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  • 01/08/2025
Comment les sanctions commerciales imposées à la Russie de Poutine par l’Union européenne depuis 2022 sont-elles contournées ? Enquête sur un vaste marché, entre fraudes et nouvelles alliances.


Depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, Moscou fait l’objet de sanctions commerciales drastiques imposées notamment par l’Union européenne (UE), mettant un arrêt brutal à des décennies d’échanges florissants. Certaines marchandises produites dans l’UE ne peuvent plus entrer légalement en Russie : il s’agit notamment de biens dits "à double usage", susceptibles d’être utilisés dans un domaine tant civil que militaire. C’est le cas de certains produits chimiques, ou d’éléments électroniques comme les semi-conducteurs, qui entrent aussi bien dans la composition de lave-linges que dans celle de missiles de croisière. Les sanctions concernent également les exportations de matières premières, comme le bois ou le pétrole brut qui est transporté par voie maritime. Malgré cela, les failles sont nombreuses, et un volume considérable de marchandises passe encore entre les mailles du filet.

Plaques tournantes
Pour soutenir les intérêts de la Russie, ou par simple opportunisme, un vaste trafic s’est mis en place, faisant transiter des marchandises, assorties de documents de douanes falsifiés, par des pays plus conciliants que l’UE avec le régime de Poutine : ces plaques tournantes sont le Kazakhstan et le Kirghizistan pour le bois, mais surtout la Turquie pour les produits pétroliers, les biens de consommation courante, et même des machines destinées à l’industrie de l’armement russe. En la matière, Ankara joue un double jeu particulièrement délicat avec ses alliés de l’Otan... Pour certains pays de l’Union européenne, notamment la Lituanie, qui a une frontière commune avec l'exclave russe de Kaliningrad et la Biélorussie – le plus proche allié de Poutine –, ces fraudes représentent un casse-tête douanier inextricable. Ce documentaire d’investigation expose les coulisses géopolitiques et diplomatiques d’un vaste marché souterrain qui rebat les cartes des alliances à l’échelle mondiale.

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Transcription
00:00Fin février 2022, Vladimir Poutine déclenche l'invasion de l'Ukraine.
00:17Au-delà de l'effroi qu'il provoque, ce conflit est en passe de rebattre les cartes en Europe.
00:47Le président russe mène une guerre d'agression sanglante au cœur du vieux continent.
00:56Le choix du président Poutine est d'une part de vouloir faire bégayer l'histoire européenne
01:03et nous ramener à des logiques d'empire et de confrontation.
01:06La deuxième, c'est de bafouer tous les principes.
01:10L'Union européenne cherche des leviers d'action afin de mettre un terme à cette guerre.
01:15Ainsi, pour compliquer le financement de la guerre,
01:32elle adopte une série de mesures visant à mettre fin à ses relations commerciales avec la Russie.
01:38Officiellement du moins.
01:40Car en réalité, beaucoup d'échanges se poursuivent.
01:45Sous-titrage Société Radio-Canada
02:15Le 28 avril 2023, à 4 heures du matin,
02:18la Russie lance plus d'une vingtaine de frappes de missiles à longue portée KH-101
02:23contre la ville d'Umane en Ukraine.
02:28Ils atteignent notamment un immeuble résidentiel où ils pulvérisent 27 appartements.
02:35Bilan, 23 morts, dont 3 enfants.
02:38C'est bizarre à dire, mais on s'est habitués à ces attaques horribles.
03:06« Umane a été la cible de frappes, sans doute par des KH-101.
03:19Ce sont des missiles de croisière très puissants,
03:24puisqu'ils transportent plusieurs centaines de kilos d'explosifs. »
03:30Situés au sud de Kiev, Umane se trouve à plus de 300 kilomètres du front.
03:37Mais la portée des redoutables missiles KH-101 atteint plusieurs milliers de kilomètres.
03:42Ils peuvent emporter une charge conventionnelle de 450 kilos d'explosifs
03:56et frapper avec une précision allant de 7 à 20 mètres.
04:00Sur leur trajectoire, ils rasent la cime des arbres à une vitesse de 900 kilomètres heure.
04:17Selon l'Ukraine, cette démonstration de force ne serait pas possible
04:21sans la microélectronique occidentale qui équipe les armes russes.
04:25« Si on retirait tous les composants occidentaux de ces missiles,
04:32j'imagine qu'ils ne pourraient plus voler.
04:34Est-ce que les Russes pourraient les remplacer ?
04:37Sur le papier, oui, mais la qualité des engins s'en trouverait grandement compromise.
04:41À nos yeux, ce point est d'une importance cruciale.
04:48Il serait plus efficace de priver la Russie de composants microélectroniques
04:52que de continuer à soutenir à grands frais la défense antiaérienne ukrainienne. »
05:01Dans cette guerre d'usure, la Russie a déjà épuisé beaucoup de ses ressources.
05:05Au cours des deux premières années du conflit,
05:09elle a lancé plus de 1500 missiles de croisière.
05:12Et le réapprovisionnement arrive aussi de l'Occident, en dépit des sanctions.
05:17« Il s'agit de composants numériques,
05:22de puces, de pétrole,
05:24de substances chimiques à usage militaire,
05:28de pièces mécaniques,
05:30ou encore de camions utilisés par l'armée pour sa logistique. »
05:35Les sanctions concernent au premier chef les produits de haute technologie
05:38qui ne peuvent plus être exportés de l'Union européenne vers la Russie.
05:42Ils entrent en effet dans la catégorie des biens à double usage,
05:45susceptibles d'être employés non seulement dans le cadre civil,
05:48mais aussi à des fins militaires.
05:51On trouve par exemple des semi-conducteurs dans les ordinateurs et les lave-linges,
05:54mais aussi dans les missiles longue portée comme le KH-101.
05:58Si les géants des composants électroniques sont plutôt asiatiques ou américains,
06:01le fabricant allemand de puces Infineon est lui aussi présent sur le marché mondial.
06:07Le Norvégien Erlène Bollmann-Björdvet travaille pour un cabinet spécialisé
06:11dans l'évaluation des risques d'entreprise.
06:13Il constate que des marchandises parviennent toujours en Russie,
06:17malgré les sanctions.
06:18« Infineon a ignoré des signaux assez flagrants.
06:23Cette entreprise allemande est en train de multiplier par deux
06:27ses exportations vers la Russie.
06:28Je ne sais pas si c'est en connaissance de cause,
06:33mais à l'heure actuelle, il y a deux fois plus de produits Infineon qu'avant
06:36qui entrent en Russie.
