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  • il y a 21 heures
Emission TV : L'invité sur TV5 Monde Invité; Pierre ARDITI « Je refuse de penser que les millions d’électeurs du RN sont des idiots »

Chaine Youtube de l'émission : https://www.youtube.com/@linviteTV5MONDE

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Transcription
00:00C'est un immense comédien, Pierre Arditi, il a le souvenir de presque tout.
00:10C'est le titre de son livre, Cherche midi, et c'est savoureux, Pierre Arditi, ce bouquin.
00:14Parce que c'est vous, c'est vous avec vos doutes, c'est vous le gars qui marchait dans la rue
00:18et qui a l'air de se dire, mais qui c'est le type qui est à côté de moi ?
00:20Est-ce que je le connais ? Mon fond, c'est vous.
00:22Et quelque part, être comédien, c'est quoi ?
00:25C'est se chercher dans l'idée qu'on ne se trouvera jamais ?
00:29Oui, il n'y a pas besoin d'être comédien pour ça.
00:33Une grande partie de mes congénères se cherchent,
00:36quelquefois se trouvent et souvent ne se trouvent pas.
00:40Être comédien, ça aide, ça désinhibe.
00:43Je fais un métier où on se désinhibe, on s'amuse à être d'autres gens
00:47et en fait, on s'amuse aussi à être soi, tout simplement.
00:51C'est un métier qui aide à se trouver.
00:54Pas à se perdre, mais à se trouver.
00:56Mais ce n'est pas le seul métier où on peut faire ça.
00:57On peut tourner du boulot en duit et se poser des questions métaphysiques
01:01dans la rue quand on sort de son boulot.
01:04Mais enfin, comme disait l'autre, avoir des problèmes métaphysiques,
01:08c'est acceptable à condition de ne pas avoir de problème d'argent.
01:10Oui, c'est ça.
01:11Mais au fond même, j'ai presque l'impression que ça guérit de la perte,
01:15de l'idée même de la mort, de la fin des choses.
01:17Et vous le dites dans ce livre, au fond, être sur scène.
01:20Oui, être sur scène parce que la mort n'existe pas dans ces cas-là.
01:26Parce que moi, je passe de vie en vie, qui sont parfois un peu les miennes,
01:30parfois pas du tout.
01:32C'est comme ça.
01:34Et quand j'ai l'air de mourir, je me relève et le public applaudit.
01:37Donc, c'est en toute impunité qu'on fait ça.
01:39Donc, effectivement, c'est un endroit où on est à l'abri du malheur.
01:43Voilà.
01:43Alors, qu'est-ce que vous voulez de plus ?
01:45C'est un métier génial.
01:46Quand on peut y parvenir, ce que j'ai la chance d'avoir fait,
01:50j'y suis en gros à peu près parvenu.
01:52Donc, ça me rassure.
01:54Voilà.
01:55Et ça me, comment dire, ça me met un voile sur ce qui m'attend
01:58et que je n'ai pas envie de voir.
01:59Oui, mais en même temps, vous dites, tout le monde est star aujourd'hui.
02:02Vous n'avez jamais voulu être star, Pierre Arditi.
02:04Vous dites, les stars, c'est Brigitte Bardot, c'est Alain Delon.
02:08Brigitte, votre amour d'enfance, on va dire.
02:10Mon amour tout court.
02:12Mon amour tout court.
02:13Bon, elle est merveilleuse.
02:15Bon, enfin.
02:17Star, on ne décide pas de devenir star.
02:21On peut décider de devenir un acteur ou une actrice.
02:24Star, ça ne s'apprend pas.
02:26Une star, qu'il soit femme ou homme,
02:30c'est quelqu'un d'extraterrestre.
02:32Vous l'avez ou vous ne l'avez pas.
02:35Dans le livre, il y a deux souvenirs,
02:36et de Brigitte Bardot et d'Alain Delon.
02:38Il y en a quelques autres aussi.
02:40Ça ne veut pas dire qu'ils sont des acteurs plus grands que les autres.
02:43Quoique, quoi que.
02:45On a toujours dit, Brigitte Bardot, ce n'est pas joué.
02:47C'est faux.
02:48Oui, notamment dans La vérité de Couzeau, vous le dites.
02:51Par exemple.
02:51Mais ce n'est pas le seul.
02:52Et puis, quant à Delon, on dit, oui, il est beau.
02:55Comme ça, tu parles.
02:56Essaye de faire le samouraï et M. Klein en même temps.
02:59On va voir ce que c'est qu'un acteur.
03:01Non, non, ça ne s'apprend pas.
03:03C'est autre chose.
03:04C'est le Noiret qui disait, parce que je raconte cette histoire où je suis allé dans le studio de Biancourt.
