aucun déravage ne sera toléré.
12:47 Aucun.
12:49 ...
12:52 -Je prends la chose au sérieux
12:54 et je décide d'aller immédiatement
12:56 au premier poste de police judiciaire que je connais.
12:59 -Alertés, les enquêteurs analysent la cassette.
13:03 Sur la bande, on entend la voix d'Ilan, très faible.
13:07 Il demande de l'aide et supplie de ne pas prévenir la police.
13:12 -Cette cassette a un intérêt,
13:14 c'est qu'elle montre à ce moment-là
13:16 que la motivation du crime, c'est qu'il est enlevé
13:19 parce qu'il est juif, les Juifs ont de l'argent,
13:21 puisque le père tarde à donner la rançon,
13:24 on s'adresse à un rabbin qui est censé pouvoir faire une collecte
13:28 dans cette communauté qui a de l'argent.
13:30 -Jeudi 2 février,
13:33 près de deux semaines après l'enlèvement d'Ilan,
13:36 un nouveau mail est envoyé
13:38 depuis le cybercafé du 14e arrondissement.
13:40 Les policiers arrivent trop tard,
13:43 mais les caméras de vidéosurveillance
13:45 livrent l'image du suspect.
13:47 Son visage est en partie caché.
13:49 -Il porte une veste à capuche de marque Adedi.
13:52 On va s'apercevoir que les créateurs de cette marque
13:55 sont originaires de Bagneux, en région parisienne,
13:58 et c'est un élément qui va nous intéresser.
14:00 -Immédiatement, les policiers diffusent la photo du suspect
14:06 et une alerte enlèvement dans tous les commissariats de Paris
14:09 et de sa banlieue.
14:10 A Villejuif, les policiers réagissent tout de suite.
14:14 ...
14:19 Un mois plus tôt, ils ont eu une affaire similaire.
14:22 Un agent immobilier,
14:24 Mickaël Douyeb, a failli être enlevé
14:27 dans les mêmes circonstances qu'Ilan.
14:29 Il raconte aux policiers qu'une certaine Melvina,
14:32 une esthéticienne, l'a draguée,
14:35 invitée à boire un verre,
14:37 mais lorsqu'il la raccompagne chez elle,
14:40 Mickaël est séquestré.
14:41 -Dès que je suis rentré dans l'immeuble,
14:44 j'ai eu droit à l'agression. On l'a agressée sauvagement.
14:47 On essaie de comprendre ce qui se passe.
14:49 Pourquoi on voit des hommes cagoulés ?
14:52 ...
14:58 Et puis, quand on arrive un peu à nettoyer,
15:01 on arrive un peu, avec les mains, à essayer d'écarter un peu le sang.
15:05 Et puis, on voit une jeune fille,
15:07 la même qui nous avait attirés dans ce traquenard,
15:10 qui esquisse un sourire.
15:11 ...
15:17 -On nous traite de sale Juif, on lui dit "Crève, sale youpin".
15:20 -Mickaël Douyeb hurle.
15:23 Des voisins finissent par appeler la police.
15:26 Ces agresseurs prennent la fuite, le laissant pour morts.
15:30 -La police, bien sûr, s'est rapprochée de moi
15:33 pour comprendre ce qui s'est passé
15:35 et pour me dire qu'il y avait un lien probable
15:37 avec une affaire d'un garçon qui avait été enlevé.
15:40 -Ilan,
15:42 Mickaël,
15:44 Marc.
15:45 Manifestement,
15:48 tous ces hommes ont eu affaire au même gang
15:50 et tous sont Juifs.
15:52 Après 17 jours de négociations infructueuses,
15:56 le chef de la brigade criminelle prend une décision radicale.
16:00 Didier Halimi ne doit plus répondre aux ravisseurs.
16:05 -Pour le père,
16:06 je pense qu'il est dans une situation
16:09 de tension nerveuse extraordinaire.
16:12 Mme Halimi, elle, souffre d'être écartée de cela
16:16 et elle a le sentiment que c'est une faute.
16:18 Et elle subit.
16:20 -Durant trois jours,
16:22 des messages de plus en plus agressifs
16:25 s'accumulent sur le répondeur du père d'Ilan,
16:28 jusqu'au week-end, où leurs ravisseurs cessent d'appeler.
16:31 Le lundi 13 février,
16:36 on retrouve Ilan nu le long d'une voie ferrée,
16:39 à Sainte-Geneviève-des-Bois.
16:41 Le lendemain du drame,
16:46 les policiers publient la photo de l'homme au sweatshirt
16:49 avec le portrait robot d'un des appas,
16:52 la blonde que Marc a décrite.
16:54 Une jeune femme se présente alors au commissariat de Montrouge.
16:58 Elle s'appelle Audrey. C'est la fille du portrait robot.
17:01 -Nous allons passer toute la nuit
17:03 à tenter de recueillir ses déclarations,
17:06 à essayer de la débriefer,
17:07 à obtenir des éléments d'informations
17:10 pour identifier les comparses et complices de cette enquête.
17:13 -Audrey explique qu'elle voulait un plan Thune.
17:16 C'est son petit copain, Jérôme Ribéraud,
17:18 qui l'a mise sur le coup pour jouer les appas.
17:21 Entendu à son tour,
17:23 Ribéraud passe aux aveux.
17:25 Oui, il a séquestré Ilan dans un appartement,
17:28 mais il n'était pas seul.