06:38Et dans le cas des microprocesseurs,
06:40la moitié d'entre eux sont destinés à un fournisseur de l'armée russe. »
06:47Le fabricant affirme que ces produits transitent par une cascade d'intermédiaires.
06:52D'après les statistiques douanières,
06:53l'acheminement des produits d'Infineon jusqu'en Russie
06:56mobilise une soixantaine d'expéditeurs dans onze pays différents.
07:03« Soyons un peu compréhensifs.
07:05Que ce soit Infineon ou n'importe lequel de ses concurrents,
07:10ces entreprises ont sans doute des dizaines de milliers de clients dans le monde.
07:14On parle de produits de masse,
07:16et il serait extrêmement difficile de suivre l'itinéraire de chaque puce.
07:19Bien sûr, il faut être vigilant et mettre en place des systèmes de contrôle.
07:24D'ailleurs, les entreprises en ont, qui sont largement informatisées.
07:28Mais visiblement, il reste des failles,
07:30et l'incitation à enfreindre les règles est importante en raison des enjeux financiers. »
07:36Depuis le début de la guerre,
07:37les sanctions contre la Russie n'ont cessé de se durcir.
07:41L'UE a fortement restreint ses échanges avec le pays,
07:44à l'import comme à l'export.
07:46Elle a en outre adopté des mesures visant les banques russes,
07:50mais aussi certaines entreprises et entités,
07:53ainsi que des particuliers,
07:54dont les avoirs sont gelés et qui ne peuvent plus circuler en Europe.
07:58L'objectif est d'affaiblir sensiblement la machine de guerre russe,
08:03qui coûterait à Poutine entre 100 et 200 milliards d'euros par an.
08:10Après plusieurs décennies de commerce florissant,
08:13les échanges sont donc aujourd'hui à l'arrêt.
08:16Mais le dispositif a ses failles.
08:20La frontière extérieure orientale de l'Union européenne est ainsi sous tension.
08:25En Lituanie, par exemple.
08:28Membre de l'Union,
08:30ce pays a pour voisin direct l'esclave russe de Kaliningrad et la Biélorussie.
08:35Cette dernière est un indéfectible allié de la Russie
08:38et fait également l'objet de sanctions.
08:40Vilnius, capitale de la Lituanie.
08:50La frontière de la Biélorussie est à une quarantaine de minutes de route.
08:53Sous la houlette de Vigantas Paigozinas,
08:59les douanes lituaniennes doivent surveiller toutes les marchandises
09:02qui sortent de l'Union européenne ou y entrent.
09:04Les sanctions définissent son quotidien.
09:10On est ici sur une frontière extérieure de l'Union européenne.
09:15On consacre donc beaucoup de temps aux chargements
09:20qui entrent dans l'Union par la Lituanie,
09:23ainsi qu'à ceux qui en sortent, bien sûr.
09:27Au départ, il y avait beaucoup d'incertitudes
09:29autour de ce que j'appelle un tsunami de sanctions.
09:34Dès 2022, une anomalie apparaît.
09:39Avant la guerre, d'importants volumes de produits du bois
09:42en provenance de Biélorussie et de Russie
09:44entraient dans l'Union européenne par la Lituanie.
09:47Ils étaient destinés au secteur du bâtiment et au chauffage.
09:52Ces relations commerciales existent de longue date.
09:54Les deux pays possédant un important patrimoine forestier
09:57et une sylviculture très active.
10:00La Russie est le deuxième exportateur mondial de bois de sillage
10:04qui représente une source de recettes importantes pour le pays.
10:08Mais lorsque la guerre éclate,
10:10l'importation de bois russe et biélorusse est interdite en Europe.
10:14Ce qui donne du fil à retordre à la petite république balte.
10:18C'était un gros problème à l'approche de la saison froide
10:24avec toutes ces sanctions autour du bois.
10:30Les acteurs de la filière et les fournisseurs de produits de chauffage
10:34ont eu du mal à réorienter leurs activités
10:36pour trouver des fournisseurs dans d'autres pays.
10:43C'était vraiment compliqué.
10:48Mais le Kazakhstan et le Kyrgyzstan
10:50semblent prêts à voler au secours de l'Europe.
10:53En 2022, on constate une hausse phénoménale
10:56des livraisons de bois depuis ces deux pays.
10:57Celles du Kazakhstan sont multipliées par 74.
11:04Et ce n'est rien à côté de celles du Kyrgyzstan,
11:0718 000 fois plus importantes.
11:13Or, le commerce du bois avec ses états
11:15était négligeable auparavant.
11:17La filière bois n'y est pas particulièrement développée.
11:21Leur climat aride étant peu propice à l'exploitation forestière.
11:24Les forêts ne représentent que 6% de leur superficie environ,
11:32contre 40% pour la Biélorussie.
11:44Une équipe de journalistes d'investigation
11:46lituanien et biélorusse
11:48s'est intéressée au boom suspect du commerce du bois
11:51avec les deux républiques d'Asie centrale.
11:53Tournant en caméra cachée,
12:01ils se présentent comme des acheteurs potentiels
12:03auprès d'un intermédiaire lituanien.
12:05Chahunas Tcherniauskas et Stanislav Ivaškévić,
12:09constatent que le bois vient en réalité de Russie ou de Biélorussie.
12:13Chahunas Tcherniauskas et Stanislav Ivaškévić,
12:17constatent que le bois vient en réalité de Russie ou de Biélorussie.
12:22Chahunas Tcherniauskas et Stanislav Ivaškévić,
12:34constatent que le bois vient en réalité de Russie ou de Biélorussie.
12:38Le matériau franchit la frontière avec des formulaires douaniers falsifiés
12:46qui font croire qu'il provient du Kazakhstan ou du Kyrgyzstan.
12:49Une fois qu'un produit est entré dans un pays de l'Union,
12:56il est très facile de le faire passer pour une exportation
12:58à partir de cet état vers les autres membres.
13:02Comme les pays situés à la périphérie est de l'Union
13:05sont un peu les maillons faibles,
13:07ils constituent une destination de choix pour les marchandises de toutes sortes,
13:11que ce soit du bois ou des produits pétrochimiques, par exemple.
13:14A la frontière lituanienne, la situation est à présent maîtrisée.
13:22Depuis que les douaniers ont refoulé d'innombrables cargaisons de bois
13:26accompagnées de documents frauduleux,
13:28les fausses livraisons du Kazakhstan ou du Kyrgyzstan sont devenues rares.