03:09J'étais tout jeune, j'essayais de donner des photos pour essayer de travailler dans un film.
03:13Ce que je n'ai jamais pu faire, d'ailleurs.
03:15Et à un moment donné, elle est entrée.
03:17Elle était au sommet de sa beauté.
03:18Elle devait avoir, je ne sais pas, 25 ou 26 ans.
03:21Et dans cet endroit où les gens, les machinots, les machins, tout le monde bouffait dans un bruit épouvantable,
03:26elle est entrée.
03:28Et tout le monde s'est tue.
03:29S'est tue, il y a eu une sorte de silence parce qu'elle est entrée et que la vision était divine, au sens pur du terme.
03:36Bon, quand quelqu'un peut provoquer ça vis-à-vis du monde autour, c'est effectivement, ça c'est une star.
03:43Et Noiret me disait, moi, quand je rentre quelque part, les gens sont en train de manger, ils lèvent les yeux,
03:48quelquefois ils me font un sourire, puis ils continuent de manger.
03:50Ça n'a rien à voir.
03:51On ne décide pas d'être une star.
03:53On peut décider d'être un acteur ou une actrice.
03:55Ce n'est pas la même chose.
03:56Puis ce mot est complètement dévoyé.
03:58Le camembert star, le cuisinier star, le boucher star, c'est grotesque.
04:02Mais alors, vous racontez vos souvenirs des débuts avec Marcel Maréchal qui vous fait débuter,
04:07puis après il y a Terzièf à un moment.
04:09Est-ce qu'au fond, au contact comme ça de ces grands monstres sacrés du théâtre,
04:12que vous apprenez au fond à vous tenir, à dire qu'est-ce que c'est, quelle limite il ne faut pas dépasser ?
04:18J'apprends, j'apprends mon métier, j'apprends à essayer d'incarner, ce qui est très difficile.
04:25Quand j'ai commencé, j'avais 20 ans, je ne savais rien.
04:28Je ne savais absolument rien, absolument rien.
04:30J'étais un culte du théâtre, j'en avais envie, mais j'étais un culte.
04:33Il fallait que j'apprenne tout, ce que j'ai fini par faire.
04:36J'ai eu la chance de rencontrer des gens, Maréchal bien sûr, Terzièf,
04:40qui s'est écrit dans le livre, la première fois il m'auditionne,
04:45alors que j'ai picolé tellement pour essayer d'avoir du courage,
04:47que je suis incapable d'aligner seulement une phrase,
04:50et que je reviens le lendemain, parce qu'il me dit « revenez me boire demain, vous êtes un peu fatigué ».
04:53Donc personne n'aurait fait ça.
04:55Il l'a fait, lui, et il m'a appris des choses.
04:58Donc, j'ai eu la chance de rencontrer…
05:01La chance, en principe, il y a toujours un moment donné où elle frappe à votre porte.
05:05Alors, vous êtes capable de l'ouvrir ou pas ?
05:07Si vous ne l'ouvrez pas, vous êtes foutu.
05:08Si vous ouvrez la porte, il y a une petite chance que la chance veuille bien s'occuper de vous.
05:14Donc j'ai effectivement eu cette chance de croiser des gens qui m'ont fabriqué,
05:17à commencer par mes parents, qui eux sont omniprésents dans le bouquin.
05:21Oui, papa peintre.
05:22Et d'ailleurs, le local de votre papa est très présent,
05:26début et jusqu'à la dernière ligne, parce que c'est un local d'artistes au fond.
05:30Oui, c'est un atelier d'artistes.
05:30Et ça, grandir là, c'est dire, voilà, il y a quelque chose que je veux continuer derrière.
05:35Peindre, c'est au fond être comme un acteur ?
05:39Ce n'est pas la même chose.
05:40Enfin, moi j'essaie de peindre des êtres humains, mais lui aussi, d'une certaine manière,
05:44quand il décide d'être figuratif et de peindre des gens qui nous ressemblent sans nous ressembler.
05:49Ce n'est pas la même chose.
05:52Un peintre, c'est un homme ou une femme solitaire.
05:56La peinture, c'est un art solitaire.
05:58Il est seul.
05:59L'avantage qu'il a sur un acteur, par exemple, c'est que lui, quoi qu'il arrive, il fait son œuvre.
06:03Moi, si je n'ai pas de public, je ne peux pas travailler.
06:06Je suis zéro, je ne suis absolument rien.
06:08J'ai vu mon père, enfant, c'était Dieu, je me perdais dans cette oile.
06:15Adulte, j'ai vu à quel point cet homme était seul vis-à-vis de ce qu'il faisait.
06:19Et à quel point ça devait par moments être douloureux.
06:22Mon fils, c'est-à-dire son petit-fils, qui est devenu peintre lui aussi, grâce à son grand-père,
06:27il est dans le même état de solitude quand il fait son travail.