17:30 Jérôme Ribéraud donne des noms.
17:33 -Trois jours après la mort d'Ilan,
17:36 les policiers interpellent 13 complices.
17:38 Ils sont tous de la cité de la Pierre-Plate, à Bagneux.
17:42 Ils ont entre 17 et 28 ans.
17:44 Tous cherchaient de l'argent facile.
17:47 Dans le gang, il y a les ravisseurs,
17:52 les geôliers, les appas
17:54 et un cerveau.
17:55 Youssouf Fofana.
17:57 ...
18:03 -Fofana a déjà pris la fuite.
18:05 Il s'est envolé pour la côte d'Ivoire.
18:08 Il est arrêté là-bas une semaine plus tard.
18:11 La police française se rend sur place.
18:14 Youssouf Fofana ne reconnaît que l'enlèvement.
18:17 Il explique que s'il s'est attaqué à des Juifs,
18:20 c'est parce qu'ils ont de l'argent et qu'ils sont solidaires.
18:24 -Ils s'en foutaient complètement.
18:26 Ils n'avaient aucune pitié pour Ilan Halimi.
18:32 Ils considéraient presque Ilan Halimi comme un morceau de viande.
18:36 -Le 4 mars, Fofana est extradé vers la France.
18:41 L'instruction doit maintenant comprendre
18:43 comment cet homme a pu s'imposer
18:45 comme le cerveau d'une entreprise aussi barbare.
18:48 ...
18:51 Youssouf Fofana est né à Paris, en 1980.
18:56 Il est élevé par sa mère.
18:58 -L'éducation qu'elle semblait transmettre à son enfant
19:02 et à ses enfants était une culture incontestablement
19:06 de respect, de tradition et de valeur de travail.
19:11 -Mais à 13 ans, Youssouf choisit la voie de la délinquance.
19:15 Vol de moto et agression se multiplient.
19:19 -Il s'aguerrit assez rapidement, c'est ça qui est surprenant.
19:23 Je ne pouvais pas entrevoir en lui
19:26 le personnage qu'il deviendrait ensuite.
19:28 -En 2000, Fofana braque un supermarché.
19:32 Il écope de deux ans de prison.
19:35 A sa sortie, il devient un dur, respecté dans sa cité.
19:40 -Il a l'ascendant sur des gens qui sont plus jeunes que lui,
19:45 qui ont moins de maturité
19:46 et qui sont fascinés par son parcours de délinquant.
19:50 -Youssouf Fofana n'a plus qu'une obsession,
19:53 gagner de l'argent, beaucoup d'argent et vite.
19:57 Il a trouvé un moyen, racketter des personnalités.
20:01 -Parmi les autres cibles de ce gang,
20:03 l'avocat pénaliste Joseph Cohen-Saban,
20:06 le PDG des magasins Butte
20:08 ou bien encore Jérôme Clément, le président d'Arte.
20:11 -Toutes ces tentatives se soldent par un échec.
20:15 Fin 2005, Youssouf Fofana a une nouvelle idée,
20:22 la prise d'otages.
20:24 Pour monter l'opération, il engage des filles, des appas.
20:28 C'est à Tiffen, une copine du quartier,
20:31 qu'il demande de les recruter.
20:33 -Elle est fascinée par Youssouf Fofana.
20:35 Sa plus grande motivation, c'est d'être au coeur
20:38 de la conception du projet criminel.
20:40 Elle a directement contribué à l'élaboration du plan.
20:44 -L'appa idéale, Tiffen l'a sous la main.
20:49 C'est sa copine Emma, une aguicheuse
20:52 qui n'a pas froid aux yeux.
20:54 Elle a un compte à régler avec les hommes.
20:56 -C'est une jeune fille qui naît en Iran,
20:59 qui est élevée dans l'Iran des ayatollahs,
21:02 qui est voilée,
21:05 qui subit...
21:09 la pression masculine.
21:13 -Ce rapport avec les hommes est, pour moi,
21:16 l'élément le plus caractéristique, le plus original de sa personnalité.
21:20 Donc, au fond, ils ne veulent de moi
21:25 que du sexe,
21:27 et donc, par vengeance,
21:30 pour me venger de ça, je peux aussi, moi, les maltraiter.
21:35 -Alors, quand Fofana lui propose d'appâter un jeune homme,
21:39 Emma accepte.
21:41 C'est elle qui choisit Ilan.
21:44 C'est elle qui le drague,
21:46 qui lui donne rendez-vous le 20 janvier pour boire un verre.
21:49 C'est elle qui l'attire dans le piège.
21:52 -Je pense qu'Emma a une grande part de responsabilité,
21:57 parce que c'est par elle que tout arrive.
22:00 -Fofana et ses hommes conduisent ensuite Ilan à Banyu,
22:06 dans un appartement vide, récupéré auprès du gardien.
22:10 Des geôliers, recrutés dans la cité, les attendent.
22:14 -Il est dépouillé.
22:16 Ses vêtements, dès le premier jour, lui sont enlevés.
22:19 Ilan, pendant ces 24 jours, a le visage scotché,
22:24 les mains baillonnées, les pieds ligotés.
22:27 -Le lendemain, Fofana transfère Ilan dans une cave.
22:31 Les geôliers se montrent de plus en plus sadiques,
22:34 comme pour lui faire payer l'enlisement de la situation.
22:41 -Youssouf Fofana va organiser un semblant de sodomisation
22:44 à l'aide d'un balai.