13:35Maintenant, la plupart des produits de chauffage à base de bois viennent d'Ukraine.
13:41Des parties du territoire qui sont encore contrôlées
13:43par le gouvernement ukrainien.
13:47Ils pénètrent dans l'Union par la frontière polonaise le plus souvent.
13:52On est donc plus sereins en ce qui concerne la légalité de ces transactions.
13:59À présent, ce sont les engrais en provenance de Biélorussie
14:02qui sont dans le collimateur.
14:05Certains sont sous le coup de sanctions européennes.
14:09Vigantas Paigozinas part réaliser un contrôle frontalier avec son équipe.
14:13Ce camion transporte des engrais, mais les documents semblent en règle.
14:27Tous les engrais ne sont pas interdits.
14:30Cela peut entrer légalement dans l'Union européenne.
14:34S'ils étaient sous le coup des sanctions, on les renverrait en Biélorussie.
14:48Le camion chargé d'engrais biélorusse est admis sur le territoire de l'UE.
14:52Mais les échanges en sens inverse préoccupent également les services douaniers.
15:01Des marchandises sanctionnées quittent l'Allemagne, la Pologne ou les Pays-Baltes
15:14et passent par la Biélorussie avant d'atteindre la Russie.
15:18La Lituanie est un gros exportateur de biens qui font l'objet de sanctions vers la Russie.
15:28Soit directement, soit le plus souvent via la Biélorussie.
15:32Cela concerne surtout les poids lourds et les voitures,
15:39la petite mécanique, les roulements à billes,
15:43ainsi que beaucoup d'outils et de composants qui sont vitaux pour la Russie.
15:50Mais en général, ils ne sont pas produits en Lituanie.
15:55Ce pays joue un rôle de plateforme logistique pour le commerce avec la Russie.
15:59Problème, la Biélorussie, fidèle alliée de Poutine,
16:05n'est pas tributaire des mêmes sanctions que la Russie.
16:10L'UE veut exploiter les données collectées par Erlend Bjordvet
16:15pour pointer les failles et décider de restrictions supplémentaires.
16:20Le consultant est reçu par Andrius Kobilius,
16:23député européen et ancien premier ministre lituanien.
16:29Les camions jouent un rôle important dans la logistique du front.
16:35La Russie les importe en grande quantité
16:37parce qu'elle en perd quotidiennement sous les bombes ukrainiennes.
16:43Il lui faut donc un réapprovisionnement constant.
16:46Et la plupart du temps,
16:48elle se les procure par la Lituanie et la Biélorussie.
16:50Ça représente donc une part importante
16:54des exportations totales de la Lituanie vers la Russie.
16:59Il n'y a pas d'embargo européen
17:01sur les exportations vers la Biélorussie ?
17:04Non.
17:06Ça fait partie des failles.
17:10Tout ne dépend pas de la Lituanie.
17:13Elle ne peut pas enfreindre les règles européennes sur le commerce.
17:15L'Union européenne doit donc prendre des mesures.
17:22On a évoqué ici des dispositions concrètes.
17:25Par exemple, l'application à la Biélorussie
17:27du même régime de sanctions qu'à la Russie.
17:30Mais tant qu'il y a des lacunes,
17:32on ne peut pas empêcher certains acteurs de les exploiter.
17:34Retour en Lituanie,
17:40à la frontière biélorusse.
17:47Pendant plusieurs décennies,
17:49cette route a vu transiter
17:50d'abondants flux commerciaux
17:51entre l'Union européenne
17:53et l'est du continent.
17:59À l'époque,
18:00Vigantas Paigozinas et son équipe
18:02veillaient surtout à ce que les marchandises
18:04circulent sans entrave,
18:05car les restrictions étaient rares.
18:08Désormais,
18:09ils doivent détecter
18:10les infractions aux sanctions.
18:16Si on a de lourds soupçons
18:18sur le pays destinataire déclaré,
18:20en Asie centrale
18:21ou dans le sud Caucase,
18:25et si on a des raisons de penser
18:26que le chargement va en réalité en Russie,
18:29on peut refuser de valider
18:31la déclaration d'exportation.
18:32Et il nous arrive de le faire.
18:39Certaines de ces marchandises
18:41sont exportées vers les anciennes
18:42républiques soviétiques d'Asie centrale,
18:44qui ne sont pas visées par les sanctions.
18:53Les données douanières internationales
18:55révèlent cependant un essor suspect
18:57des expéditions de biens occidentaux
18:59vers certains de ces pays voisins de la Russie.
19:01Rien qu'au départ de l'Allemagne,
19:10les exportations vers le Kazakhstan
19:11ont augmenté de 136%
19:13entre janvier et mars 2023.
19:17Vers l'Arménie,
19:18de 172%.
19:20Et elles ont explosé
19:23vers le Kyrgyzstan,
19:24plus 950%.
19:25Vous êtes un producteur allemand
19:35de biens concernés par les sanctions
19:37et vous souhaitez les envoyer en Russie.
19:41Vous aurez besoin d'un associé
19:42ou d'un intermédiaire non-européen
19:45qui va vous servir de partenaire fictif
19:48pour l'exportation.
19:49Ces entreprises sont souvent établies
19:52dans les anciennes républiques soviétiques.
19:57En général,
19:59les marchandises transitent rarement physiquement
20:01par le Kazakhstan ou le Kyrgyzstan.
20:05Elles passent directement
20:06de l'Union européenne à la Russie,
20:10tandis qu'un homme de paille
20:13s'occupe officiellement
20:15des formalités d'exportation.
20:23Certaines marchandises nécessaires au conflit
20:25circulent ainsi constamment
20:27de l'UE vers la Russie,
20:29officiellement via ses états tiers.
20:31Quant à la Russie,
20:44elle finance largement son effort de guerre
20:46grâce à ses produits d'exportation,
20:48au premier rang desquels
20:49le pétrole, le gaz et le charbon.
20:53Avant la guerre,
20:54il représentait la principale source
20:55de recettes du pays,
20:57300 milliards d'euros par an.
20:59C'est pourquoi les exportations
21:01de combustibles fossiles
21:02ont été les premières visées
21:03par les sanctions.
21:08Les livraisons de gaz et de pétrole
21:09par pipeline ne sont pas concernées
21:11par l'embargo européen.
21:13Mais l'UE a banni fin 2022
21:16l'importation de pétrole
21:17et de charbon russe par la mer.
21:19Elle a en outre plafonné à 60 dollars
21:21le prix du baril de pétrole russe
21:23transporté par bateau
21:24et vendu ailleurs dans le monde.
