Sécurité alimentaire : un défi planétaire

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00:00 France Culture, les matins d'été, Quentin Laffey.
00:05 Depuis lundi et jusqu'à mercredi, les représentants de plus de 160 pays se sont réunis à Rome
00:11 pour le sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires.
00:14 Ce sommet a lieu une semaine après le retrait de la Russie de l'accord sur l'exportation
00:18 des céréales ukrainiennes et la publication de plusieurs rapports alertant sur la hausse
00:23 de la faim dans le monde.
00:24 Alors quels sont les enjeux de ce sommet ? La guerre en Ukraine met-elle en danger la
00:28 sécurité alimentaire mondiale ? Pour en parler, je reçois ce matin trois invités.
00:33 Mathieu Brun, bonjour.
00:34 Bonjour.
00:35 Vous êtes directeur scientifique de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le
00:38 monde, chercheur associé à Sciences Po Bordeaux.
00:41 A vos côtés, Pauline Verrière, bonjour.
00:43 Bonjour.
00:44 Vous êtes responsable plaidoyer des systèmes alimentaires et crise climatique chez Action
00:48 contre la faim et à distance, Sébastien Abyss, bonjour.
00:51 Bonjour.
00:52 Vous êtes directeur du club Déméter, chercheur associé à l'IRIS, l'Institut de relations
00:56 internationales et stratégiques et l'auteur d'un excellent « Géopolitique du blé »,
01:01 c'est paru cher à Mancolin en 2015.
01:03 Alors pour commencer, quelques chiffres.
01:04 On estime aujourd'hui qu'entre 691 millions et 783 millions de personnes dans le monde
01:11 ont souffert de la faim en 2022.
01:13 La situation s'empire, contrairement à ce qu'on pouvait imaginer encore il y a quelques
01:17 années.
01:18 Mathieu Brun, pourquoi la situation s'empire-t-elle en matière de sécurité alimentaire mondiale ?
01:22 On est dans une trajectoire où après des efforts importants de baisse du nombre de
01:27 personnes qui souffraient de la faim, on a au contraire maintenant une remontée de ces
01:32 chiffres très inquiétants qui vont nous amener dans quelques années à être au même
01:35 niveau qu'en 2015, au moment où les États se sont dit « tiens, on va réussir d'ici
01:39 2030 à éliminer la faim ».
01:41 Alors il y a plusieurs facteurs qui ont accéléré cette hausse du nombre de personnes qui souffrent
01:45 de la faim.
01:46 D'abord, c'est les impacts économiques de la crise du Covid-19.
01:50 Il y a eu la crise, il y a eu la fermeture de frontières, il y a eu des déplacements
01:55 interdits, des enfants qui n'aillent plus à l'école, qui n'avaient plus accès
01:58 à l'alimentation.
01:59 Et puis il y a eu une reprise économique très importante avec des hausses de prix
02:02 depuis les matières premières agricoles jusqu'à l'énergie, les bois, l'aluminium,
02:06 etc. qui a augmenté les prix alimentaires.
02:09 Donc c'est vraiment cette question de l'inflation économique.
02:11 Il ne faut pas oublier qu'en matière de sécurité alimentaire, le premier défi,
02:16 c'est celui de l'économie, c'est-à-dire avoir assez d'argent pour chaque jour, s'acheter
02:20 à manger pour que ces 800 millions de personnes puissent au quotidien trouver une alimentation
02:23 de qualité.
02:24 Donc le choc du Covid-19 est un premier choc, le choc économique et inflationniste.
02:28 Ensuite, vous avez un autre élément qui me semble absolument fondamental, c'est
02:31 celui des crises et des conflits.
02:33 On parle de ce qui se passe en Ukraine, mais regardons aussi au niveau local les guerres
02:37 civiles, le Soudan, le Yémen, l'Éthiopie et tout ce qui peut malheureusement égrener
02:42 le monde de conflits et de tensions au niveau local entre les individus, puis au niveau
02:46 international aussi.
02:47 Et donc ces crises sont vraiment, je pense, l'un des premiers obstacles à l'atteinte
02:52 de la sécurité alimentaire pour produire, pour échanger, pour commercer, pour acheter
02:56 de la nourriture.
02:57 Il faut le faire en paix.
02:58 Puis bien sûr, les chocs climatiques.
03:00 On l'a vu au Pakistan l'année dernière, cette année en plus avec la sécheresse en
03:04 Méditerranée et ailleurs sur la planète.
03:05 Les chocs climatiques sont aussi des facteurs aggravants de cette insécurité alimentaire
03:11 qui effectivement touche 800 millions de personnes, mais c'est près d'une personne sur trois
03:15 dans le monde qui malheureusement au cours de la journée, au cours de la semaine, vit
03:20 des difficultés pour trouver de la nourriture.
03:22 Pour bien comprendre, Mathieu Brun, quel est l'impact concret du changement climatique
03:25 sur la sécurité alimentaire mondiale ? Quel est le lien entre les grandes sécheresses
03:29 qui touchent des régions du monde et l'impact sur les produits alimentaires ?
03:33 Un producteur, parce qu'il faut calquer la carte de la faim avec celle des producteurs
03:38 agricoles, ce sont les premiers qui sont exposés à l'insécurité alimentaire.
03:41 C'est assez paradoxal d'imaginer ceux qui produisent la nourriture qui sont ceux qui
03:45 en manquent, quand vient la période de soudure par exemple, c'est-à-dire la fin des stocks
03:50 disponibles à l'échelle du foyer ou de la communauté et qu'on attend les prochaines
03:54 récoltes et qu'il y a une sécheresse et qu'il y a une invasion de criquets qui détruit
03:58 les récoltes.
03:59 Là, quelle est l'alternative pour eux sinon d'aller devoir chercher, acheter à l'extérieur,
04:04 trouver de l'aide alimentaire, vendre du bétail ? C'est un vrai problème aujourd'hui,
04:08 la décapitalisation du bétail.
04:10 Donc ces chocs climatiques ont des conséquences sur le niveau de rendement, sur le niveau
04:14 de production mais aussi sur la disponibilité des semences de qualité.
04:19 Et puis bien entendu, n'oublions pas qu'une bonne partie de la nourriture est stockée.
04:23 Aujourd'hui, quand on stocke de la nourriture, il faut le faire dans des bonnes conditions.
04:27 Mais avec la hausse de température dans les pays d'Afrique subsaharienne ou en Égypte
04:31 ou ailleurs, ces stocks sont exposés à des ravageurs, à des insectes qui prolifèrent
04:38 à cause de ce changement climatique.