22:45 Il exige à un moment donné de ses geôliers une photo gore,
22:49 c'est le terme qu'il emploie, il veut envoyer à la famille
22:52 une photo choc qui va les heurter et les inciter à franchir le pas,
22:56 à payer l'enlisement.
22:57 Il va exiger qu'on le bastonne à mort.
23:00 -C'est de la barbarie.
23:03 Dès le départ, on a assisté à un processus de déshumanisation.
23:10 -Peu à peu,
23:11 les lieutenants de Fofana s'impatientent et le lâchent.
23:15 Youssouf Fofana, lui,
23:20 bascule définitivement dans l'horreur et la barbarie.
23:24 -Ilan est tondu.
23:26 Mais alors, avec une violence, là aussi,
23:29 c'est-à-dire qu'on se sert de rasoir jetable, certes,
23:33 mais on retrouve quand même, à l'autopsie, sur son crâne,
23:38 des touffes de cheveux arrachées.
23:40 -Ilan est conduit dans un petit bois,
23:44 près d'une voie ferrée.
23:46 Là, Fofana lui plante des coups de couteau dans la gorge,
23:50 dans les flancs,
23:52 avant de l'asperger d'essence et de craquer une allumette.
23:56 Pour le procureur, c'est un crime crapuleux.
24:03 Mais la juge d'instruction retient, pour Fofana,
24:07 une circonstance aggravante, l'antisémitisme.
24:10 L'affaire prend alors une dimension nationale.
24:14 -Bonsoir à tous. Merci de votre attention.
24:16 Voici les titres de l'actualité de ce jeudi.
24:19 L'union sacrée à la synagogue de la Victoire à Paris
24:22 pour rendre hommage à Ilan Halimi, Jacques Chirac, Dominique Devillepin,
24:26 de nombreuses personnalités politiques et religieuses
24:30 ont assisté à la cérémonie.
24:31 -Politique, éditorialiste, journaliste,
24:34 tous prennent position.
24:36 Acte crapuleux pour les uns,
24:38 acte antisémite pour les autres.
24:41 Youssouf Fofana suscite fascination comme répulsion.
24:45 Il déchaîne les passions.
24:47 Maître Emmanuel Ludeau, vous êtes son avocat.
24:56 Qui est Youssouf Fofana ?
24:58 -C'est un homme qui est né au mauvais endroit,
25:01 qui a certainement des blessures
25:05 qu'il a camouflées et que personne n'arrivera jamais
25:09 à mettre à jour,
25:11 qui est redoutablement intelligent
25:13 et qu'il faut prendre toujours avec grande habileté.
25:18 Chaque décision que l'on prend à l'égard de Youssouf Fofana,
25:22 il faut bien la peser, bien réfléchir,
25:25 parce que c'est quelqu'un qui a, comme aux échecs,
25:28 toujours un ou deux coups d'avance.
25:30 -Vous avez un point de vue très inhabituel sur lui.
25:33 A la veille de ce procès, comment le considère la société ?
25:37 -Il est le repoussoir idéal.
25:40 Il représente le mal.
25:43 Il est antisémite.
25:45 Il est cruel.
25:47 Il ne respecte pas sa parole.
25:49 Il ne respecte pas les juges.
25:51 C'est une bête féroce qu'il faut enfermer à vie
25:54 au fond d'une cellule.
25:55 -Le procès du gang des barbares débute fin avril 2009
26:00 à Huy-Clos, devant la cour d'assises des mineurs de Paris.
26:03 Dans le box, 27 accusés sont présents.
26:07 Youssouf Fofana, ses lieutenants, ses appâts,
26:11 mais aussi ceux qui n'ont rien dit,
26:13 comme le gardien d'immeuble.
26:15 Tout de suite, Fofana défie l'assistance.
26:19 -Fofana va déverser sa haine des Juifs
26:21 pendant les deux mois et demi d'audience.
26:24 C'était insoutenable d'entendre des horreurs pareilles
26:27 pendant les deux mois et demi.
26:29 -Ce procès, c'est également celui de l'Omerta,
26:32 qui règne dans les cités.
26:34 Cette loi du silence tacite,
26:36 qui a aussi tué Ilan.
26:39 -On n'a eu en tout cas aucun élément
26:41 qui nous permette de croire ou d'entendre,
26:44 ne serait-ce que d'entendre,
26:45 que l'une des personnes ait réfléchi à une solution
26:48 pour casser cette loi du silence,
26:50 au moment où Ilan est séquestré.
26:52 Musique sombre
26:54 ...
26:56 -J'ai tenté d'évaluer le mieux possible,
26:59 le plus honnêtement possible,
27:01 la gravité de leur rôle,
27:03 la réalité de leur comportement,
27:06 ce qu'était leur passé judiciaire
27:09 et, en quelque sorte, un diagnostic pour l'avenir.
27:13 -Le 10 juillet,
27:16 après deux jours et demi de délibéré,
27:18 le verdict est prononcé.
27:20 Youssouf Fofana est condamné à la prison à perpétuité,
27:23 assorti d'une peine de sûreté de 22 ans
27:25 pour avoir enlevé, séquestré et tué Ilan Halimi.
27:30 Ses lieutenants sont, eux aussi, condamnés à des peines
27:33 allant de 5 à 15 ans de prison.
27:35 Emma Lappa prend 9 ans.