21:31Les sanctions sur le pétrole
21:33et le gaz russe
21:34n'ont jamais eu pour objectif
21:35de mettre complètement à l'arrêt
21:37la production et l'exportation
21:39d'hydrocarbures russes.
21:41Ça provoquerait une hausse considérable
21:43des prix du pétrole et du gaz
21:44à l'échelle mondiale,
21:47avec des répercussions
21:48sur les pays pauvres,
21:49en Afrique, en Asie
21:50et en Amérique latine.
21:51L'idée est plutôt
21:53de laisser la Russie
21:54produire du pétrole et du gaz
21:56pour le marché international
21:57tout en la privant
21:59d'une partie de ses recettes
22:00d'exportation.
22:03Sur le papier,
22:05cet embargo concerne
22:06les deux tiers
22:06des livraisons d'or noir du pays.
22:09En réalité,
22:10le pétrole russe
22:11continue de voyager
22:12aux quatre coins du monde
22:13en échappant quasiment
22:14à tout contrôle.
22:16Et la Turquie
22:17y est pour beaucoup.
22:19Le contrôle du Bosphore,
22:21la place en position de force.
22:24Le détroit qui traverse Istanbul
22:26est un poids de passage essentiel
22:27pour le commerce pétrolier
22:29entre la mer Noire
22:30et la mer de Marmara.
22:32Et un accès maritime stratégique
22:34pour la Russie
22:34comme pour l'Ukraine.
22:44Membre de l'OTAN,
22:45la Turquie condamne
22:46la guerre contre l'Ukraine.
22:49Toutefois,
22:49elle n'applique pas
22:50les sanctions adoptées
22:51à l'égard de la Russie.
22:53Recep Tayyip Erdogan
22:55et Vladimir Poutine
22:56entretiennent
22:56des relations privilégiées.
22:59Et le volume du commerce bilatéral
23:00entre les deux puissances
23:01a fortement augmenté
23:03depuis le début du conflit.
23:04Voilà plus de 20 ans
23:19que le politologue
23:21Yeru Kishik
23:21scrute la circulation maritime
23:23dans le Bosphore.
23:25Depuis le début du conflit,
23:27il a recueilli
23:28de nombreuses preuves
23:29que le Kremlin
23:29élude les sanctions.
23:31La Russie aurait par exemple
23:35racheté des bateaux-citernes
23:36vieillissants
23:37qu'elle envoie
23:38de par les océans
23:39sous pavillons de complaisance.
23:40A l'heure actuelle,
23:47plus de 500 navires
23:48composent cette flotte
23:49clandestine.
23:53Je désigne ainsi
23:55les pétroliers
23:55qui naviguent
23:56sans assurance occidentale
23:57et qui ont des pratiques
24:00de transport opaques
24:01ou encore
24:02une structure
24:03de propriété suspecte
24:05destinée de toute évidence
24:07à masquer
24:08les véritables bénéficiaires
24:09des contrats.
24:12Et cette flotte
24:12est au service exclusif
24:14du commerce pétrolier russe.
24:20La Russie fait tout
24:22pour contourner
24:23les sanctions
24:24frappant ses exportations
24:25de pétrole.
24:27Elle a mis en place
24:29son propre régime d'assurance
24:31et s'est constituée
24:32une flotte de tanqueurs
24:33avec un certain succès.
24:39Il existe des sites internet
24:40permettant de suivre
24:41la position
24:42des navires marchands
24:43en temps réel.
24:44Mais les bateaux-citernes
24:45russes clandestins
24:46dissimulent délibérément
24:48leurs coordonnées GPS.
24:58Toutes les données
24:59concernant les navires
25:00sont saisies à la main.
25:01C'est le talon d'Achille
25:02du système.
25:04Il est très facile
25:05de le manipuler
25:05si on veut mentir.
25:08À peine arrivés
25:09dans la mer Noire,
25:10les navires éteignent
25:11leur transpondeur
25:12et deviennent invisibles.
25:14Nous appelons cette pratique
25:15« going dark »
25:16« disparaître ».
25:19Mais Yeruk Ischik
25:20compare ses observations
25:21aux images prises
25:22par des satellites
25:23ou par d'autres observateurs
25:25comme lui
25:25ailleurs dans le monde.
25:28Cela lui permet
25:28d'émettre des suppositions
25:30sur l'endroit
25:30où les navires
25:31de cette flotte clandestine
25:32se sont rendus,
25:34mais aussi sur le volume
25:35de leur chargement
25:35lorsqu'ils repassent
25:36le Bosphore
25:37depuis la mer Noire.
25:39On voit un tankeur
25:41s'engager en mer Noire.
25:43Il désactive
25:43son système
25:44d'identification automatique
25:46pour aller remplir
25:47ses cuves de pétrole.
25:49Et au retour,
25:50on constate
25:51qu'il est à pleine charge.
25:52tous les bateaux
25:53tous les bateaux
25:54portent sur la coque
25:55une ligne de charge.
25:58Rien qu'en les regardant,
26:00on peut calculer précisément
26:01le poids
26:02de leur cargaison.
26:05Grâce à ce stratagème,
26:07le pétrole russe
26:08finira peut-être
26:09dans l'Union européenne.
26:11Car les transbordements
26:12illicites en mer
26:13se multiplient.
26:15À tel point
26:16qu'il devient quasi impossible
26:18de déterminer
26:19la provenance du pétrole.
26:26Le fret maritime
26:27est un secteur
26:28du commerce mondial
26:29étonnamment peu contrôlé.
26:31Par comparaison
26:33avec l'aviation,
26:34les navires ont notamment
26:35moins d'obligations
26:36d'enclencher
26:37leur transpondeur
26:38ou de communiquer
26:39avec précision
26:40leur position
26:41et leur statut.
26:42En l'absence
26:43de surveillance,
26:45ils peuvent donc
26:45faire un peu
26:45ce qu'ils veulent
26:46dans les eaux internationales.
26:47et il est très difficile
26:49de reconstituer
26:50leurs déplacements
26:51à postériori.
26:54Il suffit
26:54de transborder
26:55un chargement
26:56de pétrole
26:56d'un tanker
26:57à un autre
26:58pour brouiller
26:59complètement
26:59la piste
26:59de l'origine
27:00du combustible.
27:04Actuellement,
27:05deux pays
27:05concentrent
27:06l'essentiel
27:06des achats
27:07de pétrole russe.