04:39 On a évoqué l'impact des conflits sur la sécurité alimentaire mondiale, les dimensions
04:44 économiques et climatiques également.
04:47 Quel est l'impact, Pauline Verrière, de la dimension strictement démographique ? La
04:52 population mondiale est de 7,9 milliards de personnes en 2022.
04:56 On devrait être à 8,6 milliards en 2032.
04:59 Il faut nourrir plus de monde, nécessairement, ça tend les chaînes de valeur de la sécurité
05:06 alimentaire mondiale ?
05:07 Alors aujourd'hui, je pense que la population mondiale qui augmente, c'est un argument
05:12 qu'on met beaucoup en avant.
05:14 Aujourd'hui, on produit suffisamment de nourriture pour nourrir la population, c'est
05:18 important de le répéter.
05:19 Si les gens n'ont pas accès à cette alimentation, c'est avant tout un problème de pauvreté.
05:23 Donc c'est pour le coup, moi, un argument qu'il faudrait mettre en valeur.
05:26 C'est plutôt une question de pauvreté et d'injustice économique à l'échelle
05:31 planétaire.
05:32 Donc la sécurité alimentaire mondiale, l'enjeu, c'est d'abord un sujet d'accès
05:36 plus que d'offre ?
05:37 Oui, c'est ça.
05:38 Aujourd'hui, on produit suffisamment, mais les gens n'ont pas accès à cette alimentation.
05:40 Est-ce que vous êtes d'accord avec cette idée, Sébastien Rabhi ?
05:43 Oui, ce qui vient d'être dit, j'en souscris pleinement.
05:47 Et en même temps, c'est tout le problème.
05:52 C'est-à-dire qu'on peut, comme depuis de très nombreuses années, indiquer qu'on
05:58 produit assez pour nourrir la planète.
06:01 Après, les réalités sont têtues.
06:05 C'est-à-dire qu'il y a cette injustice économique et sociale qui est absolument
06:09 épouvantable et dramatique, qui ne se résorbe pas, qui a plutôt tendance à s'amplifier.
06:14 On peut le regretter.
06:15 On peut dire qu'un jour, dans un monde parfait, tout ça sera complètement corrigé.
06:20 Et malheureusement, on a du mal à aller dans ce sens parce qu'il y a des facteurs
06:27 géopolitiques, il y a des facteurs structurants comme les changements climatiques.
06:31 Mathieu Bras en a très bien parlé.
06:32 Et on ne peut pas faire fi néanmoins de l'équation démographique.
06:37 C'est-à-dire que votre question est néanmoins juste.
06:40 Il ne faut pas s'arquebouter sur la seule dynamique démographique pour dire qu'il
06:44 faudrait appuyer sur le champignon et produire toujours plus.
06:47 Parce qu'au cours de ce siècle, on sait très bien qu'il va falloir espérer pouvoir
06:52 produire autant.
06:53 Et ça, c'est le climat et le contexte général qui nous invitent aujourd'hui à peut-être
06:58 changer de discours.
06:59 C'est-à-dire que ce siècle dans lequel nous sommes, nous ne savons pas si nous allons
07:03 pouvoir produire plus.
07:05 Nous allons peut-être devoir espérer pouvoir produire autant.
07:07 Et en parallèle, avoir une dynamique démographique à suivre parce qu'on gagne encore de la
07:14 population dans la période dans laquelle nous nous situons aujourd'hui.
07:17 Je rappelle quand même accessoirement qu'un pays comme l'Inde, qui est devenu le pays
07:20 le plus peuplé du monde, l'Inde a gagné 370 millions d'habitants en 20 ans.
07:27 C'est-à-dire que quasiment la population de l'Union Européenne.
07:30 En 20 ans en plus à nourrir quand vous êtes sur le seul cas de l'Inde.
07:33 Donc vous ne pouvez pas dire à l'Inde, non l'agriculture, il ne faut pas essayer d'en
07:39 avoir davantage et non la sécurité alimentaire, ce n'est pas un sujet prioritaire.
07:43 Donc on voit bien qu'il y a à la fois ce moteur démographique qui reste prégnant
07:49 dans le raisonnement stratégique, les politiques publiques, l'innovation qu'il faut aller
07:54 chercher.
07:55 Il y a l'équation climatique qui complexifie encore plus la recherche de sécurité alimentaire.
08:01 Et en miroir, en creux de tout ça, il y a ce que Pauline indique et qui est terrible,
08:06 c'est que vous avez autour de l'accès à l'alimentation, qui est pourtant un droit
08:09 de l'homme, des inégalités et des violences sociales, mais sans commune mesure avec les
08:13 autres.
08:14 Et tout ça se fait dans une indifférence souvent générale, parce que dans nos pays
08:20 très confortables européens, puisque nous n'avons pas de grands soucis de sécurité
08:26 alimentaire, on a des problèmes de précarité et d'accessibilité pour une population
08:29 faible certes, mais grosso modo la nourriture est présente, on peut y accéder, il y a
08:33 des filets sociaux.
08:34 Nous avons tendance à nous rappeler que l'agriculture et la question de l'insécurité alimentaire
08:42 est un sujet que quand il y a des crises ou des chocs de prix, ben non, il y a une grande
08:46 partie du monde qui vit permanence dans cet inconfort, dans cette crise alimentaire.
08:51 Et c'est important d'en parler ce matin.
08:53 Mathieu Brun, dans ce débat, là qu'on entend bien et qu'on voit se dessiner entre
08:58 allocation des ressources d'un côté, quantité produite de l'autre, est-ce qu'on sera
09:02 en mesure en 2032 de nourrir 8,6 milliards de personnes du point de vue justement des
09:08 quantités ?
09:09 Alors c'est un chiffre assez fort d'annoncer ce nombre de population à l'horizon 2030-2032,
09:16 au moment où l'agenda du développement durable devrait arriver à son terme, on
09:20 devrait avoir éradiqué l'extrême pauvreté, avoir éradiqué la faim.
09:23 On en est très très loin.
09:25 Les chiffres du dernier rapport des Nations Unies sur la sécurité alimentaire montrent
09:29 qu'on sera à peu près au même niveau en valeur absolue, à peu près 800 à 850 millions
09:34 de personnes qui sont toujours en situation d'insécurité alimentaire.
09:37 Alors il y a des leviers à activer, bien sûr, pour retrouver des solutions, pour répondre
09:43 à cette crise de l'insécurité alimentaire, n'oublions pas que un tiers de la nourriture
09:46 est gaspillée dans le monde ou perdue.