27:38 -Je trouve que les peines
27:40 qui concernent les geôliers
27:43 et qui concernent Lappa
27:45 sont, pour la famille d'Ilan Halimi,
27:50 des peines qu'elle a du mal à comprendre
27:53 et, pour tout dire, à accepter.
27:55 -Une colère et un émoi,
27:57 partagées par une large partie de l'opinion publique.
28:00 Michel Aliomari, alors garde des Sceaux, intervient.
28:04 17 des 27 accusés seront rejugés.
28:07 Musique de tension
28:09 Le procès en appel s'ouvre en octobre 2010 à Créteil.
28:13 Fofana n'est pas là.
28:16 Musique de tension
28:17 Certains membres du gang voient leur peine aggravée.
28:21 Emma, elle, est condamnée à la même peine, 9 ans.
28:26 Musique douce
28:28 -Ilan Halimi repose aujourd'hui
28:31 dans le cimetière de Givat Shaoul,
28:33 sur une colline de Jérusalem.
28:35 ...
28:47 Musique de tension
28:49 Aujourd'hui, plus de 10 ans après les faits,
28:52 l'échec des négociations et la mort d'Ilan
28:55 laissent un goût amer au protagoniste de l'affaire.
28:58 Pourtant, les moyens déployés ont été colossaux.
29:02 Près de 400 hommes ont été mobilisés sur l'enquête.
29:05 -L'échec tient surtout au fait
29:07 qu'ils n'ont pas envisagé le crime pour ce qu'il était.
29:10 Ils ont pensé qu'il s'agissait de petites crapules
29:13 qui agissaient sans trop savoir où elles allaient
29:16 et ce qu'elles faisaient.
29:18 Ils n'ont jamais pensé qu'il y avait tant de personnes derrière.
29:22 -Il y a un problème de moyens techniques.
29:24 La police courait avec des moyens en décalage
29:28 avec ceux utilisés par Youssouf Oufana à l'époque.
29:31 ...
29:43 -Maître Spiner, que pense la famille Halimi
29:46 de la façon dont a été menée cette enquête ?
29:48 -Pendant très longtemps,
29:51 nous n'avons pas voulu dire du mal de l'enquête
29:54 parce qu'on estimait qu'il y a un temps pour chaque chose.
29:58 Il y avait le temps du procès,
30:00 et au procès, attaquer la police,
30:03 à part faire le jeu des accusés,
30:06 n'aurait servi à rien.
30:07 Mais la famille a toujours eu le sentiment
30:11 que la police avait raté l'enquête.
30:13 -Ca aurait changé quoi si cette affaire
30:16 avait été médiatisée depuis le début ?
30:18 -Si à un moment donné, l'affaire devient publique,
30:21 il y a peut-être des chances que certains parlent.
30:24 D'ailleurs, très rapidement,
30:26 quand la police va diffuser un portrait robot,
30:29 une des filles va spontanément venir à la police
30:31 expliquer ce qui se passe.
30:33 Donc on voit bien que la diffusion de portraits robots
30:36 de l'enlèvement aurait eu des effets immédiats.
30:39 -Route Halimi, la mère d'Ilan, a reproché à la police judiciaire
30:42 d'avoir minoré le caractère antisémite de l'enlèvement.
30:46 Est-ce que ça aurait changé si on avait pris en compte
30:48 la judéité de Dylan Halimi ?
30:50 -On sait que c'est un crime qui vient
30:53 manifestement de banlieue.
30:57 On sait que c'est un crime de petite frappe,
31:00 mais pas du milieu structuré.
31:02 On sait que c'est une motivation antisémite.
31:05 Ca peut limiter les recherches,
31:08 ça permet en tout cas d'aller orienter peut-être l'enquête
31:12 dans des milieux où l'antisémitisme se pratique.
31:15 Donc c'est une donnée objective du dossier.
31:17 -Dans cette affaire, pendant 24 jours,
31:27 la loi du silence a soudé tous les membres du gang.
31:30 Pourtant, certains ne se connaissaient même pas.
31:33 -Comment peut-on expliquer que pas un membre du gang des barbares
31:44 n'ait craqué ?
31:45 -Parfois, les groupes sont organisés
31:48 de façon très rationnelle, un petit peu en cascade.
31:52 Parfois, c'est un peu saucissonné. Je m'explique.
31:55 Il y a le leader qui a un plan,
31:58 il y a un metteur en scène,
32:00 il y a des hommes de main qui mettent le projet en marche,
32:03 et puis il y a des comparses de second niveau
32:07 qui ont un petit rôle.
32:08 Un groupe, ça diminue l'intelligence de chacun,
32:14 et donc, souvent, ça dérive dans la destructivité.
32:18 Donc un groupe qui dérive,
32:20 si tenté quand on est des états d'âme,
32:23 il faut être un héros pour arrêter cette dérive négative
32:28 vers la violence, la destructivité.
32:30 -Le procès a-t-il pu aider certains des accusés
32:33 à assimiler la gravité des faits dans lesquels ils ont été impliqués ?
32:37 -Dans tout ce groupe,
32:39 la plupart n'étaient pas des individus
32:43 qui pensent cyniquement à la mort de quelqu'un.
32:46 On voit que...
32:47 Ils ont quand même entendu ce qu'ils disaient.
32:52 Ils ont quand même tout écouté.
32:54 -Pour les victimes du gang des barbares et leur famille,
33:03 la vie a lentement repris son cours.