27:09Entre la suspension
27:10des importations
27:11européennes
27:12et la fin
27:12du mois d'octobre
27:132023,
27:14la Russie
27:15a exporté
27:16plus de 40 milliards
27:17de dollars
27:17de brut
27:18vers la Chine
27:19et environ
27:2030 milliards
27:20vers l'Inde.
27:22Une source
27:23de financement
27:24non négligeable
27:25pour la guerre
27:25de Poutine.
27:28À nos yeux,
27:32il faut continuer
27:33à priver la Russie
27:34de ses revenus
27:34issus
27:35des combustibles fossiles.
27:38C'est complexe
27:40et ardu
27:40puisqu'il faut
27:42que les nations
27:42civilisées
27:43présentent
27:43un front
27:44uni.
27:49Mais on ne peut
27:49pas continuer
27:50à laisser
27:50la Russie
27:50s'enrichir
27:51comme elle le fait.
27:55Car la guerre
27:56coûte cher.
27:59En 2024,
28:00le ministère
28:01russe
28:01des Finances
28:02prévoit
28:03d'affecter
28:03102 milliards
28:04d'euros
28:04à la défense,
28:06soit trois fois
28:06plus qu'avant
28:07le conflit.
28:11C'est pourquoi
28:12l'Union européenne
28:13s'efforce
28:13d'entraver radicalement
28:15les échanges commerciaux
28:16de la Russie
28:16et de son allié
28:17biélorusse
28:18avec le reste du monde.
28:22Les deux pays
28:23sont par exemple
28:24coupés
28:24du système
28:25financier international.
28:27Dix banques russes
28:29et quatre banques
28:30biélorusses
28:30ont été exclues
28:32du réseau SWIFT.
28:34Celui-ci intervient
28:35dès qu'une personne
28:36physique ou morale
28:37souhaite virer
28:38des fonds
28:38vers l'étranger.
28:41Cette organisation,
28:42dont le siège
28:42se trouve en Belgique,
28:44fournit aux institutions
28:45financières du monde
28:46entier
28:46un réseau
28:47de télécommunications
28:48sécurisé.
28:51SWIFT attribue
28:52à chaque banque
28:53un identifiant,
28:54le code BIC,
28:55et garantit
28:56des virements rapides
28:57en toute sécurité.
29:02Ce système
29:03de messagerie
29:03interbancaire
29:04réunit plus de
29:0511 000 établissements
29:06répartis
29:07dans quelques
29:07200 pays.
29:09Sans lui,
29:10les transferts
29:11de fonds
29:11et les échanges
29:12commerciaux
29:12sont plus limités.
29:18C'est très handicapant
29:20pour ces banques
29:21qui ne peuvent plus
29:21proposer
29:22toute leur gamme
29:23de services.
29:24Certains grands
29:25établissements
29:26financiers russes
29:27ont dû revoir
29:27leur fonctionnement
29:28de A à Z.
29:30Ça leur a porté
29:31un coup dur
29:32dans les premières
29:33semaines des sanctions.
29:33et pendant un temps,
29:36le système bancaire russe
29:37a réellement vacillé.
29:40Il y avait
29:41de longues files
29:41d'attente
29:42devant les distributeurs
29:43de billets
29:43et un manque
29:44de liquidité massif.
29:45Le problème
29:57de l'exclusion
29:58du SWIFT,
30:00c'est qu'il s'agit
30:00d'une sanction partielle
30:01puisqu'elle ne concerne
30:03qu'une partie
30:03du secteur bancaire.
30:06Au fil du temps,
30:07toutes les transactions
30:08qui passaient
30:09par les grandes banques
30:09sanctionnées
30:10se sont reportées
30:11sur d'autres établissements.
30:12des banques
30:14qui ont accès
30:15au réseau SWIFT
30:16ou même des banques
30:17nouvellement créées
30:18en Russie
30:19qui ont pu
30:19s'y rattacher.
30:22Cette mise au banc
30:23a donc eu
30:24des répercussions
30:24structurelles
30:25sur le moment
30:26dans le système
30:26financier russe
30:28mais elle est
30:28à relativiser
30:29avec le recul.
30:33Par ailleurs,
30:34les réserves
30:35de la banque centrale
30:36russe détenues
30:37auprès d'instituts
30:37monétaires européens
30:38ont été gelées
30:39tout comme les avoir
30:40à l'étranger
30:41du président Poutine
30:42de son ministre
30:43des affaires étrangères
30:44Sergeï Lavrov
30:45et d'un certain
30:45nombre d'oligarques.
30:47En tout,
30:48plus de 320 milliards d'euros.
30:50Pourtant,
30:52beaucoup de ces acteurs
30:53utilisent leur fortune
30:54hors de Russie.
30:59Et ça,
31:01grâce au paradis financier
31:02où les russes
31:03ont pu mettre
31:03leurs actifs à l'abri.
31:08Antalya,
31:09sur la côte sud
31:10de la Turquie.
31:12Depuis le début
31:14de la guerre,
31:15beaucoup de Russes
31:16y ont élu domicile
31:17parce que la Turquie
31:19n'a pas adopté
31:20les sanctions occidentales
31:21contre Moscou.
31:23Selon le maire
31:24de la ville,
31:24ils sont au moins
31:25200 000 à l'heure actuelle
31:26dans la région d'Antalya.
31:28Des entrepreneurs,
31:30des opposants
31:30ou encore
31:31des objecteurs
31:32de conscience
31:32qui commencent
31:33une nouvelle vie ici.
31:36Ils sont particulièrement
31:37nombreux à Konyalt.
31:38partout dans la rue,
31:41on croise des panneaux
31:41en cyrillique.
31:43Des agences
31:44proposent de l'aide
31:44aux immigrés
31:45pour leurs démarches
31:46ou leur recherche
31:46de logement.
31:48La plupart des russes
31:49installés ici
31:50sont fortunés.
31:57L'homme d'affaires
31:58Andrei Matitsin
31:59dirigeait à Moscou
32:00des usines
32:01comptant plusieurs centaines
32:02d'employés.
32:04Quand le conflit
32:04a éclaté,
32:06il n'a pas hésité.
32:09On a fait nos valises
32:11et on est partis.
32:12Toute la famille,
32:13sans attendre.
32:16Ce qui se passe
32:17est épouvantable.
32:18C'est insensé.
32:24On a fait nos bagages
32:25et on est venu
32:26s'installer ici
32:26où j'ai créé
32:27une entreprise.
32:28On m'avait dit
32:32qu'un russe
32:32ne pouvait pas monter
32:33une affaire en Turquie.
32:35Mais si,
32:36tout est possible,
32:37tout.