09:49 Ça veut dire que chez nous c'est peut-être plus au niveau de la restauration ou dans
09:52 nos domiciles, mais dans les pays du sud, dans les pays d'Afrique subsaharienne et
09:57 ailleurs, c'est peut-être au niveau du champ, au niveau du stockage, comme je l'ai
10:00 dit un petit peu plus tôt.
10:01 Au moment de la distribution aussi, parfois.
10:02 Au moment de la distribution, donc là on a un levier à activer.
10:04 Bien sûr, il ne faut pas oublier qu'une bonne partie de notre production agricole
10:08 est utilisée pour nourrir les animaux.
10:10 Parfois on imagine que l'agriculteur produit directement ce qui va dans notre assiette.
10:14 Ça passe dans une chaîne très complexe, ça nourrit des animaux, ça va aussi parfois
10:17 dans la production d'énergie, ce qui n'est pas toujours en accord avec les enjeux de
10:22 sécurité alimentaire.
10:24 Pour reprendre ce que disaient juste avant Pauline Vernier et Sébastien Abyss, effectivement
10:28 il y a d'un côté l'offre, d'un côté la demande, mais au-delà de ces fondamentaux,
10:33 il y a quand même la question géopolitique qui est très forte.
10:35 On l'a vu ces derniers jours, encore cette nuit, des infrastructures de stockage sont
10:39 détruites en Ukraine par la Russie.
10:41 Vladimir Poutine annonce qu'il va pouvoir répondre à la demande africaine en blé.
10:47 L'arme alimentaire, l'arme de la faim dans un monde où on voudrait de la coopération
10:51 et de l'entente, reste vraiment, je crois aussi, un facteur très important de cette
10:56 instabilité alimentaire.
10:57 On parle beaucoup depuis le début de cette discussion de facteurs strictement conjoncturels,
11:02 l'inflation, la crise sanitaire, certains conflits locaux et notamment la guerre en
11:06 Ukraine.
11:07 Un récent rapport de l'ONU a néanmoins pointé plusieurs décennies de sous-investissement
11:12 dans les systèmes alimentaires.
11:14 Qu'est-ce que ça signifie quand on sous-investit, quand on n'investit pas assez dans des systèmes
11:19 alimentaires concrètement ?
11:20 Je vais peut-être détourner un peu la question, mais pour moi aujourd'hui, on ne l'investit
11:24 pas politiquement aussi cette question.
11:26 C'est-à-dire qu'on vient de dresser un constat assez alarmant concernant l'insécurité
11:32 alimentaire mondiale, mais aujourd'hui on se rend compte qu'il n'y a pas de discussion
11:35 politique au niveau, il n'y a pas d'investissement politique de cette question.
11:39 Il y a un vrai besoin que les États se mettent d'accord, se mettent autour de la table pour
11:42 discuter de ce sujet.
11:44 La bonne nouvelle c'est qu'il existe en fait un espace pour avoir cette discussion, c'est
11:48 le Comité sur la Sécurité Alimentaire Mondiale, le CSA, qui est basé à Rome.
11:53 Cet espace, il existe, nous on l'appelle de nos voeux parce qu'il est très intéressant.
11:58 C'est un espace multilatéral, les États sont là pour discuter ensemble, se mettre
12:04 d'accord, négocier un certain nombre de choses et il en ressort quelque chose de concret.
12:08 Et la société civile, elle est directement appliquée, elle est actrice dans ce processus.
12:12 Contrairement au sommet de l'ONU qui a commencé aujourd'hui et qui s'étend jusqu'à
12:16 mercredi.
12:17 Je vais y venir.
12:19 Il y a cet espace qui existe et qui est très intéressant.
12:23 Mais aujourd'hui il est remis en question, et il est notamment remis en question par
12:25 ce sommet qui se passe à Rome, c'est l'UNFSS+2, c'est le sommet ONU sur les systèmes alimentaires.
12:31 Et nous on est très mécontents de la tenue de ce sommet, à plein de niveaux différents.
12:36 Cet UNFSS+2, c'est un bilan d'étape d'un premier sommet qui a eu lieu en septembre
12:41 2021.
12:42 Et déjà à l'époque, on était très mécontents et très inquiets par la tournure des choses.
12:46 En fait, on est dans un glissement au niveau international.
12:49 On passe d'un espace multilatéral, où les États discutent ensemble, à des espaces
12:55 multi-acteurs, avec le narratif que tout le monde doit être dans le tour de table, que
12:58 les entreprises privées, les grands groupes agro-industriels devraient être dans le tour
13:02 de table.
13:03 Au même moment que les États et les institutions.
13:06 Et en fait, ils sont dans des discussions et pas plus tard qu'hier, on a eu des grands
13:11 groupes qui discutaient, qui étaient dans des panels avec des ministres, avec des chefs
13:17 d'État.
13:18 Et pour nous, ça c'est très problématique parce que quand ils sont dans ce tour de table,
13:22 en fait, on ne peut pas avoir des discussions, notamment pour réguler le secteur privé,
13:26 alors que c'est vraiment un axe majeur pour régler un certain nombre de problèmes.
13:31 Mathieu Brun, je reviens avec vous sur cette expression.
13:33 Est-ce que cela signifie plusieurs décennies de sous-investissement dans les systèmes
13:36 alimentaires ?
13:37 Ça veut dire que depuis 20, 30 ans, on a arrêté de faire des politiques agricoles,
13:42 on a arrêté de faire du soutien dans certains pays, j'y reviendrai.
13:45 On a arrêté de soutenir la production agricole, de soutenir la transformation de l'agriculture
13:50 en produit alimentaire.
13:51 Depuis, les politiques d'ajustement structurel, je ne vais pas faire un cours d'histoire,
13:55 on n'aurait pas le temps, mais en fait, on a les États, notamment du Sud, d'Afrique
14:00 sud-saharienne, d'Amérique du Sud ou d'Asie, ont beaucoup moins investi dans leurs politiques
14:04 agricoles, alors que la PAC, la politique agricole américaine, elle a continué à
14:09 bien exister de manière assez forte.
14:11 Et on est dans une situation aujourd'hui où certains ont continué à largement soutenir
14:15 leur système agricole, parfois peut-être dans des directions problématiques, et puis
14:21 d'autres n'ont plus du tout investi.
14:22 Donc, on a un écart de compétitivité, un écart de soutien qui est très important.
14:27 Dans la Fondation Farm, on a publié un observatoire mondial des soutiens publics à l'agriculture.
14:31 Et qu'est-ce qu'on regarde ? On voit bien qu'un agriculteur dans les pays riches,
14:34 type au CDE, aux États-Unis, France, est 15 fois plus soutenu en moyenne qu'un agriculteur
14:40 au Sénégal, au Botswana ou dans un autre pays du Sud.