06:30Alors après, les gens viennent, ceci, ça marche ou ça ne marche pas.
06:34Moi, je ne suis pas solitaire.
06:39Je suis solidaire éventuellement du public, mais je ne suis pas solitaire.
06:42La peinture, c'est solide.
06:44Je me souviens du peintre Delvaux, d'ailleurs, j'ai dû le raconter dans le bouquin,
06:48à qui on demandait, Paul Delvaux, qui est un peintre surréaliste et symboliste,
06:54très beau d'ailleurs, à qui une jeune journaliste disait,
06:57« Mais monsieur Delvaux, pourquoi vous peignez comme ça ? »
07:00Et il lui avait répondu gentiment, « Mademoiselle, si je pouvais vous dire
07:02pourquoi je peins comme ça, je ne peindrai pas. »
07:04Voilà, c'est très exactement ça.
07:08Comme disait, je ne sais plus si Degas, je crois qu'il disait,
07:12la peinture, il n'y a rien à comprendre, c'est comme la merde, ça se sent.
07:15Voilà, je revendique cette histoire-là pour l'avoir vécue à travers mon père.
07:18Oui, lorsque vous allez voir Madeleine Renaud, et ça, c'est un souvenir très fort aussi.
07:25Très fort.
07:26Parce que, évidemment, Barraud vient de mourir.
07:29Louis Barraud, qui a été un de mes maîtres et avec lequel j'ai eu la chance de travailler,
07:33venait de mourir.
07:34Ils avaient passé leur vie ensemble.
07:36Donc, je suis allé rendre visite à Madeleine et faire un petit signe d'amitié, évidemment.
07:42Donc, je suis allé dans leur appartement parisien.
07:44Donc, elle m'a accueilli.
07:45Elle me dit, « Ah, mon chéri, c'est bien que tu viennes, Madeleine, c'est normal. »
07:49Elle m'a dit, « Est-ce que tu veux voir Jean-Louis ? »
07:51Jean-Louis, il était là, allongé, mort.
07:54Je lui ai dit, « Non, Madeleine, je ne veux pas garder cette image de Jean-Louis,
07:58qui était la vie même, et je ne veux pas voir ce visage éteint. »
08:00Elle m'a dit, « Mais je comprends, mon chéri, je comprends. »
08:02Donc, je ressors, on parle un petit peu,
08:04et puis je regardais les murs de leur appartement,
08:06où tout était accroché, leur vie entière,
08:09avec Claudel, les dessins, etc.
08:13Et je lui ai dit, « Madeleine, c'est extraordinaire ce que vous avez là.
08:18C'est des souvenirs merveilleux. »
08:19Elle m'a dit, « Oui, mais je vais m'en débarrasser, je ne veux aucun souvenir. »
08:22Et je me suis dit, « C'est fou. »
08:24Et elle s'en est débarrassée.
08:25Un an après, elle était partie faire un tour dans les nuages et rejoint Jean-Louis.
08:29Et je me suis dit, au fond, est-ce qu'elle n'a pas raison ?
08:33Parce que moi, je ne jette rien, mais je n'ai pas forcément raison
08:35de replonger mon nez dans des choses qui ont été, mais qui ne sont plus.
08:39Alors, comme dit l'autre, il vaut mieux se réjouir de ce qui a été et pas de ce qui n'est plus.
08:44Oui, mais vous avez cette phrase, « La nostalgie n'est plus ce qu'elle était, elle est pire. »
08:48Oui, elle est pire.
08:49Elle est pire parce que tout…
08:51C'est marrant.
08:52J'ai eu ma sœur au téléphone, qui venait de lire le livre d'ailleurs, et qui était en larmes.
08:56Et je lui ai dit, mais arrête, arrête de pleurer, arrête.
08:59Elle me dit, oui, mais qu'est-ce que tu veux, c'est l'âge maintenant ?
09:02Je pleure sur tout.
09:03Et je la comprends.
09:04Moi-même, je pleure sur beaucoup de choses parce que c'est ma vie qui s'écoule
09:10et qui, d'une certaine manière, petit à petit, est derrière moi.
09:13D'ailleurs, le bouquin, il est aussi fait pour que tout ce à quoi je tiens,
09:18ou j'ai tenu, mais je tiens, parce que je ne peux pas m'en débarrasser,
09:21soit encore présente et ça n'a pas été balayé par le temps.
09:25C'est une des raisons fondamentales pour lesquelles j'avais besoin d'écrire ça.
09:31En plus, on m'avait demandé d'écrire.
09:32Je me dis, il faut que j'écrive parce que, d'abord, je pense que je peux avoir des choses à dire.
09:37Et puis, écrire, c'est être face à soi-même.
09:41C'est d'abord être face à soi-même.