32:38Il suffit
32:38de vouloir travailler
32:39et ça marche bien.
32:42À Antalya,
32:43il a monté
32:44une entreprise
32:44d'informatique.
32:46Il a également
32:47ses compatriotes
32:48à obtenir
32:48leur titre de séjour
32:49ou à ouvrir
32:50un compte en banque.
32:53Il y a bien
32:53quelques obstacles
32:54administratifs,
32:55mais rien
32:55d'insurmontable.
32:58De nombreuses
33:02transactions financières
33:03ne sont pas possibles
33:04si le propriétaire
33:05de l'entreprise
33:06est citoyen russe.
33:10Mais il peut toujours
33:12au moins ouvrir
33:13un compte en banque.
33:15Souvent,
33:16le directeur
33:17ou le propriétaire
33:17officiel déclaré
33:18est un citoyen turc
33:20qui, lui,
33:21a le droit
33:21de diriger une entreprise
33:23et de gagner de l'argent.
33:24La Turquie
33:29accepte des fonds
33:30en provenance
33:30de Russie.
33:32Il faut bien sûr
33:32en justifier l'origine,
33:34mais c'est beaucoup
33:35plus facile à faire ici
33:36qu'en Europe
33:37ou aux Etats-Unis.
33:40Pour contourner
33:41les sanctions,
33:42la Russie,
33:43comme d'autres pays,
33:44a développé
33:44des systèmes
33:45de paiement alternatifs.
33:47Certaines banques turques
33:49acceptent
33:49les virements
33:50en rouble.
33:50Nous-mêmes,
33:54nous avons parfois
33:55dû effectuer
33:56des transferts
33:56en passant directement
33:57par des banques
33:58non soumises aux sanctions.
34:00Ça marche aussi.
34:02C'est l'un des rares moyens
34:03de transférer de l'argent.
34:05Ensuite,
34:06si on veut,
34:06on peut l'envoyer ailleurs.
34:09Les habitants
34:10profitent
34:11de cet afflux
34:11de population.
34:14Ce barbier turc
34:15annonce dans sa vitrine
34:16« Je parle russe ».
34:19Aujourd'hui,
34:20l'un de ses deux clients
34:21est russe,
34:22l'autre ukrainien.
34:36L'Europe s'est refermée.
34:38Alors pour les Russes
34:39fortunés,
34:39la Turquie est devenue
34:40le refuge le plus sûr.
34:43En particulier Antalya,
34:44la plus belle ville du pays.
34:47Ici,
34:48il fait chaud,
34:48le climat est agréable,
34:49et puis tout le monde
34:51parle russe,
34:52donc ils n'ont
34:52aucune difficulté.
34:55C'est la ville idéale
34:56pour les Russes
34:58comme pour les Ukrainiens.
35:01Savash Schengul
35:02a lui-même appris
35:03le russe
35:03il y a plusieurs années.
35:05Un investissement
35:06payant aujourd'hui.
35:07La Turquie profite
35:15de cette situation.
35:18Ces gens qui ont fui la guerre
35:19vont chez le coiffeur,
35:20au restaurant,
35:21au supermarché.
35:24S'il n'y avait pas eu la guerre,
35:26ils seraient restés dans leur pays.
35:29Leur arrivée a permis à la Turquie
35:31de gagner beaucoup d'argent.
35:32Le pays tire partie
35:35de ses nouvelles relations
35:36commerciales avec la Russie
35:38à plusieurs niveaux.
35:41Les recettes de la Turquie
35:42proviennent pour une grande partie
35:43du tourisme,
35:44du transit gazier
35:45et des exportations
35:47vers la Russie.
35:49La Turquie considère
35:50de plus en plus la Russie
35:51comme un partenaire bénéfique
35:52sur le long terme
35:53et voit de moins en moins
35:56l'Occident de cette manière.
35:57La Turquie se trouve donc
36:03dans une situation délicate,
36:05assise entre deux chaises.
36:08Elle suit la ligne de l'Occident
36:10en raison de son appartenance
36:11à l'OTAN,
36:12mais ses alliances,
36:14son allégeance,
36:15penchent de plus en plus
36:16du côté de la Russie.
36:21Les affaires de ce bar
36:22à Chicha marchent bien.
36:25Ce rendez-vous
36:26de la communauté russe
36:27d'Antalia
36:27est également tenu
36:29par un compatriote
36:30d'Andreyi Matitsin.
36:34Les Russes disposant
36:35d'une surface financière
36:36confortable
36:37peuvent envisager
36:38de passer à l'étape suivante.
36:47Si vous investissez
36:50l'équivalent
36:50d'au moins 400 000 dollars
36:51dans l'économie turque,
36:53dans le secteur de l'immobilier,
36:55ça vous donne le droit
36:56d'obtenir la nationalité.
36:59Ce n'est pas la peine
36:59d'aller plus loin.
37:03Rien qu'autour de moi,
37:05il doit y avoir
37:05cinq personnes
37:06qui ont acheté
37:07des appartements
37:08et ont acquis
37:08la nationalité turque
37:10comme ça.
37:14Selon les chiffres officiels,
37:16les dépenses des Russes
37:17dans l'immobilier turc
37:18ont triplé
37:19entre 2021 et 2022.
37:22Quant au nombre
37:22d'entreprises turques
37:23à participation russe,
37:25il a été multiplié
37:26par huit.
37:30Les navires d'oligarques
37:32au mouillage
37:32dans les ports turcs,
37:33évalués à 2,5 milliards
37:35de dollars,
37:36sont un autre signe
37:37de l'afflux colossal
37:38des capitaux russes.
37:39On y aperçoit souvent
37:43les quatre yachts
37:44de Roman Abramovich,
37:46lui-même ciblés
37:47par des sanctions
37:47internationales.
37:49Le milliardaire
37:50semble s'être établi
37:51durablement
37:52sur les rives du Bosphore,
37:53où il loue
37:54depuis fin 2022
37:55une luxueuse villa.
37:56Partenaire de confiance,
38:04la Turquie permet aussi
38:05sur son territoire
38:06le transit de marchandises
38:08visées par les sanctions
38:09de l'Union européenne.
38:11La Turquie joue un rôle
38:13d'intermédiaire
38:14et de facilitateur
38:15en réexpédiant vers la Russie
38:17des biens occidentaux
38:18provenant d'Italie,
38:19d'Espagne
38:20ou du Royaume-Uni.
38:23Dans le cas
38:24de la Grande-Bretagne,
38:25par exemple,
38:26la plupart des produits
38:27soumis à sanctions
38:28qui aboutissent en Russie
38:30passent par la Turquie.
