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Anne Fulda reçoit Alexandre Postel pour son livre «Tout ouïe» dans #HDLivres

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Transcription
00:00Bienvenue à l'heure des livres, Alexandre Postel.
00:03Bonjour.
00:03Alors, vous êtes déjà romancier confirmé, vous écrivez là votre cinquième roman.
00:09Votre livre, Un homme effacé, avait été récompensé en 2013 par le prix Goncourt des lycéens.
00:15Et là, vous venez de publier Toutoui, un livre qui est paru aux éditions de l'Observatoire,
00:21un livre qui est sur la crête, étonnant, qui manie l'ironie avec subtilité.
00:26Et en tout cas, très originale.
00:30Alors, Toutoui évoque en fait l'évolution d'un manuscrit qui est présenté un jour à une maison d'édition,
00:40qui n'est pas en grande forme, la maison d'édition.
00:43Et on a comme ça une espèce de jeu et de dialogue entre une éditrice qui s'appelle Violette,
00:52qui reçoit le livre d'un certain Monegal, qui a écrit un livre qu'elle connaît à peine,
01:01qui voudrait lui proposer un texte qui s'appelle La confession auriculaire,
01:05et qui lui propose de travailler en donnant peu à peu des chapitres qu'elle pourra juger.
01:12Alors, c'est vrai qu'on se demande, parce que des livres liés au goût, au parfum,
01:20on en a bu beaucoup, mais c'est vrai que le sens de Louis est en général assez oublié.
01:26Alors, comment vous est venue cette idée ?
01:29Parce que ce livre n'est pas que sur Louis et sur l'histoire que vous raconterez,
01:32la spécificité du manuscrit liée aux sensations que procure Louis,
01:36mais aussi finalement aux entrailles de ce qui se passe dans une maison d'édition.
01:42Comment vous est venue cette idée ?
01:44Eh bien, vous l'avez bien résumé, cette éditrice est contactée par un homme
01:49qu'elle connaît vaguement et qui, chapitre après chapitre, lui fait lire,
01:55et nous lisons par-dessus son épaule, ce manuscrit intitulé La confession auriculaire,
02:00dont le narrateur et le personnage principal éprouvent une intensité particulière
02:09dans toutes ces sensations auditives.
02:11Intensité qui résulte peut-être d'un épisode de surdité infantile,
02:15après quoi tout ce qui relève de Louis a pour lui une importance, une valeur, un prix,
02:20peut-être un peu supérieur à la moyenne.
02:23Et parmi ces sensations qui le fascinent,
02:25il y en a une qui va bientôt s'imposer à lui avec une grande violence,
02:29qui est la sensation auditive des manifestations du plaisir,
02:36des manifestations du plaisir sexuel féminin,
02:39qu'il surprend un jour, enfant, qui font effraction comme ça dans son oreille,
02:44qui le troublent beaucoup et qui vont par la suite,
02:48c'est là que ça devient vraiment une fiction,
02:50qui vont par la suite avoir sur sa vie l'empire d'une obsession,
02:56si bien qu'il va se mettre à traquer, autant qu'il le peut,
03:02les manifestations de ce plaisir.
03:05Il va épouser une carrière d'agent immobilier,
03:08il va pouvoir disposer des mouchards dans les appartements dont il a la gestion,
03:15écouter aux portes, se promener dans Paris la nuit,
03:18ouvrir les immeubles avec le vigique, le pass universel qui permet comme ça.
03:23Et donc, ça m'intéressait d'explorer sensoriellement, effectivement,
03:28cette écriture de Louis, puisque c'était votre question.
03:33Effectivement, parce que tout simplement, pour l'écrivain, c'est intéressant, toujours,
03:37puisque le bruit, c'est quelque chose qui est étranger au langage,
03:42qui ne relève pas du langage, en fait.
03:43Et donc, il y a un défi pour l'écriture aussi.
03:46Comment restituer, comment dire, comment qualifier par des mots tournés autour de cette expérience-là,
03:53qui est une expérience qui, par définition, est insaisissable pour le langage.
03:57Et évidemment, aussi, ça pose des questions de tous ordres à l'éditrice et à la femme qui reçoit ce texte.
04:04Oui, c'est ça qui est intéressant, c'est qu'on voit l'évolution des réactions de l'éditrice,
04:10qui est plutôt jeune, qui ne se veut pas bégueule,
04:15et qui, finalement, est mal à l'aise face à ce texte.
04:20Elle est gênée aux entournures et elle l'exprime un peu avec difficulté.
04:27D'ailleurs, ce n'est pas évident, parce qu'il ne faut pas apparaître comme,
04:31allant vers une forme de censure.
04:33Mais, quand même, est-ce que c'est l'ère du temps actuelle
04:38qui fait que vous avez pensé à raconter ces hésitations de l'éditrice
04:45qui pense, effectivement, à son propre malaise,
04:51mais aussi à la manière dont le texte sera perçu ?
04:54Bien sûr, un texte comme celui-là suscite en elle,
05:01oui, une forme de gêne, de perturbation.
05:04Voilà, de perturbation.
05:06Et ce qui me semblait intéressant de montrer,
05:09c'est que cette perturbation est féconde, en fait.
05:11C'est-à-dire qu'elle appelle beaucoup de questions.