33:06 -Aujourd'hui, comment va la famille Alimi ?
33:10 -En général, ceux qui sont victimes d'un tel crime
33:14 et qu'on ampute, on leur enlève un frère, un fils,
33:18 c'est une amputation.
33:20 Donc une amputation...
33:21 Vous pouvez remarcher, vous pouvez avoir des prothèses,
33:26 mais il vous manque toujours quelque chose.
33:28 -En mai 2015, la plaque, en mémoire d'Ilan Alimi,
33:31 a été retrouvée brisée à Bagneux.
33:34 Ça a suscité une vive émotion.
33:37 Comment l'a vécue la famille Alimi ?
33:39 -Celui...
33:41 Quand Ruth Alimi m'a dit
33:43 qu'elle allait enterrer son fils en Israël,
33:46 j'ai été non pas choqué,
33:49 mais ça m'a bouleversé.
33:52 Je lui ai dit pourquoi.
33:55 Elle m'a dit parce que là-bas, au moins,
33:58 on ne viendra pas le déranger dans sa mort.
34:01 J'avais trouvé ça terrible pour notre pays
34:05 que même mort, la tombe d'Ilan Alimi puisse être souillée.
34:09 Ce qui me rend triste, c'est que c'est elle qui avait raison.
34:12 -Maître Wakhlin-Melki, comment va Michael Douyeb aujourd'hui ?
34:33 -Mon client va bien.
34:36 Le temps a passé
34:37 et il s'est remis peu à peu
34:40 du drame qu'il a touché.
34:43 Il s'est sorti peu à peu de la dépression
34:47 dans laquelle il avait sombré suite à son agression.
34:50 Et puis surtout, il a gardé un grand sentiment de culpabilité
34:54 d'avoir pu lui échapper et rester en vie
34:57 suite à cette agression,
34:59 alors qu'Ilan, qui allait être la personne suivante
35:02 à être enlevée, n'avait pas eu cette chance.
35:06 -Aujourd'hui, il vit encore avec ce statut de miraculé.
35:10 -C'est impossible pour lui de tourner complètement la page,
35:14 ne serait-ce que sur un plan physique,
35:16 car il a gardé quelques séquelles de cette agression.
35:19 D'abord, des séquelles qu'il porte sur le visage,
35:22 puisqu'il a eu les os du nez complètement brisés.
35:25 Et puis, une extrême fatigueabilité
35:28 liée au désordre au niveau du cerveau.
35:33 Donc beaucoup moins de vitalité
35:36 pour un homme qui était tout de même assez tonique et sportif.
35:40 -Comment s'est-il reconstruit ?
35:42 -Par la force du travail,
35:44 ce qui a permis de garder la tête hors de l'eau,
35:47 de grosses responsabilités familiales, professionnelles.
35:51 Et petit à petit, le quotidien a pris le dessus, en fait,
35:54 sur son angoisse.
36:02 -Aujourd'hui, sur les 27 personnes condamnées dans l'affaire Alimi,
36:06 seul Youssouf Fofana et ses deux principaux lieutenants
36:10 sont toujours emprisonnés.
36:11 -La majorité sont dehors et essayent de se faire oublier.
36:17 C'est-à-dire qu'ils veulent pas revenir sur l'affaire,
36:20 qu'ils veulent pas que la presse revienne sur leur cas.
36:23 C'est des gens qui se sont retrouvés pris
36:25 dans un énorme projet criminel,
36:27 en ayant, eux, au départ, dans leurs intentions,
36:30 participé à quelque chose qu'ils imaginaient moins grand.
36:33 De toute façon, c'est des gens qui essayent
36:36 de mettre à distance cette affaire pour redémarrer leur vie.
36:39 -Comment la famille Dilan a-t-elle réagi
36:42 à l'annonce de la libération d'un certain nombre de membres du gang ?
36:46 -Une des sœurs d'Ilan m'a dit un jour
36:48 qu'elle avait rencontré dans le métro
36:51 quelqu'un qui avait participé à l'affaire
36:54 et qui était libre.
36:55 Donc, il y a un sentiment d'écœurement et de révolte.
36:58 Musique douce
37:00 ...
37:02 -Si la plupart des accusés remis en liberté
37:05 n'ont pas fait reparler d'eux,
37:07 l'une d'entre elles, en revanche, a fait couler beaucoup d'encre.
37:11 Emma, la jeune fille qui a servi d'appât pour Ilan.
37:16 Musique douce
37:18 Incarcérée à Fleury-Mérogis,
37:20 la jeune femme était, au départ, une détenue modèle.
37:23 ...
37:26 -Emma s'est lancée dans les études,
37:28 a trouvé un certain équilibre en prison,
37:31 mais en tout cas, un cadre.
37:32 Elle a passé un bac STG avec mention assez bien.
37:36 ...
37:38 -Emma est ensuite transférée
37:40 à la maison d'arrêt pour femmes de Versailles.
37:43 ...
37:44 C'est là qu'elle rencontre Florent Gonsalves,
37:47 le directeur de l'établissement.
37:49 Un directeur apprécié,
37:52 mais qui semble avoir une protégée parmi les détenus.
37:56 Emma.
37:57 ...
37:58 -Cette relation privilégiée avec le directeur
38:01 a conduit pas mal de détenus à l'appeler la directrice,
38:04 car ça lui permettait d'obtenir des choses
38:07 que les autres n'avaient pas.