38:33Ils traversent le pays
38:34pour atteindre
38:34la Géorgie et l'Arménie
38:36et de là
38:37se rendent en Russie.
38:39C'est le nord-est
38:40de la péninsule anatolienne
38:41qui concentre
38:42l'essentiel des échanges.
38:48Hopa,
38:49à la frontière
38:50turco-géorgienne.
38:52Les fils de poids lourds
38:53s'allongent
38:54à perte de vue.
38:55De nombreux camions
38:56viennent de Russie
38:57ou s'y rendent
38:58et la file d'attente
39:00oblige les chauffeurs
39:01à patienter
39:01pendant des jours
39:02à la frontière.
39:03ou en
39:16C'est un film de la délire.
39:18Je ne fais pas de délire.
39:28C'est un film de football.
39:32Vous avez dit ce qu'on veut de la Russie?
39:35Quelle est-il de la Russie?
39:36Qu'est-ce que tu veux de la Russie?
39:38C'est à la Russie?
39:40C'est à la Russie.
39:42C'est à la Russie.
39:44en Kazakhstan
39:47Il n'y a pas autre route ici au Résion ?
39:49Non, il n'y a pas autre route
39:51Nous sommes en Russie, en gloire
39:52Nous sommes en Guirguis, en Azerbaïcan, en Turquie
39:55Nous sommes très heureux d'y aller
39:57Nous sommes en Guirguis, nous sommes en France
40:01Mais ça va 2 ans
40:02C'est la guerre de l'Ukraine
40:05C'est la guerre de l'Ukraine
40:072 ans, 2 ans, 2 ans
40:09Il n'est pas 2 ans
40:15Haussmann Demir Jolou est le président de la chambre de commerce de Hopa.
40:20Il se rend aujourd'hui sur une aire de stationnement pour poids lourd proche de la frontière.
40:25Ce parking a été aménagé à l'initiative de la chambre de commerce pour faire face à la récente affluence.
40:41Qu'est-ce que vous transportez à Moscou ?
40:44C'est pour Sika ? Des matériaux de construction alors ?
40:50Bonne route !
40:52Non, on n'a pas de magasin Sika ici.
40:59Allez, bonne route et soyez prudents !
41:01Les marchandises circulent ici en toute légalité entre l'Europe et la Russie.
41:08Peu importe que la matière première vienne de Russie ou d'Europe,
41:11tant que les produits sont transformés en Turquie, nous pouvons les vendre à l'un comme à l'autre.
41:16Évidemment, on est contre la guerre.
41:27Mais le fait est que, d'un point de vue économique, la Turquie tire profit de ses embargos commerciaux.
41:32En effet, les exportations turques vers la Russie s'envolent.
41:40Plus 61% en 2022.
41:42L'Union européenne s'emploie donc à juguler ses échanges.
41:53À Hopa, les effets commencent à se faire sentir.
41:55Depuis quelque temps, la Géorgie collabore avec l'Union européenne
42:07dans le cadre d'une législation d'harmonisation,
42:11dont une partie concerne le transit de l'Europe vers la Russie,
42:15et en particulier des produits électriques et électroniques.
42:17Ils y ont travaillé très scrupuleusement ces trois derniers mois.
42:23La pression se fait sentir actuellement.
42:28Malgré ces efforts, des biens à usage militaire parviennent toujours sur le territoire russe.
42:34Depuis le début du conflit, l'armée de Vladimir Poutine a perdu plus de 5 500 chars et 10 000 véhicules blindés.
42:49Elle a donc un besoin constant de pièces détachées, qui transitent elles aussi par la Turquie.
42:57Le pays forme une union douanière avec l'UE
43:00et n'applique pas de droits d'importation aux marchandises européennes.
43:06Il sert ainsi d'intermédiaire pour vendre et transporter jusqu'en Russie
43:10toutes sortes de produits, même sanctionnés.
43:14Un problème épineux pour Bruxelles.
43:23Selon nous, Istanbul est sans doute le port le plus impliqué
43:26dans le contournement des sanctions commerciales contre la Russie.
43:30Et le volume des échanges ne cesse d'augmenter.
43:34Ils portent essentiellement sur des produits mécaniques,
43:37de l'outillage industriel
43:40et des machines.
43:45Tout cela joue un rôle non négligeable.
43:49Le conflit russo-ukrainien
43:51offre ainsi de nouveaux débouchés lucratifs
43:53à de nombreux Turcs.
43:54Cet homme arrondit ses fins de mois
43:58grâce à une activité certes légale,
44:00mais pas très morale.
44:02Comme il craint de divulguer sa véritable identité,
44:05nous l'appellerons Denise.
44:07Il achète des produits high-tech surtout américains,
44:10tels que des serveurs ou des écrans,
44:12et les revend à la Russie
44:13en passant par un intermédiaire géorgien.
44:16Allant croire,
44:17la Turquie est un pôle de transit idéal.
44:19La Turquie compte près de 100 millions d'habitants.
44:28On y trouve donc de tout en grande quantité.
44:33La Russie est, elle aussi,
44:34un très grand pays,
44:37avec une forte demande en articles technologiques.
44:41Le problème, c'est que si vous envoyez
44:43une grande quantité de ces produits
44:45directement dans des pays faiblement peuplés,
44:47comme la Géorgie ou encore Dubaï,
44:51ça paraît louche.
44:55Mais si vous les faites arriver en Turquie,
44:57ça semble normal.
44:59Ensuite, la marchandise n'a plus qu'à poursuivre son chemin
45:02en passant par la Géorgie ou par l'Arménie.
45:10Denise ajoute que l'État turc
45:12n'entrave aucunement ses activités.
45:14Selon lui, même les constructeurs occidentaux
45:17dont il revend les articles
45:19ferment les yeux.
45:25Si vous voulez mon avis,
45:26ils sont au courant.
45:28On parle du secteur informatique quand même.
45:31Mais je pense que cette situation
45:32arrange tout le monde,
45:34les vendeurs comme les acheteurs.
45:36Simplement, ces échanges restent dissimulés.
45:39Un marché noir s'est mis en place.
45:40En dépit des sanctions,
45:48près de 300 millions d'euros
45:49de biens à usage militaire
45:51passent chaque mois
45:52de l'Union européenne à la Russie.
45:55Selon les calculs réalisés
45:56par Erlène Björthvet,
45:57à partir des statistiques douanières,
45:59ils proviennent en majorité d'Allemagne,
46:02qui a livré à la Russie
46:03entre janvier et juillet 2023
46:05773 millions d'euros
46:07de marchandises
46:08nécessaires à la guerre.