09:43Alors, je suis face à moi-même pour le bon ou pour le moins bon.
09:47C'est comme ça.
09:48J'en avais besoin.
09:49Donc, j'ai écrit ça en espérant que ça touchera les autres,
09:53mais j'ai fait ça aussi parce que j'avais besoin que ça me touche moi-même.
09:55Oui, et ce type-là, vous le regardez vous-même.
09:58Vous vous regardez.
09:58J'ai passé ma vie à courir, oui.
10:00Non, mais c'est très touchant.
10:02Vous avouez aussi vos faiblesses.
10:03Le jeu, par exemple, vous dites, à un moment, j'ai tout perdu.
10:06Oui.
10:06J'ai perdu presque ma famille, ma femme.
10:09J'ai failli me perdre moi-même.
10:10Oui.
10:10Au jeu.
10:11Au jeu.
10:11Non, la volonté de gagner.
10:13Vous avez compris que gagner, ce n'est pas ça qui comptait.
10:15Gagner, ça, c'était se perdre.
10:18Le jeu, c'est un outil pour se perdre.
10:22Et d'ailleurs, c'est normal.
10:23On ne joue pas pour gagner.
10:24On joue pour se punir de ce chancre, qui est un chancre,
10:28qui est l'addiction au jeu.
10:30Voilà.
10:31Donc, quand on joue, le problème n'est pas de gagner,
10:33mais de perdre.
10:34Comme ça, on se punit soi-même de ce vice.
10:36C'est exactement ce qui m'est arrivé.
10:37Je me suis puni à un point tel que finalement,
10:40j'ai réussi à balayer ça d'un revers de main,
10:42me faire interdire et pouvoir continuer de vivre
10:44sans être obligé de ne pas être moi-même.
10:46D'ailleurs, quand je me suis regardé dans la glace un soir,
10:48le soir où j'ai décidé de m'arrêter,
10:50j'étais défiguré.
10:52J'ai regardé mon visage dans la glace
10:53et j'étais défiguré.
10:55Vous savez, un peu comme Dorian Gray,
10:57portrait de Dorian Gray.
10:58À un moment donné, le visage arrive
11:00et porte les traces de son âge
11:03multipliées par mille, c'est-à-dire détruits.
11:05Et au fond, j'ai été sauvé de cette addiction
11:08par mon narcissisme
11:09que rien ne pouvait égaler.
11:11Je me suis dit, mais je ne peux plus être aussi laid que ça.
11:14Donc, j'ai arrêté ça comme ça.
11:15Oui, mais finalement aussi,
11:18l'envie de vivre, au fond,
11:20vous mène presque aux rives de la mort.
11:22Vous êtes tellement amoureux
11:23à certains moments que des ruptures
11:26vous donnent envie d'en finir.
11:27Et vous avez même voulu en finir.
11:29Oui, une fois.
11:31Une fois, j'ai écrit comme ça.
11:32Oui, la douleur a été tellement forte
11:35que je me suis dit que ce n'était pas la peine de continuer.
11:37Et puis, vous voyez, on se parle.
11:39Donc, ça veut dire qu'au fond, d'une certaine manière,
11:41le destin ne l'a pas voulu.
11:42D'ailleurs, c'est vraiment le destin.
11:44Parce que ce n'était pas prévu comme ça.
11:46Quelqu'un est arrivé alors qu'il ne devait pas venir.
11:48Et on m'a sorti de là d'extrême justesse.
11:50Sinon, on ne se parlerait plus.
11:52Mais oui, ça peut donner envie de mourir,
11:55la peine de cœur.
11:57Quand elle est aussi violente que ça,
12:00il y a un âge aussi bref,
12:03tout semble être une épreuve insurmontable.
12:07J'avais 30 ans.
12:0950 ans plus tard,
12:11jamais je ne referai ce geste-là pour qui que ce soit.
12:13Oui.
12:15Boulimique.
12:15Non, je ne suis pas boulimique.
12:17Arrêtez d'employer cette expression.
12:18Je l'ai écrit, ça aussi.
12:20Je ne suis pas boulimique.
12:21La boulimie est une maladie, je peux vous le dire,
12:23puisque ça fait 40 ans que je vis avec une femme
12:26qui est une ex-boulimique.
12:28La boulimie, c'est ouvrir la porte d'un frigo,
12:30le vider de haut jusqu'en bas,
12:32ou de bas jusqu'en haut, comme vous voulez,
12:34d'aller vomir ce qu'on vient de manger,
12:37remplir le frigo et recommencer.
12:39C'est-à-dire, la boulimie, c'est une volonté de se détruire.
12:41Je n'ai pas de volonté de me détruire,
12:43depuis toujours.
12:44J'ai une volonté de me construire.