38:08 Elle était seule avec le directeur,
38:11 elle pouvait s'isoler quand elle le voulait.
38:14 Elle a eu, grâce à cette relation,
38:16 des faveurs que d'autres n'avaient pas.
38:19 ...
38:20 -Alerté, le contrôleur général des prisons
38:23 constate qu'un dysfonctionnement existe dans l'établissement.
38:27 -Un amour passionnel derrière les barreaux,
38:30 un amour interdit, car si elle, Emma,
38:32 était une détenue de la prison des femmes de Versailles,
38:35 lui en était le plus haut gradé, le directeur, Florent Gonsalves.
38:39 Accusé d'avoir fourni à Emma une puce de téléphone portable,
38:42 il a été révoqué de l'administration pénitentiaire
38:45 et il en court 3 ans de prison.
38:47 ...
38:56 -Maître Landon, vous avez été l'avocat de Florent Gonsalves.
39:00 Pourquoi lui avoir donné cette puce à Emma ?
39:02 -Pourquoi ?
39:04 C'est dans un contexte particulier
39:07 d'un homme qui devient amoureux d'une jeune femme
39:10 qu'il rencontre au sein d'une maison d'arrêt.
39:12 C'est améliorer la vie d'une jeune femme
39:15 pour qui il a des sentiments.
39:16 -C'est une vocation, l'administration pénitentiaire ?
39:19 -Oui, car c'est quelqu'un qui avait un contact facile avec les autres,
39:23 qui avait une vision très particulière de son métier.
39:26 C'était pas quelqu'un qui gardait des détenus,
39:29 mais qui voulait les faire évoluer dans le bon sens.
39:32 -Florent Gonsalves s'est entendu. Que dit-il ?
39:34 -Il ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés.
39:37 Il l'admet et revendique la relation amoureuse
39:40 qu'il a pu avoir avec cette jeune femme.
39:42 Mais ce qui est très important, c'est qu'il explique
39:46 qu'il n'a mis en cause la sécurité de l'établissement.
39:49 C'est essentiel, car il y a toujours le bon fonctionnaire.
39:52 -Il est amoureux et envisage de refaire sa vie avec Emma
39:55 dès sa sortie de prison. C'est pas une amourette ?
39:58 -Non, c'est une relation qui dure de nombreux mois,
40:02 qui ne devient charnelle qu'à la fin.
40:05 Il aime cette jeune femme.
40:06 -Amour ou pas,
40:08 Florent Gonsalves est mis en examen
40:11 pour remise illicite d'objet interdit à une détenue.
40:15 Quant à Emma, elle est poursuivie pour recel.
40:18 -Docteur Coutenceau, c'est une manipulatrice, Emma.
40:23 -Si on était un peu un scénariste,
40:25 on dirait que c'est une beauté vénéneuse,
40:27 mais je n'ai pas trouvé une personnalité
40:32 au niveau psychique,
40:33 une manipulatrice froide, cynique, stratégique.
40:40 Elle joue de ça,
40:42 mais pas de façon totalement contrôlée.
40:47 -Florent Gonsalves est suspendu de ses fonctions début 2011
40:53 avant d'être révoqué de l'administration pénitentiaire.
40:56 En janvier 2012, Emma est libre.
41:02 Un mois plus tard, le couple compare devant
41:06 le tribunal correctionnel de Versailles.
41:08 -Votre client, au moment du procès,
41:11 en quel état d'esprit est-il ?
41:12 -Il ne va pas bien, il a été révoqué de l'administration pénitentiaire,
41:16 il se retrouve sans logement de fonction,
41:18 un peu à la rue,
41:20 et il vit comme une injustice le sort qui lui est réservé.
41:23 -Comment il se comporte avec Emma ?
41:26 -Il se comporte très bien avec Emma,
41:28 il est protecteur d'Emma à l'audience.
41:30 Elle voit un déchaînement médiatique
41:32 sur une nouvelle affaire après avoir vécu le procès Fofana.
41:35 Elle est apeurée et dans la capacité de répondre aux questions.
41:39 -Emma est condamnée à un an de prison, dont 8 mois avec sursis.
41:43 Et votre client ?
41:44 -Deux ans d'emprisonnement, dont un an ferme.
41:46 Ce qui n'est pas rien.
41:48 -Pour vous, on a voulu faire de ce directeur un exemple.
41:51 -Pour dire très clairement les choses,
41:53 si cette jeune femme ne s'appelait pas Emma,
41:56 cette affaire n'aurait certainement jamais été révélée
41:59 à l'autorité judiciaire.
42:00 Ça aurait été réglé au sein de l'administration pénitentiaire.
42:04 On l'aurait mutée sur un autre établissement,
42:06 on aurait envoyé la jeune fille ailleurs.
42:09 -Est-ce que leur amour a survécu à ces péripéties judiciaires ?
42:13 -Je ne crois pas.
42:14 -Florent Gonsalves a tout perdu dans cette affaire.
42:17 -Oui, il a tout perdu, mais il reste quand même une belle histoire.
42:20 -Une belle histoire racontée dans Défense d'aimer,
42:25 un livre écrit par Florent Gonsalves
42:28 et qui donnera même lieu à un film,
42:30 "Éperduement".
42:32 Aujourd'hui, il ne souhaite plus revenir
42:36 sur cet épisode de sa vie.
42:38 Emma, depuis sa sortie de prison,
42:41 elle aussi aspire à l'anonymat.