14:44 Donc, ça veut dire qu'on a un écart très important.
14:47 On a des situations où non seulement les producteurs, mais aussi la transformation
14:50 agricole, la transformation agroalimentaire, elle n'est pas soutenue à son juste niveau.
14:55 Dans le monde aujourd'hui, c'est 700 milliards de dollars qui sont dépensés en politique
14:59 agricole.
15:00 Antonio Guterres, Alvaro Lario, le secrétaire général des Nations Unies ou le président
15:03 du FIDA ont appelé à ce qu'on ait un investissement de 300 à 400 milliards de dollars en plus
15:08 pour les pays en développement dans ces systèmes alimentaires.
15:10 Donc, il y a un vrai effort financier à faire, mais parfois à réorienter les soutiens publics
15:17 et simplement à les orienter dans les pays du Sud où ils sont quasiment inexistants.
15:21 L'actualité, bien sûr, c'est l'accord sur l'exportation des céréales ukrainiennes
15:24 qui a pris fin du fait de la Russie le lundi 17 juillet.
15:28 Est-ce qu'au fond, Sébastien Abyss, comment est-ce qu'on peut comprendre l'impact de
15:32 la fin de cet accord sur la sécurité alimentaire mondiale ? Quels sont les pays qui sont particulièrement
15:39 mis en danger par la fin de cet accord ?
15:40 Écoutez, pour bien connaître le dossier depuis le début de l'intensification de
15:47 l'agression russe en Ukraine le 24 février 2022, il faut comprendre trois choses.
15:53 C'est que l'Ukraine s'était installée parmi les joueurs principaux du marché mondial
16:00 des grains, des céréales, et que depuis un an et demi, ce pays est fragilisé par l'invasion
16:07 russe.
16:08 Il y a une partie de son territoire qui est amputée.
16:11 Il y a cinq oblastes qui sont sous contrôle russe.
16:14 Vous avez la guerre, vous avez des bombes, vous avez des champs minés, vous avez des
16:18 agriculteurs extrêmement paupérisés, empêchés de travailler, qui malgré tout essayent de
16:24 produire.
16:25 Bref, une Ukraine extrêmement affaiblie d'un point de vue agricole.
16:28 Cette Ukraine affaiblie d'un point de vue agricole, elle est doublement affaiblie, c'est-à-dire
16:33 qu'à cet impact local, s'ajoute un entravement à exporter ses récoltes, parce que pendant
16:43 six mois, entre février et août 2022, la Russie a bloqué la mer Noire.
16:48 Et on a eu cet accord en août 2022 qui, sous égide onusienne et sous bienveillance turque,
16:56 a permis pour la seule fois depuis 500 jours aux Russes et aux Ukrainiens directement de
17:02 se mettre d'accord pour que depuis le complexe portuaire d'Odessa, des grains ukrainiens
17:09 prennent le retour et le chemin du marché mondial.
17:12 Ce marché mondial était préoccupé puisque cet acteur ukrainien n'a pas été remplacé.
17:17 Pour prendre une image très simple, on a une dizaine de joueurs sur la scène internationale
17:25 sur les grains, il n'y a personne sur le banc de touche qui a remplacé le joueur ukrainien
17:30 qui fait partie des très bons joueurs et qui est très blessé et handicapé depuis
17:34 un an et demi.
17:35 Il n'y a pas eu de remplacement.
17:36 Donc vis-à-vis de la demande, tout à l'heure vous parliez, l'offre de l'autre côté
17:41 du terrain a été amputée.
17:42 Et donc on a eu des tensions qui se sont accumulées aux autres tensions que Mathieu a évoquées
17:48 précédemment, Covid, pandémie, problématiques climatiques, etc.
17:54 Et en fait ce corridor depuis un an avance cas à cas avec une reconduction selon le
18:01 bon vouloir du Kremlin tous les 120 jours et avec des volumes qui n'ont pas été
18:05 négligeables puisque 33 millions de tonnes ont été sorties entre août 2022 et juillet
18:10 2023 depuis Odessa et de l'Ukraine.
18:13 En parallèle, je signale quand même que grâce à l'Europe, grâce à l'initiative
18:19 Farm qui a été portée par la France, des voies de solidarité se sont développées
18:23 pour aider l'Ukraine à sortir aussi des productions par la voie terrestre, ferroviaire,
18:28 camion.
18:29 Et 20 millions de tonnes sont sorties par ces voies européennes de solidarité.
18:32 Ça représente à peu près 40% du volume total que l'Ukraine a pu exporter depuis
18:39 un an et cette voie européenne est pérenne.
18:43 La voie mer Noire est entravée par le bon vouloir du Kremlin et le Kremlin, il y a une
18:48 semaine, a refait monter la pression parce qu'il y a un intérêt pour la Russie à
18:54 refaire monter la pression sur cet dispositif et bombarde en plus, et la Russie bombarde
19:00 en plus, Odessa, et attaque même aujourd'hui, et ça c'est beaucoup plus inquiétant,
19:06 attaque même au niveau d'Ismail et Rényi qui sont ces deux ports qui sont branchés
19:11 sur le Danube et qui permettent à l'Ukraine d'aller chercher de la logistique en Roumanie
19:16 et de partir par Constantin.
19:18 Et Ismail et Rényi, c'est vraiment le nouveau port qui est monté dans les exportations
19:22 ukrainiennes ces derniers mois.
19:23 Il y a eu des bombardements russes dans la nuit du 23 au 24 juillet sur cette zone toute
19:29 proche de la Roumanie.
19:30 Donc on voit bien une stratégie quand même très nette de la Russie de fragiliser l'Ukraine
19:36 agricole, de fragiliser, de casser son appareil infrastructurel et d'ajouter de la sismicité
19:44 sur le marché mondial alimentaire tout en racontant au reste de la planète "comptez
19:48 sur nous Russie, on va vous nourrir si vous êtes gentil avec nous, si vous nous critiquez
19:52 on coupera le robinet".
19:53 Et la Russie donc utilise véritablement l'alimentation comme arme de guerre et pour bien qu'on
19:59 comprenne l'impact sur les pays les plus dépendants des importations de blé ukrainien,
20:04 à quel point sont-ils en danger ? On sait que les pays notamment de l'Est de l'Afrique
20:09 et du Maghreb sont particulièrement dépendants de ces importations.
20:12 En fait pour nous c'est assez compliqué pour Action contre la faim aujourd'hui de
20:15 dire exactement quelle sera la conséquence de la fin de cet accord dans ces pays.