12:46Et même aujourd'hui, à 80 ans,
12:49je n'ai pas fini de me construire.
12:51Le fameux bonhomme derrière lequel je cours
12:53depuis le début de ma vie,
12:55c'est moi, sans doute.
12:56Et quelquefois, je l'atteins,
12:57et quelquefois, il me laisse sur place
12:59en regardant mon échec personnel.
13:01Bon, c'est comme ça, je continue de vivre comme ça.
13:04Pas de mort.
13:05Oui, très touchant dans ce livre.
13:06C'est évidemment la perte de vos parents.
13:08Votre père, Alzheimer,
13:10c'est-à-dire les souvenirs qui s'effacent.
13:12Et puis, vous, dans un hôpital,
13:15au moment où votre maman vous quitte.
13:17Et ce sont des scènes poignantes
13:18qu'on a besoin de raconter,
13:20de partager au fond.
13:21Oui, je les raconte.
13:23Je me les raconte à moi-même, d'ailleurs,
13:25pour ne pas l'oublier.
13:27J'espère le raconter à d'autres gens
13:29qui, probablement, pourront se projeter là-dessus.
13:32Il y a toute une série de choses dans ce bouquin.
13:34Je le dis très peu modestement,
13:36mais je ne suis pas modeste.
13:37Je pense qu'il y a un certain nombre de choses
13:39qui sont des choses très personnelles.
13:42D'ailleurs, les gens qui me connaissent
13:43découvriront des choses qu'ils ne connaissent pas.
13:45Mais je pense aussi que ça devrait parler
13:48à un certain nombre de gens
13:49qui ne sont pas moi
13:50et auxquels ça peut…
13:52Ce sont des échos que j'envoie,
13:54des échos de libération en ce qui me concerne,
13:57et pour eux, peut-être des échos
13:58qui leur serviront à quelque chose.
14:00Tout n'est pas noir dans le livre.
14:02Il y a des choses qui sont des déclarations d'amour
14:04à mon père, à ma mère, à ma sœur,
14:06tout ça, ça a illuminé,
14:10ça illumine toujours mon existence.
14:12J'ai toujours dit que mon père et ma mère
14:13étaient dans mes valises d'acteurs.
14:15Et d'une manière très, comment dire,
14:17très perverse,
14:19quand j'ouvre ma valise pour incarner un personnage,
14:22il m'est arrivé des centaines de fois
14:24d'enterrer mon père ou ma mère
14:25ou les deux en même temps,
14:26pour me déchirer l'âme,
14:28mot que j'emploie à longueur de journée,
14:30alors que je suis un athée, mystique,
14:32mais un athée quand même.
14:32Oui, vous dites, je ne crois pas en Dieu,
14:35mais je n'en suis pas sûr.
14:36Mais je n'en suis pas sûr.
14:37Oui, je ne crois pas en Dieu en ce qui me concerne.
14:41J'ose y croire en ce qui concerne mon père et ma mère.
14:45Et je me dis toujours qu'à un moment donné,
14:47il me faut un signe du coin de la rue.
14:50Ici, on est très près de l'endroit
14:51où mes grands-parents ont vécu.
14:52Place Vagram, à côté, oui.
14:54Et je ne sais pas pourquoi,
14:55je projette ça sur mes parents,
14:58me disant un jour,
14:58de ce côté-là, sur la place,
15:00ils me feront un petit signe pour me faire savoir
15:02qu'ils sont encore là.
15:03J'ai encore deux minutes pour vous raconter un truc.
15:05Oui, avec plaisir.
15:06Un jour, je ne l'ai pas écrit dans le livre,
15:09ça ne m'est pas venu,
15:10ça m'est revenu il y a quelques jours seulement.
15:12Je jouais au théâtre,
15:14il y a trois ou quatre ans, je pense,
15:16je jouais avec mon copain Michel Leib,
15:17un truc qui s'appelait Compromis.
15:18Et on commence à jouer,
15:22et je joue, puis tout d'un coup,
15:24parce que vous savez,
15:25on dit toujours qu'on ne voit pas le public.
15:27On ne le voit pas, mais on le devine.
15:29Et quelques fois, d'ailleurs,
15:29même on le voit sur les quelques premiers rangs,
15:32je regarde comme ça,
15:33et je vois mon père et ma mère,
15:35au quatrième rang, au cinquième rang.
15:36Mon père et ma mère, l'un d'un côté de l'autre.
15:38Alors je me dis, j'ai des sosies,
15:40je suis con, je continue de jouer,
15:42puis je suis quand même attiré comme un aimant,
15:43je regarde, c'est mon père et ma mère.
15:45Alors ça me perturbe beaucoup,
15:47et à un moment donné, je ne joue que pour eux,
15:50que pour ce père et cette mère,
15:53ou cet homme et cette femme.
