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  • 2 days ago
Matthieu Langlois, ancien médecin-chef du RAID, est intervenu au Bataclan le soir du 13 novembre 2015. Pour neo, il revient sur cette nuit d’horreur.

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Transcript
00:00Moi je vois des corps malheureusement partout, puis il y a des policiers qui hurlent au coin de la rue,
00:04les policiers de la BAC, « Planquez-vous, ça tire ! »
00:06Et là je sais très bien que j'ai une phrase qui m'a fait comme un électrochoc, c'est « Mais qu'est-ce qu'on fait là ? »
00:10Moi, le sang, les cris, les téléphones, les odeurs, j'en ai aucun souvenir de ça.
00:15Si je dois résumer la soirée du 13 novembre, la couleur c'est le noir absolu et le temps s'est arrêté.
00:22Malgré ça, on a évidemment agi.
00:24Il y a encore deux terroristes qui sont au premier étage et qui tiennent en otage une dizaine de personnes.
00:30L'objectif, je le connais déjà, même avant de rentrer, c'est-à-dire, c'est ce qu'on avait travaillé en amont,
00:34il va falloir faire sortir le plus vite possible toutes les personnes qui sont encore vivantes de cet enfer.
00:39Salut Néo, je m'appelle Mathieu Langlois et j'étais en 2015, j'étais le médecin-chef du Rennes.
00:44Je suis intervenu le 13 novembre 2015 au Bataclan.
00:47L'idée de se projeter sur une tuerie de masse, on va arriver déjà en retard par rapport aux blessures.
00:52Alors le moins possible, mais quand même en retard.
00:54Il y a un afflux de blessés, donc énormément de besoins et on sera de toute façon peu nombreux
00:58parce qu'il y a du danger, parce que c'est pas simple.
01:01Et donc il faut justement savoir travailler dans ces conditions-là.
01:04La confrontation avec le terrorisme et l'attentat de masse, je connaissais,
01:08mais là c'est vrai que ce soir-là, on est rentré dans une autre dimension et ça, il faut vite s'en rendre compte.
01:12Et à ce moment-là, votre cerveau vous dit, attention, là on est dans autre chose.
01:15Et c'est normal à ce moment-là d'avoir peur.
01:17Très vite, il faut maîtriser ses peurs.
01:19Et là, c'est les regards entre nous, c'est beaucoup de choses, c'est tout le travail préparatoire
01:23qui va nous permettre de non pas rester figé sur ses peurs, mais là, être totalement concentré sur les actions qu'on va mener.
01:29Le médecin du RAID, il est totalement intégré à une colonne d'assaut, telle qu'on peut le voir à la télé.
01:34Son but, c'est d'être formé, entraîné, équipé pour être au milieu de cette colonne.
01:39Notre rôle, il est simple, c'est uniquement de nous occuper du sauvetage, du soin, dans toutes ses dimensions.
01:45Et donc, on n'a aucune vocation à nous occuper de la menace.
01:49De l'analyser, c'est important parce que ça permet de savoir comment on va organiser le secours.
01:54Donc ça, il faut évidemment avoir cette culture-là.
01:56Mais je me repose sur les officiers, sur l'état-major, sur les patrons.
02:01C'est eux qui s'occupent de cette sécurisation, de cette neutralisation de la menace.
02:06Moi, j'ai besoin de leur feu vert pour faire mon boulot qui est d'organiser les secours.
02:10Quand on rentre, il y a déjà une équipe d'urgence du RAID, il y a une équipe d'urgence de la BRI.
02:14Il ne faut surtout pas s'arrêter sur le premier blessé.
02:16Ça, c'est ce qu'on a appris en médecine de catastrophe.
02:19Si vous arrêtez sur les premiers blessés, qui n'étaient même pas dans le Bataclan, qui étaient sur les trottoirs,
02:23et que vous le soignez tel que vous le soigneriez dans un contexte différent,
02:27c'est-à-dire un accident de voiture, par exemple,
02:29vous ne prenez absolument pas en compte l'ensemble des victimes.
02:32Or, mon rôle était d'abord d'analyser l'ensemble des victimes, faire un point de situation,
02:36et après de dire, bon ben voilà, il faut que tout le monde sorte le plus vite possible.
02:40On est vraiment face à une situation qui est extrêmement chaotique.
02:44Il y a énormément de risques ou de menaces qui sont absolument impossibles à évaluer
02:49et qu'on est obligé de prendre en compte.
02:50Par exemple, on peut très bien imaginer qu'il y ait des sacs piégés
02:55qui auraient été disposés dans le Bataclan,
02:57et qu'avec un simple détonateur, l'ensemble du Bataclan pourrait exploser.
03:02Sur des attentats ou tueries de masse,
03:03on est exclusivement, quasiment, sur du traumatisme dit pénétrant,
03:07c'est-à-dire un objet, un projectile.