20:20 Ce qu'on sait c'est que ça s'ajoute à une multiplicité de facteurs de la faim
20:23 comme on l'a évoqué.
20:25 Et surtout ça montre aujourd'hui qu'il n'y a pas de résilience des systèmes alimentaires.
20:30 Quand on a une force forte dépendante comme ça des importations, que ce soit d'intrants
20:35 chimiques ou de produits alimentaires, ça montre que les Etats doivent développer leur
20:42 souveraineté alimentaire et ça c'est quelque chose de très important.
20:45 Tout à l'heure on parlait d'investissement dans l'agriculture.
20:49 Ce qui est aussi important de dire je pense c'est quel modèle agricole on veut soutenir.
20:53 Et nous chez Action contre la faim ce qu'on souhaite pousser c'est l'agroécologie
20:59 dans ces systèmes alimentaires qui permettrait aussi d'avoir plus de résilience et vraiment
21:04 développer la souveraineté des Etats.
21:05 On va y revenir justement dans une deuxième partie d'émission et poursuivre avec vous
21:09 trois cette discussion sur la sécurité alimentaire mondiale.
21:13 Merci à tous les trois, Mathieu Brun, Pauline Verrière, Sébastien Abyss.
21:15 On vous retrouve à 8h20.
21:17 Vous écoutez France Culture.
21:20 7h-9h, les matins d'été.
21:23 Quentin Laffey.
21:25 Suite de notre discussion sur la sécurité alimentaire mondiale avec nos trois invités
21:30 Mathieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité
21:34 dans le monde, chercheur associé à Sciences Po Bordeaux.
21:37 A ses côtés Pauline Verrière, responsable plaidoyer système alimentaire et crise climatique
21:42 chez Action contre la faim et à distance.
21:44 Sébastien Abyss, directeur du club Déméter.
21:46 Chercheur associé à l'IRIS, l'Institut des relations internationales et stratégiques.
21:51 Auteur de "Géopolitique du blé", c'est paru chez Armand Colin en 2015.
21:56 Et on l'a entendu dans ce journal, l'Inde a mis fin à ses exportations de riz blanc
22:00 non basmati.
22:01 Un effet immédiat a annoncé jeudi 20 juillet le ministère de la consommation et de l'alimentation
22:07 dans un communiqué.
22:08 Mathieu Brun, quel impact, quels effets de cette décision sur le marché mondial du
22:14 riz ?
22:15 Et là, est-ce qu'on peut penser que les stratégies des états, des stratégies peut-être
22:19 plus personnelles qui visent à nourrir leur propre population, desservent fondamentalement
22:23 le jeu de la sécurité alimentaire mondiale ?
22:26 Dans le contrat social des états, ce qu'on demande avant tout à son gouvernement, c'est
22:30 d'avoir accès à une alimentation de qualité.
22:32 C'est peut-être la première des missions que doit remplir un état.
22:35 Donc tous les pays, que ce soit l'Inde, la Thaïlande, le Sénégal et la France ou l'Union
22:40 européenne, ont à cœur de garantir la sécurité de leurs approvisionnements alimentaires.
22:45 On a longtemps confié au marché le fait d'atteindre la sécurité alimentaire en
22:49 spécialisant les systèmes de production.
22:51 Moi, je vais produire un peu plus de ça parce que je sais que je pourrais l'exporter et
22:54 avec l'argent que je reçois, acheter du blé, de l'huile, des draps ou du vin pour
22:59 reprendre les théories économiques.
23:01 Sauf qu'aujourd'hui, on arrive à un moment où le système a beaucoup de plomb dans l'aile.
23:07 Il n'arrive plus à répondre à ces questions parce que certains pays vont plutôt privilégier
23:12 leur propre souveraineté, mettre des barrières.
23:14 Dans le journal, votre collègue rappelait que le prix du riz, le prix des brisures de
23:18 riz, a atteint des niveaux très importants, les plus importants depuis près de 12 ans.
23:23 À l'époque, on avait une crise alimentaire majeure.
23:25 Donc quand un état comme l'Inde, comme la Thaïlande, décide de limiter ses exportations,
23:30 ça a des effets sur les marchés internationaux.
23:32 Pourquoi ? Parce que je pense aux pays d'Afrique de l'Ouest, par exemple, qui achètent
23:35 beaucoup de ces brisures de riz, alors qu'on pourrait en produire sur place, ce qui posera
23:39 la question des politiques agricoles, à la Thaïlande, au Vietnam ou à l'Inde.
23:43 Et donc, ça fait augmenter les prix d'alimentation, ça fait augmenter les prix des importations
23:47 et donc ça crée des vraies difficultés pour les pays.
23:50 Donc, cette notion de souveraineté alimentaire qui est sur toutes les bouches aujourd'hui,
23:53 qui était plutôt un vocable lié au mouvement alter mondialiste à qui questionnait la mondialisation.
23:59 Cette notion de souveraineté alimentaire, elle revient vraiment au cœur des débats.
24:02 Elle revient au cœur des politiques publiques depuis le Covid, également dans la bouche
24:07 des leaders européens.
24:09 Pour autant, j'aimerais juste préciser qu'on dépeint souvent le continent africain
24:14 comme ultra dépendant de l'extérieur.
24:16 Regardons aussi les niveaux de dépendance de la France et de l'Union européenne au
24:21 tournesol ukrainien, aux productions d'Amérique du Sud, de la France aux fruits et aux légumes,
24:27 etc.
24:28 Donc, ce n'est pas simplement un problème du Sud, c'est un problème général.
24:30 C'est un enjeu de garantir des systèmes alimentaires territorialisés qui répondent
24:34 aussi aux enjeux du changement climatique.
24:36 Sébastien Abysse, votre avis sur la fin de ces exportations de riz blanc en basse-matine.
24:41 On rappelle que l'Inde a pris cette décision pour deux raisons principales.
24:45 D'abord, lutter contre l'inflation et ensuite nourrir sa propre population.
24:49 Mais au-delà, quel impact sur le marché mondial de l'alimentation et du riz ?
24:54 Écoutez, je vais sans doute écrire une géopolitique du riz prochainement.
24:59 J'ai réécrit "Géopolitique du riz" en 2022 et c'est sorti il y a quelques mois,
25:06 après une première version en 2015.
25:08 Le riz, en fait, c'est une céréale extrêmement symptomatique des vulnérabilités du système
25:13 mondial.
25:14 Mathieu Brun l'a déjà bien décrit.
25:16 Peu d'acteurs à l'export, des consommations qui explosent, une Afrique qui en consomme
25:21 de plus en plus et qui pourrait en produire beaucoup plus.