15:55Voilà, donc ça me bouleverse,
15:56à la fin, le spectacle est fini,
15:58on salue, la lumière revient,
16:00et ils ne sont pas là, ils ne sont plus là.
16:03Donc est-ce qu'ils sont venus ?
16:04Est-ce que c'est un signe de là-haut ?
16:07Est-ce qu'ils ont voulu me rassurer
16:09sur le fait qu'ils n'étaient pas très loin de moi ?
16:10Je ne sais pas.
16:11Ils m'ont fait ce cadeau éphémère
16:13qui est devenu immortel pour moi.
16:15Oui, c'est magnifique.
16:16Alors c'est vrai, vous parliez de cette valise,
16:19ça je trouve ça magnifique,
16:20cette image de la valise.
16:21En plus, vous dites aussi
16:22que vous n'aimez pas les voyages.
16:24Sauf celui-là.
16:25Mais vous avez toujours une valise,
16:26et vous dites qu'au fond,
16:27j'ouvre la valise avec moi.
16:29Il y a tout de moi là-dedans.
16:30Oui, il y a le stock.
16:34Moi j'appelle ça un stock.
16:35Et d'ailleurs, quelques fois,
16:37je travaille toujours beaucoup,
16:39mais je suis quand même devenu un peu plus raisonnable,
16:42comme on dit, si on peut appeler ça comme ça.
16:44Avant je tourne, je joue, je lis des textes.
16:47Maintenant je fais ça une chose après l'autre,
16:49plus en même temps.
16:50Ça c'est fini, je ne peux plus, je ne veux plus.
16:53Et donc là-dedans, la valise,
16:55elle est la somme de ce que j'ai traversé,
16:58de ce que je traverse,
17:00et sans doute de ce que je traverserais.
17:02C'est donc mon stock.
17:03Mais quelquefois, quand on est très fatigué,
17:06il faut renouveler le stock,
17:08parce que la valise est vide.
17:09Alors c'est comme ça.
17:10Dans ces cas-là, il faut se régénérer
17:13pour pouvoir offrir aux gens
17:15qui viennent me voir quelque chose de neuf
17:19qui va les surprendre,
17:20et pas une espèce de routine
17:22qui voudrait concrétiser une vie de vieux couple avec moi-même.
17:25Ça, je n'en veux pas.
17:26Mais ce qui est vrai, c'est qu'au fond,
17:27lorsque vous êtes Clémenceau,
17:30lorsque vous jouez Don Juan de Molière,
17:32vous allez chercher dans la valise
17:33et au fond, des choses de vous.
17:34C'est vous.
17:35Quand vous êtes Don Juan, c'est vous.
17:37C'est aussi moi.
17:38Oui, c'est aussi moi.
17:39Sur certains…
17:40Vous savez, c'est Constantin Stanislavski,
17:43dont je parle aussi d'ailleurs dans le bouquin,
17:45qui était le metteur en scène de Tchékov,
17:47et qui a inventé la méthode Stanislavskienne,
17:49qui en fait est la même méthode
17:51que l'acteur studio deux siècles plus tard.
17:54Use it, serre-toi de toi.
17:55Ça veut dire qu'il y a à l'intérieur de moi
17:57toute une série de choses qui peuvent nourrir cet autre
18:01qui n'est pas moi et qui pourtant est un cousin germain.
18:04Et moi, je peux,
18:05j'ai cette faculté de pouvoir gratter à l'intérieur de moi-même
18:07certains marécages qui sont les miens
18:10et que la majeure partie de mes congénères
18:13s'ingénie à enfouir pour ne pas savoir qu'ils les contiennent.
18:16Moi, on me paye, et quelquefois même très bien,
18:19pour sortir de moi ces choses qui sont infréquentables.
18:22Et quand les acteurs font ça, effectivement,
18:24ça peut paraître d'une grande perversité, ça l'est.
18:27Donc, je peux être un moment donjant,
18:30je peux être un salaud,
18:31je peux être un héros,
18:33je peux être un lâche,
18:35je peux être un hypocrite,
18:36je peux être quelqu'un qui peut avoir un certain charme,
18:40pas forcément physique, mais un charme intellectuel.
18:42Je peux être, normalement, je me dois d'être tout ça.
18:46C'est plus ou moins réussi.
18:47Il y a les moments où je réussis,
18:48les moments où je ne réussis pas.
18:49Mais la valoche en question, c'est ça.
18:52Je crois qu'on passe sa vie
18:54à jouer des petits morceaux de soi
18:55qu'on met au service d'un autre
18:57qui serait apparemment un étranger
18:59qui, en réalité, est un cousin germain.
19:01Oui. Et alors, dans ce livre, à un moment,
19:03vous parlez d'un personnel qui s'appelle Mohamed,
19:05travailleur au Samu Social, bénévole.