42:43 -Les gens autour d'elle la protègent.
42:46 L'avocate qui l'avait défendue à l'époque fait barrage
42:49 et considère que sa cliente a le droit à l'oubli.
42:52 Il ne faut pas oublier qu'à l'époque,
42:54 elle était mineure, donc elle l'a toujours un peu protégée
42:57 et elle vit sa vie.
42:59 ...
43:02 -Depuis sa condamnation,
43:04 Youssouf Fofana n'a jamais quitté la rubrique des faits divers,
43:09 où il se complaît.
43:10 En 2012, Fofana publie depuis la prison de Clairvaux
43:14 une quinzaine de vidéos sur YouTube
43:17 où il fait l'apologie d'Al Qaïda,
43:19 se revendique salafiste et appelle à la haine des Juifs.
43:23 Pourquoi ces vidéos ?
43:25 Est-ce que ça l'amuse ?
43:27 -Je ne sais pas si ça l'amuse.
43:29 En tout cas, ce qu'il cherche, c'est d'exister.
43:32 C'est-à-dire être regardé, être écouté
43:35 et faire en sorte de ne pas être oublié.
43:38 Voilà, c'est un produit carcéral nouveau, Fofana.
43:42 -Quel lien lui reste-t-il avec le monde extérieur ?
43:46 -Eh bien, avec le monde extérieur,
43:49 il lui reste la possibilité d'avoir une compagne...
43:52 -Fofana a une compagne.
43:54 -...que j'ai eue au téléphone plusieurs fois,
43:57 qui est une fille très bien.
44:00 Il peut la rencontrer
44:01 et on lui laisse la possibilité d'une intimité.
44:04 -Il a sa mère qui vient le voir ? Sa famille ?
44:07 -Sa famille, c'est sa maman.
44:09 Sa maman ne l'a jamais abandonnée.
44:11 C'est une femme de ménage extrêmement courageuse.
44:14 C'est vraiment, pour lui, l'émeraude.
44:17 Voilà, c'est l'émeraude.
44:18 Musique douce
44:20 -Youssouf Fofana, un dur au coeur tendre ?
44:23 Pas vraiment.
44:25 Placé à l'isolement total depuis plus de 10 ans,
44:29 il ne montre aucun signe d'apaisement.
44:31 Yohann Carrard,
44:32 Youssouf Fofana, c'est un détenu ingérable ?
44:35 -Très ingérable.
44:36 Dès l'instant où il va à la douche, en promenade,
44:39 ça mobilise quand même pas mal de personnel
44:42 et qui plus est, on doit aussi s'équiper
44:45 pour justement éviter toute violence de sa part.
44:47 Donc ça passe par des tenues par coup,
44:50 casque, bouclier.
44:51 C'est vraiment des grosses mesures sécuritaires
44:54 qui sont mises en place afin d'éviter
44:56 qu'un des personnels soit violenté.
44:58 -Il s'est radicalisé en prison, Youssouf Fofana ?
45:01 -On a pu s'apercevoir que la prison l'avait renforcé
45:04 dans ses croyances et qu'il plus est,
45:06 il était plus dans un autre type de prosélytisme
45:09 dans la prison.
45:10 Donc effectivement, il peut continuer à faire des discours,
45:13 à crier aux fenêtres, à provoquer du trouble dans la détention.
45:17 -Est-ce qu'il existe beaucoup de profils
45:19 comme le sien dans les prisons françaises ?
45:22 -Il y a beaucoup d'individus comme M. Fofana
45:24 et malheureusement, l'administration péritancière
45:27 est en peine à pouvoir les gérer.
45:29 On ne parle pas d'une dizaine ou d'une quinzaine d'individus,
45:32 on est vraiment sur le millier d'individus.
45:35 -On en parle beaucoup de la déradicalisation
45:37 dans les prisons.
45:39 Est-ce que Youssouf Fofana vous semble accessible à cette mesure ?
45:42 -Du tout, non.
45:43 Malheureusement, pour ce type d'individu comme M. Fofana,
45:47 on peine à penser qu'on va pouvoir faire quelque chose.
45:50 On sait que c'est un détenu
45:51 que l'on va garder en prison, je pense, toute sa vie.
45:54 -On le garde comme un fauve dans une cage.
45:57 -On n'a pas le choix.
45:58 -Maître Spiner, depuis son incarcération,
46:01 le nom de Fofana ressurgit régulièrement
46:03 dans l'actualité.
46:05 Comment réagit la famille Dilan ?
46:07 -La famille Dilan, ce qu'elle souhaite,
46:11 c'est qu'il soit mis à l'écart de la société
46:14 le plus longtemps possible.
46:16 -Il y revient dans la société à travers ses actes
46:19 qui sont à chaque fois largement médiatisés ?
46:21 C'est de la provocation ?
46:23 -Non, je pense qu'il s'est installé aujourd'hui
46:26 dans un personnage
46:27 qu'il est fier d'être ce personnage.
46:30 D'ailleurs, quand il est jugé
46:32 et qu'on lui demande sa date de naissance,
46:35 il donne comme date de naissance le jour de la mort d'Ilan.
46:38 C'est ce jour-là, pour lui, que Youssouf Fofana est né
46:42 et il est devenu, à ses yeux,
46:44 de personnage mythique.
46:46 Je crois qu'il est parti.