25:23 D'ailleurs, le Nigeria a de grandes ambitions à ce sujet.
25:27 Les autorités de ce pays essayent de mobiliser les grandes fortunes de Dangote, l'homme
25:32 le plus riche d'Afrique, pour que son investissement dans l'agro-industrie se développe.
25:37 Donc on voit bien que le riz, c'est une céréale dont on parle parfois peu vue d'Europe, mais
25:41 qui au niveau mondial a un poids absolument certain.
25:45 Ce que je voudrais quand même indiquer, parce qu'il faut qu'on parle un peu des leviers.
25:50 Mathieu a parlé du gaspillage qu'il faut réduire, évidemment.
25:55 Pauline a évoqué la question des pratiques agricoles et de systèmes agro-écologiques
26:01 qui puissent préserver sur le long terme les sols, les ressources, et évidemment avoir
26:07 une réduction massive de l'empreinte environnementale de l'activité agricole, pour que l'on puisse
26:16 maintenir des systèmes productifs durablement.
26:18 Et donc il faut préserver les ressources, ça va de soi.
26:20 Moi je voudrais quand même insister sur deux points qui me semblent un peu oubliés parfois
26:27 dans l'équation.
26:28 Cette énorme dimension politique, vous l'évoquez dans votre question sur l'Inde.
26:33 L'Inde, il y a de l'inflation, il y a des élections à venir, il y a du climat qui
26:37 change et il y a un milliard et demi de personnes.
26:39 L'agriculture c'est tout, mais c'est d'abord et avant tout de la politique en Inde, comme
26:44 dans beaucoup de pays dans le monde.
26:45 Je dis ça parce qu'on ne dit pas assez que la plupart des pays qui ont aussi des difficultés
26:52 d'organisation de leur sécurité alimentaire et de leur développement agricole, ce sont
26:56 des pays qui ne sont pas en très grande forme démocratique ou en très grande forme de
27:00 gouvernance.
27:01 Alors vous allez me dire qu'il y a des pays qui semblent forts en agriculture, type Russie
27:06 ou type Brésil, et mon propos pourrait dissonner.
27:09 Force est de constater quand même qu'il faut un système de confiance collective, qu'il
27:15 faut de la stabilité politique dans un pays, qu'il faut un climat des affaires favorables,
27:21 qu'il faut un jeu des acteurs, sociétés civiles, entreprises, recherches, pouvoirs
27:26 publics qui se mettent en musique pour essayer d'obtenir un maximum de performances.
27:30 On peut avoir de la performance agricole ultra dirigée comme en Russie depuis le Kremlin
27:36 pour une minorité qui s'en met plein les poches, mais en plus avec une arsenalisation
27:41 derrière de cette agriculture vis-à-vis du reste du monde.
27:44 Et vous pouvez avoir dans le cas du Brésil, qui est pourtant une grande démocratie, Lula
27:48 III compris, vous avez un système qui en termes de pratiques agroécologiques n'est
27:57 pas fantastique, je vais le dire comme ça pour peser mes mots.
28:00 On voit bien qu'il y a un sujet...
28:02 Je veux juste Sébastien Abyss avant de vous laisser évoquer votre second point, votre
28:07 second levier, faire réagir nos deux autres invités sur cette dimension politique.
28:11 Est-ce que vous êtes d'accord au fond que le sujet est peut-être d'abord et avant
28:14 tout politique ?
28:15 Oui, c'est évident qu'il y a un vrai besoin, c'est ce que je disais plus tôt, d'avoir
28:21 des discussions internationales, politiques de haut niveau sur cette question de l'insécurité
28:28 alimentaire et pour trouver des solutions collectives.
28:30 En fait, ça c'est vraiment fondamental.
28:32 Vous parliez là de ces conséquences de la réaction de certains États.
28:40 C'est aussi important de voir dans quel pas de temps on s'inscrit.
28:43 Parce qu'à très court terme, c'est vrai que c'est important d'avoir une solidarité
28:46 internationale et que ce genre de réaction d'État peut être très dommageable.
28:50 Mais à plus long terme, c'est vraiment indispensable de réfléchir à la question des systèmes
28:55 alimentaires, de la transformation des systèmes alimentaires et de développer la souveraineté
29:00 alimentaire des États.
29:01 En gros, ça veut dire une agriculture locale pour une consommation locale et ça c'est
29:04 vraiment très important.
29:05 Il y a un certain nombre de choses qui peuvent être mises en place, qui peuvent être discutées
29:08 au niveau international.
29:09 Et encore une fois, le modèle agricole de cette transformation, il est assez fondamental.
29:13 Et je le répète, pour nous, c'est l'agroécologie paysanne qui doit être au cœur de cette
29:16 transformation.
29:17 Mathieu Brun, sur ce sujet, sur cette dimension politique, et sur ce que vient d'évoquer
29:20 Sébastien Abyss ?
29:21 Oui, à la Fondation Farme, on a beaucoup travaillé sur ces sujets et publié aussi
29:25 sur cette question de la repolitisation des débats et des enjeux agricoles.
29:30 Comme je vous le disais un petit peu plus tôt, on a fait confiance au marché pour
29:33 notre alimentation, mais aussi pour notre paracétamol ou pour d'autres éléments
29:37 du quotidien.
29:38 On a fait confiance à ce marché qui devait notamment fonctionner et permettre la paix
29:42 entre toutes et tous.
29:43 Mais on voit bien que ces règles du commerce, les pratiques de certains États, contreviennent
29:48 à cette souveraineté.
29:49 Donc ce discours autour de la souveraineté, c'est aussi une remise en question, une
29:54 remise en cause du fonctionnement des marchés.
29:56 Après, il faudra voir par quoi cela va se traduire.
30:00 Pour autant, ça ne veut pas dire qu'il faut se fermer, qu'il faut se transformer
30:03 en politique isolationniste parce que notre sécurité alimentaire, notre sécurité
30:07 sanitaire, elle est liée aussi aux uns et aux autres.
30:10 Mais il faut coopérer, il faut pouvoir trouver des mécanismes de solidarité aussi autour
30:15 de l'interdépendance.
30:16 Parce que si on se ferme, ça veut dire que certains États qui n'ont pas la capacité
30:19 de produire plus, je prends souvent le cas de l'Egypte, un grain sur deux de blé vient
30:24 de l'extérieur, c'est un pays immense sur un tout petit territoire qui ne peut
30:28 pas produire plus pour sa sécurité alimentaire.
30:30 Donc attention à ne pas tomber non plus dans des extrêmes de fermeture des frontières,
30:34 de construction de murs.