05:14Les questions qu'elle se pose, c'est, bon, d'abord,
05:17est-ce que ce texte est publiable, tout simplement ?
05:20Question éditoriale.
05:22Est-ce que ce désir singulier peut rencontrer un désir plus général ?
05:26Est-ce que ça ouvre vers des questions plus générales
05:28ou est-ce que c'est le délire d'un fou ?
05:31Est-ce que ce texte est impudique ?
05:35D'un autre côté, est-ce que le plaisir du roman,
05:39ça n'est pas toujours, d'une certaine façon,
05:41d'entrer dans la vie des autres,
05:43de savoir ce qui se passe ?
05:45C'est une pulsion de curiosité.
05:47Et d'ailleurs, ce personnage-là, dans ses quêtes auriculaires,
05:52en fait, à travers ce qu'il poursuit,
05:54c'est aussi toute la vie des autres qu'il découvre,
05:56qu'il documente, qu'il...
05:58Et donc, elle est prise comme ça dans un faisceau de questionnements.
06:02Est-ce que c'est légitime, de la part d'un homme,
06:04d'écrire sur les plaisirs féminins ?
06:06Les plaisirs féminins.
06:06D'un autre côté, voilà, d'un autre côté,
06:09est-ce que c'est vraiment là-dessus qu'il écrit, au fond ?
06:12Est-ce que le texte en question a une prétention documentaire sur le sujet ?
06:18Absolument pas.
06:19Ce que ça révèle surtout, c'est la solitude de ce personnage,
06:22c'est cette espèce de pulsion bizarre qui l'isole
06:25et qui le conduit dans une spirale folle.
06:29Et donc, elle fait l'expérience de cette perturbation.
06:34Et c'est cette perturbation que je trouvais particulièrement intéressante
06:37parce que, justement, c'est ce qui nous permet, en fait, quand on lit,
06:42c'est la perturbation de la lecture en général.
06:43Être dérangé ne signifie pas, c'est parce qu'elle est gênée ou dérangée
06:47que le livre n'est pas bon.
06:49Voilà, c'est justement ça.
06:50Et c'est ça que je trouve très intéressant, en fait,
06:52dans l'expérience de la lecture de la fiction, en règle générale.
06:56C'est finalement ce moment où nous sommes confrontés à une part d'altérité.
07:05C'est l'altérité de l'imagination de l'autre.
07:07Parce que l'imagination de l'autre, c'est toujours un peu irréductible.
07:11C'est toujours un peu singulier.
07:13Ce n'est pas les idées, quoi.
07:14Ce n'est pas l'idée reçue, l'opinion.
07:18C'est autre chose, l'imagination.
07:19C'est toujours singulier.
07:20Et donc, se confronter à l'imagination d'un autre, d'une autre,
07:24surtout avec en plus cette différence sexuelle et le thème en question,
07:29c'est toujours, d'une certaine façon, s'interroger sur, justement,
07:33ce qu'il y a d'irréductiblement autre dans l'autre
07:36et ce que je peux retrouver en moi-même de l'autre.
07:42Et donc, ça nous conduit, finalement, aussi, à découvrir en nous-mêmes,
07:49je pense, chaque lecture, une lecture réussie,
07:52enfin, une expérience de lecture, à mon sens, féconde,
07:54c'est une lecture qui, toujours, nous permet de découvrir en nous-mêmes
07:58quelque chose d'autre que ce que nous y avons mis en nous,
08:02c'est-à-dire notre égo, nos opinions, ce que nous croyons savoir,
08:06ce que nous croyons penser, cette petite citadelle,
08:08cette petite bulle que nous construisons en permanence
08:11et derrière laquelle, dans laquelle, bien souvent,
08:13nous avons tendance à nous recroqueviller.
08:16Et, justement, la lecture, l'imagination de l'autre
08:19vient ouvrir, comme ça, un espace
08:20où on ne coïncide pas tout à fait avec soi-même
08:22et ça, c'est très libérateur, je trouve.
08:24Alors, ce qui est amusant,
08:25j'ai vu que vous aviez écrit un livre qui s'appelle
08:27« Un automne de Flaubert »
08:28où vous interrogiez sur...
08:33C'est une période où Flaubert, à 53 ans,
08:35est un peu en panne d'inspiration.
08:39Donc, en fait, les mystères de la création,
08:43de la fabrication d'un livre de façon plus spécifique,
08:47c'est quelque chose qui vous intéresse, visiblement,
08:50parce que dans ce livre-là,
08:51il y avait déjà un peu cette interrogation
08:53traitée de façon tout à fait différente,
08:55mais sur la fabrique d'un livre.
08:57Bien sûr, je crois que c'est quelque chose de très romanesque,
09:00aussi bien la création que d'ailleurs la lecture elle-même,
09:02en fait, sont des opérations qui sont romanesques
09:04et qui, je pense, sont de nature à intéresser
09:06un certain nombre de personnes,
09:08puisque chacun, finalement, dans le secret de son cœur,
09:10aspire à écrire quelque chose.
09:13En tout cas, je vous conseille de lire ce livre.
09:15Ça s'appelle donc « Tout oui »,
09:16c'est paru aux éditions de l'Observatoire.
09:18Merci Alexandre Postel.
09:19Merci à vous.
09:19Sous-titrage Société Radio-Canada
09:25Sous-titrage Société Radio-Canada
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