19:08Et là, je vois le Pierre Arditi, au fond,
19:10engagé, engagé à gauche, c'est vrai.
19:13Oui, enfin, engagé sur la solidarité,
19:15en tout cas, entre les humains.
19:18Oui, Mohamed, je l'ai vu à la télévision.
19:22Il faisait partie du Samu Social
19:23et donc, il essaie de convaincre un SDF
19:26qui est réfugié dans une cabine téléphonique
19:29parce qu'il y fait moins froid.
19:30Il essaie de le persuader de suivre ce Mohamed en question
19:35pour qu'il l'emmène dans un endroit
19:36où on va lui servir un repas,
19:37où il sera au chaud.
19:38Le fameux interlocuteur ne veut pas y aller.
19:42À un moment donné, on sent qu'il hésite tout de même.
19:45Et puis, finalement, le Mohamed,
19:47il a une voix d'une douceur infinie.
19:49Il essaie vraiment, non pas de lui dire,
19:51viens, viens, viens.
19:52Non, il essaie de trouver des arguments tendres et doux,
19:55dans une époque qui ne l'est pas du tout,
19:57pour essayer, au fond, sinon de lui sauver la vie,
20:00en tout cas de lui sauver un morceau de sa vie.
20:02Finalement, il échoue.
20:03Il repart, mais comme s'il était, lui, le responsable de cet échec.
20:07Et je me suis dit, si Dieu existe, il s'appelle Mohamed.
20:12C'est resté gravé chez moi pour toujours.
20:16Je n'ai jamais vu quelqu'un déployé.
20:22Ce n'est même pas de la solidarité, c'est de l'amour pour son proche.
20:26Ça, c'est christique.
20:29Je me dis, peut-être qu'après tout, j'ai tort de ne pas croire en Dieu.
20:32Peut-être qu'il est venu sous la peau de Mohamed
20:33et qu'il essaye son truc.
20:35Et quelquefois, Dieu n'arrive pas à ses fins.
20:37Mais ça, ça veut dire, je disais, c'est le pire ordinate engagé.
20:40Ce qui fait vous dire, vous voterez toujours à gauche ?
20:42Vous serez toujours à cette gauche d'aujourd'hui ?
20:44C'est ma sensibilité politique.
20:46Je ne cautionne pas toute la gauche d'aujourd'hui.
20:50Si vous voulez, je ne rentrerai pas dans les détails.
20:53Faites-en la conclusion que vous voudrez.
20:55Il y a une gauche pour laquelle vous ne voterez pas ?
20:57Non, je ne vote pas pour les extrêmes,
20:59qu'il soit de droite ou qu'il soit de gauche.
21:01Il y a une gauche à laquelle j'appartiens,
21:05ma sensibilité appartient,
21:07et je regrette profondément de ne pas la voir
21:11d'une manière plus satisfaisante.
21:17J'ai connu une gauche plus engageante et plus créatrice.
21:22Je vois pour le moment des gens qui, d'une certaine manière,
21:27ne luttent que pour un égo démesuré dont je me passerai volontiers.
21:32Voilà.
21:32Je le regrette, ça ne m'arrange pas du tout.
21:35Je pense qu'il y a une bonne partie des gens qui pensent un peu comme ça,
21:40que ça n'arrange pas du tout non plus.
21:42Mais qu'est-ce que vous voulez ?
21:43On est comme ça, peut-être que ça s'arrangera sûrement à un moment donné.
21:45Peut-être que je ne le verrai pas.
21:46On vit dans une époque dont une partie de cette époque,
21:49je ne pensais pas la voir, de mon vivant.
21:52Visiblement, je vais y être contraint.
21:55Ce n'est vraiment pas du tout l'époque que vous auriez voulu voir.
21:58Non, apparemment, si on entend les choses,
22:00mais on voit bien que ça ne se passe pas bien pour le monde en ce moment.
22:04Alors pas seulement politiquement,
22:06mais dans des dangers qui nous menacent,
22:09comme quelque chose qui s'appelle la guerre.
22:11Est-ce que c'est une réalité ou c'est un fantasme ?
22:17Je n'en sais rien.
22:19Il n'empêche que le monde autour est menaçant.
22:22Ça, on ne peut pas faire l'autruche là-dessus.
22:24Est-ce que j'ai envie de voir ça ?
22:25Non, comme tout le monde, je n'ai pas envie de voir ça.
22:28Ce monde-là, on a vécu 80 ans en paix.
22:31J'ai cet âge-là, donc je ne l'ai pas connu.
22:34Mais voilà, comme nous tous, plongés vers cette menace.
22:37Je ne peux pas dire que ça me satisfait.