30:35 Il faut pouvoir continuer à coopérer.
30:38 Mais j'insiste sur cette notion de fonctionnement du commerce.
30:41 Pauline tout à l'heure parlait des instances multilatérales.
30:43 La question du commerce a très peu été adressée dans ces instances qui ont vraiment
30:48 mis au cœur les multi-acteurs, le secteur civil, le secteur privé et État.
30:54 Souvent, on n'arrive pas à faire avancer cette question du commerce.
30:57 Pourtant, certains États en ont besoin d'ici de construire des nouvelles normes et des
31:01 règles.
31:02 Au Sénégal, on a publié un papier sur ce sujet qui a mis des restrictions à l'exportation
31:07 et à l'importation pour protéger son industrie naissante du poulet.
31:09 Le fameux poulet bicyclette, peut-être certains vont voir de quoi je parle.
31:13 En protégeant leur marché, ils ont permis la création d'une filière, la structuration
31:17 de producteurs, un marché qui a permis de rémunérer des producteurs et donc parfois
31:21 aussi de lutter contre cette précarité économique.
31:23 Sébastien Abyss, vous souhaitiez évoquer un second levier d'action ?
31:27 Je vais faire bref.
31:29 Deuxième levier sur lequel des investissements doivent se développer fortement, à la fois
31:35 pour réduire les pertes et les gaspillages, mais en même temps garantir la sécurité
31:40 sanitaire au plus grand nombre, préserver la qualité nutritionnelle des produits, favoriser
31:47 ce commerce de proximité ou sur longue distance, la logistique.
31:50 C'est-à-dire que la logistique, c'est le squelette de la sécurité alimentaire mondiale.
31:55 La logistique, c'est dans beaucoup de pays l'absence de bon stockage, ça a été un
32:01 peu évoqué, mais la chaîne du froid.
32:02 On aurait des leviers énormes d'amélioration de la sécurité alimentaire si la chaîne
32:10 du froid existait dans de nombreux pays.
32:12 Cette chaîne du froid, en plus, pose une question énergétique.
32:16 Ça veut dire qu'il faut inventer le froid du futur par des énergies renouvelables.
32:20 A priori, l'énergie solaire peut être une très bonne candidate pour faire cette
32:25 chaîne du froid du futur, qui soit à la fois performante sur le plan du agricole alimentaire
32:30 et en même temps efficiente et soutenable d'un point de vue énergétique et environnemental.
32:34 Ce sont des choses très concrètes, pas forcément très attractives comme ça quand on parle
32:40 de la chaîne du froid, de la logistique, mais j'insiste, la bonne mobilité des productions
32:45 agricoles et alimentaires.
32:46 Et comme ça a été dit, Pauline insiste sur les marchés locaux, Mathieu a rappelé l'importance
32:51 aussi du commerce parce qu'il y a des équilibres à trouver.
32:53 Que ce soit sur petite distance ou sur très longue distance, c'est la logistique qui
32:58 va faire la différence.
32:59 Et on a tendance, me semble-t-il, parfois à parler de modèles comme s'il y en aurait,
33:04 moi je crois qu'il n'y a aucun modèle agricole et alimentaire sur la planète, et
33:08 on aurait tendance à dire qu'il y a le climat, les conflits, évidemment tout ça
33:11 compte, évidemment tout ça est extrêmement prégnant, sauf que, encore une fois, mauvaise
33:16 gouvernance, manque de confiance, problèmes politiques, plus déficience logistique et
33:22 infrastructures dérégulées ou qui déraillent régulièrement, si vous voulez vous avez
33:26 déjà une sécurité alimentaire qui est particulièrement affaiblie et rendue peu
33:33 possible.
33:34 Donc parfois, il faut rappeler aussi quelques évidences, parce que sur le temps long, ce
33:38 qui fait la différence pour la sécurité alimentaire, j'insiste, c'est un contexte
33:41 de gouvernance favorable et de la logistique qui répondent sur la durée à ces exigences
33:48 de produits alimentaires qu'on consomme tout de même, et donc on a un rapport santé
33:52 qu'il ne faut pas perdre de vue.
33:53 La chaîne du froid, énergie solaire, je prends cet exemple dans ce que vous venez
33:57 de dire Sébastien Abyss, qui frappe quand on lit le dernier rapport de l'organisation
34:01 des Nations Unies sur l'alimentation et la nutrition, c'est cette confiance dans
34:05 les investissements et dans la technologie, je le cite, ce rapport, il convient d'accroître
34:08 les investissements publics dans la recherche développement pour mettre au point des technologies
34:12 et des innovations favorisant la création d'environnement alimentaire plus sain et
34:17 l'amélioration de la disponibilité et de l'accessibilité économique des aliments
34:21 nutritifs, cette confiance générale dans la technologie, est-ce que vous la partagez
34:25 l'un et l'autre qui veut répondre ? Mathieu Brun, Pauline Verrière ?
34:29 Ça c'est effectivement un narratif qu'on retrouve partout et qu'on retrouve typiquement
34:35 en ce moment dans le cadre de l'UNFSS+2, le fait que la technologie, les nouvelles
34:39 technologies vont pouvoir régler la situation.
34:43 Est-ce que ce n'est pas une dépolitisation du débat au fond ?
34:45 C'est une certaine orientation qui est donnée et encore une fois, ce n'est pas
34:52 celle que nous on appelle de nos voeux.
34:54 C'est aussi un narratif qu'on retrouve dans les discussions agriculture au niveau
34:57 du climat.
34:58 On va parler agriculture de précision, on va parler nouvelles technologies, innovations.
35:03 Il ne faut pas se tromper parce que l'agroécologie paysanne, c'est une agriculture extrêmement
35:07 innovante mais c'est une agriculture qui est accessible aux paysans.
35:12 Là où toutes ces techniques, la majorité des paysans n'ont pas les moyens d'y avoir
35:18 accès et c'est des nouvelles technologies qui sont très coûteuses à plein de niveaux
35:21 différents.
35:22 Elles sont très coûteuses pour l'environnement, elles ont un impact climatique et elles rendent
35:30 les paysans très dépendants d'un système.
35:32 Pour nous, tout ça mis bout à bout, c'est vraiment très problématique.
35:34 Quand on est critique vis-à-vis de cet UNFSS+2, c'est parce qu'il n'est question
35:39 que de ça dans les discours, dans les solutions qui sont apportées alors que rien que dans
35:45 ce qu'on vient d'évoquer, les différents intervenants autour de cette table, on a évoqué
35:48 plein de solutions, plein de pistes qui ne sont pas du tout de l'ordre de ces innovations
35:52 technologiques.