03:09Quel que soit le type d'arme, ces traumatismes pénétrants créent des hémorragies.
03:13Et c'est simple, l'hémorragie, c'est du sang, c'est un robinet qui est ouvert
03:17et qu'il faut fermer le plus vite possible.
03:19Il faut limiter le temps d'évacuation entre la blessure et le bloc opératoire.
03:23Il faut que tous, ensemble, les acteurs, que ce soit le médecin du RAID,
03:27les pompiers, le SAMU,
03:28tous soient portés par cet unique objectif de la guerre,
03:31j'appelle ça un peu la guerre du temps de sauvetage.
03:34Et nous, quand on est arrivé, quand moi je dis cette phrase,
03:37tous ceux qui peuvent venir, vous venez vers nous,
03:39malheureusement, j'ai vu des regards, j'ai vu des bras,
03:42et puis après, on l'a su, il y en a qui ont entendu la voix,
03:44mais ils étaient cachés, sidérés,
03:46et là, vous n'entendez personne et vous ne voulez surtout pas suivre une voix,
03:51même sur le toit du Bataclan, il y avait des gens qui étaient cachés,
03:53il y avait quelques blessés, mais très peu,
03:55mais ils étaient tous KO, sidérés.
03:57Et sidérés, c'est votre cerveau qui disjoncte et qui n'entend plus rien,
04:00ils se protègent, sauf qu'il faut sortir,
04:02c'est hors de question de rester même sur le toit.
04:04Et donc, notre rôle a été de les remettre dans l'action,
04:07de les aider, de les accompagner, de les rassurer.
04:10On peut parler d'empathie, mais c'est une empathie en quelques secondes,
04:14c'est un regard, trois mots, et on va sortir,
04:16on va sortir vite et ensemble.
04:18Moi, je pense que je me suis mis dans une espèce de bulle sensorielle
04:21qui me protégeait pour pouvoir faire vraiment à 100% mon boulot.
04:25J'ai entendu qu'il y avait des téléphones qui sonnaient,
04:27que les odeurs, que ceci, que cela.
04:30Moi, les deux heures à peu près qu'on a passées dans le Bataclan,
04:32je n'en ai aucun souvenir de ça.
04:34J'ai souvenir évidemment de beaucoup de visages,
04:35de beaucoup d'actions qu'on a menées, de ce qu'ont fait les policiers.
04:38Mais la vue du sang, les cris, les téléphones, les odeurs,
04:42je n'en ai aucun souvenir.
04:43Moi, j'ai vraiment l'impression que le temps s'est arrêté.
04:45Et pendant ce temps-là, j'ai vu des gens exceptionnels,
04:48je parle des policiers en particulier,
04:49contrairement au raid, ils n'étaient pas du tout préparés à ça.
04:52Et ils se sont transformés, révélés,
04:53ils sont passés de policiers de sécurité publique
04:56à secouristes tactiques, sans formation, sans préparation.
05:00Et ils l'ont fait d'une manière totalement exceptionnelle.
05:02Donc moi, s'il y avait un truc que je retiendrais,
05:04c'est le courage de ces policiers du quotidien
05:06qui ont évacué les blessés de cet enfer.
05:10On dit qu'il y a un avant, un après.
05:11Moi, je pense que ça fait partie de moi.
05:13Et ce n'est pas juste une rupture,
05:15c'est plus quelque chose qui m'accompagne dans le temps.
05:17Je pense que depuis, j'aime encore plus la vie.
05:19Moi, il y a deux enseignements que le Bataclan a montrés.
05:22C'est qu'en France, on existe sur un modèle
05:24où c'est l'hôpital qui vient au plus près du blessé.
05:27Vous avez un accident de moto.
05:28Le SAMU vient juste à côté de vous.
05:30Et le Bataclan a montré que sur, en tout cas,
05:33des traumatismes pénétrants,
05:35où en plus, il y a une notion de menace,
05:36il fallait mieux avoir un flux des lieux vers l'hôpital
05:39que de l'hôpital vers les lieux.
05:41Deuxième enseignement, c'est pour rendre ça possible,
05:44d'injecter au cœur de la menace,
05:46dans une zone rouge, une zone d'exclusion,
05:49des secours tactiques, des médecins tactiques,
05:51comme moi.
05:53Ça pouvait permettre de gagner du temps
05:55et d'organiser déjà les évacuations
05:58alors que la menace était encore sur place.
06:00C'est ce qu'on a fait.
06:01Et c'est depuis quelque chose qui est pré-reproduit.
06:04Ce temps pour sécuriser, pour neutraliser la menace,
06:07il ne faut pas le perdre comme temps de secours.
06:09Mais ça veut dire les former,
06:11trouver les bonnes personnes,
06:12qu'ils soient efficaces sous la menace.
06:14C'est un autre métier.
06:16Donc, il faut s'y préparer.
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