46:50 Quand je dis "il est parti",
46:52 c'est qu'il s'est retranché de l'humanité.
46:55 -Est-ce qu'on peut soigner quelqu'un comme Youssouf Fofana ?
46:58 -Cet homme a fait la preuve de sa dangerosité.
47:01 Cet homme a, dans sa personnalité,
47:04 dans sa manière de se situer face aux actes,
47:06 des éléments qui font qu'il y a une dangerosité qui persiste.
47:10 La réponse, c'est non.
47:11 -En janvier 2017, Youssouf Fofana est poursuivi
47:19 pour tentative d'extorsion de fonds et menace de mort
47:23 de 42 victimes ciblées en 2002.
47:25 -Il cherche des personnalités qui ont un nom
47:30 et dont certains noms sont à consonance.
47:32 Selon lui, juif, on a Rony Braumann,
47:35 le PDG de Whirlpool, Jérôme Clément.
47:38 Il table sur des gens dont il suppose
47:40 qu'ils auront de l'argent immédiatement à disposition
47:43 s'il les menace.
47:45 -Toutes ces personnalités se sont vues réclamer
47:48 de fortes sommes d'argent.
47:50 Parmi elles, maître Joseph Cohen-Sabon.
47:53 Musique rythmée
47:55 -Comment avez-vous été approchés par Youssouf Fofana ?
47:58 -Ce sont d'abord des irruptions nocturnes chez moi.
48:03 -Vous le signalez à la police ?
48:04 -Non.
48:05 Rien n'a été volé.
48:07 Je ne signale pas.
48:09 Et va arriver la première, et pour moi, la seule cassette vidéo,
48:14 je vais voir le chef de service de la BRB,
48:16 qui m'explique que je suis, avec pas mal d'autres déjà,
48:20 l'objet d'une tentative de raquette.
48:22 -Sur cette cassette, qu'est-ce qu'il y a ?
48:24 -On voyait un gars cagoulé, armé, d'une kalash et d'un lance-roquette,
48:28 qui lance une grenade dans une maison, qui rampe jusqu'à cette maison
48:32 et qui fait sauter l'intérieur.
48:34 Mais à côté de ça, les écrits étaient débiles.
48:37 Leur revendication "financière" est ridicule.
48:41 C'est-à-dire, imaginons que j'ai eu la folie
48:45 de vouloir payer les 300 000 euros qui me sont demandés.
48:48 La manière dont on me le demandait m'interdisait de le faire.
48:52 -Pourquoi pensez-vous avoir été visé par Fofana ?
48:55 -Je ne sais toujours pas exactement pourquoi j'ai été ciblé.
48:58 Parce que je suis Joseph Cohen-Saban, avocat,
49:01 parce que je suis Cohen-Saban, juif. Je ne sais rien, moi.
49:04 -Seules 13 victimes se sont constituées parties civiles
49:09 et deux étaient présentes au palais de justice de Paris
49:12 pour le procès.
49:13 Pour ce dernier procès de Fofana, vous dites "j'ai joué le jeu".
49:18 Qu'est-ce que ça veut dire ?
49:20 -Ca veut dire que jouer le jeu dans une procédure judiciaire,
49:23 c'est que de l'instant où je dépose une plainte,
49:26 la moindre des choses, c'est d'être présent jusqu'au bout.
49:29 Vous dire que j'y suis allé rassuré serait mentir.
49:32 J'avais un peu peur, c'est vrai. Mais je me devais de le faire.
49:35 -On a l'impression que Fofana fait de plus en plus peur,
49:38 même s'il est en prison. Pourquoi ?
49:40 -Il y a toute la fantasmatique qui va tourner autour de Fofana
49:44 avec ceux dont on pense qui sont ses héritiers.
49:47 Les frères Kouachi, Koulibaly,
49:51 tous les gosses perdus qui ont grandi depuis
49:54 et qui sont devenus atrocement dangereux
49:56 et qui, au nom d'un Daesh ou d'un islam radical,
50:00 vont commettre des actes extrêmes.
50:02 C'est la raison, selon moi, majeure de cette peur.
50:06 -L'audience à peine commencée, Fofana fait du Fofana.
50:11 Il ne résiste pas à la tentation de provoquer.
50:17 -Il faut quand même penser que Youssouf Fofana ne sort jamais.
50:21 Pour lui, aller à une audience, c'est la sortie du siècle.
50:24 Il prépare avant et il arrive à l'audience en disant
50:28 "je suis le trader de la terreur".
50:30 -Il fait un calcul intelligent. Il est le repoussoir de toute société.
50:34 On lui demande de venir participer à un procès
50:37 dont il connaît l'issue et dont il n'est que le jouet,
50:41 puisque le résultat est le même et que ça ne va pas changer sa vie.
50:45 "Est-ce que je m'appelle Fofana ?
50:47 "Est-ce que je vais passer trois semaines
50:49 "à écouter des horreurs sur mon compte,
50:51 "à me faire trotter pique-pendre pour me faire finalement condamner ?
50:55 "J'ai autre chose à faire.
50:57 "Je préfère être dans ma cellule et regarder la télévision."
51:00 -A l'issue de ce procès,
51:06 la justice condamne Youssouf Fofana à 10 ans de prison.
51:10 Déjà condamné à perpétuité pour l'assassinat d'Ilan Halimi,
51:14 le cerveau du gang des barbares
51:16 ne pourra déposer une demande de remise en liberté qu'en 2028.

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