35:53 Donc il existe d'autres solutions et c'est de ça dont il faudrait discuter et c'est
35:58 de ça dont il faudrait discuter dans le bon espace.
36:00 Mathieu Brun, cette confiance onusienne dans la technologie, est-ce qu'elle vous anime
36:04 également ?
36:05 Je crois qu'à l'ONU, elle n'est pas forcément chez moi, c'est un mot barbare,
36:08 mais ce technosolutionnisme à ses limites aussi.
36:11 Le secrétaire général des Nations Unies a commandé des rapports par pays pour préparer
36:16 ce sommet et qu'est-ce qu'on voit ?
36:18 C'est que l'accès à la connaissance, l'accès aux solutions, aux innovations
36:22 en fait, est surtout capté par les pays du Nord qui sont déjà dans les trajectoires
36:26 où ils ont beaucoup investi dans des systèmes de recherche et d'innovation et dans les
36:30 pays du Sud, en Afrique subsaharienne ou ailleurs sur la planète.
36:34 Par contre, on ne soutient pas l'accès à la connaissance, on ne soutient pas les
36:37 instituts de recherche, on ne cherche pas des solutions locales à développer les semences
36:40 locales de telle ou telle production pour aller vers de l'agroécologie qui est très
36:44 intensive en connaissance, en savoir et en pratique.
36:47 Et ça on l'a vu il y a quelques mois de cela, au moment de la guerre en Ukraine et
36:52 de l'accélération des prix des intrants notamment qu'on utilise en agriculture.
36:56 Les intrants, c'est notamment les engrais ?
36:58 Les engrais bien sûr qu'on utilise au quotidien pour nourrir les plantes et l'agroécologie
37:03 essaie de trouver des solutions dans la nature pour nourrir et pour protéger les plantes.
37:08 Les agriculteurs en Afrique subsaharienne, on a fait une étude avec l'AVDI sur ce
37:12 sujet, ont trouvé des solutions alternatives.
37:15 Mais ça demande de l'innovation, ça demande du soutien public et ça demande, je crois
37:19 vraiment, un système de vulgarisation agricole qu'on n'a plus du tout dans ces pays-là.
37:24 Donc technosolutionnisme, pas vraiment, mais en tout cas ce qui compte plutôt c'est
37:28 de savoir derrière cette connaissance, derrière ces outils innovants, où se trouve-t-il et
37:33 qui en a accès.
37:34 Et aujourd'hui les pays du sud qui sont les plus exposés à l'insécurité alimentaire
37:37 n'ont pas accès à cette connaissance.
37:39 Comme je ne voulais pas terminer cette discussion sur une note optimiste, je voudrais vous faire
37:42 commenter cette étude publiée le 4 juillet dans Nature Communications par des chercheurs
37:47 basés aux Etats-Unis et en Allemagne qui alertent sur la sous-estimation des risques
37:52 de mauvaise récolte dans plusieurs greniers à blé du monde.
37:54 En raison du changement climatique, Sébastien Abyss, c'est une crainte que vous partagez.
38:00 Est-ce qu'on sous-estime effectivement l'impact du changement climatique sur les récoltes
38:03 de blé ?
38:04 Oui, sur la récolte du blé ou toutes les récoltes agricoles, je l'ai dit, ce siècle
38:10 nous met non pas devant une échéance probable de capacités supplémentaires de production
38:17 agricole, mais à l'inverse, de recherches collectives si possible pour produire autant
38:24 qu'aujourd'hui et répondre aux besoins.
38:26 Cette étude complète toute une série de travaux qui, ces dernières années, ne cessent
38:33 d'attirer l'attention sur ces combinaisons nerveuses entre secousse climatique, secousse
38:39 géopolitique.
38:40 Avec Mathieu Brun, on a pas mal publié ensemble, ce sont des sujets qu'on a souvent évoqués.
38:45 Il ne faut pas toujours attendre que la littérature anglo-saxonne mette sous la table des travaux.
38:50 Il y a aussi de très bons travaux dans la recherche française et dans les universités
38:54 françaises.
38:55 Les ONG aussi se mobilisent beaucoup pour apporter de la connaissance.
38:58 Je crois qu'au niveau européen et français, il faut peut-être vraiment qu'on soit aussi
39:06 capable d'avoir notre propre narratif agricole et autour de la sécurité alimentaire parce
39:10 qu'on est souvent bien inspiré.
39:13 Après, il faut passer à échelle, il faut être opérant sur les résultats concrets
39:16 sur le terrain en termes de développement, de coopération, d'économie, de science
39:21 et d'innovation appropriée.
39:23 Mais l'Europe et la France bougent beaucoup sur ces questions, ont fait des verdissements
39:27 de leur politique agricole depuis 30 ans, ont un agenda climatique ambitieux et ont
39:31 des performances agricoles et alimentaires qui restent importantes et qui peuvent apporter
39:36 aussi des solutions au niveau mondial, tout comme des sujets mondiaux, des innovations
39:40 mondiales vont apporter des solutions en Europe.
39:42 On est dans de l'agriculture et de la connaissance circulaire.
39:46 Ce n'est pas que l'économie qui doit être circulaire.
39:47 Il y a beaucoup de choses où ce sont les agricultures du monde entier qui apprendront
39:51 aux producteurs européens et français demain comment produire avec moins d'eau, peu de
39:54 terre et un climat extrêmement complexe.
39:56 Mathieu Brun, d'un mot.
39:57 D'un mot, n'oublions pas que le changement climatique, c'est un accélérateur d'inégalité
40:00 sociale, économique et dans le futur, on a vraiment besoin de la mobilisation de tous,
40:05 aussi du secteur privé, pour répondre à ces enjeux.
40:07 Un grand merci à tous les trois pour ces explications, ce décryptage sur ce sujet
40:11 fondamental dont on se le disait pendant la pause de cette émission, on parle trop peu
40:16 et notamment trop peu dans les médias.
40:17 Merci à Mathieu Brun, vous êtes directeur scientifique de la Fondation pour l'agriculture
40:22 et la ruralité dans le monde, chercheur associé à Sciences Po Bordeaux, Pauline Verrière,
40:27 responsable plaidoyer système alimentaire et crise climatique chez Action contre la
40:31 faim, Sébastien Abyss, directeur du club Déméter, chercheur associé à l'IRIS,
40:35 l'Institut de relations internationales et stratégiques, auteur de Géopolitique du
40:39 riz, c'est paru Chermont-Colin en 2015 et c'est en attendant, on l'a compris,
40:43 Géopolitique du riz.
40:45 Vous écoutez France Culture, il est 8h40.

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