46:15On constate malheureusement
46:19que l'Allemagne exporte,
46:20le plus souvent par la Turquie,
46:22des outils et des machines
46:24que la Russie
46:24ne devrait pas pouvoir se procurer.
46:28Et qui lui servent directement
46:30à produire des armes
46:31et des munitions.
46:37D'après nos analyses,
46:40l'Allemagne joue dans ce commerce
46:41un rôle plus important
46:42que la plupart des autres pays d'Europe.
46:46Il faut être un peu indulgent,
46:49y compris vis-à-vis des entreprises.
46:51Je n'en citerai aucune nommément,
46:53mais imaginons,
46:53un constructeur de machines-outils
46:56a depuis de longues années
46:58en Turquie un très bon client,
47:00dont rien ne laisse soupçonner
47:02qu'il mène des activités illégales.
47:05Il est possible que cet acheteur
47:07détourne une machine
47:08pour la revendre à la Russie.
47:10Mais comment voulez-vous empêcher ça ?
47:13Les fraiseuses allemandes
47:15qui servent à usiner le métal
47:16permettent aussi de fabriquer
47:17des armes et des munitions.
47:18Des composants électroniques
47:25allemands pour drones
47:26auraient également trouvé
47:27le chemin de la Russie.
47:30On sait qu'en matière
47:30de technologies de pointe,
47:32le Made in Germany
47:33est très prisé
47:34sur les terrains d'opération.
47:36Toutes ces transactions
47:37sapent l'efficacité des sanctions.
47:38De très nombreuses entreprises
47:50allemandes jouent le jeu.
47:54Mais hélas,
47:55il y en a beaucoup
47:56qui ne respectent pas les règles,
47:58davantage que dans les autres pays,
47:59et qui font du commerce illicite
48:02ou illégal avec la Russie.
48:05Les échanges de certains biens
48:08concernés par les sanctions
48:09ont tendance à augmenter
48:11au lieu du contraire.
48:16Ça veut dire aussi
48:17que ces acteurs
48:17prennent des parts de marché
48:18à d'autres entreprises,
48:20allemandes ou non,
48:21qui respectent les règles.
48:24Et ça, c'est déloyal.
48:27Chaque jour,
48:29le bilan des victimes
48:30civiles et militaires
48:31s'alourdit en Ukraine.
48:32Car la machine de guerre russe
48:38reste alimentée en permanence
48:39malgré les mesures prises
48:41à son encontre.
48:50Selon moi,
48:51les sanctions
48:51sont la seule alternative
48:52aux armes.
48:54Pour arrêter la Russie,
48:56il faut soit utiliser
48:57les armes,
48:57soit les sanctions.
48:58C'est la seule alternative.
49:05Le gros inconvénient
49:07des sanctions,
49:08c'est qu'elles mettent
49:08du temps à faire effet.
49:10Trop de temps,
49:11sans doute.
49:13Elles pénalisent
49:14l'économie russe,
49:15mais elles n'ont pas suffi
49:16pour l'instant
49:17à vider les caisses
49:17du régime.
49:20Et c'est le point sensible.
49:23Alors,
49:23le constat est amer,
49:24mais Poutine ne risque pas
49:25d'être à court de moyens
49:26pour continuer sa guerre
49:27dans les années à venir.
49:29Si l'on veut juger
49:30de l'efficacité des sanctions,
49:32il faut imaginer un monde
49:33où elles n'existeraient pas
49:34et le comparer
49:35à la situation actuelle.
49:37L'enjeu n'est pas
49:38un changement radical.
49:40Le produit intérieur brut
49:41de la Russie
49:42est sans doute supérieur
49:43aujourd'hui
49:44à ce qu'il était
49:44au début de la guerre.
49:45La question est de savoir
49:47si les sanctions
49:48ont fait bouger les lignes.
49:49Et de fait,
49:50sans elles,
49:51le PIB russe
49:52serait sans doute
49:52plus élevé
49:53de 5 ou 10 %.
49:54L'Union européenne
49:57a l'intention
49:58de durcir encore
49:59sa législation
50:00pour accroître
50:01l'efficacité
50:01des sanctions.
50:04Erlène Björthvet
50:05accompagne ses efforts
50:07en qualité
50:07de conseiller économique
50:08et relève
50:10que certains pays
50:11présentent des failles
50:12plus marquées
50:12que d'autres.
50:13Les lois relatives
50:17aux sanctions
50:18adoptées par la Lituanie
50:19ou l'Allemagne
50:20ne sont pas très robustes.
50:22Le juge doit prouver
50:23que l'entreprise
50:24lituanienne ou allemande
50:25a délibérément tenté
50:27de contourner les sanctions.
50:30Tandis qu'en Norvège
50:31ou au Royaume-Uni,
50:32il suffit d'établir
50:33l'existence du contournement,
50:36en Allemagne,
50:37l'entreprise est censée
50:38savoir que ces marchandises
50:39sont destinées à la Russie.
50:40Les mesures européennes
50:47sont restées insuffisantes
50:49et n'ont pas mis fin
50:50à la guerre.
50:52Les experts en sont convaincus,
50:55c'est un combat
50:55de longue haleine.
51:00La Russie a bien sûr
51:01tout intérêt
51:02à se procurer
51:03ses marchandises.
51:04Et puisque c'est un marché
51:06qui permet de gagner
51:07beaucoup d'argent,
51:08comme celui du trafic
51:09de drogue,
51:09il y aura toujours
51:11des individus
51:12ou des entreprises
51:13pour tenter
51:14de contourner les sanctions.
51:16On joue au chat
51:18et à la souris
51:18et les sanctions
51:20resteront de cette nature
51:21dans les prochaines années.
51:23Certains trouveront
51:24toujours de nouvelles idées
51:25pour s'y soustraire.
51:26Il faudra donc
51:27faire preuve d'imagination
51:28pour renforcer
51:29leur mise en œuvre.
51:30C'est sur le champ
51:32de bataille
51:33que se jouera
51:34l'issue du conflit.
51:36Mais au-delà
51:37du soutien militaire
51:38qu'elle apporte
51:38à l'Ukraine,
51:40l'Union européenne
51:40n'a pas d'autre choix
51:41que d'adapter
51:42en permanence
51:43ses sanctions
51:43si elle veut mettre
51:45un terme
51:46à la guerre d'agression
51:47en cours
51:47et à la souffrance
51:48du peuple ukrainien.

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