22:40Oui, mais lorsque vous voyez des millions de personnes
22:42qui sont prêts à voter pour le RN, par exemple,
22:43pour barder la...
22:44Ils font ce qu'ils veulent.
22:45Oui.
22:45Je n'ai pas de leçon de morale à donner.
22:48La seule, comment dire,
22:52le seul ennui que j'ai par rapport à ça,
22:55c'est que ça n'est pas, pour être poli,
22:58ma sensibilité politique.
23:00Ce qui est de ma sensibilité politique et humaine, simplement,
23:03c'est qu'un parti comme ça qui regroupe plus de 12 ou 14 millions d'électeurs,
23:13je me refuse à penser que ces 12 ou 14 millions d'électeurs
23:17sont soit des fascistes, soit des salauds.
23:21Ils se tournent de ce côté-là parce que probablement,
23:23et antérieurement, ce en quoi ils avaient foi les a déçus.
23:28Et je peux comprendre.
23:30Il y a des choses qui n'ont pas été...
23:31Alors, tout le monde ne peut pas tout réussir,
23:32mais là, honnêtement, il y a des choses qui ne sont pas de leur fait
23:36et qui sont du fait de ceux qui les ont précédés,
23:39qu'ils soient de droite ou qu'ils soient de gauche.
23:41Ou on regarde ça en face, ou on se trompe soi-même.
23:46Et être de gauche, en mon sens, c'est d'avoir le courage
23:50de ne pas toujours être d'accord avec les siens.
23:53Ce qui est mon cas.
23:54Je ne peux pas vous dire plus clairement ce que je ressens.
23:57Oui.
23:57Des images très fortes, je vais dire des images,
23:59des mots très fortes dans ce livre.
24:01Quand vous retournez à l'atelier de peinture de votre père,
24:04et au fond, vous dites cette phrase,
24:06les objets, les choses ne changent pas, c'est nous qui changeons.
24:09Oui.
24:10Et au fond, est-ce qu'il faut s'en réjouir, au fond ?
24:13Et vous dites au fond, oui, parce que ça prouve qu'on est vivant.
24:16Ça prouve qu'on est vivant.
24:17En même temps, il y a des choses dont on a du mal à se réjouir.
24:20Ce que je viens de raconter de ce que devient le monde,
24:22en ce moment, en tout cas.
24:23Et puis, il y a des choses dont on peut se réjouir, effectivement,
24:27c'est encore d'être vivant,
24:28même pour faire face à des choses aussi menaçantes
24:32et non souhaitables.
24:35Mais il y a aussi un truc qui s'appelle la vie,
24:38ou la survie.
24:39Appelez ça comme vous voulez.
24:41Et rien ne vaut la vie, comme disait l'autre.
24:43La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie.
24:45Voilà.
24:45Je pense profondément à ça.
24:47C'est ce que chante Alain Souchon.
24:49Pardon ?
24:49Rien ne vaut la vie.
24:51La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie.
24:52C'est ce que chante Alain Souchon.
24:53Oui.
24:53Enfin, ce n'est pas lui qui a trouvé la phrase.
24:55Si je me souviens bien, c'est Malraux.
24:56Mais il a raison de chanter ça.
24:59Il y a de la malice aussi.
25:00Il y a des rires derrière tout ça.
25:02Il y a heureusement des choses qui ne sont pas…
25:04Je ne voudrais pas qu'on pense que c'est un livre négatif.
25:07J'ai deux, trois coups de gueule sur des choses totalement anecdotiques.
25:10Et qu'on aime bien, d'ailleurs.
25:11Cuisine, pince à épiler ou des trucs comme ça.
25:13Ce n'est pas un livre pessimiste.
25:16C'est un livre, effectivement, en partie nostalgique,
25:19en partie, comment dire, émerveillé par ce qui s'appelle la vie.
25:25C'est vrai que je n'ai aucune envie de la quitter.
25:27Même si je sais que ça va arriver.
25:29La mort ne me fait pas peur, elle m'emmerde, simplement.
25:31Voilà, c'est tout.
25:32Mais c'est un livre qui, d'une certaine manière, est tendre et, comment dire,
25:38et en attente de ce que la vie peut réserver de meilleure.
25:43Il y a des moments où elle est moins bien.
25:44Il y a des moments où elle est merveilleuse.
25:46En tout cas, rien ne la vaut à part elle-même.
25:49Merci.
25:50Pierre Arditi, en toute liberté, le souvenir de presque tout.
25:53Je vous recommande ce bouquin, on cherche midi.
25:55C'est vraiment tel qu'on l'aime et tel qu'on l'entend,
25:58cette voix unique qu'est Pierre Arditi.
26:00Merci beaucoup d'avoir été notre invité.
26:02C'est moi.
26:02Merci.
26:03Merci.
26:04Merci.
26:05Merci.
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